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y a 40 ans (2/3)
Yann Le Bouiver et Clotilde
Gillot, auteure du reportage de cet article
1981 :
sous l’œil de la caméra
Que
sont devenus les élèves, apprentis acteurs, de l’école de la rue Jean
Jaurès ? Filles et garçons d’une classe de Cours Moyen ont participé au
tournage réalisé par Claude Couderc ? Nous le saurons bientôt peut-être,
grâce à la mobilisation des médias et au bouche à oreille. Mais avant de
pouvoir les réunir pour la projection de « leur film » les 17 et 18
septembre prochains, revenons sur l’histoire de ce tournage et laissons
Clotilde Gillot, membre fondatrice du musée et aujourd’hui disparue, nous
conter l’aventure.
Nouvelle série de photographies dans la suite de l’article. Reconnaîtrez-vous
quelqu’un ?
Générique du film, scène
tournée à la ferme de l’Enclos (Blanzy), à l’image : Alfred Douhéret, le
propriétaire, jouant le rôle du père d’un écolier.
« Dans
le cadre de la célébration du centenaire de l’école laïque [en 1981],
deux envoyés de TF1 étaient précédemment venus à la Maison d’Ecole pour
examiner les lieux et apprécier s’ils conviendraient au tournage d’un film
évoquant l’école de Jules Ferry.
La reconstitution de la salle leur ayant paru fort convenable, ils avaient sollicité et obtenu les nécessaires autorisations : du directeur de l’Ecomusée, du directeur de l’école et du maire de Montceau. Après quoi, Mme Evrard, responsable de l’antenne de la Maison d’Ecole à l’Ecomusée, nous avait demandé Pierre [Gillot] et à moi, de prêter livres, cahiers, cartes… et documents utiles.
Le
23 février 1981, nous sommes à l’école dès 8 heures. Les Parisiens arrivent
bientôt, à bord de 2 camionnettes pesamment chargées. Ils se présentent : Claude Couderc, metteur en scène, Caroline Tanguy, assistante de
réalisation et Yann Le Bouiver,
acteur.
Le
caméraman, l’ingénieur du son et l’électricien s’affairent déjà autour des
voitures. Bientôt, le palier de l’étage est encombré de multiples appareils
électriques et d’énormes caisses de métal.
Les
deux hommes de l’équipe qui viennent de monter à grand peine le lourd bloc
électrogène s’aperçoivent soudain qu’ils ont oublié à Paris, la batterie qui
doit faire fonctionner la caméra ! La consternation ne dure pas longtemps…
Le téléphone permet rapidement de sauver la situation… Un motard de la police
se mettra immédiatement en route pour apporter de la station FR3 de Dijon
l’indispensable batterie !
En
l’attendant, nous procédons au choix d’une quinzaine d’élèves parmi ceux qui
sont munis de l’autorisation de leurs parents (élèves de CM1 et CM2). Il nous
faut des garçons aux cheveux courts et des filles aux cheveux longs. Les
enfants laissés pour compte à cause de leur trop moderne coiffure retournent
dans leur classe bien déçus…
Yann Le Bouiver, l’acteur
Les
« élus » doivent maintenant endosser les vêtements provenant d’un
vestiaire de Paris : amples blouses noires ou grises, sabots de bois ou
bottines lacées, casquettes ou bérets, pèlerines de lainage marine ou noir…
Caroline,
à la fois habilleuse et accessoiriste se dépense sans compter, retroussant les
poignets trop longs, resserrant un col ou une ceinture, ajustant tant bien que
mal les costumes à la taille des élèves…
Les
gosses ravis de ces essayages, rient comme des fous dans ces travestis d’un
autre âge ! Les machinistes garnissent de plastiques transparents et
teintés en bleu ou en orange, les fenêtres de la salle, pour donner, sous les
projecteurs, l’impression de la lumière du jour.
Trois
énormes projecteurs sont en effet installés, dégageant dans la pièce une
chaleur intense et un éclat insoutenable pour les yeux non protégés.
Appelée
à fournir le matériel scolaire nécessaire à la réalisation du film, je pensais
rester une ou deux heures à l’école… En définitive, ce sont 3 jours entiers que
nous passerons en compagnie de cette équipe fort sympathique qui nous fera
découvrir un monde nouveau.
Pendant
que l’on attend le motard et la batterie, Claude Couderc soumet son scénario à
mon appréciation. Je me permets de critiquer fort la présentation de cette
classe imaginaire, échafaudée par des gens absolument étrangers à la pédagogie.
