mercredi 6 juin 2018

Les méthodes de lecture



En marge des tableaux de lecture


Mes Premiers Coloriages, ouvrage de Mademoiselle Brès, Inspectrice des écoles maternelles, vers 1890 (gallica-BnF)

L’apprentissage précoce de la lecture : « Crime de lèse-enfance »

Après la fondation de l’école maternelle en France (1881), une Inspectrice générale, Pauline Kergomard, s’élevait contre le « dressage » des jeunes enfants : « Si tous les hommes possèdent cet appétit de connaître que satisfait pour une grande part la lecture et qui est si vif chez les enfants, encore faut-il devenir lecteur. » Elle met en garde sur le fait de décevoir les apprentis lecteurs. Jusqu’alors, en ignorant les possibilités intellectuelles et même physiques des enfants, on prétendait les mettre à l’étude dès l’âge de trois ans…  



Une des collaboratrices de Pauline Kergomard, Mademoiselle Bres, est directrice d’école maternelle et deviendra Inspectrice générale des écoles maternelles de 1894 à 1917. Dans une conférence à l’Ecole Normale de Mâcon en 1906, elle affirmait ceci : « On ne doit commencer à enseigner la lecture et l’écriture aux enfants qu’à partir de l’âge de cinq ans, c’est-à-dire après leur avoir appris à parler. » Langage à susciter d’après des objets, des images ; écriture à préparer par le dessin, dans lequel elle ne disait point voir encore un moyen d’expression pour eux. Dans le cours du temps, ces innovations en appelèrent bien d’autres, et même aujourd’hui, « on ne lit pas à l’école maternelle, on apprend à communiquer ».


Méthode syllabique (collection musée)


Au 19ième siècle, l’apprentissage de la lecture s’effectuait selon une méthode syllabique qu’on a dite « aussi ancienne que l’alphabet ». On partait de la lettre et du son correspondant, pour assembler ces éléments en syllabes, les syllabes en mots puis les mots en phrases. Ce processus de déchiffrage justifiait aussi l’expression de méthode synthétique et reste, pour l’essentiel, utilisé jusqu’à maintenant.



Méthode Gabet-Gillard (collection musée)


Vers 1830, un sérieux progrès devait lui être apporté. Selon la méthode d’épellation employée d’abord, les lettres étaient désignées par leur son conventionnel de l’alphabet, puis l’apprenti lecteur épelait ainsi dans chaque mot, ou plutôt dans chaque syllabe « de deux lettres, puis de trois, de quatre, etc… », enfin il en venait à lire les mots. Or, avec une méthode nouvelle d’appellation phonétique des consonnes : be, fe, me, etc… celles-ci devenaient des sons distincts des voyelles, puis leur assemblage avec ces dernières en syllabes et, de suite, en mots, même en phrase, était mieux compris de l’enfant. Aussi cette méthode était appelée à l’emporter sur l’autre, mais incomplètement vers 1850, car, encore en 1918, l’auteur d’un livret d’apprentissage de la lecture crut opportun d’annoncer qu’on lisait sans épellation son ouvrage.




Nouvelle Méthode de Lecture, Gabet et Gillard, 1913-1946 (collection musée)


Entre 1920 et 1950, cette nouvelle adaptation de la méthode syllabique fut préconisée et utilisée à Montceau-les-Mines, comme en témoignent les registres de conférences pédagogiques. Ce fut le cas, par exemple, sous la forme de la mise au point faite par Gustave Gabet et Georges Gillard. C’est ce que rappelle une collection de 24 tableaux, dus à ces auteurs, dont on a exposé quelques-uns au musée, tous devenus ternes et vénérables pour avoir beaucoup servi. Le tableau noir devait, à la craie blanche ou de couleur, présenter avantageusement les textes, voire les dessins d’accompagnement, et deux livrets facilitaient la lecture individuelle.



