Marie
Pape-Carpantier
Pédagogue et
féministe
L’inventeur du boulier numérateur
Marie
Pape-Carpantier, née Marie Joséphine Olinde Carpantier à La Flèche (Sarthe) le
10 septembre 1815 et morte à Villiers-le-Bel (Val-d'Oise) le le 31 juillet 1878, est une pédagogue et féministe française. De 9 ans
l’aînée de Julie Victoire Daubié (à laquelle nous avons consacré un article
dans ce blog), elle sera directrice d’une salle d’asile 10 ans avant que Julie
ne soit institutrice. Elle aura sa place à conquérir de haute lutte, tout comme
elle. La ville natale de Marie est une bourgade paisible qui s’ordonne autour
de l’ancien collège des Jésuites que Napoléon a transformé en Prytanée
militaire.
Colette
Cosnier, historienne et biographe, tente une explication quant au destin de Marie
Pape-Carpantier. Elle pense que ce dernier, tient largement, outre ses
compétences personnelles reconnues, aux rencontres qu’elle fit et aux
influences qui y furent attachées.
Ses parents arrivent à la Flèche au hasard de
la vie de caserne. André Carpantier, ce père qu’elle ne connut pas, officier de
gendarmerie issu d’une famille républicaine, épouse Joséphine Rose. Marie sera
la cadette d’une fratrie de 3 enfants, son frère deviendra instituteur. En
1815, durant les « Cent jours », André Carpantier sera tué le 21 mai
1815, lors d’une fusillade engendrée par une insurrection royaliste laissant sa
veuve dans la pauvreté. Malgré un emploi de lingère à la taillerie du collège
royal, cette dernière est contrainte de confier Marie à sa grand-mère,
dentellière à Alençon, jusqu’à son entrée à l’école à quatre ans. Elle fera des
études primaires jusqu’à onze ans, sans vraiment aimer l’école dont elle subit
la discipline parfois humiliante. Par nécessité, la pauvreté familiale imposant
sa loi, c’est dès cet âge qu’elle aide sa mère dans ses travaux de couture
avant de rentrer dans l’apprentissage de repasseuse puis de gantière.
En 1834, le conseil municipal de La Flèche
confie un projet d’ouverture de la première salle d’asile de la ville à
Joséphine Carpantier, cette salle verra le jour le 27 février 1834. La création
au plan national de ces salles d’asile (bien qu’elles apparaissent
partiellement dès 1826) suit la loi Guizot de 1833 qui oblige chaque commune à
ouvrir une école primaire (1).
Marie participera à l’encadrement des enfants comme simple surveillante. Après
avoir suivi une formation au Mans, dès le 20 décembre de la même année, à 19
ans, elle sera nommée à la direction de la salle d’asile et aura sous sa
responsabilité une centaine d’enfants. De sa formation au Mans, en 1834, elle apprit
le fonctionnement d’une salle d’asile, alternant théorie et pratique. Elle fit
aussi la connaissance de Monsieur et Madame Pape (responsables eux-aussi d’une
école) dont elle devint l’amie des filles et, plus tard, la fiancée du fils.
Cette rencontre ne fut pas sans incidence sur son avenir. Grâce aux conseils
avisés de Messieurs Pape et de Neufbourg, elle s’attela à cette tâche
harassante avec dévouement et rigueur tant et si bien qu’elle tomba gravement
malade en 1839 et dut interrompre son action
pendant plusieurs années. Elle quitte la salle d’asile et devient demoiselle de
compagnie chez une riche Fléchoise. Là, elle a tout le temps nécessaire pour
écrire des poèmes avec l’appui de l’écrivaine Amable Tastu, et qui lui valent
les félicitations de Chateaubriand et de Lamartine et surtout l’amitié du poète
chansonnier Béranger.
L’Inspecteur de l’instruction de l’époque
notera : « on ne peut espérer retrouver plus facilement dans une
directrice le rare mérite qui distinguait mademoiselle Carpantier ».
