« Les derniers poilus
du Bassin minier »
Interviews effectuées par les élèves de
Mme Gillot
Directrice de l'école de Sanvignes en 1977
(Textes
intégraux)
Témoignage de Georges Coquelu, 1977
« Au Bois d’Ailly, on marchait dans le sang… »
« Georges Coquelu est né le 7 octobre 1885
à Digoin. Il fut maître imprimeur à Montceau-les-Mines et réside au-dessus de
ses ateliers, rue Carnot. Âgé de 93 ans en 1977, il a conservé une lucidité
objective, intacte et lorsqu’on lui parle de 14-18, la flamme du souvenir
brille avec intensité dans ses yeux, derrière ses lunettes. »
« Il avait
« fait » son régiment, comme on disait à l’époque, en 1904, au 1er
Régiment de Chasseurs à pieds de Troyes. Au lendemain de la déclaration de
guerre, le 4 août 1914, il est appelé au 31ème Régiment de Chasseurs.
Il ne quittera pas le secteur de Lorraine et d’Alsace. Il participe alors à la
grande épreuve de Verdun et du Fort de Vaux : « Nous étions alors 800, nous
ne sommes restés que 150 et il a fallu dissoudre le bataillon. J’étais alors
brancardier et j’allais ramasser les morts et
les blessés dans les tranchées, entre les lignes. Au Bois d’Ailly, nous
marchions dans le sang et ceux que nous transportions étaient, pour la plupart,
affreusement mutilés : des visages à moitié arrachés, des bras enlevés,
des troncs sans jambes, des ventres d’où pendaient les entrailles. Nous étions
comme des bêtes, absolument insensibles. Nous chargions les corps sans entendre
leurs cris et leurs gémissements, nous les transportions à la casemate de l’infirmerie
puis nous repartions chercher un autre chargement, tout cela sous les balles et
au milieu des obus. »
Georges
Coquelu fut fait prisonnier en 1916 et envoyé à Langensalza en Allemagne pour
faire une route desservant une usine qui fabriquait les avions Gotha. Il fut libéré
en 1918. »
Témoignage
de Gilbert Pariat, 1977
« À
Verdun, j’ai souffert de la soif, j’avais donné ce qui me restait d’eau à un
camarade blessé… »
« Gilbert
Pariat, trois fois blessé et une fois torpillé, est né le 10 mars 1895 à Montceau-les-Mines où
il habitait rue de l’est en 1914. Il était plombier. Il fut incorporé au 29ème
Régiment d’Infanterie le 19 décembre 1914 : « Aux Eparges, il y avait un
site connu sous le nom de Point X. J’y fus envoyé comme observateur avec un
camarade. Au sommet des Eparges, nous
avions toute la plaine devant nous, que nous pouvions apercevoir en sortant la
tête du trou de mine dans lequel nous étions postés. A côté de nous était
tendue une couverture verticalement. Lorsque nous l’avons écartée, nous avons
découvert deux cadavres à demi ensevelis debout, avec leurs armes. Malgré
l’horreur de ce spectacle, nous ne pouvions nous empêcher de soulever cette
couverture. »
Au
début de juillet 1916, le 29ème R.I arrive à Verdun et prend
position entre Vaux et Souville : « A Verdun, j’ai souffert de la soif,
j’avais donné ce qui me restait d’eau à un camarade blessé qui était ramené
vers l’arrière. En pleine nuit, n’y tenant plus, je suis parti à la recherche d’un
point d’eau. J’ai rencontré un camarade de mon régiment qui était allé au
ravitaillement et qui revenait chargé de bidons remplis d’eau. Avec lui
arrivait la relève. Plus tard, J’ai eu une permission pour aller voir ma
famille à Alger. Au retour, j’étais sur « La Ville de Tunis » qui
assurait la ligne entre Alger et la France. Au matin, nous avons vu des canots
de sauvetage sur lesquels avait pris place l’équipage d’un navire grec torpillé
par un sous-marin autrichien. A la hauteur des îles Baléares, le sous-marin fit
surface mais l’équipage de « La Ville de Tunis » établit un écran de
fumée derrière lequel notre navire se mit louvoyer. Une torpille passa juste à
côté de la coque tandis que l’artillerie du pont ripostait et le navire réussit
finalement à rentrer à bon port. L’équipage fut cité pour sa bravoure. Le 11
novembre 1918, j’étais à Versailles, de faction pendant la durée des traités.
