« Petite histoire d’un écolier
d’autrefois expliquée aux enfants
d’aujourd’hui »
CHAPITRE XI-bis
« Chouette !
La leçon de choses !…»
On ne
peut mieux parler de préférence de Jules qu’en évoquant les sciences et la
leçon de choses, moment magique où la connaissance naît de l’observation. Cette observation est la base de
l'enseignement des sciences à l'école dès 1890. A travers la leçon de choses,
Jules aborde l'étude du monde du vivant, des végétaux et des minéraux. En
observant son environnement proche, notre écolier de la communale va
appréhender les grands principes physiques et techniques, même si au début, le
maître seul donne la leçon en manipulant les objets sous ses yeux intéressés.
Tout est bon pour la confection de panneaux
ou pour donner lieu à la production d'un dessin sur le cahier : un marron, le
squelette d'une tête de lapin, un hanneton, un bâton de craie, un haricot
germé... Plus tard, les élèves eux aussi participeront aux expériences :
gratter et mouiller la craie tendre et poreuse, découper un fruit, décortiquer
une châtaigne, enflammer un morceau d'anthracite... A l'aide de manuels de plus
en plus colorés, la leçon de choses devient un moment privilégié dans les
apprentissages des écoliers.
Pour les classes de fin d'études primaires,
des sujets beaucoup plus poussés sont traités :
- pour les garçons, l'étude de l'homme, des
animaux, des végétaux et de l'agriculture, des minéraux, ainsi que des trois
états des corps, la lumière et l'électricité. Un enseignement des nouvelles
technologies apparaît dans le programme de 1938 : la force motrice, l'hygiène,
la maison, l'artisanat
- pour les filles, le Certificat d'Etudes
prévoyait une formation en sciences appliquées dans laquelle on trouvait
l'éducation ménagère, la puériculture et l'hygiène.
A la fin du XIXe siècle, le maître ne dispose
pas d'un matériel très performant pour assurer les leçons de choses. Il
reproduit cependant quelques expériences simples en utilisant souvent des objets qui lui sont propres. Après 1900
apparaissent différents compendiums (métriques ou scientifiques) dont le
« Compendium Scientifique Ledoux » qui renferme du matériel de mesure
ou d'expérience. Il est constitué d'une caisse en bois léger dont le contenu,
protégé par un lit de paille, est un véritable trésor : petits accessoires en
porcelaine pour les démonstrations électriques, carton de minéraux pour la
géologie, éprouvettes et cornues, réchauds à alcool, fioles et bouteilles de
produits et de réactifs pour les expériences de chimie...
L'enseignant est alors muni du matériel nécessaire à l’étude de la
matière ou de la dilatation des corps. De nouveaux manuels illustrés sont
édités, ainsi que des panneaux éducatifs richement décorés qui présentent des
échantillons réels sur un thème donné, plusieurs présentoirs en carton fort
sont produits sous le nom de "Musée Industriel Scolaire" de
C.Dorangeons (1).
Au
deuxième rang des préférences de Jules arrivent souvent l’histoire et la
géographie. Les nombreuses
illustrations et panneaux proposés par le maître en sont souvent la cause.
Images sépia ou colorées font rêver les écoliers à des contrées inconnues,
proches mais aussi lointaines comme le sont nos colonies ? Il est aussi
difficile de dissocier le "Lavisse" de l'histoire que le
"Larousse" du dictionnaire.
Malgré la concurrence de manuels abondants et illustrés,
l'histoire de France d'Ernest Lavisse connut un formidable succès avec les nombreuses éditions des deux
versions de 1884 à 1913, puis des nouvelles de 1933 à 1952 : "l'histoire de France est une véritable
histoire sainte et chaque manuel est un catéchisme". Cette méthode fut
diffusée à plusieurs millions d'exemplaires jusque dans les années 1950 et fut
le filtre de la France unie et républicaine.
Tous les petits écoliers français apprenaient
que leurs ancêtres les gaulois arboraient de belles moustaches rousses et
vivaient dans des huttes... qu'ils
soient de métropole, du Sénégal, du Dahomey ou de tout autre lieu de l'Empire
français. N'oublions pas "Le Tour de
la France par deux enfants" de G.Bruno (2), cité précédemment,
manuel regroupant la lecture, l'histoire et la géographie, l'instruction
civique et la morale qui connut 411 éditions de 1877 à 1960 pour 6 millions
d'exemplaires diffusés (il a dernièrement été réédité en 2012 chez Tallendier,
collection Texto). On suivait, dans cet ouvrage, les pérégrinations de deux
enfants dans toutes les régions de France, même chez nous avec leur passage au
Creusot assorti d’une magnifique gravure du Marteau pilon.
En 1948 et 1952, Vidal de la Blache publia
son livre "Histoire", mais c'est à travers ses grandes cartes de
géographie qu'il est le plus connu. Ces supports cartonnés présentaient deux
faces offrant de vastes zones de
couleurs entourées de pointillés ou de bleu pour le verso et marquées de
nombreux symboles souvent hermétiques aux écoliers pour le recto. De cartes
amputées de l'Alsace-Lorraine avant 1914, elles évoluent vers la représentation du monde et des
colonies par la suite.
