Le
cahier spécial de devoirs mensuels
Enfants !
Appliquez-vous !
Quel
que soit l’éditeur de ces cahiers spéciaux, on retrouve à l’intérieur des pages
de couverture les mêmes « recommandations » adressées aux élèves et
qu’il est particulièrement intéressant de retranscrire car elles témoignent au
moins autant que les exercices eux-mêmes du style de l’école à cette époque.
Il n’est pas question ici de
faire l’exégèse de ces injonctions, mais il est indispensable de formuler les
remarques suivantes :
- La hauteur du ton du début
n’encourage pas à la compétition, sauf avec soi-même.
- L’appel au travail et au
patriotisme est sans détour. En effet, l’industrialisation des villes et des
campagnes s’accentuant, on a besoin d’ouvriers nombreux et sérieux, la guerre
de 1870 n’est pas encore oubliée et la République n’est pas solidement
implantée bien qu’à l’abri des crises depuis 1879.
Il n’est pas sans intérêt
non plus de rappeler que ces textes austères s’adressent à des enfants peu
après leur entrée à l’école, vers 7 ans, et qu’ils savent à peine lire !
Mais le ton est donné…
Plus tard, les cahiers
mensuels deviendront moins rigides et leur contenu servira surtout de bulletin
de liaison avec les familles, ils seront bientôt « cahiers de
composition » puis « cahiers de contrôle ». Certaines écoles
disposeront très tôt de véritables carnets de notes où ne figureront plus les
devoirs mais seulement les résultats.
De
l’évaluation épreuve à l’évaluation formative (1)
La couverture du cahier
spécial de devoirs mensuels reproduit un extrait de l’arrêté du 27 juillet 1882
qui stipule dans son article 13 que : « Chaque
élève, à son entrée à l’école, recevra un cahier spécial qu’il devra conserver
pendant toute la durée de sa scolarité. Le premier devoir de chaque mois, dans
chaque ordre d’études, sera écrit sur ce cahier par l’élève, en classe et sans
secours étranger, de telle sorte que l’ensemble de ces devoirs permette de
suivre la série des exercices et d’apprécier les progrès de l’élève d’année en
année. Ce cahier sera déposé à l’école ». Cette obligation d’archiver
les cahiers d’évaluation, qu’ils soient de devoirs mensuels, de composition ou
de contrôle, perdurera jusqu’à nos jours (puisque l’arrêté ne fut jamais abrogé)
et il reste assez rare de trouver de tels cahiers si ce n’est dans les greniers
des écoles.
Quoi qu’il en soit, ce fut la circulaire du 25 août 1884 qui
compléta le dispositif en incitant les élèves et leurs parents, à travers ces
cahiers, à mesurer les progrès scolaires, par comparaison ou non avec les
autres, de manière à proportionner le mérite non pas au succès, mais à l’effort,
ce qui était en théorie fort louable.
Le maître devait ainsi
s’assurer régulièrement que la classe et non pas l’élite de la classe suivait
bien le programme et profitait bien des leçons dans toutes les parties de
l’enseignement. Les inspecteurs, pour leur part, étaient invités à ne pas
prendre seulement les impressions recueillies au cours d’une visite pour base
des appréciations qu’ils avaient à porter sur un instituteur. Ils devaient
consulter les fameux cahiers qui permettaient d’entrer dans tous les détails de
la vie scolaire, tels étaient les avantages que l’on pouvait attendre du cahier
de devoirs mensuels.
