lundi 28 août 2017

La place de la femme dans l'enseignement 1945-1995 (2)

La place de la femme dans l’enseignement
Deuxième partie1945-1995

Synthèse du colloque
« Images publiques des enseignants »
INRP, 1995
Prolongement de l’exposition « Une affaire de femmes ? »




(Suite de l’article sur Julie Victoire Daubié dans "Vous qui passez le bac 2017, souvenez-vous !" 
rubrique « L’école dans l’histoire ou histoires d’école ? »)

Lycée de jeunes filles de Mâcon ouvert en 1880. Il est actuellement devenu le collège Pasteur  (collection privée)


La naissance du professorat féminin

La loi Camille Sée du 21 décembre 1880 crée les lycées et collèges de jeunes filles. On compte 23 établissements en 1883, 138 en 1913 et 172 en 1939, à la veille de la seconde Guerre mondiale. Même si l’inégalité par rapport aux garçons est flagrante (343 établissements les accueillent en 1903 et 355 en 1939), la nouvelle institution fait preuve de vitalité alors que le secondaire masculin connaît une relative stagnation entre les deux guerres. A ses débuts, l’objectif de l’enseignement secondaire féminin n’est évidemment pas de former des jeunes filles indépendantes en mesure de rivaliser avec leurs congénères masculins dans le domaine professionnel et d’embrasser des carrières libérales. 


En 1924, l’enseignement qui leur est dispensé ne permet pas leur entrée dans les facultés. En effet, le diplôme d’études secondaires délivré dans les lycées de filles n’a pas de valeur sur le marché de l’emploi, à la différence des brevets élémentaire et supérieur qui destinent à l’enseignement dans le premier degré. Il s’agit plutôt de dispenser à de futures épouses une instruction laïque qui leur permette de devenir les compagnes « éclairées » de maris républicains ainsi que les mères éducatrices de leurs  enfants. Les idées dites modernes caractérisant cette fin de XIXème siècle et prônant l’émancipation intellectuelle des femmes, ne visent qu’à les soustraire de l’influence de l’Eglise tout en leur permettant d’assurer le bonheur de leur famille et l’avenir de la démocratie : « On lui donne le goût des travaux de son sexe : on lui enseigne les langues vivantes de façon à l’affranchir plus tard des gouvernantes allemandes ou anglaises ; on lui apprend à goûter le charme réconfortant de notre littérature classique, excellent antidote contre les dangers de la littérature qui ne l’est pas » (6) (ANNEXE II)La loi Camille Sée, pour se donner les moyens d’exister, impose la création d’un professorat  féminin puisque l’idée d’instituer des lycées mixtes est écartée. L’école de Sèvre est donc créée en 1881. 


Lycée de jeunes filles de Chalon ouvert en 1879 et devenu collège Camille-Chevalier  (collection privée)


Le stéréotype de l’image de l’épouse bourgeoise représente le destin le plus courant  de la lycéenne au-delà des études secondaires : « Vous êtes privilégiées entre toutes les femmes, vous, les élèves de Sèvre, car plus que d’autres, vous avez le moyen de remplir la belle mission de la femme qui est d’éclairer, d’élever. Alors même que vous ne trouveriez pas cette profonde affection qui est plus ou moins le rêve de toutes les jeunes filles, vous n’en pourriez pas moins atteindre le noble but qui est de nature à exalter une âme telle que la vôtre. » (7). Apparaît alors, à la fin du XIXème siècle, une nouvelle catégorie de travailleuses diplômées : le professeur femme, catégorie qui compte jusque dans les années 50 un nombre important de célibataires, elle aussi. En effet, en 1938, le célibat concerne 68 % de ces professeurs femmes. Il existe une incompatibilité de fait entre le rôle de mère éducatrice  (objectif visé par la formation dispensée dans les lycées de jeunes filles) et l’enseignante de lycée. La femme professeur constitue un danger pour l’équilibre social de l’époque dans la mesure où elle utilise de façon autonome une instruction supérieure. Le problème qu’elle pose est source de désagrément  pour elle et pour la société, en même temps que celle-ci lui impose un contrôle qui n’est pas un mythe (surtout pour les jeunes professeures isolées dans des villes de province), et renvoie d’elle une image dévalorisante : orpheline, sans fortune, condamnée à gagner sa vie, qui n’a pas trouvé de mari… « Je ne suis pas mariée ; lorsque j’ai eu l’occasion, cela ne s’est pas fait parce que j’ai voulu continuer à travailler. Il s’est sauvé… Tant pis, je n’ai jamais pensé choisir entre ma vie professionnelle et laver la vaisselle » (8)« Un professeur homme arrivant dans une ville de province sait qu’il trouvera facilement une chambre meublée, un restaurant où il pourra prendre ses repas, il n’en est pas de même pour la professeur femme… Il lui faut donc penser… à chercher une famille honorable qui veuille la prendre  en pension ou, si elle veut vivre seule, un appartement dans une maison bien habitée, située dans un quartier bien fréquenté… » (9).