Elle vécut ces dures années avec sa mère. En 1841-42, elle publie sous
le nom de Marie Carpantier « Préludes, poésies » chez Perrotin
éditeur à Paris. On peut lire en dédicace : « ce livre est la
première, la seule richesse que je possède en ce monde ; QU’ELLE me laisse
le lui offrir, CELLE qui a délivré mon âme de ces douloureuses préoccupations,
en répandant la sécurité pour l’avenir, et la douce quiétude du présent sur les
vieux jours de ma mère bien-aimée ». CELLE dont Marie parle n’est autre que Madame Pion-Noirie.
M. et
Mme Pape ne furent pas étrangers à la nomination de Marie à la direction de la
salle d’asile principale du Mans le 4 juillet 1842. Elle quitta donc sans
regrets Madame Pion-Noirie dont elle était devenue la dame de compagnie et avec
qui elle s’était liée d’amitié. Sa réflexion pédagogique se porte aussitôt sur
le contenu de l’enseignement qu’elle prodigue. Peu enthousiasmée jusqu’ici par
la méthode qu’on lui avait enseignée et qui était rigoureusement imposée, elle
porte un regard critique sur « Le manuel des salles d’asile » auquel
elle reproche : « la méthode c’est lettre morte. Il faut que
l’instituteur apporte la couleur, le mouvement, l’à propos, l’avis ».
Dès lors, elle axe sa réflexion pédagogique
sur la leçon de choses qu’elle considère comme une approche de la connaissance
de manière sensible laissant la place aux sensations et à l’intuition plutôt
qu’aux principes. Elle considère que c’est à travers le corps et le langage que
les jeunes enfants s’approprient le monde et libèrent leur intelligence, idée
qu’elle n’abandonnera jamais, la preuve en est cet émouvant plaidoyer qu’elle
prononça en 1867 à la Sorbonne aux futurs instituteurs (2) : « Que l’air, la lumière, la gaieté
circulent à grands flots dans nos classes. Que poussent les rosiers, les
liserons, les haricots, qu’importe ! Pourvu que l’école soit entourée d’un
jardin qui sera le lieu de mille leçons de choses, il ne faut pas amuser les
enfants, il faut les intéresser. Il y a quelque chose d’irréductible au fond de
chaque être humain, contre laquelle l’éducation ne peut rien, c’est ce qui fait
l’individualité. L’enfance ne devrait être que le moment privilégié où l’on
acquiert tout ce qu’il faut pour soi-même afin de devenir un homme, ou une
femme, libre, responsable et autonome. Révélez à l’enfant ce qui, en lui, ne se
laisse ni éduquer ni former, soyez plus que des éducateurs, soyez des
libérateurs ! ». Ses
plaidoyers ne se bornent pas à la pédagogie, elle publie en effet, Le
Secret des grains de sable et lance aussi un appel : les femmes ont
droit à l’instruction. Cette revendication va être développée dans une série
d’articles publiés, du 10 novembre 1862 au 25 mars 1863, par L’Économiste
français dont le rédacteur est Jules Duval (fouriériste notoire),
et dont la devise est : « Libre et harmonique essor des
forces ». Marie Pape-Carpantier ne peut que se trouver en parfaite
communion d’idées avec ses collaborateurs : George Sand, Onésime Reclus,
Désiré Laverdant, Charles Pellarin, Julie
Victoire Daubié (première bachelière de France, voir article du blog), et
le docteur Savardan. Elle va publier sept articles sur La Question des
femmes où elle dénonce la disparité des salaires masculins et
féminins, l’ignorance où sont tenues des milliers de femmes, leur prétendue
infériorité et l’impossibilité pour elles d’accéder à toutes les professions :
« L’ignorance des femmes est un
préjudice, non seulement pour elles mais pour la société. C’est un concours de
moins dans la lutte du bien contre le mal. C’est une quinte muette sur un
clavier et l’harmonie se trouve ainsi interrompue. La nature, les sciences, les
arts, l’histoire, l’industrie elle-même contiennent des secrets que l’homme ne
peut deviner à lui seul. Le jour où l’homme et la femme y puiseront ensemble,
ils n’y puiseront pas les mêmes choses, on peut en être assuré. »
Femmes au travail, femmes du peuple, femmes
du monde, mais aussi femmes de lettres, artistes, le féminisme de Marie
Pape-Carpantier n’oublie personne. N’écrit-elle pas en 1869 dans la préface de
son Manuel de l’institutrice : « la femme n’est pas un être d’une autre nature que l’homme, elle
possède les mêmes facultés » ?