Les
instructions de1890 sont accompagnées d’une lettre du Ministre
Léon Bourgeois dans laquelle il précise : « La vraie fin que le maître, tout en s’attachant avec passion à
sa tâche journalière, doit avoir constamment présente à l’esprit, c’est de
donner, par la vertu d’un savoir dont la majeure partie se perdra, une culture
qui demeure. Par-delà les objets et les exercices quotidiens de la classe,
c’est à l’esprit, c’est à l’âme même de ses élèves qu’il doit viser ;
par-delà les sanctions prochaines que
fournissent à son enseignement examens et concours, sanctions si souvent
hasardeuses et illusoires, c’est à la grande et décisive épreuve de la vie
qu’il doit les préparer. C’est là, en définitive, que la valeur des leçons
reçues au lycée se démontrera par l’effet. »
Des instructions de 1890 se
dégage la volonté de voir les maîtres s’attacher davantage à la note qu’au
classement individuel qu’ils pratiquent en évaluant les uns par rapport aux
autres, généralisant au passage l’usage des « demis et quarts de
points ». Malgré cela, la question de la notation y est traitée dans la
partie « Discipline ». La note s’intègre dans un système de sanctions
positives ou négatives en récompensant le bon élève et punissant le mauvais :
« L’élève qui veut réussir doit
adopter un comportement conforme aux attentes du maître ».
Parallèlement, les notes restent un élément d’information pour l’administration
et de communication pour les parents figurant sur les cahiers de devoirs
mensuels en élémentaire ou sur le bulletin trimestriel au collège et au lycée.
Les
programmes du 20 juin 1923 sont annonciateurs de changement :
« Dans chaque cours, on s’assurera
que les enfants possèdent bien les notions écrites au programme. On ne fera de
nouvelles conquêtes que si l’on est sûr de bien tenir le terrain déjà conquis ».
L’évaluation sera-t-elle désormais
au service des apprentissages ? Cette nouvelle conception de
l’évaluation semble en marche mais le chemin sera long et il faudra attendre le
milieu du 20ième siècle pour en voir les effets.
La
circulaire du 14 mai 1962 a pour objet le cahier de devoirs
mensuels présenté comme « la
meilleure réponse de l’instituteur aux familles qui peuvent demander compte à
l’école de ce que les enfants y ont fait ». Le cahier mensuel se prête
à bien des usages et établit les fondations solides et durables de l’édifice
scolaire en mettant en relief les « connaissances
fondamentales en français et en calcul » en fin de cours moyen. Ainsi,
dans le cadre de chaque circonscription d’inspection primaire, la commission
ayant charge d’assurer l’entrée en cycle d’observation (G.O.D) (2) éclairera son
jugement par la consultation de ces cahiers.
La
circulaire du 6 janvier 1969, dans la trajectoire de mai
1968, met en avant une pédagogie plus active qui inviterait à des contrôles
formatifs : « Ainsi les trois
notions essentielles de notre système d’appréciation des résultats scolaires,
notions de compositions, de note et de classement, doivent faire l’objet d’une
triple révision (..) Les travaux scolaires les plus formateurs sont ceux où la
préoccupation de la note s’efface : maître et élèves avancent ensemble
dans la découverte d’un texte, d’un raisonnement, d’une expérience
scientifique, etc., et ce n’est qu’à regret que le fil est interrompu pour
permettre les contrôles cependant nécessaires. Une pédagogie véritablement
active réussit d’ailleurs, sans difficultés, à inclure le contrôle dans le
champ même de l’élaboration des connaissances. Le contrôle permet en effet au
maître d’orienter de manière plus efficace les directions de son action. Sans
doute l’élève a-t-il besoin de voir son travail apprécié, ses efforts motivés
et sa progression jalonnée. Sans doute les parents comme les autorités
scolaires ont-ils besoin d’informations précises. Il faut cependant éluder
l’obsession de la note, presqu’aussi pernicieuse que l’obsession de
la « place », comme l’ont observé depuis longtemps bien des
maîtres expérimentés. ». Le classement aux lettres se substituera au
classement aux notes.
La
circulaire du 15 mai 1985 réaffirmera la notion de
« jalonnement » de la progression de l’élève plusieurs fois par
semaine sinon quotidiennement, dans une relation d’aide, essentielle à toute
action éducative. On tendra alors vers une individualisation des activités de
certaines séquences d’acquisitions de nature instrumentale et des exercices
d’entraînement, de consolidation ou d’approfondissement. L’évaluation se mettra désormais au service de l’individualisation.