Le maître dispose aussi de moulages en plâtre
peint qui figurent montagnes, vallées ou volcans pour favoriser l'étude de la
géologie. Vers 1960, le placard aux cartes contenait des documents en relief.
Les cartes à dessiner sur le cahier de géographie étaient un véritable pensum
pour les élèves, aussi, l'apparition des tampons encreurs dans l'univers
scolaire fut-elle accueillie avec soulagement. Leur choix était immense et
enchantait les écoliers admiratifs.
Qu’en est-il du chant dans la classe de
Jules ? On laisse peu de place à cet enseignement dans l’école de la fin du
XIXème siècle. Il n’en reste pas moins que, dans le premier quart du XXème
siècle, les élèves-maîtres sortaient de l'Ecole Normale munis d'un épais cahier
consignant tous les chants scolaires qu'ils avaient appris durant leur
formation. Autour de 1900, quelques écoles possédaient un phonographe - qu'on
remontait à la manivelle - mais les disques 78 tours offrant des chants
scolaires étaient rares, fragiles et coûteux. Beaucoup plus tard apparaîtront
les tourne-disques, plus modernes et fonctionnels et avec eux, une foison de
disques produits spécialement pour les écoles (chants, contes,
musiques...).Vers les années 1930, les établissements scolaires commencent à se
munir d'un "guide-chant", piano rudimentaire, portatif, au maniement
duquel il était facile de s'exercer. Cet appareil, souvent "Le guide chant
Kasriel", permettait la transposition en des tons différents grâce à son
clavier mobile. Son mécanisme à soufflet fut par la suite électrifié. Ainsi les
maîtres pouvaient-ils ménager leur voix et renouveler leur répertoire.
A la rentrée de 1960, le Ministère de
l'Education Nationale diffusa, par l'intermédiaire de la Radio Scolaire (France
II), des cours de récitation et de chant "à l'usage des élèves des
établissements scolaires du 1er degré", cours que l'on pouvait suivre
grâce à de petits fascicules. Des leçons de solfège, puis un intéressant
programme d'initiation à la musique, complétèrent petit à petit les émissions
de la Radio Scolaire.
Chants et récitations, édités sur disques
microsillons 33 tours, mis en vente par les services de l'Institut Pédagogique
national de la rue d'Ulm, permirent la pratique du chant choral dans les classes.
Il suffisait d'acheter le petit fascicule correspondant à la classe et de
brancher, à l'heure dite, le poste de radio sur la bonne longueur d'onde.
Bientôt, toutes les classes d'un même groupe scolaire purent, sans se déplacer
et grâce à une sonorisation d'ensemble de l'établissement, profiter des
émissions d'un seul poste récepteur. Tout le monde se souviendra de
l’indicatif : « Pierre et le Loup ». Le livret de chant était vendu à chaque élève, au profit de la coopérative scolaire.
En ce qui concerne l'apprentissage d'un
instrument, il faut rappeler l'importance des orphéons, fanfares, batteries,
orchestres, préconisés dès 1871 par un texte de Jules Simon, nés sous l'impulsion des enseignants, et
outils idéologiques sans pareil au service de la scolarisation des masses.
D'ailleurs à Montceau-les-Mines, les statuts des Amis Réunis, fanfare des
Ecoles laïques de Montceau créée en 1886, prévoient que la présidence revient à un instituteur. (Prochainement, un article sur l'histoire de cette fanfare grâce aux archives du musée)
On peut citer deux autres enseignements qui,
sans être des matières traditionnelles, n’en servaient pas moins à la tentative d’éradication
de deux fléaux de l’époque : la lutte contre l’alcoolisme d’une
part et la lutte contre la tuberculose d’autre part :
"L'alcool, voilà l'ennemi". Durant la dernière décennie du XIXème
siècle, un tableau antialcoolique est mis à la disposition des écoles. D'une
façon mélodramatique, la plus grande illustration de la carte invitait les
élèves à comparer un homme, avant et après l'alcoolisme. Absinthe, alcool blanc
industriel, le fléau pouvait prendre de
multiples apparences et touchait le paysan comme l'ouvrier... mais rarement le
bourgeois. On prétendait ainsi faire admettre que l'alcool était une tare
sociale qui atteignait l'homme du peuple plutôt que le "col blanc".
L'enseignement antialcoolique est présent sous toutes les formes et l'écolier
demeure, pour l'instruction publique le moyen de faire reculer le fléau. Un
tableau antialcoolique présente le vin comme une "bonne boisson
naturelle", les lobbies ignoraient-ils qu'il était le principal agent de
l'alcoolisme en France (70% encore des cas en 1970) ? Responsable de la mort de
plus de 150000 personnes annuellement en France, la tuberculose, en 1902, est
devenue un péril national et le Ministre de l'Instruction publique prescrit les
mesures à prendre dans les établissements d'enseignement quant à la contagion :
hygiène du milieu scolaire, éloignement des malades, apposition d'une affiche
alertant contre les risques de la maladie sur les murs de toutes les écoles.