Ce furent les Allemands qui, les premiers, apparurent sur le perron. Je me
souviens très bien de leurs visages : ils étaient livides. Arrivèrent
ensuite Clémenceau, Wilson et Lloid Georges. Tout le monde se pressait autour
d’eux. Je fus littéralement porté malgré moi sur le marchepied de la voiture où
ils se trouvaient. Par la vitre, je pouvais les voir, ils souriaient et se
congratulaient. »
Gilbert
Pariat sera démobilisé le 16 septembre 1919 et décoré de la Médaille
Interalliée en 1922. Le 3 septembre 1939, il fut rappelé au 313ème
Dépôt d’Artillerie avant d’être versé dans la 8ème Compagnie
d’ouvriers de Renforcement comme ajusteur-monteur à l’usine Munzig de Montceau. »
Témoignage
de Théophile Gaudiau, 1977
« Partout
ce fut le même spectacle horrible, la même tuerie, la même boucherie… »
« Domicilié
au 28 rue Jean-Jacques Rousseau, Théophile Gaudiau, âgé de 87 ans, est né le 8
juin 1891 à Sanvignes et était cadre administratif aux Houillères de Blanzy. Il
effectue son service militaire au 8ème Régiment d’Artillerie d’où il
sort Maréchal des Logis. Il a fait toute la guerre, mobilisé dès le premier
jour et rentrant dans ses foyers qu’après l’Armistice. Il est incorporé le 2
août 1914 et connaîtra au gré des promotions les 7ème, 3ème,
73ème, et 71ème Régiments d’Artillerie. Il fut démobilisé
le 26 juillet 1919 au grade de Lieutenant. Il a débuté comme sous-officier dans
les crapouillots, ces petits mortiers de tranchées qui furent utilisés pendant
toute la première guerre mondiale : « Le souvenir qui m’a le plus frappé,
c’est celui du Bois du Prêtre à la Croix des Carmes. C’est un secteur qui a été
particulièrement pilonné et ravagé par des bombardements incessants. Les obus
vous sifflaient au-dessus de la tête et explosaient tout autour de vous jetant
au ciel des gerbes de terre et parfois des corps. Entre chaque explosion, on
pouvait entendre les cris de souffrance des blessés et les râles des morts. La
Somme, le Chemin des Dames, Verdun… partout ce fut le même spectacle horrible,
la même tuerie, la même boucherie… J’ai été blessé un jour par
l’éclatement proche d’une torpille qui m’a projeté en l’air comme un fétu de
paille. »
Théophile
Gaudiau a été décoré de la croix de Guerre et élevé au grade de Chevalier de la
Légion d’Honneur en 1932. Il fut rappelé du 2 septembre 1939 au 7 décembre
1940. »
Témoignage
de M. Mangematin, 1977
« A
la lisière de la forêt de Compiègne, nous avons été relevés par la Division
Marocaine … »
« Georges
Mangematin était de la classe 17 (né le 3 octobre 1897 à Tavernay, 71). Il fut
mobilisé le 12 mars 1916 et incorporé au 112ème Régiment
d’Infanterie après être passé au 79ème. Avec ses compagnons de la
« 17 », il reçoit le baptême du feu le 4 août 1916. La mémoire de M.
Mangematin n’a rien oublié des événements qu’il a vécus à cette époque.
Pourtant, 60 ans après, deux épisodes sont restés suffisamment pour que leur
récit ressuscite l’émotion de celui qui les vécut. Le premier eut pour cadre
les carrières d’Andigny dans l’Oise : « Il y eut des combats pénibles à
Ressons-sur-Matz et nous avons eu plusieurs pertes. Nous avons tenu quatre
jours, du 8 au 13 juin 1918 au matin. Nous avons battu en retraite à trois
heures de l’après-midi juste à la lisière de la forêt de Compiègne. Là, nous avons
été relevés par la division marocaine. »
Dans
le second épisode, les rôles sont inversés : « Blessé le 11 août 1917
dans la Somme au lieu-dit le « Bois en Z », la remontée en ligne
s’effectue vers Saint-Quentin. Nous sommes arrivés dans le village de Menevret
par surprise. L’ennemi n’eut pas le temps de réagir et c’est sans un coup de
feu que nous avons fait 650 prisonniers alors que nous n’étions que 90 dans la
compagnie. Le 112ème RI apprit la nouvelle de l’Armistice devant la
ville de Guise, dans l’Aisne. Jusqu’à midi, ce jour-là, les canons résonnèrent.