Marie Pape-Carpantier fut la première femme à
donner une conférence à la Sorbonne. Dès 1845, elle propose de changer le terme
salle d’asile en école maternelle et en 1846, elle publie « Conseils
sur la direction des salles d’asile » fort remarqué par le ministre de
l’instruction, le baron académicien Narcisse-Achille de Salvandy. Cet ouvrage
avait reçu l’approbation ecclésiastique de l’évêque du Mans le 20 juin 1845 et
avait été autorisé dans les salles d’asile du diocèse. La notoriété du livre va
s’étendre au royaume et à partir du 19 juin 1846, il sera autorisé dans toutes
les écoles et salles d’asile. Marie recevra un prix de l’Académie Française et
sera couronnée par la Société de l’Enseignement Elémentaire. En octobre 1847,
elle publie un second ouvrage : « Méthode d’enseignement et
d’éducation et exercices ». Elle présente son projet au nouveau
ministre de l’instruction, Lazare Hyppolite Carnot (père du futur président de
la République Sadi Carnot). Une réforme des salles d’asile est confiée à la
Haute commission des études. Les salles d’asile deviendront des écoles
maternelles par un arrêté signé par Carnot le 28 avril 1848.
Marie quitte le Mans pour Paris en 1847, en
compagnie de sa mère. Depuis la publication de sa méthode, elle était en
contact étroit avec Emilie Mallet, protestante, femme d’un banquier parisien et
figure majeure de la Commission centrale des femmes, chargée en grande partie
de la surveillance des salles d’asile, et dont l’un des objectifs de longue
date était de créer une école normale pour former les enseignants. Elle
influence son neveu Narcisse-Achille de Salvandy dans ce sens et le persuade
des capacités de Marie Pape-Carpantier (à qui elle avait confié la direction d’une
salle à Paris) à assurer la formation des personnels des salles d’asile. A
l’été 1847, Marie est nommée directrice de la « maison d’études »,
future école normale des salles d’asile destinée aux enseignants et
directrices, temporairement installée dans le Marais.
Marie Pape-Carpantier se trouve donc dans la
capitale au moment de la Révolution de 1848 qui représente un espoir pour le
développement de l’enseignement. La chute de la Monarchie de juillet menace
dans un premier temps la « maison d’études » et sa directrice. Madame
Mallet plaide la cause auprès d’Hippolyte Carnot, toujours ministre de
l’instruction. M. Béranger (chansonnier célèbre, soutien de Marie
Pape-Carpantier depuis ses écrits poétiques) fait de même auprès de ses amis
Jean Reynaud et Edouard Charton, hauts responsables au ministère. L’effet est
immédiat, Carnot officialise l’existence d’une école normale maternelle avec
Marie comme directrice, école d’abord connue sous le nom de Maison d’études puis Cours pratique ou Cours
Carpantier. Elle restera 27 ans à ce poste et continuera au demeurant de
tenir une salle rue des Ursulines, que l’on dirait aujourd’hui « pilote »
ou « d’application ».