Dès 1905, le placement familial dans des maisons de paysans sains est créé pour
les jeunes de 3 à 13 ans. En 1906, l'état ouvre un sanatorium pour les
enseignants atteints (Sainte-Feyre dans la Creuse). Jusqu'en 1945, 170
sanatoriums ou préventoriums (comme à Cruzille en Saône-et-Loire) furent
construits pour les enfants. En 1945, la visite médicale obligatoire fut mise
en place et en 1950, la vaccination obligatoire fut instituée. La redoutable
maladie reculait.
(1) : Le "Musée Industriel Scolaire" de
C.Dorangeons est un outil pédagogique de qualité
et qui a fait référence dans les années 1880. Il s’agissait d’une compilation
de douze tableaux muraux de 60 cm par 50 cm présentant 1200 échantillons de
diverses matières classées par thèmes. Ce « set », comme nous l’appellerions
maintenant, valait la coquette somme de 68 francs, ce qui le mettait hors de
portée des écoles modestes. Un article du journal « Le Finistère » y fait allusion en relatant
l’extraordinaire souscription qu’avait dû lancer l’instituteur Noyelle dans sa
commune pour doter son établissement du précieux coffret. Noyelle en fit
l’achat en 1890 et, à titre de comparaison, à son arrivée en 1885 dans la
commune de Lestonan, la municipalité
avait consenti à l’acquisition de deux poêles pour les classes d’un coût de 41
francs… Ceci explique peut-être les réticences du Maire à inscrire le
« Musée Industriel Scolaire » au chapitre additionnel de son
budget !
Source :
« Historial du Grand Terrier (mirdi gweshal gozh) », Histoire et
mémoire de Basse Bretagne.
(2) : Le pseudonyme G. Bruno qui signe « Le Tour de
la France par Deux Enfants », désigne Giordano Bruno… né en 1550 et mort
sur le bûcher de l’Inquisition romaine en 1600 ! Bruno, après avoir quitté
l’ordre des Dominicains pour adhérer au Calvinisme, se fâcha avec Calvin
lui-même. Dès lors, il enseigna une pensée philosophique bien peu en conformité
avec les préceptes de l’Eglise. Au christianisme, il opposa une religion de la
Nature en reprenant la suite de Copernic et de ses théories astronomiques et,
notamment en niant la rotation du soleil autour de la Terre qui aurait été le
centre du monde. Il paya cher sa digression.
Presque trois siècles se sont donc écoulés jusqu’à la
parution de ce tour de France, en 1877, mais qui se cache alors derrière ce
pseudonyme, paraissant honteux de dévoiler son identité bien que ne craignant
plus d’être jugé hérétique ? Hérétique non, mais mal pensant peut-être…
L’affaire s’avère complexe. Ecrire un ouvrage scolaire nécessite de faire
preuve de règle de vie exemplaire et les premiers enquêteurs, quelque peu
malveillants, croient démasquer l’inconnu, il s’agirait d’Alfred Fouillé,
maître de conférences à l’Ecole Normale Supérieure,
libre penseur et républicain. Il est vrai que Fouillé a déjà écrit plusieurs
manuels scolaires et que c’est lui qui présente discrètement le Tour de la
France à l’éditeur Belin. Sa carrière universitaire est sauvée par son refus
des idées socialistes et de la lutte des classes, allant même jusqu’à dénigrer
Karl Marx. Il n’a, en outre, aucun sentiment antireligieux. Mais voici qu’au
tournant du siècle, 22 ans après la première édition de l’ouvrage, Fouillé
subit des attaques en règle mettant en cause l’idéologie de son œuvre présumée.
Il avouera alors que c’est Augustine Fouillé, son épouse, qui fut à l’origine de ce
manuel.
A notre époque, il
est permis de s’interroger sur les raisons d’un si long silence, mais voilà que
les « bonnes mœurs » étaient
en cause. En 1877, Augustine Fouillé n’existait pas ou plutôt pas
encore, elle se nommait Augustine Tuillerie, épouse Guyau. Femme battue, elle
avait abandonné son mari en 1871, tentant même de l’assassiner, pour vivre avec
un lointain cousin, Alfred Fouillé. Ce concubinage aurait causé un scandale
certain si les défenseurs des bonnes mœurs avaient eu vent de la situation de
l’auteur d’un manuel scolaire à succès. En 1884, Augustine et Alfred
profitèrent du rétablissement du divorce (institué en 1792 mais aboli en 1816)
pour régulariser l’existence de leur couple illégitime. Ils se marièrent en
1885. Les mentalités évoluant nécessairement moins vite que les lois, la vérité
n’éclata au grand jour qu’en 1899. Malgré tout, les rééditions du manuel continuèrent à paraître sous le nom d’emprunt
de G. Bruno devenu célèbre.
P.P
Des articles toujours aussi intéressants.
RépondreSupprimerA suivre...
Bien cordialement
Jean Pirou