A midi, tout était fini. »
Le 17
novembre 1939, Georges Mangematin sera affecté spécial par le Général
commandant la 8ème Région, comme mécanicien de locomotives aux Mines
de Blanzy à Montceau-les-Mines. Il habitant alors rue de Tournus. »
Témoignage
de Claude Loreaud, 1977
« Le
11 novembre est une date sacrée à l’occasion de laquelle toute la famille se réunit … »
« Claude
Loreaud naquit le 20 octobre 1894 à Montceau où il fut tourneur sur métaux. Il
fut incorporé au 31ème Bataillon de Chasseurs à pied le 4 septembre
1914 et eut un parcours mouvementé : en 1915, il passe au 3ème
Bataillon de Chasseurs, le 3 juillet 1916, il est affecté spécial au Dépôt des
Métallurgistes de Paris, puis aux Etablissements Niclausse, il passe au 1er
Régiment de Zouaves en 1917, au 8ème Régiment d’Infanterie en 1918
pour finir au 2ème Groupe d’Aviation le 23 février 1918 où est
stationnée une escadrille de « Bréguet ».
C’est
en Belgique qu’il reçut son « baptême du feu », il rejoint ensuite le
front de l’Artois et il est blessé deux fois à Notre-Dame-de-Lorette : « On
était jeune. Je n’avais pas 20 ans quand je suis parti. Comme beaucoup, j’étais
persuadé que la guerre serait vite terminée et j’étais heureux de participer à
cette aventure. Ce n’est qu’au front que j’ai vraiment réalisé la situation. Au
31ème Bataillon de Chasseurs à pied, ce fut très dur. On nous
demandait d’aller là où d’autres n’avaient pas pu tenir. Bien sûr, je serais
heureux de recevoir la Légion d’Honneur, mais tout cela, c’est de l’histoire
ancienne, d’ailleurs, je n’en parle jamais. Quand nous sommes en famille, jamais
il n’est question de la guerre. Le 11 novembre est une date sacrée à
l’occasion de laquelle toute la famille se réunit.»
Le
11 novembre 1918, Claude Loreaud arrivait en permission à Montceau. Ce jour-là,
on dansait dans les rues… »
Témoignage
de M. Gouffet, 1977
« Et
bien cette fois ça y est, le Jean y a eu droit … »
« Jean
Gouffet est né le 7 mai 1894 à Montceau.
Employé de commerce rue Carnot, il est mobilisé au 170ème Régiment
d’Infanterie le 5 septembre 1914 et finira au Régiment de Marche de la
Légion Etrangère le 12 août 1918.: « En décembre 1914, on nous muta pour
constituer le 174ème Régiment Français qui fut en permanence une
Division d’attaque. Les coups durs et les offensives vont se succéder. En 1915,
c’est le Bois de Mesnil où il y a plus de trous d’obus que d’arbres, puis
Douaumont et Verdun où il n’y avait qu’une seule ligne et où on ne pouvait ni
avancer ni reculer, il fallait tenir, tenir encore et se battre. Pour ça, on
avait son fusil, ses grenades et dans la tranchée une mitrailleuse pointée vers
la gauche et une autre vers la droite. Un jour où la section avait pris une
tranchée allemande et que les 105 à gaz explosaient un peu partout, je suis
remonté de la sape pour camoufler la mitrailleuse. Un obus a coupé le trépied
de l’arme dans une explosion terrible, les camarades en bas ont dit :
« Et bien cette fois ça y est, le Jean y a eu droit », erreur !
Un simple petit éclat à l’avant-bras gauche. Un jour, sur les 21 de la section,
j’ai été des quatre qui sont redescendus du combat. J’ai vu mourir quatre des
capitaines de ma Compagnie et des centaines de soldats. Ce fut dur aussi bien
dans les combats que dans les conditions de vie, l’eau et la boue dans les
tranchées, les nuits sans sommeil, la faim, les rats et puis l’hiver, le froid.
Près de Nancy, pour pouvoir couper le pain et le manger, il fallait le faire
dégeler sur la roulante. »
Jean
Gouffet regagnera Montceau, où il habitera à la Sablière, le 9 septembre 1919.
Il fut rappelé le 25 mars 1940 au Dépôt d’Infanterie N° 82, il sera démobilisé
13 septembre 1940 et se retirera aux Rompois à Blanzy. Il fut un de ces poilus
de 14 qui tinrent un journal de guerre. Il nota tout, jour après jour et le
conserva précieusement, à ses dires… Sans jamais l’ouvrir, ni le consulter… »
Témoignage
de M. Harry, 1977
« Verdun,
c’était dur, très dur… c’était la tuerie pour un morceau de terrain… »
« Hector
Harry est né en 1892 à Auberchicourt dans le Nord, il a 86 ans. Il est retraité
des Houillères, actuellement domicilié rue Jean Jaurès, dans le quartier des
Georgets à Snvignes. M. Harry, vieille figure montcellienne, un des piliers de
la fanfare « Les amis Réunis » pendant 50 ans, n’a plus de dynamisme,
cette faconde que l’on appréciait en société… cette joie de vivre qui l’animait,
l’homme ayant vu la mort le frôler tant de fois… c’est la faute des
rhumatismes, de l’arthrose qui le font souffrir. Cependant, il a oublié ses
petites misères pour parler de cette guerre, de cette tourmente ayant laissé
des traces que les années ne peuvent effacer. Il faut l’avoir vécu pour y
croire, dit-il : « J’étais de la classe 12, j’ai donc
été appelé au service militaire au début de 1913, au 164ème Régiment
d’Infanterie à Verdun, un régiment de forteresse J’ai fait mes classes à la
caserne Marceau, près du Bois des Essarts, pas très loin du fort de Souville...
