mercredi 7 novembre 2018

Les derniers poilus





« Les derniers poilus du Bassin minier »
Interviews effectuées par les élèves de Mme Gillot 
Directrice de l'école de Sanvignes en 1977 
(Textes intégraux)

Témoignage de Georges Coquelu, 1977
« Au Bois d’Ailly, on marchait dans le sang… »



« Georges Coquelu est né le 7 octobre 1885 à Digoin. Il fut maître imprimeur à Montceau-les-Mines et réside au-dessus de ses ateliers, rue Carnot. Âgé de 93 ans en 1977, il a conservé une lucidité objective, intacte et lorsqu’on lui parle de 14-18, la flamme du souvenir brille avec intensité dans ses yeux, derrière ses lunettes. »





« Il avait « fait » son régiment, comme on disait à l’époque, en 1904, au 1er Régiment de Chasseurs à pieds de Troyes. Au lendemain de la déclaration de guerre, le 4 août 1914, il est appelé au 31ème Régiment de Chasseurs. Il ne quittera pas le secteur de Lorraine et d’Alsace. Il participe alors à la grande épreuve de Verdun et du Fort de Vaux : «  Nous étions alors 800, nous ne sommes restés que 150 et il a fallu dissoudre le bataillon. J’étais alors brancardier et j’allais ramasser les morts et  les blessés dans les tranchées, entre les lignes. Au Bois d’Ailly, nous marchions dans le sang et ceux que nous transportions étaient, pour la plupart, affreusement mutilés : des visages à moitié arrachés, des bras enlevés, des troncs sans jambes, des ventres d’où pendaient les entrailles. Nous étions comme des bêtes, absolument insensibles. Nous chargions les corps sans entendre leurs cris et leurs gémissements, nous les transportions à la casemate de l’infirmerie puis nous repartions chercher un autre chargement, tout cela sous les balles et au milieu des obus. »

Georges Coquelu fut fait prisonnier en 1916 et envoyé à Langensalza en Allemagne pour faire une route desservant une usine qui fabriquait les avions Gotha. Il fut libéré en 1918. »


Témoignage de Gilbert Pariat, 1977
« À Verdun, j’ai souffert de la soif, j’avais donné ce qui me restait d’eau à un camarade blessé… »


« Gilbert Pariat, trois fois blessé et une fois torpillé,  est né le 10 mars 1895 à Montceau-les-Mines où il habitait rue de l’est en 1914. Il était plombier. Il fut incorporé au 29ème Régiment d’Infanterie le 19 décembre 1914 : « Aux Eparges, il y avait un site connu sous le nom de Point X. J’y fus envoyé comme observateur avec un camarade.  Au sommet des Eparges, nous avions toute la plaine devant nous, que nous pouvions apercevoir en sortant la tête du trou de mine dans lequel nous étions postés. A côté de nous était tendue une couverture verticalement. Lorsque nous l’avons écartée, nous avons découvert deux cadavres à demi ensevelis debout, avec leurs armes. Malgré l’horreur de ce spectacle, nous ne pouvions nous empêcher de soulever cette couverture. »

Au début de juillet 1916, le 29ème R.I arrive à Verdun et prend position entre Vaux et Souville : «  A Verdun, j’ai souffert de la soif, j’avais donné ce qui me restait d’eau à un camarade blessé qui était ramené vers l’arrière. En pleine nuit, n’y tenant plus, je suis parti à la recherche d’un point d’eau. J’ai rencontré un camarade de mon régiment qui était allé au ravitaillement et qui revenait chargé de bidons remplis d’eau. Avec lui arrivait la relève.  Plus tard, J’ai eu une permission pour aller voir ma famille à Alger. Au retour, j’étais sur « La Ville de Tunis » qui assurait la ligne entre Alger et la France. Au matin, nous avons vu des canots de sauvetage sur lesquels avait pris place l’équipage d’un navire grec torpillé par un sous-marin autrichien. A la hauteur des îles Baléares, le sous-marin fit surface mais l’équipage de « La Ville de Tunis » établit un écran de fumée derrière lequel notre navire se mit louvoyer. Une torpille passa juste à côté de la coque tandis que l’artillerie du pont ripostait et le navire réussit finalement à rentrer à bon port. L’équipage fut cité pour sa bravoure. Le 11 novembre 1918, j’étais à Versailles, de faction pendant la durée des traités. Ce furent les Allemands qui, les premiers, apparurent sur le perron. Je me souviens très bien de leurs visages : ils étaient livides. Arrivèrent ensuite Clémenceau, Wilson et Lloid Georges. Tout le monde se pressait autour d’eux. Je fus littéralement porté malgré moi sur le marchepied de la voiture où ils se trouvaient. Par la vitre, je pouvais les voir, ils souriaient et se congratulaient. » 
  