Vocabulaire, Méthode d’orthographe, Gabet et Gillard, 1920-1930 (collection musée)


A Montceau toujours, en 1932, sous la direction d’un maître, une classe de redoublants au cours préparatoire, 40 à 50 fils d’étrangers pour la plupart, parvenaient à assembler lettres et sons, lus à haute voix, afin d’aboutir aux mots, groupés à cause de la phonétique. Pas toujours du langage familier, ces mots de sens si différents, comment les rendre vivants et compréhensibles ? Par un recours à une conversation renouvelée de l’instituteur avec tous les élèves qui voulaient parler. Belle occasion d’appliquer ces méthodes de pédagogie active, à vrai dire admirables, qu’on lui avait inculqué, à l’Ecole Normale d’Instituteurs de Mâcon, vers les années 1925-1930, où elles étaient devenues en honneur. Occasion aussi d’adresser à l’imagination des enfants un appel sans lequel il n’est vraisemblablement pas de très bonne lecture. Le maître se rappelle qu’au bout de six mois, tous ses élèves ou presque, étaient capables d’aborder la lecture courante. Il reconnaît cependant qu’il avait dû, maintes fois, faire travailler individuellement des retardataires, pour surmonter les sérieuses difficultés de la méthode (souvenirs personnels d’un ancien maître, Montceau, témoignage de 1980).    

Le mécanisme imputable à celle-ci, l’un des auteurs, Gustave Gabet, avait tenté de l’éviter au mieux en 1938 dans sa Grammaire Française par l’image qui pouvait alors paraître un modèle de clarté et d’efficacité pour orthographier, rédiger… aux cours élémentaire, moyen et en classe de fin d’études primaires.  



Grammaire Française par l’Image, Gustave Gabet, réédition 1948 (collection musée)


Or, voici qu’en 1931, déjà, la méthode syllabique de lecture avait été révolutionnée par la parution de trois fascicules de René Jolly intitulés En riant, la lecture sans larmes. L’auteur réussissait à intéresser l’élève par des phrases très tôt lues, bientôt réunies dans des textes à sa portée, et qui le faisaient vraiment rire, comme de nombreux dessins en noir, stylisés, très imitables par lui…



En riant, la lecture sans larmes, détail (collection musée)


3ième livret pour le cours préparatoire, édition 1933 (collection musée)


En 1950, nouvelle rénovation de la méthode syllabique par Mademoiselle Jughon, par l’édition toute en couleurs de ses deux livrets intitulés Joyeux départ. Beaucoup d’assemblage de lettres, bien mis en évidence au début et des dessins suggestifs, comme des appels à l’imagination, plus de discrétion peu à peu et un texte qui envahit  bientôt l’espace non illustré de la page. Ces livrets seront réédités jusqu’en 1978, avec des dessins simplifiés aux vives couleurs. Entre temps, plusieurs autres méthodes semblables étaient venues concurrencer Joyeux départ.



Joyeux Départ, méthode Jughon (collection musée)


Joyeux Départ, méthode Jughon (collection musée)


Vers 1930, sous forme de méthode globale, un renouvellement radical de l’apprentissage de la lecture avait été proposé au personnel enseignant  en Saône-et-Loire. Présenté à l’enfant, un texte lu à heute voix doit prendre pour lui un sens vivant. Il est incité à retrouver des mots en des phrases différentes, à en reconnaître des syllabes puis des lettres, à composer des mots nouveaux. D’une démarche inverse de la précédente, cette méthode peut être dite analytique. C’était ainsi qu’elle apparaissait dans les deux livrets de Combier et Renaudin intitulés René et Maria.



René et Maria, méthode directe de lecture (collection musée)


René et Maria, méthode directe de lecture, préface (collection musée)


Peu de temps avant, à partir de 1935, avec la méthode naturelle, Célestin Freinet avait donné à la méthode globale une plus large expansion dans le climat de libre activité qui caractérisait son Ecole Moderne. La voie tracée par Freinet perdura et revint sur le devant de la scène dans les années 70 si l’on s’en rapporte à un « voyage » fait parmi les manuels de lecture effectué dans Le Monde de l’Education de janvier 1979.



