vendredi 15 juin 2018

2018 : dernière année de Commémoration du Centenaire de la Grande Guerre. Chronique N°2



2018 : dernière année de Commémoration
Du Centenaire de la Grande Guerre

« Quand tu seras soldat ! Période 1870-1914 »
(Deuxième partie)



Manuel de lecture, 1891 (collection musée)

Au cours de cette dernière année et après trois expositions labellisées, le musée de la Maison d’Ecole à Montceau se propose de revenir sur la chronologie des évènements qui ont amené le premier conflit mondial, à travers une série d’article qui paraîtront périodiquement jusqu’à décembre 2018. En voici le second : « La préparation des esprits ».


Une nouvelle tâche pour l’école : la préparation des esprits

Dès l’instauration de l’école de la Troisième République, cette dernière participe à la diffusion du message patriotique, on peut même dire, sans se tromper, qu’elle en est un des vecteurs principaux. On est entré dans une période de certitude absolue, les trois axes autour desquels l’école républicaine s’implante jusque dans les campagnes sont : la centralisation, le rationalisme et le patriotisme.





L’école centralise : une même unité de mesures dans le pays : le système décimal, une même langue : le français (les patois et les langues locales seront durement réprimés), une même morale : républicaine.

L’école est rationaliste : l’élève, devant le maître sur son estrade, la discipline stricte préfigurent le citoyen face au pouvoir.

L’école est patriotique : on enseigne aux enfants, dès les plus petites classes, les idées qui feront d'eux, lorsqu'ils seront adultes, des citoyens patriotes, des soldats prêts à se dévouer « jusqu'au sacrifice suprême dans les luttes où pourraient être engagés les intérêts de la Patrie, sa liberté, sa gloire »... notre école « sa fonction est d’endoctriner l’enfant afin d’instaurer le sentiment d’unité de la Nation »



Manuel de lecture, 1891 (collection musée)



Cette dernière caractéristique se retrouve à travers presque toutes les matières. La lecture, le chant, l'histoire, le français, l'instruction civique, la morale déclinent les grands principes républicains que sont le respect de la loi, l'autorité, les institutions, l'amour de la Patrie. C’est l’omniprésence des thèmes guerriers : « le soldat défend quoi ? Le drapeau ! Il repousse qui ? L’ennemi ! », « Un conscrit de votre commune s’est coupé un doigt pour n’être pas soldat. Racontez le fait à un ami ». Les récits patriotiques sur la guerre de 70-71, les chants composés à cette période exaltent le courage, la bravoure, le sens du devoir et entraînent ces jeunes enfants à devenir de bons républicains au service de leur pays. Si on ne devait citer que deux exemples parmi tous, ce serait, d’une part, la lecture qui fut orientée par l’ouvrage intitulé  « Le Tour de France par deux enfants », dont le sous-titre est « Devoir et Patrie ». Tous les écoliers de France liront, de 1877 à 1900 surtout, ce manuel de G. Bruno (pseudonyme d’Augustine Fouillé), diffusé à 6 millions d’exemplaires (7.4 millions en 1914, 400 éditions dont la dernière en 2012), qui raconte l’histoire de Julien et André Volden quittant Phalsbourg occupée par les allemands au décès de leur père, à la recherche de leur famille. Cette publication, vendue à plus de 8.4 millions d’exemplaires depuis 1877, fixa dans l’esprit des jeunes écoliers les repères du sentiment national et l’amour de la patrie.  La Ligue de l’Enseignement prit d’ailleurs pour devise : «  Pour la Patrie, par le livre et par l’épée ».