De 1847 à 1856, les conditions matérielles
sont pour le moins précaires : l’école est installée dans un appartement
puis dans des locaux non aménagés rue d’Ulm. Près de mille élèves seront tout
de même accueillis en dix ans. Dans
l’intervalle, Armand Marast, maire de Paris et préfet de la Seine depuis le 8
mars 1848, la nomme à la Commission d’éducation à l’hôtel de ville. Cependant,
une première campagne vise à la déstabiliser (3). Contrairement à
madame Mallet, elle soutient avec enthousiasme le nouveau terme d’école
maternelle quand Carnot qualifie les salles d’asile d’ « atteinte
à la dignité de la souveraineté
populaire » et dans le même temps supprime les écoles maternelles des
« établissements de bienfaisance ». Il aurait préféré que ces écoles
deviennent un lieu d’éducation précoce apprenant « les soins du corps,
le langage du sentiment, et des exercices destinés à ne pas fournir le
renseignement, mais seulement pour l’ouvrir » (comprenne qui pourra) et ce ne fut pas le cas à ses yeux. Bien
qu’espérant que le progrès économique rendrait un jour le travail des femmes
inutile, il avait bien dû reconnaître, à l’instar de Marie Pape-Carpantier, la
nécessité incontournable du travail pour les femmes pauvres. Malheureusement,
et notamment sous le Second Empire, le terme d’école maternelle retombera dans
l’oubli jusqu’à ce que Jules Ferry alors ministre de l’instruction
publique, et son chef de cabinet, Ferdinand Buisson, influencés par Pauline
Kergomard, ne l’imposent à nouveau et définitivement dans les lois de 1881.
Marie sera aussi reconnue à cette occasion (4).
De fait, en 1852, l’école normale maternelle est rebaptisée
Cours pratique des salles d’asile, changement demandé par les bonapartistes de
la Commission de surveillance des écoles jugeant que les écoles normales pour
les hommes sont déjà contaminées par le radicalisme politique. L’ancienne
dénomination « salles d’asile » remplace « écoles
maternelles ». Sous la protection de l’impératrice Eugénie, Marie
Pape-Carpantier devient inspectrice des salles d’asile et en 1861, dirige les
cours pratiques et forme les enseignantes, puis se consacre à l’éducation des
filles. Elle sera vite considérée comme une féministe à la suite de la
publication des sept articles sur la question des femmes « une question
de justice, de bien-être, intéressant la société et l’humanité ».
Cependant, ses travaux sur les salles d’asile sont récompensés à Londres lors
de la troisième Exposition universelle de 1862. A la suite du succès des
conférences de Grosselin à l’Exposition universelle de 1867, elle adopte la
méthode phonomimique dans son établissement de formation et de l’asile modèle qui y est annexé : « Au
premier rang pour l’enseignement de la lecture se place le procédé phonomimique
de M. Grosselin. Ce procédé, inventé spécialement en vue des sourds-muets, à
l’instruction desquels il paraît satisfaire, m’a beaucoup plus frappée par
l’attrait qu’il inspire et les rapides résultats qu’il obtient chez les enfants
ordinaires. J’ai voulu m’en expliquer la cause, et comme j’étais déjà sur la
voie, je l’ai facilement trouvée ». Du cours pratique de la rue
des Ursulines, la phonomimie se répand dans la plupart des salles d’asile sur
recommandation des dames inspectrices.
En 1874, sous la présidence de Mac-Mahon,
sous le ministère Cumont, hostile à l’indépendance d’esprit de l’école et à la
concurrence qu’elle représentait pour les congrégations, Marie Pape-Carpantier
est dépossédée de sa fonction d’enseignante au cours pratique, elle tombe en
disgrâce, ses détracteurs lui reprochant à nouveau d’être trop proche de la
libre pensée. Quelques mois plus tard, en octobre, quelques dirigeants
catholiques aidés par l’épouse du
président Mac-Mahon obtiennent sa réhabilitation. En janvier 1875, elle
conserve le titre d’Inspectrice déléguée générale qu’elle avait reçu en 1868.