Claude Couderc, très ouvert aux suggestions d’autrui, se laisse facilement
convaincre qu’on ne peut ridiculiser l’école et ses maîtres en donnant l’image
d’une classe fantaisie, trop éloignée de la réalité.
Il
admet de revoir avec moi le déroulement de cette journée d’école (qui devra en
réalité durer 10 minutes aux yeux de téléspectateurs !).
Pour
la leçon de morale, je propose la lecture d’un texte tiré d’un ouvrage de
l’époque « Le père Mathurin ». Il s’agit du respect dû aux personnes
âgées. De nombreuses coupures devront permettre au maître d’en expédier la
lecture en 30 secondes !
Claude Couderc et Clotilde
Gillot
Nous
nous attelons à la besogne et choisissons 4 ou 5 phrases qui, mises bout à
bout, donneront le sens général tout en respectant la rigueur de l’horaire…
Avant
l’entrée des élèves, le maître aura écrit au tableau le titre de la leçon :
« Il faut respecter les vieillards ».
Nos
organisateurs avaient pensé faire une leçon de choses sur le vin. Il me semble
plus facile de faire étudier un solide dont chaque enfant pourrait avoir un
exemplaire en main. Montceau étant une ville minière, pourquoi ne pas étudier
le charbon ?
Bonne idée approuve-t-on, mais je dois
empêcher notre maître d’employer le boulet, contenu dans le seau, comme exemple
de houille tirée du sol montcellien ! Pierre se charge de pourvoir chaque
élève d’un bon échantillon. Morale, histoire, lecture, récitation, dictée,
calcul (réduit au calcul mental par procédé Lamartinière)… rien ne sera oublié.
C’est-à-dire tout sera ébauché dans cette classe marathon. C’est bien la
première fois que je verrai se dérouler un emploi du temps au rythme de la
seconde !
Pendant
les indispensables pauses, Claude Couderc m’a expliqué qu’il lui fallait
trouver aux environs une ferme située au bout d’un chemin creux et dont le
fermier et la fermière voudront bien, en costume 1881, jouer le rôle du père et
de la mère d’un écolier. Je pense au cousin Alfred dont la petite ferme est
située à quelque distance de la route sur la commune de Blanzy…
Laissant
l’équipe au travail, le metteur en scène accompagne Pierre à l’Enclos. Dès
l’arrivée, les lieux lui semblent magnifiques et tout à fait adaptés :
chemin creux bordé de haies, tas de fumier au centre de la cour, volailles en
liberté.
Le
moment de surprise passé, les Douhéret restent réticents. Claude Couderc se
fait persuasif et décide Alfred à jouer le jeu, mais Yvette s’y refuse
obstinément.
De
retour à l’école, Claude Couderc m’annonce avec joie que tout ira bien et il me
demande de me travestir en fermière pour remplacer Yvette. N’ayant aucune envie
de paraître à l’écran, je ne dis ni oui, ni non, espérant qu’on finira par
trouver une autre figurante…
D’autre
part, le scénario mentionne l’intervention d’une jeune institutrice
d’aujourd’hui qui doit, après question du narrateur, comparer la pédagogie de
1885 aux méthodes actuelles qu’elle pratique elle-même dans sa classe. Nous
profitons de la récréation (car l’école fonctionne comme à l’accoutumée) pour
solliciter une jeune institutrice du groupe. Après quelques hésitations, elle
finit par se laisser convaincre et accepte de dire (toujours très rapidement)
le petit commentaire auquel elle aura réfléchi d’avance.
Son
directeur, M. Mignard, lui permettra de quitter sa classe un instant au moment
voulu si nous obtenons l’accord de M. l’Inspecteur. Le metteur en scène qui a
l’habitude de frapper à toutes les portes pour mener à bien ses entreprises,
s’en va illico trouver M. l’Inspecteur [Joseph
Charnay] qui
refuse tout net l’autorisation demandée : « Pourquoi ne pas vous
adresser à Mme Gillot, dit-il, elle saura très bien parler de ce métier qu’elle
a quitté fort récemment ? »
Quand
Claude Couderc me rapporte ces paroles, je ne puis m’empêcher de trouver la
proposition charmante… Comment pourrais-je, avec mes cheveux blancs,
représenter une « jeune » institutrice ? Et puis je ne
saurais être à la fois fermière et pédagogue !
Claude,
toujours tenace, décide de supprimer le rôle de la fermière et d’enlever
l’adjectif « jeune » devant « institutrice » d’aujourd’hui.