Gilbert Pariat sera démobilisé le 16 septembre 1919 et décoré de la Médaille Interalliée en 1922. Le 3 septembre 1939, il fut rappelé au 313ème Dépôt d’Artillerie avant d’être versé dans la 8ème Compagnie d’ouvriers de Renforcement comme ajusteur-monteur à l’usine Munzig de Montceau. »




Témoignage de Théophile Gaudiau, 1977
« Partout ce fut le même spectacle horrible, la même tuerie, la même boucherie… »


« Domicilié au 28 rue Jean-Jacques Rousseau, Théophile Gaudiau, âgé de 87 ans, est né le 8 juin 1891 à Sanvignes et était cadre administratif aux Houillères de Blanzy. Il effectue son service militaire au 8ème Régiment d’Artillerie d’où il sort Maréchal des Logis. Il a fait toute la guerre, mobilisé dès le premier jour et rentrant dans ses foyers qu’après l’Armistice. Il est incorporé le 2 août 1914 et connaîtra au gré des promotions les 7ème, 3ème, 73ème, et 71ème Régiments d’Artillerie. Il fut démobilisé le 26 juillet 1919 au grade de Lieutenant. Il a débuté comme sous-officier dans les crapouillots, ces petits mortiers de tranchées qui furent utilisés pendant toute la première guerre mondiale : « Le souvenir qui m’a le plus frappé, c’est celui du Bois du Prêtre à la Croix des Carmes. C’est un secteur qui a été particulièrement pilonné et ravagé par des bombardements incessants. Les obus vous sifflaient au-dessus de la tête et explosaient tout autour de vous jetant au ciel des gerbes de terre et parfois des corps. Entre chaque explosion, on pouvait entendre les cris de souffrance des blessés et les râles des morts. La Somme, le Chemin des Dames, Verdun… partout ce fut le même spectacle horrible, la même tuerie, la même boucherie… J’ai été blessé un jour par l’éclatement proche d’une torpille qui m’a projeté en l’air comme un fétu de paille. »

Théophile Gaudiau a été décoré de la croix de Guerre et élevé au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur en 1932. Il fut rappelé du 2 septembre 1939 au 7 décembre 1940. »




Témoignage de M. Mangematin, 1977
« A la lisière de la forêt de Compiègne, nous avons été relevés par la Division Marocaine  … »

  

« Georges Mangematin était de la classe 17 (né le 3 octobre 1897 à Tavernay, 71). Il fut mobilisé le 12 mars 1916 et incorporé au 112ème Régiment d’Infanterie après être passé au 79ème. Avec ses compagnons de la « 17 », il reçoit le baptême du feu le 4 août 1916. La mémoire de M. Mangematin n’a rien oublié des événements qu’il a vécus à cette époque. Pourtant, 60 ans après, deux épisodes sont restés suffisamment pour que leur récit ressuscite l’émotion de celui qui les vécut. Le premier eut pour cadre les carrières d’Andigny dans l’Oise : « Il y eut des combats pénibles à Ressons-sur-Matz et nous avons eu plusieurs pertes. Nous avons tenu quatre jours, du 8 au 13 juin 1918 au matin. Nous avons battu en retraite à trois heures de l’après-midi juste à la lisière de la forêt de Compiègne. Là, nous avons été relevés par la division marocaine. »

Dans le second épisode, les rôles sont inversés : « Blessé le 11 août 1917 dans la Somme au lieu-dit le « Bois en Z », la remontée en ligne s’effectue vers Saint-Quentin. Nous sommes arrivés dans le village de Menevret par surprise. L’ennemi n’eut pas le temps de réagir et c’est sans un coup de feu que nous avons fait 650 prisonniers alors que nous n’étions que 90 dans la compagnie. Le 112ème RI apprit la nouvelle de l’Armistice devant la ville de Guise, dans l’Aisne. Jusqu’à midi, ce jour-là, les canons résonnèrent. A midi, tout était fini. »

Le 17 novembre 1939, Georges Mangematin sera affecté spécial par le Général commandant la 8ème Région, comme mécanicien de locomotives aux Mines de Blanzy à Montceau-les-Mines. Il habitant alors rue de Tournus. »





