vendredi 13 octobre 2017

Histoire de Jules, écolier de 1900 (XI-bis)


« Petite histoire d’un écolier d’autrefois  expliquée aux enfants d’aujourd’hui »


CHAPITRE XI-bis 
« Chouette ! La leçon de choses !…»


On ne peut mieux parler de préférence de Jules qu’en évoquant les sciences et la leçon de choses, moment magique où la connaissance naît de l’observation. Cette observation est la base de l'enseignement des sciences à l'école dès 1890. A travers la leçon de choses, Jules aborde l'étude du monde du vivant, des végétaux et des minéraux. En observant son environnement proche, notre écolier de la communale va appréhender les grands principes physiques et techniques, même si au début, le maître seul donne la leçon en manipulant les objets sous ses yeux intéressés.




Tout est bon pour la confection de panneaux ou pour donner lieu à la production d'un dessin sur le cahier : un marron, le squelette d'une tête de lapin, un hanneton, un bâton de craie, un haricot germé... Plus tard, les élèves eux aussi participeront aux expériences : gratter et mouiller la craie tendre et poreuse, découper un fruit, décortiquer une châtaigne, enflammer un morceau d'anthracite... A l'aide de manuels de plus en plus colorés, la leçon de choses devient un moment privilégié dans les apprentissages des écoliers.

Panneau Rossignol, Les Vendanges, www.collectionsrossignol.com (collection musée)

Pour les classes de fin d'études primaires, des sujets beaucoup plus poussés sont traités :
- pour les garçons, l'étude de l'homme, des animaux, des végétaux et de l'agriculture, des minéraux, ainsi que des trois états des corps, la lumière et l'électricité. Un enseignement des nouvelles technologies apparaît dans le programme de 1938 : la force motrice, l'hygiène, la maison, l'artisanat
- pour les filles, le Certificat d'Etudes prévoyait une formation en sciences appliquées dans laquelle on trouvait l'éducation ménagère, la puériculture et l'hygiène.

Enseignement ménager pour les filles, enseignement agricole pour les garçons  (collection musée)

A la fin du XIXe siècle, le maître ne dispose pas d'un matériel très performant pour assurer les leçons de choses. Il reproduit cependant quelques expériences simples en utilisant souvent  des objets qui lui sont propres. Après 1900 apparaissent différents compendiums (métriques ou scientifiques) dont le « Compendium Scientifique Ledoux » qui renferme du matériel de mesure ou d'expérience. Il est constitué d'une caisse en bois léger dont le contenu, protégé par un lit de paille, est un véritable trésor : petits accessoires en porcelaine pour les démonstrations électriques, carton de minéraux pour la géologie, éprouvettes et cornues, réchauds à alcool, fioles et bouteilles de produits et de réactifs pour les expériences de chimie...  


Catalogue "mobilier et matériel scolaires", Les Fils d'Emile Deyrolles, 1925 (collection privée)


Matériel pour les démonstration du maître en science (collection musée)


L'enseignant est alors muni  du matériel nécessaire à l’étude de la matière ou de la dilatation des corps. De nouveaux manuels illustrés sont édités, ainsi que des panneaux éducatifs richement décorés qui présentent des échantillons réels sur un thème donné, plusieurs présentoirs en carton fort sont produits sous le nom de "Musée Industriel Scolaire" de C.Dorangeons (1).

Musée industriel scolaire Dorangeons, Delagrave , 1890 (collection musée)

Au deuxième rang des préférences de Jules arrivent souvent l’histoire et la géographie. Les nombreuses illustrations et panneaux proposés par le maître en sont souvent la cause. Images sépia ou colorées font rêver les écoliers à des contrées inconnues, proches mais aussi lointaines comme le sont nos colonies ? Il est aussi difficile de dissocier le "Lavisse" de l'histoire que le "Larousse" du dictionnaire.