Sentant
que je n’aurai jamais gain de cause, j’accepte enfin, sans enthousiasme, pensant qu’il
s’agit d’un service à rendre à la cause de l’enseignement… Je mets toutefois
une condition : la caméra ne fixera pas son œil sur moi pour que je
paraisse en gros plan, et on entendra ma voix « off ».
Après
coup, je ne suis pas sûre que le caméraman n’ait pas quelque peu triché le
lendemain quand, toutes questions embarrassantes étant réglées, nous dûmes
passer à l’action avec les élèves.
Quel
supplice, au demeurant, de rester sous les feux cuisants des projecteurs !
Le commentaire que j’ai élaboré a beau être court, il me faut, pour de
multiples raisons, recommencer de le dire 8 fois de suite !
Enfin,
la classe est finie, au grand soulagement des élèves, lassés par les efforts
d’attention et de silence qu’on leur a demandés, trois heures durant, dans
cette ambiance aveuglante et surchauffée. Libérés vers 17 heures, ils sont
heureux de quitter les lieux pour raconter leurs exploits du jour à leurs
parents et évoquer cette classe bien particulière. Nous restons encore pour
reprendre les gros plans de l’instituteur en action et pour ranger le matériel
épars.
Il
est vrai que nous ne nous étions pas quittés de toute la journée. A midi, nos
cinéastes avaient insisté pour que nous allions prendre le repas avec eux à
l’hôtel de France et nous avions éprouvé un grand plaisir à bavarder en leur
compagnie. Avec beaucoup de liberté et de franchise, ils nous ont parlé des
différents tournages qu’ils venaient d’effectuer et de leur vie, certes
attrayante, mais combien pénible et mouvementée.
En
particulier, ils se sont plaints beaucoup du manque de crédits affectés aux
programmes de télévision par le gouvernement Giscard et de la censure
impitoyable qui ne leur laissait pas la possibilité de s’exprimer comme ils l’entendraient…
Yann,
notre maître de 1885, venu au restaurant dans son costume d’acteur :
complet noir, col empesé et chapeau melon, nous a raconté comment son père
l’ayant quelque peu contraint de se présenter au concours d’entrée à l’Ecole
Normale, en 1950, il fut normalien dans la région parisienne, puis enseigna 5
ans durant en fervent adepte des méthodes Freinet.
Mobilisé
en Algérie, au titre du service militaire, il n’eut plus le courage d’être
instituteur à son retour… Demandant un congé pour études, il prépara l’école
d’art dramatique (sa vocation initiale) pour devenir acteur et artiste peintre.
Il dit avoir trouvé sa voie en s’accommodant fort bien de la précarité de
l’emploi.
Le
mercredi, 3e jour de tournage. Nous nous retrouvons le matin dans la
cour de l’école pour les exercices militaires. Il ne s’agira que d’une marche
au pas, avec port d’arme, de simples bâtons de gymnastique remplaçant les
fusils manquants. Antimilitariste convaincu, notre pédagogue (ex Freinet)
m’avoue qu’il répugne beaucoup au maniement de ce fusil avec lequel il ne sait
guère quelle contenance prendre. Après tout, il ne joue que la comédie, une
comédie que personne ne sait bien diriger au demeurant, puisque nous n’avons
aucune expérience en la matière.
A
midi, nous rentrons à la maison Pierre et moi, mais l’équipe n’a pas le loisir
de prendre un repas, car il lui faut démonter et recharger tout le matériel.
Nous avons prévu de nous retrouver à 14 heures pour reprendre ensemble la route
de l’Enclos. Nous apportons à Alfred de quoi se déguiser en paysan du siècle
passé : gros pantalon de velours, vaste chemise sans col, large ceinture
de flanelle.
Pendant
qu’il s’habille, l’équipe, armée de pelles, gratte la cour pour enlever les
traces des roues d’auto ou de tracteurs. La vieille voiture à charrois,
immobilisée depuis longtemps sous le hangar est amenée près de la barrière et
garnie d’un peu de paille… Chacun se place.
Le cousin Alfred Douhéret (image du film)
Alfred
arrive et se met à charger sa brouette de fumier à gestes mesurés. Pauvre
Alfred, il doit recommencer 14 fois la scène ! Quand les gestes sont bien
précis et les paroles bien timbrées, une auto ou un avion troublent l’air de
leur anachronique vrombissement et il faut tout reprendre ! Prévenu trop
tard, le photographe n’a pas pu venir à l’Enclos et nous ne possédons aucune
trace de cette pittoresque mise en scène… Quel dommage !
