En
marge des tableaux de lecture
L’apprentissage précoce de
la lecture : « Crime de lèse-enfance »
Après
la fondation de l’école maternelle en France (1881), une Inspectrice générale,
Pauline Kergomard, s’élevait contre le « dressage » des jeunes
enfants : « Si
tous les hommes possèdent cet appétit de connaître que satisfait pour une
grande part la lecture et qui est si vif chez les enfants, encore faut-il
devenir lecteur. » Elle
met en garde sur le fait de décevoir les apprentis lecteurs. Jusqu’alors, en ignorant
les possibilités intellectuelles et même physiques des enfants, on prétendait
les mettre à l’étude dès l’âge de trois ans…
Une des collaboratrices de
Pauline Kergomard, Mademoiselle Bres, est directrice d’école maternelle et
deviendra Inspectrice générale des écoles maternelles de 1894 à 1917. Dans une
conférence à l’Ecole Normale de Mâcon en 1906, elle affirmait ceci : « On ne doit commencer à enseigner la
lecture et l’écriture aux enfants qu’à partir de l’âge de cinq ans, c’est-à-dire
après leur avoir appris à parler. » Langage à susciter d’après des
objets, des images ; écriture à préparer par le dessin, dans lequel elle
ne disait point voir encore un moyen d’expression pour eux. Dans le cours du
temps, ces innovations en appelèrent bien d’autres, et même aujourd’hui, « on ne lit pas à l’école maternelle,
on apprend à communiquer ».
Au 19ième siècle,
l’apprentissage de la lecture s’effectuait selon une méthode syllabique qu’on a
dite « aussi ancienne que l’alphabet ». On partait de la lettre et du
son correspondant, pour assembler ces éléments en syllabes, les syllabes en
mots puis les mots en phrases. Ce processus de déchiffrage justifiait aussi l’expression
de méthode synthétique et reste, pour l’essentiel, utilisé jusqu’à maintenant.
Vers 1830, un sérieux
progrès devait lui être apporté. Selon la méthode d’épellation employée d’abord,
les lettres étaient désignées par leur son conventionnel de l’alphabet, puis l’apprenti
lecteur épelait ainsi dans chaque mot, ou plutôt dans chaque syllabe « de deux lettres, puis de trois, de
quatre, etc… », enfin il en venait à lire les mots. Or, avec une
méthode nouvelle d’appellation phonétique des consonnes : be, fe, me, etc…
celles-ci devenaient des sons distincts des voyelles, puis leur assemblage avec
ces dernières en syllabes et, de suite, en mots, même en phrase, était mieux
compris de l’enfant. Aussi cette méthode était appelée à l’emporter sur l’autre,
mais incomplètement vers 1850, car, encore en 1918, l’auteur d’un livret d’apprentissage
de la lecture crut opportun d’annoncer qu’on lisait sans épellation son
ouvrage.
Entre 1920 et 1950, cette
nouvelle adaptation de la méthode syllabique fut préconisée et utilisée à
Montceau-les-Mines, comme en témoignent les registres de conférences
pédagogiques. Ce fut le cas, par exemple, sous la forme de la mise au point
faite par Gustave Gabet et Georges Gillard. C’est ce que rappelle une
collection de 24 tableaux, dus à ces auteurs, dont on a exposé quelques-uns au
musée, tous devenus ternes et vénérables pour avoir beaucoup servi. Le tableau
noir devait, à la craie blanche ou de couleur, présenter avantageusement les
textes, voire les dessins d’accompagnement, et deux livrets facilitaient la
lecture individuelle.
A Montceau toujours, en
1932, sous la direction d’un maître, une classe de redoublants au cours
préparatoire, 40 à 50 fils d’étrangers pour la plupart, parvenaient à assembler
lettres et sons, lus à haute voix, afin d’aboutir aux mots, groupés à cause de
la phonétique. Pas toujours du langage familier, ces mots de sens si
différents, comment les rendre vivants et compréhensibles ? Par un recours
à une conversation renouvelée de l’instituteur avec tous les élèves qui
voulaient parler. Belle occasion d’appliquer ces méthodes de pédagogie active,
à vrai dire admirables, qu’on lui avait inculqué, à l’Ecole Normale d’Instituteurs
de Mâcon, vers les années 1925-1930, où elles étaient devenues en honneur.
Occasion aussi d’adresser à l’imagination des enfants un appel sans lequel il n’est
vraisemblablement pas de très bonne lecture. Le maître se rappelle qu’au bout
de six mois, tous ses élèves ou presque, étaient capables d’aborder la lecture
courante. Il reconnaît cependant qu’il avait dû, maintes fois, faire travailler
individuellement des retardataires, pour surmonter les sérieuses difficultés de
la méthode (souvenirs personnels d’un ancien maître, Montceau, témoignage de 1980).
Le mécanisme imputable à
celle-ci, l’un des auteurs, Gustave Gabet, avait tenté de l’éviter au mieux en
1938 dans sa Grammaire Française par l’image
qui pouvait alors paraître un modèle de clarté et d’efficacité pour
orthographier, rédiger… aux cours élémentaire, moyen et en classe de fin d’études
primaires.
