lundi 26 novembre 2018

les bouliers


Bouliers compteurs
Bouliers numérateurs ?
L’énigme du boulier Montcellien



Boulier Pape-Carpantier (collection musée)

Qui pourra donner l’explication ?

Le boulier inventé par Marie Pape-Carpantier doit  comporter à sa partie supérieure, 2 tringles horizontales de 15 boules chacune. Le boulier que possède le musée comporte bien 2 tringles, la première en haut, de 14 boules, la seconde en bas de 12 boules…
Il y a deux hypothèses possibles :




Manuel original du boulier Pape-Carpantier (collection musée)

- Notre boulier serait antérieur à 1878, date d’une certaine normalisation dans ce type de matériel pédagogique ???
-  Notre boulier comprenait bien à l’origine 2 fois 15 boules, mais dans ses tribulations, quelques boules ont pu se dessécher, se fendre et tomber ??? On notera qu’il manque aussi 2 tringles coudées par rapport à la gravure originale (unités simples et centaines de millions). On en voit encore les points d’insertion… ces outrages du temps viendraient-ils alors corroborer cette deuxième hypothèse ?

Un très vieil outil d’apprentissage

Dès la fin du Moyen Age, on exerçait les enfants à « sommer avec les jets » (jetons). Montaigne dit quelque part « Je ne sais compter ni à jet ni à plume ». (1) Il paraît bien avéré pourtant que c’est de Russie que nous est venu, au début du XIXème siècle, le type du boulier-compteur – soit quelques tringles horizontales dans lesquelles sont enfilées des boules – mais il ne peut guère servir qu’à apprendre aux enfants la série des dix premiers nombres et surtout la numération décimale (système nouveau au XIXème siècle puisque œuvre de la Révolution française).

En France, madame Marie Pape-Carpantier (2) va inventer une construction ingénieuse qui réunit les avantages d’une disposition double :

« Les tiges du boulier-numérateur se recourbent à angle droit de manière à présenter une partie verticale et une partie horizontale ; Il n’y a bien entendu que 9 boules dans chaque tige, mais suivant qu’on veut figurer 1, 2, 3, 4 unités, on fait descendre dans la partie verticale 1, 2, 3, 4 boules en laissant les autres en réserve dans la partie supérieure. De plus, ces boules ne sont pas d’égale grosseur ; il a été impossible de leur donner la progression des volumes qu’exigerait le système décimal ; mais c’est déjà une très utile leçon  de voir que les unités sont plus petites que les dizaines, celles-ci plus petites que les centaines, etc. Avec cet appareil, on fait des exercices de calcul par la vue qui peuvent très bien embrasser les 4 règles. Le résultat le plus important est d’habituer l’enfant à bien comprendre le sens et la nécessité du zéro, indiqué par l’absence de boule dans la tringle représentant un certain ordre d’unités… »

D’autres bouliers furent imaginés, mais ce qui importait, c’était de déterminer en quel sens et dans quelle mesure leur emploi devait être approuvé. 


Extrait d’un manuel de calcul, vers 1890 (collection musée)



Il rencontra des adversaires sérieux dès le XIXème siècle :

« Le boulier corrompt l’enseignement de l’arithmétique. La principale utilité de cet enseignement est d’exercer de bonne heure, chez l’enfant, les facultés d’abstraction, de lui apprendre à VOIR de tête, par les yeux de l’esprit. Lui mettre les choses sous les yeux de la chair, c’est aller directement contre l’esprit de cet enseignement. La nature a donné aux enfants dix doigts pour boulier ; au lieu de leur en donner un second, il faut leur apprendre à se passer du premier. » (M. Rambert, professeur à l’école polytechnique de Zurich)



Boulier compteur, vers 1900 (collection particulière)



Il eut aussi ses défenseurs :

« En montrant à l’enfant, en lui faisant voir les résultats d’une addition, d’une soustraction, d’une multiplication, d’une division, le boulier diminue les efforts et la fatigue des enfants ; mais par le témoignage de ses yeux, il grave profondément dans son esprit et dans sa mémoire tous ces résultats qu’il lui importe de conserver. Le boulier prépare, initie au calcul mental : nous n’avons jamais pensé qu’il pût le remplacer ».(Journal des Instituteurs, 1877, 1er semestre)

« On veut que l’enfant s’accoutume à voir de tête, c’est très bien ; mais encore faut-il qu'il ait appris d’abord à voir avec ses yeux. Avant l’abstrait, le concret, avant la formule, l’image, avant l’idée pure, l’idée sensible : c’est la loi générale de la saine pédagogie. » (Dictionnaire de Pédagogie de Ferdinand Buisson (3), 1882, p. 271)



Bouliers à l’école maternelle, vers 1950 (collection musée)




Le boulier tomba très progressivement en désuétude dans le premier quart du XXème siècle, remplacé dans les manipulations arithmétiques par les bûchettes (d’abord manufacturées par les pères et les grands-pères, puis industrialisées) ou par les marrons et, après la deuxième guerre mondiale et l’introduction de la « mathématique nouvelle », par les blocs logiques.



Bûchettes « artisanales », (collection musée)


(1) :
Dictionnaire Universel du Commerce, 1761 (books.google.fr)



Dictionnaire Universel du Commerce, 1761, détail (books.google.fr)




(3) : Ferdinand Buisson (1841-1932), Inspecteur général puis Directeur de l’enseignement primaire en 1879, fut le principal collaborateur de Jules Ferry dans l’élaboration des lois qui fondèrent l’enseignement primaire public. Son influence contribua grandement à fixer l’esprit de cet enseignement. Le Dictionnaire de Pédagogie (1882-1889 et 1911)dont il dirigea la publication précisait ses vues sur les méthodes à appliquer.


Ferdinand Buisson (museeprotestant.org)


P.P

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