Le retour de la République ne lui permet pas de retrouver la direction du cours
pratique. Affaiblie et épuisée, elle meurt le 31 juillet 1878 dans sa maison de
Villiers-le-Bel. On dit que ses
derniers mots auraient été « Justice...vérité...
plus de haine ! ». Elle a été inhumée au cimetière Montparnasse
où les éloges funèbres furent nombreux, on a longtemps parlé de lui élever un
monument, mais aurait-elle apprécié une telle initiative ? Rien n’est
moins sûr. Un de ses proches rappelle qu’elle aurait dit : « une simple pierre sur ma tombe et
tous mes livres dans les écoles. » Elle restera longtemps dans
les mémoires comme une innovatrice hors pair et la créatrice des bases de
l’école maternelle (5). Pauline Kergomard poursuivra son œuvre mais
ceci relève d’un prochain article…
Le souhait de Marie que tous ses livres
soient distribués aux écoles a été exaucé et il est difficile, de nos jours, de
trouver ses écrits, elle dont l’œuvre occupe neuf pages du catalogue de la
Bibliothèque Nationale… (6)
Sources :
- Émile
Gossot, Madame Marie Pape-Carpantier, sa vie, son œuvre,
Hachette, 1890.
-
Colette
Cosnier, Marie Pape-Carpantier,
Fondatrice de l’école maternelle, Fayard, (2003) Histoire de l’Education, mai
1999, n°82.
A voir :
La Volière aux enfants : téléfilm d’Olivier Guignard (2006), scénario de
Nadine Lermite, avec Marilou Berry dans le rôle de Marie Pape-Carpantier. Récit
très simplifié et édulcoré de la vie de Marie Pape-Carpantier mais qui a le
mérite de la présenter au grand public.
(1) : A cette date, peu de villes possèdent des salles d’asile :
on en dénombre 9 à Paris et Strasbourg, 4 à Lyon, 1 à Chartres. L’installation
de ces salles reste très rudimentaire, elles ne préfigurent que de manière
sommaire ce que seront les futures écoles maternelles, elles n’en ont
d’ailleurs ni les objectifs, ni les contenus, ni les méthodes. Elles ne
concernent que les enfants de 2 à 6 ans issus de milieux pauvres et le but
essentiellement social est sous-jacent : permettre aux enfants trop jeunes
pour travailler d’être gardés pendant que leurs mères, souvent veuves, gagnent
leur vie (rappelons qu’il faudra attendre la loi du 22 mars 1841 pour que soit
interdits le travail des enfants de moins de 8 ans et les journées de plus de 8
heures pour les moins de 12 ans). La même année, Marie-Denys Cochin
publie « Le manuel des salles d’asile » qui
propose
un modèle d’organisation et une orientation sur les contenus : instruction
religieuse, notions élémentaires de lecture, d’écriture, et de calcul
auxquelles s’ajoutent le chant, la couture et le travail manuel. Dans le cas
particulier du Bassin houiller de Blanzy/Montceau, Jules Chagot intègrera dès
la construction des cités minières (et surtout vers 1850 à la suite de la loi
Falloux), des salles d’asile à ses
écoles avec vraisemblablement le désir de libérer les mères de famille pour le
tri du charbon. Les frères maristes, les sœurs de Saint-Joseph de Cluny et de Saint-Vincent-de-Paul
enseignant dans ce cas précis étaient détachés des congrégations et employés
directement par J. Chagot, les enseignants étaient donc principalement des religieux.
(2) : On peut
considérer qu’à cette date la carrière
de Marie Pape-Carpantier est à son apogée, le ministre Victor Duruy lui demande
de s’exprimer sur le thème des jeunes enfants dans l’enceinte de la Sorbonne
parce que « une femme, une mère, une doyenne des salles d’asile,
trouverait auprès des instituteurs le crédit que donnent la pratique et
l’expérience ». Elle donnera cinq conférences du 21 août au 19 septembre
et y présentera la méthode des salles d’asile. Le matin, des délégués
d’instituteurs visitent le Louvre puis assistent à ses conférences.
