Les travaux manuels
Les
travaux manuels à l’école : une histoire de filles ?
Jusqu’aux
Instructions de 1923, l’enseignement du travail manuel était, semble-t-il,
surtout réservé aux filles. Il consistait en étude de points divers sur
canevas, puis sur toile de plus en plus fine… mais pas que.
Au temps où l’on marquait le
linge de belles initiales, l’école ne pouvait pas laisser ignorer aux élèves
l’apprentissage de l’alphabet au point de croix. Les fillettes brodaient aussi,
crochetaient de la dentelle, tricotaient la laine ou le coton avec des
aiguilles d’acier. Dès la classe du certificat, elles recevaient de sommaires
notions de coupe qui leur permettaient la fabrication de taies d’oreillers, de
manches à poignets, de petits tabliers ou de bonnets à trois pièces.
Les programmes de 1882
fixent le cadre de l’enseignement des travaux manuels : progression des
apprentissages, matériel et outils à utiliser et ce, depuis l’école maternelle (1).
La loi stipule ne pas vouloir « transformer
l’école en atelier , mais simplement donner à l’enfant le moyen
d’acquérir cette dextérité de la main et cette justesse du coup d’œil qui ,
plus tard, lui seront si utiles et si profitables ; le mettre de bonne
heure en contact immédiat avec la matière brute et lui apprendre à la façonner,
afin de développer en lui l’instinct naturel qui le porte à exécuter des
travaux matériels ; lui donner surtout le goût et l’amour du
travail. »
Cependant les instructions
d’application restent sommaires et n’apportent guère de précisions pédagogiques
aux maîtresses et maîtres. Pour pallier ce manque arrive, en 1885, une Instruction spéciale pour l’enseignement du
travail manuel dans les écoles primaires qui propose une progression pédagogique.
Les Instructions de 1923
fixent les horaires de travail manuel à 1 heure 30 au cours préparatoire, 1
heure pour les garçons et 1 heure 30 pour les filles au cours élémentaire et
une heure pour les garçons et 2 heures pour les filles au cours moyen. Fait
nouveau, cet enseignement ne fait plus partie de l’éducation physique mais est
considéré comme une éducation intellectuelle associée au dessin et aux sciences
appliquées qui préparent à la vie courante (2).
La mise au point d’un
programme plus vaste et plus varié devait cependant être établi par les
Instructions de 1938 : « Les
travaux manuels conservent toujours leur caractère éducatif. Ils s’exercent sur
le plan du plus grand nombre de matières d’œuvre possibles : bois, fer,
cuir, carton, brique, verre, etc… » On ne supprime pas aux filles la
couture mais, à l’égal des garçons, elles peuvent se livrer au modelage de la
terre, au travail du plâtre, du bois ou de l’osier et réaliser de petits
objets, toujours agréables à offrir à l’occasion d’une fête ou d’un
anniversaire.
Les horaires d’enseignement
sont réduits au profit de 3 heures de sport et plein air (en complémentarité
des actions du ministre Léo Lagrange) et
de 3 heures d’activité dirigée et de chant. On considère ces activités dirigées
comme la source motivante de l’enseignement, l’école nouvelle fait son entrée
avec des méthodes laissant plus d’initiative aux maîtres, mais aussi aux
élèves : « Les activités des
enfants à l’école nouvelle (enquêtes, recherches libres ou dirigées, comptes
rendus, monographies, travail individuel ou travail par groupe) créent un
climat nouveau fait de liberté, de confiance, d’actions joyeuses et
disciplinées. L’école nouvelle n’est pas
une école où on fait ce qui vous plaît : elle est une école où ce qu’on
fait plaît et le métier du maître est de faire s’intéresser les enfants. »
Les travaux manuels prennent
alors toute leur place dans ces activités nouvelles, ils sont récréatifs mais
surtout éducatifs. Au cours supérieur, les exercices de pliage et de
construction de solides géométriques permettent aux enfants de matérialiser des
propriétés mathématiques abstraites et théoriques. La confection de petits
objets grâce aux croquis côtés réalisés en sciences débouche sur des manipulations et des expériences
profitables.
Parallèlement, nombre de nouveautés vont faire leur
apparition : tissage, reliure, pyrogravure, linogravure, modelage, cannage
ou autres piquages et broderies. Après 1945, viendra l’âge d’or des
coopératives scolaires et de la confection d’objets à proposer lors des
kermesses, les écoles maternelles prendront toute leur place dans cette
évolution.
Plus tard, vers 1970, se
généralisera l’emploi du four électrique qui, souvent acquis par la caisse de
coopérative scolaire de l’école, cuira et recuira les poteries de terre glaise
laissées en leur état brut ou enrichies d’émaux. C’est l’ère des disciplines
d’éveil inscrites dans le cadre du tiers temps pédagogique. Le travail manuel
est pleinement une activité d’éveil mais voici que des voix du passé
s’insurgent contre cette orientation pédagogique : le travail manuel ne
perd-il pas son caractère éducatif quand les enfants ne font que finaliser des
objets manufacturés achetés dans le commerce ? La joie de l’effort ne
disparaît-elle pas au profit du plaisir de faire ? Questions auxquelles répondent les
psychologues par une longue réflexion sur la structuration des apprentissages
et un questionnement non moins intéressant : doit-on privilégier le
processus d’action ou au contraire le résultat de l’action ? Doit-on
autoriser l’enfant à un tâtonnement sur les supports matériels ou doit-on le
soumettre à un travail bien fait ? Les réponses à ces interrogations
impliquent peut-être une différenciation entre activités manuelles éducatives
et travaux manuels…
Les Instructions de 1985
poussent toujours plus loin les ambitions, l’enseignement de la technologie
infiltre le travail manuel : « La
technologie fait accéder enfant au monde construit par l’homme ; elle lui
inspire la volonté d’entreprendre et de participer au progrès de l’humanité ».
Au
cours préparatoire, l’enfant observe, classe manipule réalise : fabrications
diverses et maniement d’outils appropriés, démontage et remontage d’objets
techniques simples.
Au
cours élémentaire, des projets techniques sont conçus, organisés et réalisés :
réalisations technologique à caractère utilitaire et ludique.
Au
cours moyen, l’élève apprend à construire des problèmes, à formuler des
hypothèses et à raisonner pour parvenir à des solutions. Il acquiert les
rudiments d’une culture informatique : les mécanismes et électro
mécanismes, les objets et systèmes informatiques. »
La société évoluant, l’esprit
de l’enseignement du travail manuel évolua nécessairement lui aussi (le temps de la « maîtresse de
couture » des écoles rurales ne fut plus qu’un lointain souvenir !).
Bien qu’un temps délaissé et considéré comme supplément secondaire, le travail
manuel, qui se voulait éducation de la main, est peu à peu devenu éducation
tout court, notamment dans le cadre des « activités d’éveil » des années
80. L’initiation à la technologie dans l’école primaire, à travers les
activités dites à « dominante
physico-technologique » selon les textes des années 90, se généralisa
dans tous les cycles et pour toutes les sections : le travail manuel
devint alors éducation manuelle et technique et put s’inscrire fièrement dans
les P.A.E (projets d’actions éducatives).
Pour
aller plus loin : Les instituteurs et l'introduction du
travail manuel dans les écoles primaires de garçons du XIXe siècle, article de Pascale Rougier-Pintiaux, in
Revue Française de Sociologie, 1988.
(1)
:
Source : Le Temps des Instituteurs
(2) :
Source : Le Temps des Instituteurs
P.P
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