Cette circulaire propose des pistes pédagogiques dans ses Programmes et
instructions à l’école élémentaire, pour la lecture : « Le maître tient compte des différences d’âge, des rythmes et
modalités d’acquisition propres à chacun, de la continuité du cours
préparatoire au cours élémentaire. Il ne perd jamais de vue que tous les
enfants peuvent apprendre à lire et doivent savoir lire », pour
l’expression écrite : « (..) en
fonction de ses rythmes et capacité [en parlant de l’élève] », pour les mathématiques : « (..) tout en aidant l’élève à se
forger des méthodes de travail » pour l’E.P.S : « L’évaluation des progrès individuels
et collectifs passe par l’élaboration de grilles de repères et par la
constitution d’un dossier ».
La
loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989
propose une école organisée en cycles, un dispositif national d’évaluation et
un livret outil de suivi des acquis des élèves.
La
circulaire du 6 septembre 1994 prône l’évaluation des
compétences réinvesties : « Il
s’agit essentiellement de s’assurer avec précision, dans un temps différé, de
l’assimilation des notions et des connaissances ayant fait l’objet d’un
apprentissage lors de séquences qui se sont déroulées soit dans la journée
même, soit dans la semaine, soit même antérieurement. En effet, les acquis ne
sont réels que lorsque les élèves sont capables de les réinvestir non seulement
dans des situations analogues à celles de l’apprentissage mais encore dans des
situations différentes (..) Elles [les évaluations] contribuent à apporter à chaque élève l’aide personnalisée dont il a
besoin ».
La
loi de programmation du 13 juillet 1995 définit: un nouveau
contrat pour l’école, l’évaluation et la remédiation sont basées sur la
méthodologie, il faut « apprendre à apprendre ».
La
circulaire du 18 novembre 1998 ou l’évaluation au service de la
personnalisation. Ces textes sont relatifs aux évaluations CE2
et 6ème, premières évaluations nationales de cette ampleur devant
aboutir à un « programme
personnalisé d’aide et de progrès », rapidement suivies d’une
circulaire sur l’évaluation et l’aide
aux apprentissages en grande section de maternelle et au cours préparatoire
visant à identifier les compétences et repérer les difficultés des élèves en
prenant en compte les acquis et les besoins de chacun. Parallèlement, un plan
de lutte contre l’illettrisme est mis en place et apparaissent les livrets CP,
dispositifs d’évaluation et propositions d’aide. Les compétences sont définies
selon l’âge et le cycle : « Cycle
I, l’enfant s’engage, activité fonctionnelle : je fais, je réussis ;
Cycle II, l’enfant analyse, activité réflexive : je réussis, je
comprends ; Cycle III, l’enfant anticipe, activité cognitive : je dis
ce que je vais réussir et pourquoi ».
La
loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005
introduit le socle commun de connaissances et de compétences et réaffirme le
parcours personnalisé en cas de difficulté, d’où la nécessité d’évaluer l’élève
pour garantir la réussite scolaire et la création des PPRE (Programmes
Personnalisés de Réussite Educative). Un nouveau dispositif d’évaluation
diagnostique est instauré pour le CE1 et le CM2 en deux livrets.
Pour
conclure : à partir de cette loi de 2005, l’évaluation,
quel que soit son format, aura désormais pour objectifs de vérifier la solidité
des acquis des élèves, de mettre en place une différenciation durant les
séquences d’apprentissage, de concevoir un parcours personnalisé dont la forme
et les supports, depuis, sont en constante évolution.
(1) : Source Inspection académique de la Loire, publié par
E. Boutin.
(2) : A propos des classes de 6ème de G.O.D (Groupe
d’Observation Dirigée) : extraits de l’ouvrage de Jean Ferrez Au service de la démocratisation-Souvenirs du
ministère de l’Education nationale 1943-1983, préface d’Antoine Prost.
P.P
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