Témoignage de Claude Loreaud, 1977
« Le 11 novembre est une date sacrée à l’occasion de laquelle toute la famille se réunit  … »



« Claude Loreaud naquit le 20 octobre 1894 à Montceau où il fut tourneur sur métaux. Il fut incorporé au 31ème Bataillon de Chasseurs à pied le 4 septembre 1914 et eut un parcours mouvementé : en 1915, il passe au 3ème Bataillon de Chasseurs, le 3 juillet 1916, il est affecté spécial au Dépôt des Métallurgistes de Paris, puis aux Etablissements Niclausse, il passe au 1er Régiment de Zouaves en 1917, au 8ème Régiment d’Infanterie en 1918 pour finir au 2ème Groupe d’Aviation le 23 février 1918 où est stationnée une escadrille de « Bréguet ».

C’est en Belgique qu’il reçut son « baptême du feu », il rejoint ensuite le front de l’Artois et il est blessé deux fois à Notre-Dame-de-Lorette : « On était jeune. Je n’avais pas 20 ans quand je suis parti. Comme beaucoup, j’étais persuadé que la guerre serait vite terminée et j’étais heureux de participer à cette aventure. Ce n’est qu’au front que j’ai vraiment réalisé la situation. Au 31ème Bataillon de Chasseurs à pied, ce fut très dur. On nous demandait d’aller là où d’autres n’avaient pas pu tenir. Bien sûr, je serais heureux de recevoir la Légion d’Honneur, mais tout cela, c’est de l’histoire ancienne, d’ailleurs, je n’en parle jamais. Quand nous sommes en famille, jamais il n’est question de la guerre. Le 11 novembre est une date sacrée à l’occasion de laquelle toute la famille se réunit.»

Le 11 novembre 1918, Claude Loreaud arrivait en permission à Montceau. Ce jour-là, on dansait dans les rues… »





Témoignage de M. Gouffet, 1977
« Et bien cette fois ça y est, le Jean y a eu droit … »


« Jean Gouffet  est né le 7 mai 1894 à Montceau. Employé de commerce rue Carnot, il est mobilisé au 170ème Régiment d’Infanterie le 5 septembre 1914 et finira au Régiment de Marche de la Légion Etrangère le 12 août 1918.: « En décembre 1914, on nous muta pour constituer le 174ème Régiment Français qui fut en permanence une Division d’attaque. Les coups durs et les offensives vont se succéder. En 1915, c’est le Bois de Mesnil où il y a plus de trous d’obus que d’arbres, puis Douaumont et Verdun où il n’y avait qu’une seule ligne et où on ne pouvait ni avancer ni reculer, il fallait tenir, tenir encore et se battre. Pour ça, on avait son fusil, ses grenades et dans la tranchée une mitrailleuse pointée vers la gauche et une autre vers la droite. Un jour où la section avait pris une tranchée allemande et que les 105 à gaz explosaient un peu partout, je suis remonté de la sape pour camoufler la mitrailleuse. Un obus a coupé le trépied de l’arme dans une explosion terrible, les camarades en bas ont dit : « Et bien cette fois ça y est, le Jean y a eu droit », erreur ! Un simple petit éclat à l’avant-bras gauche. Un jour, sur les 21 de la section, j’ai été des quatre qui sont redescendus du combat. J’ai vu mourir quatre des capitaines de ma Compagnie et des centaines de soldats. Ce fut dur aussi bien dans les combats que dans les conditions de vie, l’eau et la boue dans les tranchées, les nuits sans sommeil, la faim, les rats et puis l’hiver, le froid. Près de Nancy, pour pouvoir couper le pain et le manger, il fallait le faire dégeler sur la roulante. »

Jean Gouffet regagnera Montceau, où il habitera à la Sablière, le 9 septembre 1919. Il fut rappelé le 25 mars 1940 au Dépôt d’Infanterie N° 82, il sera démobilisé 13 septembre 1940 et se retirera aux Rompois à Blanzy. Il fut un de ces poilus de 14 qui tinrent un journal de guerre. Il nota tout, jour après jour et le conserva précieusement, à ses dires… Sans jamais l’ouvrir, ni le consulter… » 






Témoignage de M. Harry, 1977
« Verdun, c’était dur, très dur… c’était la tuerie pour un morceau de terrain… »