Méthode Freinet, édition 1947 (collection privée)


D’après l’article de ce journal, la faveur du public scolaire semble aller vers des méthodes mixtes ou « semi-globale » à partir de cette période : après un départ global, elles se retournent plus ou moins vite, vers l’apprentissage systématique des lettres et des syllabes, mais elles s’inspirent « des principes de la pédagogie active »… C’est à celle-ci que se conforme le manuel en deux livrets de Joseph Juredieu et Eugénie Mourlevat intitulé Rémi et Colette, édité en 1965 et resté longtemps en vogue. Une édition rassembla même les deux livrets en un livre.



Une des dernières éditions de Rémi et Colette (collection musée)


Rémi et Colette, recommandations (collection musée)


Arrivé à la lecture courante, le jeune apprenti lecteur, peut-être encore très hésitant, était-il incité à persévérer ? Avant et après la Grande Guerre de 14-18, il l’était, semble-t-il, par le livre de Giordano Bruno (pseudonyme de Mme Augustine Fouillé) intitulé Le Tour de la France par deux enfants, publié en 1877, lu et étudié par des générations d’enfants jusqu’aux années 20.

Avant et après la Guerre de 39-45, Edouard Jauffret publia de beaux livres illustrés pour les élèves, de la classe enfantine au cours moyen, souvenir de sa vie d’enfant ou de celle de son tout jeune fils. Né dans le Var, il fut nommé inspecteur à Autun  en 1934 avant de repartir en Corse. Après Au Pays Bleu et Petit Gilbert, l’un de ses ouvrages, La Maison des Flots Jolis, devait enthousiasmer les classes de cours moyen de filles.



La Maison des Flots Jolis, lecture suivie au cours moyen, illustrations de Raylambert (collection musée)


Au Pays Bleu, lecture, illustrations de Raylambert (collection musée)


Petit Gilbert, lecture, illustrations de Raylambert (collection musée)


Pour clore ce chapitre, on peut dire que toutes périodes confondues, un des objectifs des maîtres fut aussi de pousser l’enfant à lire, à lire par lui-même, sans cesse, car seule la rapidité de lire et de penser, qu’il acquiert ainsi, fait de sa lecture un langage auquel il peut s’intéresser. Il en sera pareillement dans son futur d’adulte.

Source :
Cent ans d’Ecole, production musée.
Bibliographie :
BRUNO G. : Le Tour de France par deux enfants, Paris 1877-1885
COMBIER et RENAUDIN : René et Maria, Paris,1946
GABET G. : Grammaire française par l’image, Paris, 1938
GEORGES Jean : Pour une pédagogie de l’imaginaire, Tournai, 1978
JAUFFRET Edouard : La Maison des flots jolis, Paris, 1961
JOLIBERT Josette et GLOTON Robert : Le pouvoir de lire, Tournai, 1975
JOLLY René : En riant. La lecture sans larmes, Paris, 1931
JUGHON B. : Joyeux départ. Méthode de lecture, Paris, 1950-1978
JUREDIEU Joseph et MOURLEVAT Eugénie : Rémi et Colette,Paris, 1965-1978
PROST Antoine : Histoire de l’enseignement en France ;1800-1967, Paris, 1968
Au Pays des Mineurs : Bulletin de liaison des maîtres d’I.M.P et des classes de perfectionnement, n° 33 de 1970-71 : Techniques Freinet et Decazeville
Bulletin de l’Instruction primaire de Saône-et-Loire, année 1906
Le monde de l’Education, Paris, janvier 1979
Souvenirs personnels de l’application de la méthode de lecture syllabique GABET-GILLARD, Montceau-Bois-du-Verne, 1932, collectage musée


Gravures, livre de lecture, 1850 (collection musée)


1 commentaire:

  1. Belle ; trés belle visite du passé,

    Et dire que l'illettrisme progresse en France ....grâce aux tablettes et autres smartphones. J'ai même, dans un autre domaine , vu le télephone portable utilisé à la place de l'ardoise en calcul mental!!!!!!!!!!!!!!!

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