Histoire de France, Lavisse, édition 1923 (collection musée)

Malgré la concurrence de manuels abondants et illustrés, l'histoire de France d'Ernest Lavisse connut un formidable succès avec les nombreuses éditions des deux versions de 1884 à 1913, puis des nouvelles de 1933 à 1952 : "l'histoire de France est une véritable histoire sainte et chaque manuel est un catéchisme". Cette méthode fut diffusée à plusieurs millions d'exemplaires jusque dans les années 1950 et fut le filtre de la France unie et républicaine.

Histoire de France, Lavisse, édition 1933 (collection musée)



Tous les petits écoliers français apprenaient que leurs ancêtres les gaulois arboraient de belles moustaches rousses et vivaient dans des huttes...  qu'ils soient de métropole, du Sénégal, du Dahomey ou de tout autre lieu de l'Empire français. N'oublions pas "Le Tour de la France par deux enfants" de G.Bruno (2), cité précédemment, manuel regroupant la lecture, l'histoire et la géographie, l'instruction civique et la morale qui connut 411 éditions de 1877 à 1960 pour 6 millions d'exemplaires diffusés (il a dernièrement été réédité en 2012 chez Tallendier, collection Texto). On suivait, dans cet ouvrage, les pérégrinations de deux enfants dans toutes les régions de France, même chez nous avec leur passage au Creusot assorti d’une magnifique gravure du Marteau pilon. 

Le Tour de France par Deux Enfants (collection musée)

Le Tour de France par Deux Enfants, détail gravure, le marteau pilon du Creusot (collection musée)

En 1948 et 1952, Vidal de la Blache publia son livre "Histoire", mais c'est à travers ses grandes cartes de géographie qu'il est le plus connu. Ces supports cartonnés présentaient deux faces offrant  de vastes zones de couleurs entourées de pointillés ou de bleu pour le verso et marquées de nombreux symboles souvent hermétiques aux écoliers pour le recto. De cartes amputées de l'Alsace-Lorraine avant 1914, elles évoluent  vers la représentation du monde et des colonies par la suite.


Les colonies d'Afrique (collection musée)

Le maître dispose aussi de moulages en plâtre peint qui figurent montagnes, vallées ou volcans pour favoriser l'étude de la géologie. Vers 1960, le placard aux cartes contenait des documents en relief. Les cartes à dessiner sur le cahier de géographie étaient un véritable pensum pour les élèves, aussi, l'apparition des tampons encreurs dans l'univers scolaire fut-elle accueillie avec soulagement. Leur choix était immense et enchantait les écoliers admiratifs.

Tampons encreurs de géographie (collection musée)

Qu’en est-il du chant dans la classe de Jules ? On laisse peu de place à cet enseignement dans l’école de la fin du XIXème siècle. Il n’en reste pas moins que, dans le premier quart du XXème siècle, les élèves-maîtres sortaient de l'Ecole Normale munis d'un épais cahier consignant tous les chants scolaires qu'ils avaient appris durant leur formation. Autour de 1900, quelques écoles possédaient un phonographe - qu'on remontait à la manivelle - mais les disques 78 tours offrant des chants scolaires étaient rares, fragiles et coûteux. Beaucoup plus tard apparaîtront les tourne-disques, plus modernes et fonctionnels et avec eux, une foison de disques produits spécialement pour les écoles (chants, contes, musiques...).Vers les années 1930, les établissements scolaires commencent à se munir d'un "guide-chant", piano rudimentaire, portatif, au maniement duquel il était facile de s'exercer. Cet appareil, souvent "Le guide chant Kasriel", permettait la transposition en des tons différents grâce à son clavier mobile. Son mécanisme à soufflet fut par la suite électrifié. Ainsi les maîtres pouvaient-ils ménager leur voix et renouveler leur répertoire.

Le guide chant "Kasriel" (collection musée)

A la rentrée de 1960, le Ministère de l'Education Nationale diffusa, par l'intermédiaire de la Radio Scolaire (France II), des cours de récitation et de chant "à l'usage des élèves des établissements scolaires du 1er degré", cours que l'on pouvait suivre grâce à de petits fascicules. Des leçons de solfège, puis un intéressant programme d'initiation à la musique, complétèrent petit à petit les émissions de la Radio Scolaire.