« Hector Harry est né en 1892 à Auberchicourt dans le Nord, il a 86 ans. Il est retraité des Houillères, actuellement domicilié rue Jean Jaurès, dans le quartier des Georgets à Snvignes. M. Harry, vieille figure montcellienne, un des piliers de la fanfare « Les amis Réunis » pendant 50 ans, n’a plus de dynamisme, cette faconde que l’on appréciait en société… cette joie de vivre qui l’animait, l’homme ayant vu la mort le frôler tant de fois… c’est la faute des rhumatismes, de l’arthrose qui le font souffrir. Cependant, il a oublié ses petites misères pour parler de cette guerre, de cette tourmente ayant laissé des traces que les années ne peuvent effacer. Il faut l’avoir vécu pour y croire, dit-il : « J’étais de la classe 12, j’ai donc été appelé au service militaire au début de 1913, au 164ème Régiment d’Infanterie à Verdun, un régiment de forteresse J’ai fait mes classes à la caserne Marceau, près du Bois des Essarts, pas très loin du fort de Souville... J’étais donc là, disponible, dès la déclaration de la guerre... »

Et le soldat Harry de l’active, a été l’un des premiers à voir la ligne bleue des Vosges et à participer aux premiers engagements, à participer à la bataille de la Marne qui stoppa l’armée allemande lancée sur Paris. En 1915, le « Ch’timi » qui savait monter sur un vélo, était affecté à une section cycliste et dans les multiples sorties qu’il a effectuées pour des reconnaissances, il n’a pas oublié un accrochage victorieux : « Nous roulions en direction de Baroncourt (dans les environs de Briet) lorsque nous avons repéré un escadron de Ulhans, démontés, qui avaient sans doute fait halte pour cantonner… sans alerter ces messieurs, on a pris position et, soutenus par des dragons, on a attaqué. Surpris, les allemands se sont tout de même défendus mais ils ont dû se replier dare dare en laissant 40 morts sur le terrain dont le chef de détachement. Nous étions assez fiers de notre exploit, d’autant plus que, de notre côté, il n’y avait que deux ou trois blessés légers. »

Le soldat Harry qui était aussi passé par la Somme, sans anicroches, s’était retrouvé, début 1916, en sa caserne de Verdun avec un certain plaisir : « Oh ! C’était pas la joie, mais le secteur était assez calme car nous étions protégés par les forts de Douaumont, Vaux, Tavanne, Souville, Moulainville… jusqu’au 21 février ! Nous avons subi, dès le petit jour, un bombardement formidable avec du gros calibre. Quatre copains ont été tués près de moi et ce fut le début d’une sacrée bagarre. »

Et de citer des noms : le Mort Homme, la Cote 304, Davoncourt, les Eparges où les hommes enfonçaient jusqu’au ventre dans la boue sous un déluge d’obus, le Bois des Caures où son régiment tenait une position au côté des chasseurs du colonel Driant, Fleurie, les forts de Douaumont, de Vaux, pris et repris : « C’était dur, très dur… c’était la tuerie pour un morceau de terrain, des tas de pierres (tout ce qui restait d’un hameau ou d’un village… C’était un véritable enfer et je me demande encore comment j’en suis sorti. Nous avons souvent souffert de faim, de soif car les gars chargés du ravitaillement, écrasés sous les obus, ne pouvaient parvenir aux premières lignes. On avait faim, soif, mais il fallait tenir »

Le soldat Harry, comme son régiment a tenu, a eu l’honneur de recevoir, sur le front des troupes, la première Croix de Guerre attribuée à titre collectif à ceux du 164ème R.I. Avec ses copains Ricou, Chopey et Fieret : « Tout le monde faisait son boulot, tous pour un, un pour tous, on se serrait les coudes. »
Et cela dura 300 jours et 300 nuits exactement, avant que Verdun puisse être dégagé. Hector Harry traversa ce déluge de fer et de feu et c’est finalement pour cause d’un « coup de froid » qu’il fut évacué sur l’hôpital de Laval courant 1918. C’est ainsi que, peu avant l’Armistice, cet ancien ouvrier du Nord fut « soldat affecté » aux mines de Blanzy, puis à Montceau où il arrivera en 1919 pour ne plus en repartir. Le soldat Harry n’oubliera jamais sa guerre, qu’il croyait la dernière. Il lui reste des souvenirs pantelants, cette colline labourée, ravagée par les obus, ces centaines de morts  français et allemands jonchant la tranchée, ces abris écrasés sous les bombes où des dizaines de copains furent enterrés vivants. Il lui reste aussi ce diplôme tout simple que le secrétariat d’Etat aux Anciens Combattants lui a adressé en 1976, à l’occasion du 60ème anniversaire de la bataille de Verdun. C’est peu mais il y tient. »      



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