Toutefois, les nouvelles célibataires des années 30 et de l’immédiat après-guerre, à l’image de Simone de Beauvoir et de Colette Audry, conduisent une voiture et entreprennent des voyages lointains. Les choses évoluent sensiblement à partir de cette époque et dans une grande enquête de 1935 lancée par L’Information Universitaire sous le titre « Les étudiantes et le mariage… et leurs aînées », on notait le témoignage d’un professeur femme, mariée à un collègue et qui déclarait : « …satisfaire aux besoins du ménage et aux obligations professionnelles est chose tout à fait possible pour une femme douée d’intelligence et d’activité… électricité, gaz et machinisme ont tellement simplifié aujourd’hui les humbles  besognes domestiques ! Le seul point un peu délicat est la présence des enfants très jeunes, mais la solution anglaise du demi-travail et le congé de longue durée le feraient disparaître… ». Si la solution proposée est déjà le travail à temps partiel ou le congé sans solde… Le partage des tâches entre les conjoints et entre les parents, quant à lui, n’est pas encore à l’ordre du jour !   

A partir du 25 mars 1924, le décret Léon Bérard assimile l’enseignement secondaire féminin à l’enseignement masculin. Les jeunes filles apprennent le latin et le grec, mais la couture reste le signe distinctif de la féminité, de plus, le professorat est l’unique débouché professionnel pour les diplômées d’études supérieures : en 1935, il n’y a que 3 500 filles dans les facultés de droit pour 20 000 garçons, 378 femmes seulement et 2 093 hommes ont obtenu la licence en 1937. Par contre, les femmes sont presque aussi nombreuses que les hommes chez les titulaires d’une licence d’enseignement en lettres dans les années 30 et elles représentent la majorité en 1940. Cet état de fait ne se vérifiera sur l’ensemble du secteur de l’enseignement secondaire qu’à partir des années 50. En 1926, on compte 1 987 professeurs agrégés et 769 licenciés, les femmes agrégées ne sont que 869 en 1931, les certifiées ou licenciées 997 (en effet, un certificat d’aptitude à l’enseignement secondaire avait été créé en 1882, une licence féminine en quelque sorte, à côté de l’agrégation). La discrimination entre femmes et hommes ne s’arrête pas là, il n’existe que deux agrégations féminines en 1880 : l’une pour les lettres et l’autre pour les sciences. Quelques spécialisations leur seront ouvertes à partir de 1894 : histoire, mathématiques, sciences physiques qui étaient alors réservées aux hommes. Les concours d’agrégation en philosophie et en sciences naturelles ne seront ouverts aux candidates qu’en 1927… pour leur être à nouveau fermés en 1938. Ce n’est qu’en 1926, quarante ans après la création du professorat féminin, que le principe de l’égalité des traitements entre professeurs des deux sexes est acquis et en 1931 que celui d’égalité des maxima de services l’est aussi.