(3) : Marie Pape-Carpantier suscite des
jalousies et ses détracteurs décrivent son comportement comme irréligieux,
politiquement radical et immoral dans sa vie privée. Ces attaques se
multiplient au cours de la réaction conservatrice durant les journées de juin
et surtout après la chute de Carnot le 5 juillet 1848. On feint d’ignorer l’appui
de l’évêque du Mans quant à ses écrits et on l’accuse de « prendre des
leçons de la nature », d’être proche de la franc-maçonnerie et de la libre
pensée…
Marie était-elle une fervente
chrétienne ? Son amie Ondine Desbordes-Valmore, fille de la célèbre
poétesse Marceline Desbordes-Valmore écrira qu’elle-même et Marie avaient été
parmi les rares voix féminines en 1848 à promouvoir l’éducation des femmes.
Troublée que Marie n’ancre pas plus son point de vue éducatif dans la doctrine
chrétienne, Ondine lui dit qu’elle la jugeait « chrétienne par le
cœur » sinon par « l’intellect ». Pour sa part Hélène Helt
estime que les circonstances de la mort de son père tué par des monarchistes
dévots la poussaient à s’écarter du catholicisme. La survie de Marie dépendait
donc, à cette époque, des appuis qu’elle avait, notamment celui de madame
Mallet, reproche lui fut d’ailleurs fait
de ses sympathies protestantes. N’avait-elle pas exprimé sa gratitude à cette
dernière par une dédicace dans son ouvrage « L’enseignement pratique dans
les écoles maternelles » en 1849 ? L’ouvrage est retiré du répertoire
des livres pédagogiques après l’intervention d’un évêque et d’un cardinal.
Marie Pape-Carpantier avait-elle reçu
l’influence des francs-maçons ? Elle aurait été en contact au Mans avec un
médecin exerçant à la Chapelle-Gaugain dont le grand-père était franc-maçon et
s’occupait d’une loge à la Flèche, elle fut en tout état de cause liée aux mouvements
républicains et aux mouvements fouriéristes, combattant la misère et
l’injustice sociale : « (..)
remarquons d’abord la marraine de l’enfant, Victoire Chauvelier, une demoiselle
sans histoire, sinon qu’elle est la tante du fouriériste Auguste Savardan, né
aussi à La Flèche en 1793, et qu’on trouvera le nom de celui-ci dans tous les
journaux et revues auxquels collaborera Marie Pape-Carpantier. Quant au
professeur qui prend en main l’instruction de la jeune Marie, il faut savoir
que ce Jean-François Philippe de Neufbourg, s’il n’est pas franc-maçon lui-même
(on peut le considérer comme un « maçon sans tablier », c’est-à-dire
uniquement de cœur et d’esprit) est frère d’un maçon sarthois, membre de la
loge des Sept Écossais réunis, qu’il a écrit un Guide du professeur ou Observations critiques sur la manière
d’enseigner les humanités, et un Précis de la loi naturelle. On dit qu’il a été instruit
dans les idées des philosophes. Il
a été professeur à Laval où il a pu rencontrer quelques membres de la loge les
Amis réunis dont un fondateur est Jean Carpantier, grand-père de Marie. Le
maréchal des logis André Carpantier était peut-être un « lowton », c’est-à-dire un fils
de maçon et initié lui-même. On comprend donc pourquoi des francs-maçons
fléchois ont pu s’intéresser aux petits-enfants d’un de leurs frères et se
préoccuper de l’instruction de Marie et de son frère Bernard. La jeune fille ne
serait pas, comme on l’a dit, une simple autodidacte, elle a acquis une culture
grâce à J.-F. de Neufbourg dont on sait l’intérêt qu’il portait aux idées
fouriéristes (il est abonné à La
Démocratie pacifique) et à qui, selon son expression elle devra tant
« dans l’ordre des choses de l’esprit ».