Le Tour de la France par Deux Enfants de G. Bruno, édition 1882 (collection musée)



D’autre part, le deuxième exemple serait l’enseignement d’une histoire événementielle reposant largement sur l’inculcation des valeurs patriotiques à travers un récit ou roman national qui célèbre les étapes importantes ayant fait de la France une grande puissance. L’enseignement de l’histoire est clairement orienté vers l’objectif de façonner l’état d’esprit de toute une génération, comme le montre l’article « Histoire » du Dictionnaire pédagogique de Ferdinand Buisson. Cette finalité de l’enseignement de l’histoire est mise en avant à travers cet ouvrage de référence pour tous les instituteurs de l’époque et dans les écoles normales qui accueillent un nombre croissant de futurs enseignants des écoles primaires. Le nationalisme scolaire républicain est aussi véhiculé par l’instruction civique qui réactive le souvenir de 1870. Ce nationalisme ouvert fait de la France un modèle universel, le monde étant appelé à faire sienne la devise de la République. Cette instrumentalisation de l’enfant continuera durant le conflit 1914-1918. (7)

Parallèlement et en liaison avec les questions militaires, Gambetta se préoccupe de développer la pratique de la gymnastique dans le pays. Comme nous l’avons vu, des circulaires de 1871 et 1876 avaient déjà prescrit le maniement d’armes dans les lycées et les collèges. L'idée de faire de l'école un centre de préparation et d'instruction militaire où les élèves apprendraient le devoir, la discipline, le maniement des armes, le tir, apparaît comme une des clés du redressement national et un des moyens de préparer la revanche. Devant l'adhésion certaine à cette thèse par toutes les couches de la population, s’étaient créées des sociétés de tir, de gymnastique, de topographie visant à développer cette forme d'éducation.






En 1876, Duquesne avait fondé la société qui devait devenir la Société nationale de tir des communes de France et d’Algérie. Gambetta, Ferry et Simon étaient membres de son comité de propagande. Poussé par ce mouvement qui se déploie en marge du contrôle de la République, mais qui rencontre un large succès, le législateur rattrape le train en marche et organise l'enseignement dans le sens d'une véritable politique de formation militaire. C’est alors que la loi du 27 janvier 1880 (impulsée par Georges qui avait présenté un projet dès 1879) rend obligatoire l'enseignement de la gymnastique à l'école publique et que  celle du 28 mars 1882 rend obligatoire les exercices militaires pour les garçons. L’éducation militaire des tout jeunes garçons se fit donc au nom de la gymnastique qui était encore loin de devenir la discipline sportive que nous connaissons maintenant.






Un exemple de dérive 

La Ligue des Patriotes est fondée le 18 mai 1882 par Paul Déroulède (déjà cité), Armand Goupil et Henri Martin qui en sera le premier président. Lors de sa fondation et durant les premières années, elle est en phase avec la conception républicaine du patriotisme et elle compte dans ses rangs d’illustres républicains à l’image de Ferdinand Buisson. Ses objectifs initiaux sont de mobiliser la jeunesse autour de la Patrie. Elle encourage la création de sociétés de tir et de gymnastique. Paul Déroulède qualifie ces dernières « d’assurance contre les invasions ». La Ligue organise à Paris en 1884, avec les sociétés de tir de France, le premier concours national de tir.






Elle développe ses idées dans sa publication « Le Drapeau », elle se définit ainsi : « La Ligue des Patriotes a pour but la propagande et le développement de l’éducation patriotique et militaire. C’est par le livre, le chant, le tir et la gymnastique que cette éducation doit être donnée. Comme il importe que tout patriote ait son nom inscrit à la Ligue, et puisse selon ses ressources, collaborer à cette œuvre de relèvement national, les cotisations annuelles sont reçues à partir de 25 centimes. Le montant des fonds sera affecté :
1 : A l'achat, la publication et à l'envoi de recueils de chants et d'images patriotiques.
2 : A la subvention, création et encouragement des sociétés de gymnastique, de tir, d'escrime et de topographie; de sociétés chorales et philharmoniques; de sociétés de secours aux blessés en campagne; de sociétés de lecture et récitation....
3 : A l'achat d'armes de tir et d'appareils de gymnastique.
4 : A la fondation de conférences, de lectures publiques et de cours gratuits.
5 : A l'organisation de fêtes patriotiques.»