Mai 68 sera perçu comme une coupure par bon nombre de professeurs prenant leur retraite à cette époque-là. Ils se qualifiaient eux-mêmes de professeurs traditionalistes mais vivants, d’un seul coup dépassés : « Ce n’était pas en lisant des textes mais en racontant des épisodes que j’enseignais l’histoire… Je suis devenue démodée, l’important c’était d’avoir une table ronde et de se mettre autour… » (10).


L’après-guerre : l’avènement de la femme professeur

L’après-guerre est caractérisé par la coexistence de deux régimes : une majorité d’établissements dans lesquels la séparation des sexes est maintenue et certains lycées et collèges modernes dans lesquels la mixité est introduite.





De 1950 à 1970, les lycées et les anciens collèges classiques comportent, en principe, une section classique et une section moderne. Les anciennes écoles primaires supérieures de filles ou de garçons, transformées en 1941 en collèges modernes ne comportent en général pas de section classique. En 1963, apparaît, au côté de ces structures « classique et moderne », un nouveau type d’établissement du premier cycle : le collège d’enseignement secondaire (C.E.S), les collèges d’enseignement général (C.E.G) disparaissent.. Peu à peu, au fil des années 70, les lycées n’accueillent plus que des classes de second cycle et deviennent des établissements mixtes, polyvalents d’enseignement général et technique long. Les effectifs, tant ceux des élèves que ceux des enseignants, explosent entre 1950 (date de création du C.A.P.E.S) et 1970. Trois millions d’élèves fréquentent le premier et le second cycle en cette fin de période et la part des filles représente 50,7 % des effectifs du premier cycle et 52,5 % de ceux du second cycle. On constate dans le même temps la forte progression de la féminisation du métier de professeur. En 1965, le taux de féminisation s’élève à 63 % dans les collèges et 55 % dans les lycées. En outre, les professeurs femme dominent très largement dans les disciplines « littéraires », les langues vivantes et les lettres classiques et modernes. L’explication trouve sa source dans les causes développées précédemment. Du côté des sciences, les sciences naturelles sont « féminines », les mathématiques et la physique restent plus « masculines ». C’est entre 1970 et 1974 que la féminisation du métier atteint son apogée, toutes les catégories sont concernées, y compris les agrégés.






A partir des années 60 et notamment à partir de 1968, un nouveau profil de femmes et d’enseignantes émerge. Le professorat fait bon ménage désormais avec la condition d’épouse et de mère de famille, les lycéennes et leurs parents intériorisent cet idéal et la plupart des diplômées d’études supérieures nées à l’époque du baby-boom s’orienteront vers l’enseignement, ce choix fait l’unanimité au-delà des différences de classes. L’éducation joue à fond son rôle d’émancipateur ou de promoteur social pour nombre de jeunes filles. Dans les milieux favorisés, elles sont souvent les premières femmes de la famille à exercer une profession ou bien elles perpétuent les vocations des mères, des grands-mères, des tantes institutrices. Issues de familles modestes, elles sont encouragées par leur mère employée ou ouvrière à avoir un destin meilleur. Parmi les femmes exerçant la profession en 1970, 35 % venaient d’un milieu favorisé (cadres du public ou du privé, patrons, membres des professions libérales), 33 % venaient d’un milieu moyen et 18 % avaient un père agriculteur, employé ou ouvrier. En 1975, la part des cadres supérieurs chez les pères a augmenté, celle des patrons a diminué, les filles d’ouvriers et d’agriculteurs sont un peu plus nombreuses que par le passé.