J’étais donc là, disponible, dès la déclaration de la guerre... »
Et
le soldat Harry de l’active, a été l’un des premiers à voir la ligne bleue des
Vosges et à participer aux premiers engagements, à participer à la bataille de
la Marne qui stoppa l’armée allemande lancée sur Paris. En 1915, le « Ch’timi »
qui savait monter sur un vélo, était affecté à une section cycliste et dans les
multiples sorties qu’il a effectuées pour des reconnaissances, il n’a pas oublié
un accrochage victorieux : « Nous roulions en direction de
Baroncourt (dans les environs de Briet) lorsque nous avons repéré un escadron
de Ulhans, démontés, qui avaient sans doute fait halte pour cantonner… sans
alerter ces messieurs, on a pris position et, soutenus par des dragons, on a
attaqué. Surpris, les allemands se sont tout de même défendus mais ils ont dû
se replier dare dare en laissant 40 morts sur le terrain dont le chef de
détachement. Nous étions assez fiers de notre exploit, d’autant plus que, de
notre côté, il n’y avait que deux ou trois blessés légers. »
Le
soldat Harry qui était aussi passé par la Somme, sans anicroches, s’était
retrouvé, début 1916, en sa caserne de Verdun avec un certain plaisir : « Oh !
C’était pas la joie, mais le secteur était assez calme car nous étions protégés
par les forts de Douaumont, Vaux, Tavanne, Souville, Moulainville… jusqu’au 21
février ! Nous avons subi, dès le petit jour, un bombardement formidable
avec du gros calibre. Quatre copains ont été tués près de moi et ce fut le
début d’une sacrée bagarre. »
Et
de citer des noms : le Mort Homme, la Cote 304, Davoncourt, les Eparges où
les hommes enfonçaient jusqu’au ventre dans la boue sous un déluge d’obus, le
Bois des Caures où son régiment tenait une position au côté des chasseurs du
colonel Driant, Fleurie, les forts de Douaumont, de Vaux, pris et repris :
« C’était
dur, très dur… c’était la tuerie pour un morceau de terrain, des tas de pierres
(tout ce qui restait d’un hameau ou d’un village… C’était un véritable enfer et
je me demande encore comment j’en suis sorti. Nous avons souvent souffert de faim,
de soif car les gars chargés du ravitaillement, écrasés sous les obus, ne
pouvaient parvenir aux premières lignes. On avait faim, soif, mais il fallait
tenir »
Le
soldat Harry, comme son régiment a tenu, a eu l’honneur de recevoir, sur le
front des troupes, la première Croix de Guerre attribuée à titre collectif à
ceux du 164ème R.I. Avec ses copains Ricou, Chopey et Fieret : « Tout
le monde faisait son boulot, tous pour un, un pour tous, on se serrait les
coudes. »
Et
cela dura 300 jours et 300 nuits exactement, avant que Verdun puisse être dégagé.
Hector Harry traversa ce déluge de fer et de feu et c’est finalement pour cause
d’un « coup de froid » qu’il fut évacué sur l’hôpital de Laval
courant 1918. C’est ainsi que, peu avant l’Armistice, cet ancien ouvrier du
Nord fut « soldat affecté » aux mines de Blanzy, puis à Montceau où
il arrivera en 1919 pour ne plus en repartir. Le soldat Harry n’oubliera jamais
sa guerre, qu’il croyait la dernière. Il lui reste des souvenirs pantelants,
cette colline labourée, ravagée par les obus, ces centaines de morts français et allemands jonchant la tranchée,
ces abris écrasés sous les bombes où des dizaines de copains furent enterrés
vivants. Il lui reste aussi ce diplôme tout simple que le secrétariat d’Etat aux
Anciens Combattants lui a adressé en 1976, à l’occasion du 60ème
anniversaire de la bataille de Verdun. C’est peu mais il y tient. »
MERCI de nous transmettre ces témoignages.
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