Un instituteur républicain passionné écrira, à propos de ce journal : « Que c’est bien écrit ! Comme c’est patriotique ! Les gueux de Prussiens, comme ils instruisent leurs enfants ! J’en ferai la lecture générale à toute la classe. Espérons : la sagesse du gouvernement et de ses représentants saura combler les lacunes ! ».
En 1882, dans un discours à Reims, Jules FERRY, alors ministre de l’Instruction publique, parle, lui aussi, du désir de revanche en déclarant : « L’instituteur prussien a fait la victoire de sa patrie, l’instituteur de la République préparera la revanche ». En exaltant le sentiment patriotique, l’instruction publique avait posé les fondements de l’instruction militaire et cette tâche de formation était confiée aux instituteurs laïques. Dans un même temps, Jules Ferry fit distribuer dans les écoles publiques vingt mille exemplaires des « Chants du soldat » de Paul Déroulède. Héros malheureux de la guerre de 1870, Déroulède ne pense qu'à la revanche. Il publie en 1875 ses "Chants du soldat", qui ont un succès considérable. Ce succès le mènera à l’Assemblée Nationale, il sera député. Il tentera même de soulever l'armée. Ce coup d'état manqué le conduira en exil en Espagne. Toujours est-il que le clairon devient rapidement le symbole du courage et de la revanche, cela, en grande partie à cause de la chanson de Paul Déroulède. On le retrouvera, avec le tambour, dans les dotations des bataillons scolaires. Cette chanson connut un succès qui nous laisse cois aujourd’hui... (8)

La Ligue des Patriotes a contribué pour une bonne partie à la dotation d’armes aux bataillons scolaires. Par la suite, sa ligne de pensée se radicalise et se confine à l’opposition aux institutions en place et au régime.



"Le Clairon", partition de Déroulède, 1873 (collection privée)



Une réaction pacifiste cependant

La fin du 19ième siècle avait vu fleurir de nouveaux manuels scolaires et nombre de nouvelles revues pédagogiques. Tous respiraient le plus vif amour pour la patrie. Mais le Boulangisme, puis l’affaire Dreyfus et la longue réhabilitation de ce dernier acquise en 1906, révélèrent alors l’existence d’une droite nationaliste qui avait mis en l’armée tous ses espoirs secrets de reconquête politique de la France. En réaction, une fraction de la gauche est séduite par l’humanisme et le pacifisme. La Ligue de l’Enseignement renonce à sa devise : « Pour la patrie, par le livre et par l’épée ». Les maximes patriotiques qui ornaient les cahiers des écoliers tendent à disparaître. Malgré tout, la montée des nationalismes, l’activisme des revanchards et l’assassinat du pacifiste Jean Jaurès (31 juillet 1914) conduiront à la guerre.

Des voix s’étaient tout de même élevées, minoritaires en cette IIIe République, pour fustiger l’instrumentalisation des enfants dans les bataillons scolaires : 

Ne jouez pas aux soldats (Paroles de Léo Lelièvre Musique de P. Dalbret)

«  Ne joue pas les soldats, mon cher petit bonhomme,
Les sabres et les fusils ne sont pas des jouets.
Plus tard, tu en auras quand tu seras un homme
Je ne veux pas voir ces choses entre tes doigts fluets
Ces joujoux, vois-tu, rappellent trop la guerre
Les chagrins et les deuils que l’on voit ici-bas.
Ils ont trop fait pleurer le cœur des pauvres mères
Dont les enfants sont morts en jouant aux soldats.»