Or, voici qu’en 1931, déjà,
la méthode syllabique de lecture avait été révolutionnée par la parution de trois
fascicules de René Jolly intitulés En
riant, la lecture sans larmes. L’auteur réussissait à intéresser l’élève
par des phrases très tôt lues, bientôt réunies dans des textes à sa portée, et
qui le faisaient vraiment rire, comme de nombreux dessins en noir, stylisés,
très imitables par lui…
En 1950, nouvelle rénovation
de la méthode syllabique par Mademoiselle Jughon, par l’édition toute en
couleurs de ses deux livrets intitulés Joyeux
départ. Beaucoup d’assemblage de lettres, bien mis en évidence au début et
des dessins suggestifs, comme des appels à l’imagination, plus de discrétion
peu à peu et un texte qui envahit
bientôt l’espace non illustré de la page. Ces livrets seront réédités
jusqu’en 1978, avec des dessins simplifiés aux vives couleurs. Entre temps,
plusieurs autres méthodes semblables étaient venues concurrencer Joyeux départ.
Vers 1930, sous forme de
méthode globale, un renouvellement radical de l’apprentissage de la lecture
avait été proposé au personnel enseignant
en Saône-et-Loire. Présenté à l’enfant, un texte lu à heute voix doit
prendre pour lui un sens vivant. Il est incité à retrouver des mots en des
phrases différentes, à en reconnaître des syllabes puis des lettres, à composer
des mots nouveaux. D’une démarche inverse de la précédente, cette méthode peut
être dite analytique. C’était ainsi qu’elle apparaissait dans les deux livrets
de Combier et Renaudin intitulés René et
Maria.
Peu de temps avant, à partir
de 1935, avec la méthode naturelle, Célestin Freinet avait donné à la méthode
globale une plus large expansion dans le climat de libre activité qui
caractérisait son Ecole Moderne. La voie tracée par Freinet perdura et revint
sur le devant de la scène dans les années 70 si l’on s’en rapporte à un « voyage »
fait parmi les manuels de lecture effectué dans Le Monde de l’Education de janvier 1979.
D’après l’article de ce
journal, la faveur du public scolaire semble aller vers des méthodes mixtes ou « semi-globale »
à partir de cette période : après un départ global, elles se retournent
plus ou moins vite, vers l’apprentissage systématique des lettres et des
syllabes, mais elles s’inspirent « des principes de la pédagogie active »…
C’est à celle-ci que se conforme le manuel en deux livrets de Joseph Juredieu
et Eugénie Mourlevat intitulé Rémi et
Colette, édité en 1965 et resté longtemps en vogue. Une édition rassembla
même les deux livrets en un livre.
Arrivé à la lecture courante,
le jeune apprenti lecteur, peut-être encore très hésitant, était-il incité à
persévérer ? Avant et après la Grande Guerre de 14-18, il l’était,
semble-t-il, par le livre de Giordano Bruno (pseudonyme de Mme Augustine Fouillé)
intitulé Le Tour de la France par deux
enfants, publié en 1877, lu et étudié par des générations d’enfants jusqu’aux
années 20.
Avant et après la Guerre de
39-45, Edouard Jauffret publia de beaux livres illustrés pour les élèves, de la
classe enfantine au cours moyen, souvenir de sa vie d’enfant ou de celle de son
tout jeune fils. Né dans le Var, il fut nommé inspecteur à Autun en 1934 avant de repartir en Corse. Après Au Pays Bleu et Petit Gilbert, l’un de ses ouvrages, La Maison des Flots Jolis, devait enthousiasmer les classes de
cours moyen de filles.
Pour clore ce chapitre, on
peut dire que toutes périodes confondues, un des objectifs des maîtres fut aussi
de pousser l’enfant à lire, à lire par lui-même, sans cesse, car seule la
rapidité de lire et de penser, qu’il acquiert ainsi, fait de sa lecture un
langage auquel il peut s’intéresser. Il en sera pareillement dans son futur d’adulte.
Source :
Cent
ans d’Ecole, production musée.
Bibliographie :
BRUNO G. : Le Tour de France par deux enfants, Paris
1877-1885
COMBIER et RENAUDIN : René et Maria, Paris,1946
GABET G. : Grammaire française par l’image, Paris,
1938
GEORGES Jean : Pour une pédagogie de l’imaginaire, Tournai,
1978
JAUFFRET Edouard : La Maison des flots jolis, Paris, 1961
JOLIBERT Josette et GLOTON
Robert : Le pouvoir de lire, Tournai,
1975
JOLLY René : En riant. La lecture sans larmes, Paris,
1931
JUGHON B. : Joyeux départ. Méthode de lecture, Paris,
1950-1978
JUREDIEU Joseph et MOURLEVAT
Eugénie : Rémi et Colette,Paris,
1965-1978
PROST Antoine : Histoire de l’enseignement en France ;1800-1967,
Paris, 1968
Au
Pays des Mineurs : Bulletin de liaison des maîtres d’I.M.P
et des classes de perfectionnement, n° 33 de 1970-71 : Techniques Freinet
et Decazeville
Bulletin de l’Instruction
primaire de Saône-et-Loire, année 1906
Le monde de l’Education,
Paris, janvier 1979
Souvenirs personnels de l’application
de la méthode de lecture syllabique GABET-GILLARD, Montceau-Bois-du-Verne, 1932,
collectage musée
Belle ; trés belle visite du passé,
RépondreSupprimerEt dire que l'illettrisme progresse en France ....grâce aux tablettes et autres smartphones. J'ai même, dans un autre domaine , vu le télephone portable utilisé à la place de l'ardoise en calcul mental!!!!!!!!!!!!!!!