Tourne-disque et microsillons 33 tours (collection musée)

Chants et récitations, édités sur disques microsillons 33 tours, mis en vente par les services de l'Institut Pédagogique national de la rue d'Ulm, permirent la pratique du chant choral dans les classes. Il suffisait d'acheter le petit fascicule correspondant à la classe et de brancher, à l'heure dite, le poste de radio sur la bonne longueur d'onde. Bientôt, toutes les classes d'un même groupe scolaire purent, sans se déplacer et grâce à une sonorisation d'ensemble de l'établissement, profiter des émissions d'un seul poste récepteur. Tout le monde se souviendra de l’indicatif : « Pierre et le Loup ». Le livret de chant était vendu à chaque élève, au profit de la coopérative scolaire. 

Livret de chant de la radio scolaire nationale (collection musée)


En ce qui concerne l'apprentissage d'un instrument, il faut rappeler l'importance des orphéons, fanfares, batteries, orchestres, préconisés dès 1871 par un texte de Jules Simon,  nés sous l'impulsion des enseignants, et outils idéologiques sans pareil au service de la scolarisation des masses. D'ailleurs à Montceau-les-Mines, les statuts des Amis Réunis, fanfare des Ecoles laïques de Montceau créée en 1886, prévoient  que la présidence revient à un instituteur. (Prochainement, un article sur l'histoire de cette fanfare grâce aux archives du musée)

Fanfare Les Amis Réunis, 1887 (collection privée)

On peut citer deux autres enseignements qui, sans être des matières traditionnelles, n’en servaient pas moins à la tentative d’éradication de deux fléaux de l’époque : la lutte contre l’alcoolisme d’une part et la lutte contre la tuberculose d’autre part : "L'alcool, voilà l'ennemi". Durant la dernière décennie du XIXème siècle, un tableau antialcoolique est mis à la disposition des écoles. D'une façon mélodramatique, la plus grande illustration de la carte invitait les élèves à comparer un homme, avant et après l'alcoolisme. Absinthe, alcool blanc industriel, le fléau pouvait prendre  de multiples apparences et touchait le paysan comme l'ouvrier... mais rarement le bourgeois. On prétendait ainsi faire admettre que l'alcool était une tare sociale qui atteignait l'homme du peuple plutôt que le "col blanc". L'enseignement antialcoolique est présent sous toutes les formes et l'écolier demeure, pour l'instruction publique le moyen de faire reculer le fléau. Un tableau antialcoolique présente le vin comme une "bonne boisson naturelle", les lobbies ignoraient-ils qu'il était le principal agent de l'alcoolisme en France (70% encore des cas en 1970) ? Responsable de la mort de plus de 150000 personnes annuellement en France, la tuberculose, en 1902, est devenue un péril national et le Ministre de l'Instruction publique prescrit les mesures à prendre dans les établissements d'enseignement quant à la contagion : hygiène du milieu scolaire, éloignement des malades, apposition d'une affiche alertant contre les risques de la maladie sur les murs de toutes les écoles. Dès 1905, le placement familial dans des maisons de paysans sains est créé pour les jeunes de 3 à 13 ans. En 1906, l'état ouvre un sanatorium pour les enseignants atteints (Sainte-Feyre dans la Creuse). Jusqu'en 1945, 170 sanatoriums ou préventoriums (comme à Cruzille en Saône-et-Loire) furent construits pour les enfants. En 1945, la visite médicale obligatoire fut mise en place et en 1950, la vaccination obligatoire fut instituée. La redoutable maladie reculait.