Il y a donc des appuis, des influences, un climat, tout cela contribuant à l’épanouissement d’une personnalité exceptionnelle, volontaire, active et surtout souhaitant fuir l’obscurité et la médiocrité. En témoigne un poème dédié à son père, qu’elle compose à 14 ans et où revient comme un refrain cette phrase : « la gloire est mon idole, et je veux m’illustrer. » Car, d’abord et très tôt, elle rêve d’écrire. Dans sa ville natale on lit ses premières œuvres et on l’appelle « la jeune Muse fléchoise. » (In Association d’Etudes Fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier, http://www.charlesfourier.fr/spip.php?article817)
Il y a donc des appuis, des influences, un climat, tout cela contribuant à l’épanouissement d’une personnalité exceptionnelle, volontaire, active et surtout souhaitant fuir l’obscurité et la médiocrité. En témoigne un poème dédié à son père, qu’elle compose à 14 ans et où revient comme un refrain cette phrase : « la gloire est mon idole, et je veux m’illustrer. » Car, d’abord et très tôt, elle rêve d’écrire. Dans sa ville natale on lit ses premières œuvres et on l’appelle « la jeune Muse fléchoise. » (In Association d’Etudes Fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier, http://www.charlesfourier.fr/spip.php?article817)
En ce qui concerne sa vie privée, son mariage
en août 1849 avec le capitaine de gendarmerie Léon Pape réduisit au silence les
critiques d’immoralité.
(4) : Les écrits de Marie
Pape-Carpantier sont toujours à l’honneur dans l’ « Arrêté réglant
l’organisation pédagogique des écoles maternelles :
Le ministre de l’instruction publique et des
beaux-arts
Vu l’article 7 de la loi du 16 juin
1881 ;
Vu le décret du 2 août 1881 ;
Arrête :
Leçon de choses. Connaissances sur les objets
usuels. Premières notions d’histoire naturelle (Art. 14 et 19 du décret) :
Le Labour. Les Semailles. (Mme
Pape-Carpantier)
Le Petit Ramoneur. (Mme Pape-Carpantier)
Les Petits Ouvriers. La Ronde des abeilles.
(Mme Pape-Carpantier)
Le Ver à Soie. (Mme Pape-Carpantier)
Le Jeu du blé. (Mme Pape-Carpantier) »
(5) : Portrait d’un penseur : Marie
Pape-Carpantier (1815.1878) par Bruno Klein, Université de Rouen, 2009 :
« Une
pédagogue de l’action :
La réflexion développée par Marie
Pape-Carpantier la conduit à l’action. Non par obligation, ayant dressé des
théories, mais parce que l’action est l’espace de la pédagogie : le
pédagogue est un sujet d’action, principalement. (..) Complémentaire d’une
riche ascension dans la formation, elle multipliera les occasions de
communiquer ses propositions pédagogiques : il y aura la vaste publication
d’ouvrages, la participation à l’ « Ami de l’enfance », aux
revues fouriéristes, et aussi l’organisation de cours gratuits, et finalement
la mise sur pied de conférences. Depuis les origines de sa carrière, Marie
Pape-Carpantier a su puiser dans sa pratique pour élaborer ses réflexions
éducatives. C’est de l’action de son métier d’enseignante de salles d’asile,
qu’elle a dégagé les observations nécessaires à l’écriture de ses premiers
ouvrages pédagogiques. Dans « Conseils sur la direction des salles
d’asile » (Marie Pape-Carpantier
1846), elle s’appuie sur son
quotidien pour tracer les contours de sa pédagogie. Bien avant d’être dans le
dire, elle est dans le faire. L’établissement dans la ville de La Flèche
qu’elle dirige alors, lui sert de creuset et de laboratoire. Sans relâche, elle
continue ses observations au Mans dans sa seconde salle d’asile. Là encore,
elle questionne sa pratique.