Depuis 1980, le discours traduit des hésitations par rapport à l’idéal de la « conciliation » harmonieuse entre vie domestique et vie professionnelle. Les conditions de travail au moment où le secondaire ouvre plus grand ses portes (les classes de quarante élèves ne sont plus rares) ne font pas du professorat un métier de tout repos, image et réalité s’éloignent de plus en plus l’une de l’autre. La quasi-totalité des bénéficiaires des décrets de décembre 1970 et décembre 1975 sur le travail à mi-temps sont des femmes. Est-ce là un signe de retour aux représentations initiales ? Peut-être pas, si l’on considère que ces enseignantes à mi-temps ne représentent que 7 % des professeures femmes.

Les années 80 et 90 : l’affirmation de la femme enseignante

Tout au long des années 80, l’enseignement secondaire demeure un débouché privilégié pour les diplômés du supérieur. En 1989, les femmes restent très peu implantées dans les professions du secteur privé telles que les ingénieurs ou les cadres d’entreprises (9,8 %). De même, dans la fonction publique, les postes de cadres sont peu féminisés (23,5 %). La féminisation des professions libérales n’a que peu progressé depuis 1982, elle s’élève à 31 % en 1989. Ces constats sont valables aussi en ce qui concerne l’enseignement supérieur dans lequel 27 % des enseignants sont des femmes. Dans ce contexte difficile, le professorat reste une voie de remplacement pour celles qui se destinaient à la recherche scientifique dans l’industrie ou au C.N.R.S : « J’ai fait une maîtrise de recherche en physique, un D.E.A et une thèse dans le but de travailler dans un labo… Mon mari a fait les mêmes études que moi, on a fait notre thèse ensemble et lui a fait son service militaire au commissariat à l’Energie Atomique, il a été embauché, moi je n’ai rien trouvé, j’ai fait des remplacements dans un collège, j’ai préparé le C.A.P.E.S » (11)

Les constats suivants s’imposent à nous :
La progression de la proportion de femmes chez les enseignants de lycée est endiguée dès 1975, et a tendance, à cette date, à baisser. Cette tendance s’affirme plus nettement chez les agrégés que chez les certifiés. Les taux de féminisation se stabilisent à nouveau de 1980 à 1985 puis reprennent leur diminution à partir de 1986, même si les professeurs restent majoritaires dans la catégorie :




Les professeurs agrégés qui enseignent dans les collèges sont des femmes la plupart du temps et comparativement, les hommes certifiés occupent plus souvent un poste dans un lycée :




Les enseignants qui occupent une chaire supérieure comptent environ 25 % de femmes. Elles ne représentent que 35 % des professeurs post-bac en 1981-1982 et 36,9 % en 1993-1994.

Le nombre de femmes n’a guère augmenté dans les disciplines « masculines », il a parfois diminué :




Les disciplines d’enseignement technologique long constituent pour nombre d’entre elles ou bien un monopole masculin ou bien un monopole féminin :




Les enseignantes exercent en majorité aux échelons moyens du système d’enseignement du second degré et ce, malgré leurs aptitudes démontrées à occuper les fonctions de toute importance. On trouve bon nombre d’entre elles dans la catégorie des certifiés qui bénéficie d’un salaire moyen et assume le service le plus lourd du point de vue des heures de cours. Ce revenu, essentiel pour leurs collègues masculins, ne serait pour elles qu’un salaire d’appoint… Souvent épouse de cadres (pour 60 % d’entre elles), un tel état de fait entretient cette représentation sommaire.

C’est chez les certifiés que le travail à temps partiel est le plus répandu, mais ce comportement reste cependant minoritaire puisqu’il ne représente que 12,3 % des intéressés et 8.1 % des agrégés en 1993, des femmes pour la plupart.