Ne Jouez pas aux Soldats, partition de Paul Dalbret (ebay.fr)



Le déclin de cette militarisation de la jeunesse paraît lié à la crise du boulangisme et à son échec,  mais pas seulement. Il apparaît peu à peu à bon nombre, qu'initier les enfants à la vie militaire est absurde et que les astreindre à une discipline rigide tendrait plutôt à les en dégoûter. On crie à la parodie d'armée, à la pantalonnade. Du reste, l’armée, la vraie, rechigne elle aussi. Les bataillons scolaires ont souvent des formateurs aux compétences désastreuses. De plus, les municipalités qui les financent exhibent leur cher bataillon à la moindre occasion, jusque dans les grandes célébrations publiques, dans des défilés souvent bien désordonnés. On commence à trouver que ces enfants costumés sont une bien pâle parodie d’armée. Dans un rapport au conseil municipal de Paris, Blondel, accuse : « les régiments scolaires sont une institution à la fois puérile et dangereuse, parce qu’en forçant l’enfant à jouer au soldat, elle n’arrive qu’à former des automates au prix de sacrifices relativement considérables. Dangereuse, parce qu’elle les éloigne des exercices corporels propres à favoriser la croissance et à préparer à l’armée des éléments forts et musclés ». Les parents se lassent de voir leurs gamins jouer aux soldats. Le clergé, quant à lui, par nature antirépublicain, montre son hostilité aux grandes célébrations publiques qui exhibent cette jeunesse costumée et de fait ridiculisent l'armée. Il considère, en outre, que l’activité des bataillons scolaires n’a pas d’autre ambition que de retenir les enfants le dimanche et de rendre difficile leur instruction religieuse.

L’enthousiasme des instructeurs lui-même décline et les organisateurs constatent que les enfants ne sont motivés que par le prestige de l'uniforme et le goût de la parade. Cette formation est vite jugée inefficace, car trop éloignée de l'âge de la conscription. On doute de la valeur éducative de ces bataillons qui ne correspond plus à l'image que s'en faisait leurs initiateurs. L'entretien coûte cher, que ce soit pour l'établissement ou le plus souvent pour la municipalité, qui finance cet enseignement patriotique. L’expérience prend officiellement fin en 1892. L’activité physique s’orientera peu à peu vers la gymnastique et l’entretien corporel.



Leçon de natation « virtuelle » avant le grand bain, vers 1900 (lejsl.com)


(7) : INRP-TDC : « Une culture scolaire de guerre : De 1914 à 1918, l’école est l’un des vecteurs de la culture de guerre qui fait de l’enfant un instrument de mobilisation intellectuelle inédit en dispensant un code moral d’embrigadement systématique. Le premier conflit mondial se pare dès l’origine d’une dimension idéologique et éthique considérable, qui explique le recours à la thématique de l’enfant héroïque, devenu malgré lui l’un des enjeux de la guerre. L’enfant ne peut être tenu à l’écart d’événements d’une violence sans précédent, dont la portée stimule l’implication totale de l’ensemble de la société. La démesure des enjeux pouvait tout justifier, notamment ce qui peut choquer le plus aujourd’hui : l’héroïsation outrancière des enfants, la mise en exergue de leurs souffrances, de leur mort, l’exaltation de leur transformation en combattants, au moins sur le plan symbolique.

Cet embrigadement repose souvent sur la diabolisation de l’adversaire, à peine tempérée par quelques références aux valeurs universelles dont serait porteuse la République française. L’invocation de celles-ci permet même de minimiser le chauvinisme haineux que peut véhiculer cet enseignement fortement empreint d’un nationalisme agressif. Le messianisme républicain, qui tend à faire de la France le phare de l’humanité, donne une force particulière à cette conception civilisatrice de la guerre. D’autre part, le souvenir traumatisant de la défaite de 1870 et la perception d’une menace immédiate pesant sur le territoire national, concrétisée par l’occupation du nord et de l’est du pays, expliquent la virulence du propos de l’inspecteur rédacteur de ce rapport, l’incertitude quant à l’issue du conflit persistant même dans sa phase finale.
 