Yann,
qui n’a plus de rôle à jouer dans cette cour de ferme, est parti dans la
campagne voisine avec sa palette et ses pinceaux. Au bout de 2 heures, il
revient les doigts gourds et me présente l’esquisse qu’il vient de
brosser : la petite colline des Crespins est bien campée dans toute sa
tristesse hivernale. Yann, qui a vraiment du talent, ne manque jamais
l’occasion de l’exercer.
Enfin,
tout est terminé. Le soleil a presque atteint la ligne d’horizon. Il fait très
froid et nous sommes tous gelés de ce long stationnement dehors. Généreusement,
Alfred fait entrer toute la bande : les 5 cinéastes, les 2 élèves, M.
Mignard, Pierre et moi. Yvette prépare le café et nous nous serrons autour de
la table. Alfred apporte « la goutte » fort appréciée des Parisiens
et surtout de Caroline !
Les
langues se délient, nos cinéastes évoquent leurs tournages récents et à venir.
Nous nous quittons à regret après une embrassade générale. La nuit tombe, les
deux voitures extrêmement chargées prennent la route de la capitale. A 8 heures
le lendemain, chacun d’eux devra être présent au studio de TF1. Il s’agira de
faire un choix dans les séquences et de monter le film. 5 personnes ont déjà
travaillé 3 longues journées pour offrir aux téléspectateurs 10 minutes de
spectacle !!
Et
que sera ce spectacle ?
En
réalité, bien différent de celui qu’avait conçu le metteur en scène. Tout
d’abord intitulé « Les enfants de
l’égalité » il sera publié sous le titre « Une journée de classe en 1885 », titre qui correspondra
beaucoup mieux au contenu du film.
Bref
résumé du scénario :
En
1885, un garçon de 10 ans, Jules, quitte la ferme de ses parents pour se rendre
à l’école. Il dit au revoir à son père peu satisfait de le voir partir :
« A quoi bon l’école, dit-il, je m’en suis bien passé moi, il y a tant de
travail pour toi ici ! ». Jules part en courant, retrouve un de ses
camarades au bord du chemin et le voilà à l’école où la classe se déroule comme
nous l’avons prévu plus haut. En une dernière séquence, on retrouve les deux
compagnons cheminant en vue de la ferme.
Le
film « Une journée de classe en
1885 » passera à l’écran en mars 1981, en une émission du mercredi
après-midi, dans la série « Portrait
d’une journée de l’histoire » :
-
Production :
Christophe Yzard
-
Atelier
de production : J.J. Le Gouar
-
Réalisateur :
Claude Couderc
-
Assistante
de réalisation : Caroline Tanguy
-
Société
nationale TF1, 15 rue Cognacq-Jay 75 340 Paris Cedex 07, téléphone
555.35.35 »
Reportage réalisé
par Clotilde Gillot, pour la Maison d’Ecole, février 1981.
Nos
projections des Journées du patrimoine 2022
La réalité voudra que le
film retrouve son titre initial « Les
enfants de l’égalité » et soit diffusé le 25 novembre 1981. Sa durée sera de 11 minutes 20.
Précédemment, une première
émission avait été tournée pour partie au musée avec une autre classe, diffusée
le 3 novembre 1980, sous le titre de « Les
enfants de l’industrie » dans une série d’émissions intitulée « Au grenier du présent » (50
minutes).
Une troisième sera à nouveau
tournée, toujours au musée, diffusé le 23 mars 1982, sous le titre de « La Maison d’Ecole » dans
une série d’émissions intitulée « Mémoires
de France » (9 minutes 47).
Le dernier tournage en date
effectué au musée eut lieu en 2014 à la suite de la première exposition sur
l’architecte DULAC. Elle fut diffusée sous le titre « L’école en mouvement » dans une série d’émissions
intitulées « Pourquoi chercher plus
loin » (25 minutes 07).
Ce sont ces quatre films,
dont 3 récupérés à l’INA (Institut National de l’Audiovisuel), que nous
projetterons les 17 et 18 septembre 2022, à 15 heures, à l’Auditorium Jean
Maillot des Ateliers du jour à Montceau. Certains s’y reconnaîtront sûrement et
ils nous parleront peut-être de ce souvenir extraordinaire d’écolier.
Si vous avez participé à ces tournages, si vous reconnaissez
quelqu’un, si vous vous reconnaissez, contact :
03.85.57.25.84
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