Les carrières féminines ne se déroulent pas selon un modèle unique, aucune limite d’âge n’est imposée pour se présenter aux concours et on note quelquefois des carrières de « seconde chance » initiées à partir de la quarantaine quand le rôle de mère de famille est arrivé à son terme (encouragé par certaines mesures gouvernementales comme celles concernant les femmes ayant eu trois enfants). Ces stratégies dites de « rattrapage » sont visibles chez les enseignantes qui détiennent déjà des titres valorisés (agrégées, normaliennes). Souvent, le nombre limité de postes offerts aux femmes dans les classes préparatoires ou à l’Université influe sur cet accès tardif à des emplois désirés pendant les études initiales, de nouveau, des contraintes d’ordre politique, pédagogique et familial ont la plupart du temps interféré avec les préoccupations académiques. Les enseignantes qui ont adopté cette stratégie ont utilisé les moyens à leur disposition notamment le travail à temps partiel qui leur permettait d’assumer heureusement les responsabilités domestiques, leurs projets personnels, leur projet pédagogique, la préparation des concours et les travaux universitaires. Bien avant l’exigence des congés formation, ces démarches imposaient un effort financier de taille.


Pour conclure : quid du professorat des écoles ?


La forte féminisation du métier d’instituteur entrevue dans la première partie de cet article souffrit-elle de l’extinction des Ecoles Normales au profit des IUFM en 1991 (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres), puis des ESPE en 2013 (Ecole Supérieure du Professorat de l’Education) ? Une réponse sera apportée dans un article à suivre sur l’histoire des écoles normales. En attendant voici deux éléments tout de même sur le sujet :




 Et la photographie de la dernière promotion de normaliennes et de normaliens de Mâcon (promotion 1990-1992), à vous d’étudier le taux de féminisation dans ce groupe en guise de conclusion. (12)




(1)    : « Annales politiques et littéraires », Francisque Sarcey, 1897.

(2)    : « Manuel Général de l’Enseignement Primaire », Propos de Madame Favier, 1912.

(3)    : « Vérité », Émile Zola, 1898-1902.

(4)    : « Maîtresse détresse », Nancy Bosson, 1990.

(5)    : « La Place du Maître », Yvette Delsault, 1992.

(6)    : « Rapport au Conseil Académique de Paris, Jules Gauthier, 1900 (cité par Françoise Mayeur dans « L’Enseignement secondaire des jeunes filles sous la Troisième République », 1977).

(7)    : Madame J. Favre, 13 septembre 1883.


(8)    : Témoignage d’un professeur agrégé d’Histoire, née en 1906 ayant fait ses études au lycée de Saint-Etienne et à l’Université de Lyon.

(9)    : Commission parlementaire, B. Leroux, 1907.

(10)  : Témoignage d’une enseignante née en 1910, ancienne élève de Fontenay, professeur d’école primaire supérieure, puis de collège moderne et de lycée après 1941.

(11)  : Témoignage d’un professeur certifié de physique, 30 ans en 1992.

(12) : Extrait du Bulletin 2001/2002, n° 9 (neuvième bulletin depuis l’avènement des IUFM), de l’AAEENM (Association des Anciens Elèves de l’Ecole Normale de Mâcon), on peut y reconnaître les formateurs suivants : Anne-Marie HOUILLON-Directrice de l’EN, Marie RISSE et Evelyne GAILLARD-Secrétaires de direction, Martine AUGROS et Odile CLAUSTRE-Documentalistes, Pierre CORNU-Formateur audio-visuel, François MARCHETTI-Professeur d’EPS, Jean MICHEL-Professeur d’histoire-géographie, Jacques RILLARD-Professeur de français, Jean-Michel SANDON-Professeur de français, Roger SEBERT-Professeur de psychopédagogie.   