Une
pédagogue enracinée dans son temps :
Marie Pape-Carpantier est témoin de
l’ouverture aux talents individuels, de l’élaboration de l’identité par le
travail et par l’instruction : mais ces progrès concernèrent presque
exclusivement les hommes. En
effet, le XIXe est contraignant pour la condition des femmes. Empire et
Restauration ne cessent d’inférioriser les femmes, officialisant la hiérarchie
des sexes. Celle-ci est omniprésente dans le cœur de la cité. Présentée comme
naturelle, cette hiérarchie soumet la femme à l’homme et lui impose la
sexuation des rôles : l’homme est destiné à la sphère publique, tandis que
la femme doit occuper la sphère privée. La position de la pédagogue exprimée
dans ses articles intitulés « La question des femmes » témoigne de cette
hiérarchie. L’auteure reconnaît trois fonctions à la femme :
l’administration domestique, l’éducation et le bonheur du foyer. Comme dans
l’ensemble de ses écrits, même si elle a dû emprunter un autre parcours, elle
préfère la mère vivant et exerçant ses missions au foyer familial. D’ailleurs
en matière d’éducation elle privilégiera toujours l’action de la mère auprès de
ses enfants. Engagée dans une vie sociale, Marie Pape-Carpantier respecte
toutefois le modèle traditionnel, en acceptant la hiérarchie communément
reconnue. C’est par nécessité que cette femme doit exercer une activité
rémunérée pour assurer l’existence de sa famille. Toutefois sa satisfaction
personnelle ne semble pas écartée de son parcours professionnel. Ceci étant,
elle embrasse une carrière féminine donc convenue. Ainsi, en se vouant à
l’enseignement de la petite enfance, elle est en accord avec sa pensée
éducative qui consacre la femme puisque «l’EDUCATION (est) cette fonction
suprême de la femme. » (Marie Pape-Carpantier 1861). Dans son étude des femmes actrices de
l’histoire, Y. Ripa (2002) commente ainsi la position de la femme
enseignante : Comme dans le cas des infirmières, les institutrices
prolongent la mission naturelle des mères : les unes soignent, les autres
éduquent. Un tel fondement est propice à l’assimilation de ces professions à
des vocations. Celles-ci s’accommodent de l’oubli de soi, de maigres salaires
et sont incompatibles avec l’ambition, la notion de carrière et les
revendications professionnelles. La vocation au féminin ressemble étrangement
au sacrifice. Hormis, les premières années d’enseignement passées à la Flèche,
puis au Mans qui furent difficiles, le parcours de Marie Pape-Carpantier ne
correspond pas à cette définition. En effet, même si elle ne l’explicite pas,
il apparaît que sa carrière ne s’est pas construite sans une forte volonté de
progresser dans les responsabilités. »
(6): Bibliographie
sommaire de Marie Pape-Carpantier :
Préludes, poésies, 1841
Conseils sur la direction des salles d’asile,
1846
Méthode d’enseignement et d’éducation et
exercices, 1847
Enseignement dans les écoles maternelles ou
premières leçons à donner aux petits enfants, 1848
Histoires et leçons de choses,
1848(58 ?)
L’histoire d’un grain de sable (modération
dans le désir. Sage lenteur de la providence)
L’enseignement pratique dans les écoles
maternelles, 1849
L’économiste Français, 1859
Le secret des grains de sable ou géométrie de
la nature, 1863
Les petites lectures variées pour les enfants
des deux sexes, 1863
Jeux gymnastiques avec chants pour les enfants
des asiles, 1864
Nouveau manuel des comités de patronage et
des directrices des salles d’asile, 1876
Zoologie, histoires et leçons explicatives
destinées aux écoles, aux salles d’asile et aux familles, Hachette
Histoire du blé, leçons explicatives sur sa
culture et son emploi, Hachette
Lectures et travail, pour les enfants et les
mères,
Hachette
Le dessin expliqué par la nature,
Hachette
Cours d’éducation et d’instruction, pour les
enfants de 5 à 14 ans, Hachette
P.P
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