Inciter à l’acceptation des privations provoquées par la guerre est une autre forme de cette culture scolaire de guerre. L’organisation d’un concours de dessins parmi les écoliers parisiens en 1917 en est un bon exemple. La lauréate, Camille Boutet, et ses condisciples expriment dans leurs réalisations iconographiques l’intériorisation, soulignée par le slogan à la première personne du pluriel, des contraintes du conflit par ces enfants qui doivent subir certaines privations alimentaires après trois longues années de guerre. L’utilisation d’une affiche réalisée par un enfant pour évoquer le consentement aux privations renforce l’impact du message alors que la lassitude gagne la population, les adultes étant invités à faire preuve du même civisme que ces élèves exemplaires des écoles communales parisiennes.
L’exploitation, dans la littérature enfantine scolaire ou parascolaire, d’histoires édifiantes, souvent basées sur des faits réels, pour mobiliser les enfants est courante. L’exemple de la « mort héroïque du petit Émile Desprès » est particulièrement révélateur des procédés utilisés pour susciter l’identification de l’enfant aux personnages directement impliqués dans le conflit. On pense bien sûr au précédent du tambour Joseph Bara sous la Révolution, cet aspect de la culture de guerre enfantine trouvant ses racines dans une ancienne tradition jacobine et révolutionnaire. Dans le cas du jeune Desprès, l’héroïsation de l’enfance, caractéristique d’une culture de guerre française à cette époque, a nécessité un travestissement de la réalité des faits. En effet, le mineur de Lourches exécuté le 25 août 1914 était un jeune homme de 18 ans qui s’appelait en fait Victor Dujardin, ce qui modifie sensiblement la représentation que l’on peut se faire des faits.

Il faut toutefois relativiser l’influence de cette culture de guerre auprès des élèves, l’historien devant toujours se poser la question de la réception par les contemporains des documents qu’il étudie. Par exemple, contrairement à ce que prévoyait la dernière vignette de l’image d’Épinal étudiée, le mythe d’Émile Desprès n’eut pas de postérité au-delà de la guerre. La culture de guerre dans sa version brutale s’essouffle, les textes insistant sur l’aspect douloureux du conflit se multiplient à la rentrée 1917-1918. D’ailleurs, les autorités réagissent et relancent l’effort de propagande à destination des écoles. Cela ne contredit pas toutefois l’ampleur de la participation de l’école, en France comme dans tous les pays impliqués, mais peut-être avec une efficacité redoublée par la forte appropriation par la population française de son école publique, à cette première mobilisation massive de l’enfance dans une entreprise guerrière.

Remords et désenchantement patriotique :
La présentation en 1920 de la Grande Guerre par Ernest Lavisse est une nouvelle expression du nationalisme républicain des années 1880. Face à une Allemagne dominatrice, la France aurait fait triompher ses valeurs universelles sans volonté d’humilier le vaincu, alors que le traité de Versailles, ferment de la prochaine déflagration mondiale, a imposé à l’Allemagne des conditions draconiennes, justifiées par la responsabilité du conflit attribuée unilatéralement au vaincu. Dans l’enthousiasme du retour de l’Alsace-Lorraine dans le giron de la République française, l’école invite encore les élèves des écoles primaires à adhérer au culte de la patrie. Cependant, si le patriotisme défensif apparaît dans ce texte comme une caractéristique intemporelle du nationalisme scolaire républicain, alors qu’il ne s’exprime pas d’une manière aussi claire dans le texte de 1883, le traumatisme subi par la société française change la tonalité du discours de l’« instituteur national ». Le rejet de la guerre, que les élèves doivent désormais détester, contraste avec la conception de l’enseignement de l’histoire défendue par Lavisse dans la première édition du Dictionnaire pédagogique de Ferdinand Buisson.