ANNEXE II

« En raison de sa finalité professionnelle et de son recrutement plutôt modeste, l’Ecole Normale n’est nullement concurrente des institutions privées que fréquentent les jeunes filles de bonne famille. En revanche, les « cours secondaires » suscités par l’Etat en 1867, sous la responsabilité matérielle et financière des municipalités, visent explicitement la clientèle bourgeoise. Le projet de Victor Duruy n’en est pas moins très mesuré. « L’instruction forte et simple » qu’il préconise sera dispensée par des professeurs des lycées ou collèges de garçons, en un cycle de quatre années de cours, axé sur la littérature française, les langues vivantes et le dessin. Ces cours, auxquels les jeunes filles peuvent assister en compagnie de leur mère, ne sont pas sans rappeler (hormis le niveau de connaissances) les anciennes formules de l’« éducation maternelle ».
L’entreprise n’est guère couronnée de succès. Seules quelques municipalités progressistes assurent, au-delà de la chute de l’Empire, la pérennité des cours. Le recrutement s’avère moins nombreux (environ 2 000 élèves) et moins élitiste que prévu. De ce demi-échec l’opposition cléricale porte à l’évidence la principale responsabilité. La simple prétention de l’Etat de concurrencer l’Eglise dans l’éducation des « jeunes demoiselles » attire sur le ministre libéral les foudres des autorités ecclésiastiques qui dénoncent aussitôt « la conspiration de l’impiété » (Mgr. Dupanloup).

Car, plus que la scolarisation élémentaire, la question de l’enseignement secondaire des filles constitue un débat idéologique majeur : « Il s’agit de savoir si le prêtre qui tient encore la femme recouvrera par son moyen l’empire sur la société ou si la société achèvera  de s’affranchir du prêtre en lui enlevant la femme pour la faire participer à la culture et à la vie générale » (Scherer, sénateur républicain).

Camille Sée, 1847-1919, avocat défenseur de la cause des femmes, entré en politique pour promouvoir l’éducation des Filles

Dans ce contexte, la création des lycées de jeunes filles (loi de décembre 1880) sur la proposition de l’Alsacien Camille Sée, constitue une rupture décisive. Pourtant, en pleine polémique, Camille Sée se veut rassurant : la répartition des rôles dans la société n’est pas en cause ; la bachelière est et restera, comme Julie Daubié (voir article « Lettre aux bacheliers d’aujourd’hui » dans la même rubrique), une figure marginale et suspecte. « Ce n’est pas un préjugé, c’est la nature elle-même qui renferme les femmes dans le cercle de la famille. Il est de leur intérêt, du nôtre, de l’intérêt de la société entière, qu’elles demeurent au foyer domestique. Les écoles que nous voulons fonder ont pour but, non de les arracher à leur vocation naturelle, mais de les rendre plus capables de remplir les devoirs d’épouses, de mère et de maîtresse de maison », « L’enseignement qui se donnera dans les lycées de jeunes filles correspondra à l’enseignement donné dans les lycées de garçons. Il sera dégagé, bien entendu, de tout ce qui, dans les lycées, est enseigné en vue de préparer les jeunes gens à des carrières spéciales » (Camille Sée).
La cause est provisoirement entendue : le lycée de jeunes filles ne saurait être la copie conforme de celui des garçons. La durée des études y est plus courte : cinq ans répartis en deux cycles successifs de trois et deux ans au lieu de sept. On n’y enseigne pas le latin et peu de sciences. Une part notable de l’emploi du temps est consacrée aux arts d’agrément et aux disciplines ménagères. Le diplôme de fin d’études secondaires n’est pas l’équivalent du baccalauréat : il ne donne accès à aucune faculté, à aucune carrière professionnelle ; les lycées de jeunes filles, naturellement payants, ont pour but premier de donner aux demoiselles de bonne famille une éducation libérale non confessionnelle.
Chose rare dans l’histoire scolaire, l’offre, dans un premier temps, a dépassé la demande. Les nouveaux établissements ont cherché à séduire et à convaincre les notables, notamment au prix d’une extrême vigilance morale et sociale : au lycée de Grenoble, par exemple, le tutoiement entre les élèves est interdit. Au fil des années, les lycées de jeunes filles obtiennent gain de cause. Dans la plupart des villes des internats leur sont adjoints. La qualité de l’enseignement est accrue par la constitution d’un corps de « professeurs-femmes » en principe formé à l’Ecole Normale Supérieure de Sèvres (fondées en juillet 1881). Le recrutement s’élargit (35 000 élèves en 1914, en y ajoutant les petites classes) et se diversifie. Les « couches nouvelles » de Gambetta, autrement dit les classes moyennes, y sont largement majoritaires. Leur plus grand souci d’une instruction professionnellement utile oriente progressivement le cursus vers la préparation du baccalauréat.
Les limites assignées aux lycées de jeunes filles par leurs promoteurs eux-mêmes sont devenues caduques. A la veille de la Première Guerre mondiale, le député catholique social Albert de Mun peut constater avec une pointe d’amertume : « Nous avons laissé, presque sans nous en apercevoir, se transformer sous nos yeux l’éducation de la bourgeoisie féminine ». I.N.R.P, « L’éducation des jeunes filles », Musée National de l’Education, 1983.     