"L'alcool, voilà l'ennemi", panneau du docteur Galtier-Boissière (collection musée)

(1) : Le  "Musée Industriel Scolaire" de C.Dorangeons est un outil pédagogique de qualité et qui a fait référence dans les années 1880. Il s’agissait d’une compilation de douze tableaux muraux de 60 cm par 50 cm présentant 1200 échantillons de diverses matières classées par thèmes. Ce « set », comme nous l’appellerions maintenant, valait la coquette somme de 68 francs, ce qui le mettait hors de portée des écoles modestes. Un article du journal « Le  Finistère » y fait allusion en relatant l’extraordinaire souscription qu’avait dû lancer l’instituteur Noyelle dans sa commune pour doter son établissement du précieux coffret. Noyelle en fit l’achat en 1890 et, à titre de comparaison, à son arrivée en 1885 dans la commune de Lestonan,  la municipalité avait consenti à l’acquisition de deux poêles pour les classes d’un coût de 41 francs… Ceci explique peut-être les réticences du Maire à inscrire le « Musée Industriel Scolaire » au chapitre additionnel de son budget !

Article publié dans « Le Finistère » le 23 juillet 1890

Source : « Historial du Grand Terrier (mirdi gweshal gozh) », Histoire et mémoire de Basse Bretagne.

(2) : Le pseudonyme G. Bruno qui signe « Le Tour de la France par Deux Enfants », désigne Giordano Bruno… né en 1550 et mort sur le bûcher de l’Inquisition romaine en 1600 ! Bruno, après avoir quitté l’ordre des Dominicains pour adhérer au Calvinisme, se fâcha avec Calvin lui-même. Dès lors, il enseigna une pensée philosophique bien peu en conformité avec les préceptes de l’Eglise. Au christianisme, il opposa une religion de la Nature en reprenant la suite de Copernic et de ses théories astronomiques et, notamment en niant la rotation du soleil autour de la Terre qui aurait été le centre du monde. Il paya cher sa digression. 
Presque trois siècles se sont donc écoulés jusqu’à la parution de ce tour de France, en 1877, mais qui se cache alors derrière ce pseudonyme, paraissant honteux de dévoiler son identité bien que ne craignant plus d’être jugé hérétique ? Hérétique non, mais mal pensant peut-être… L’affaire s’avère complexe. Ecrire un ouvrage scolaire nécessite de faire preuve de règle de vie exemplaire et les premiers enquêteurs, quelque peu malveillants, croient démasquer l’inconnu, il s’agirait d’Alfred Fouillé, maître de conférences à l’Ecole Normale Supérieure, libre penseur et républicain. Il est vrai que Fouillé a déjà écrit plusieurs manuels scolaires et que c’est lui qui présente discrètement le Tour de la France à l’éditeur Belin. Sa carrière universitaire est sauvée par son refus des idées socialistes et de la lutte des classes, allant même jusqu’à dénigrer Karl Marx. Il n’a, en outre, aucun sentiment antireligieux. Mais voici qu’au tournant du siècle, 22 ans après la première édition de l’ouvrage, Fouillé subit des attaques en règle mettant en cause l’idéologie de son œuvre présumée. Il avouera alors que c’est Augustine Fouillé, son épouse, qui fut à l’origine de ce manuel.

Augustine Fouillé, 31 juillet1833-8 juillet 1923

 A notre époque, il est permis de s’interroger sur les raisons d’un si long silence, mais voilà que les « bonnes mœurs » étaient  en cause. En 1877, Augustine Fouillé n’existait pas ou plutôt pas encore, elle se nommait Augustine Tuillerie, épouse Guyau. Femme battue, elle avait abandonné son mari en 1871, tentant même de l’assassiner, pour vivre avec un lointain cousin, Alfred Fouillé. Ce concubinage aurait causé un scandale certain si les défenseurs des bonnes mœurs avaient eu vent de la situation de l’auteur d’un manuel scolaire à succès. En 1884, Augustine et Alfred profitèrent du rétablissement du divorce (institué en 1792 mais aboli en 1816) pour régulariser l’existence de leur couple illégitime. Ils se marièrent en 1885. Les mentalités évoluant nécessairement moins vite que les lois, la vérité n’éclata au grand jour qu’en 1899. Malgré tout, les rééditions du manuel  continuèrent à paraître sous le nom d’emprunt de G. Bruno devenu célèbre.


P.P









1 commentaire:

  1. Des articles toujours aussi intéressants.
    A suivre...
    Bien cordialement
    Jean Pirou

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