Le désir de développer l’enseignement de la paix agite l’école pendant les années 1920. Alors que Lavisse est mort en 1922, dès 1926, l’éditeur remplace son message final de 1920, qui évoquait « la juste revanche » de la France, par un paragraphe intitulé « Le mouvement pacifiste et ses résultats ». Dans un article de la Revue pédagogique de mars 1925, Paul Lapie, directeur de l’enseignement primaire, tire les leçons du conflit. Pour lui, la guerre de 1914, additionnée à l’exemple de la révolution russe, débouche sur la guerre civile car, avec la Grande Guerre, s’est ouvert un temps où règne l’esprit de violence qui permet d’engendrer le conflit des peuples contre eux-mêmes. Le « corps des éducateurs » doit combattre cet effet de la guerre qui a habitué « les hommes à la violence, a rétabli le prestige des doctrines de violence », terme générique qu’il applique alors surtout au communisme soviétique. Il appelle donc de ses vœux une « ère sans violence » grâce à l’éducation, alors que le processus de « brutalisation » du champ politique, particulièrement en Allemagne, constitue un contexte favorable à un nouveau conflit mondial. Au début des années 1930, alors que la crise économique mondiale commence à exacerber les tensions sociales et politiques nationales et internationales, la tonalité de l’enseignement primaire est très pacifique.
 En se faisant le relais de l’idéal d’une paix basée sur la sécurité collective, tel que la Société des Nations (SDN) le définit, l’école primaire publique prend acte d’une certaine désacralisation de la patrie dans une société traumatisée par la Grande Guerre et qui peine à prendre la mesure des nouveaux périls. De la patrie, il n’est pas question explicitement dans les programmes de 1938. Le mot est absent. Quant à la France, si elle reste liée à l’enseignement de l’histoire au cours supérieur, elle en est évacuée de la classe de fin d’études. C’est la première fois qu’un programme d’histoire à l’école primaire n’est pas un programme d’histoire de France. En ce sens, les programmes de 1938 rompent avec l’esprit et la lettre de la loi de 1882 et du décret organique de 1887. La paix est une priorité affichée, qui vient clore l’année scolaire sous la forme de la présentation de la SDN. Cet idéal humaniste et pacifique est intégré dans les programmes, en l’absence de toute référence à la patrie, ce qui, là aussi, est une rupture par rapport aux instructions officielles de 1923. Mais, malgré tous les espoirs de paix universelle, l’école est rattrapée par l’histoire sur le chemin d’une paix qui se défait. »


(8) : « Le Clairon » :

« L'air est pur, la route est large
Le clairon sonne la charge
Les zouaves vont chantant
Et là-haut sur la colline
Dans la forêt qui domine
Le Prussien les attend
Le clairon est un vieux brave
Et lorsque la lutte est grave
C'est un rude compagnon
Il a vu maintes batailles
Et porte plus d'une entaille
Depuis les pieds jusqu'au front
C'est lui qui guide la fête
Jamais sa fière trompette
N'eut un accent plus vainqueur
Et de son souffle et de sa flamme
L'espérance vient à l'âme
Le courage monte au cœur
On grimpe on court on arrive
Et la fusillade est vive
Et les Prussiens sont adroits
Quand enfin le cri se jette:
"En marche ! A la baïonnette !"
Et l'on entre sous le bois.
A la première décharge
Le clairon sonnant la charge
Tombe frappé sans recours
Mais par un effort suprême
Menant le combat quand même
Le clairon sonne toujours
Et cependant le sang coule
Mais sa main qui le refoule
Suspend un instant la mort
Et de sa note affolée
Précipitant la mêlée
Le vieux clairon sonne encore.
Il est là, couché sur l'herbe
Dédaignant, blessé superbe,
Tout espoir et tout secours;
Et sur sa lèvre ensanglanté
Gardant sa trompette ardente
Il sonne, il sonne toujours.
Puis dans la forêt pressée
Voyant la charge lancée
Et les zouaves bondir
Alors le clairon s'arrête
Sa dernière tâche faite,
Il achève de mourir. »



P.P

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