BIBLIOGRAPHIE :

BASTIDE H. : « Institutrice de village », Paris, Denoël Gonthier, 1973
BERGER I. : « Les instituteurs d’une génération à l’autre », PUF, 1979
BERGERON E. : « Le loup est dans la cave », Paris, Syros, 1979
BODIN M. : « L’institutrice », Paris, 1922
BOSSON N. : « Maîtresse détresse », Paris, Belfond, 1990
BOURGET M. : Mademoiselle Fouriaux, institutrice », Reims, 1932
CACOUAULT-BITAAUD M. : « Des femmes professeurs à l’ère de la féminisation. Positions, situations, itinéraires 1965-1980 », Thèse troisième cycle, Paris VIII, 1986 – « Diplômes et célibat, les professeurs femmes des lycées entre les deux guerres », Arthaud-Montalbat, Paris, 1984 – « Prof, c’est bien… pour une femme », Le Mouvement social, n°40 – « Recherches sur les itinéraires des professeurs du secondaire », 1993-1995
CHAPOULIE J.M. : « Les professeurs de l’enseignement secondaire », MSH, Paris, 1987
CHARTIER A.M : « Les bambins de Montessori », Autrement, n°114,1990
DELHOMME D., GAULT N., GONTHIER J. : « Les premières institutrices laïques », Paris, 1980
DELSAUT Y. : « La place du maître. Une chronique des Ecoles Normales d’Instituteurs », Paris, l’Harmattan, 1992
DERIES L. : « Journal d’une institutrice », Paris, 1903
DUVEAU G. : « Les instituteurs », Paris, Seuil, 1967 (préface de M. Tardy)
FRAPIE L. : « L’institutrice de province », Paris, 1897
GILLY M., BRUCHER A., BRIODFOOT P., OSBORN M. : « Instituteurs français, instituteurs anglais, Pratiques et conception du rôle », Berne, Peter Lang, 1993
GREARD O. : « La législation de l’instruction primaire en France depuis 1789 jusqu’à nos jours », Paris, 1898
LELIEVRE F., LELIEVRE C. : "Histoire de la scolarisation des filles", Paris, Nathan, 1991
LELOUP M.M : « Institutrice », Paris, Laffont, 1976
LUC J.N : « La petite enfance à l’école, XIXème et XXème siècle », Paris, 1982
MAYEUR F. : « L’enseignement secondaire des jeunes filles sous la Troisième République », Paris, 1977
MOSCONI N. : « La femme savante, figure de l’idéologie sexiste dans l’histoire de l’éducation », Revue Française de Pédagogie, n°93, 1990
NORVEZ A. : « De la naissance de l’école. Santé, modes de garde et pré scolarité dans la France contemporaine » PUF, INED, 1990
PENEFF J. : « La méthode biographique », Paris, A. COLLIN, 1990

PLUCHOT P. : « La place de la femme dans l’enseignement depuis 1850 », article dans Bulletin annuel  de l’AAEENM, 2001
PROST A. : « Histoire de l’enseignement en France, 1800-1967 », A. COLIN, Paris, 1968
ZOLA : « Les quatre évangiles », Vérité, Paris, 1903

Synthèse rédigée à partir des actes du colloque



P.P

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire