mercredi 10 avril 2019

Les cahiers à l'école autrefois (2)



Le cahier spécial de devoirs mensuels


Cahier spécial de devoirs mensuels, 1904 (collection musée)

Enfants ! Appliquez-vous !

Quel que soit l’éditeur de ces cahiers spéciaux, on retrouve à l’intérieur des pages de couverture les mêmes « recommandations » adressées aux élèves et qu’il est particulièrement intéressant de retranscrire car elles témoignent au moins autant que les exercices eux-mêmes du style de l’école à cette époque.






Cahier spécial de devoirs mensuels, 1904 (collection musée)

Cahier spécial de devoirs mensuels, 1904 (collection musée)

Cahier spécial de devoirs mensuels, 1904 (collection musée)



Il n’est pas question ici de faire l’exégèse de ces injonctions, mais il est indispensable de formuler les remarques suivantes :

- La hauteur du ton du début n’encourage pas à la compétition, sauf avec soi-même.

- L’appel au travail et au patriotisme est sans détour. En effet, l’industrialisation des villes et des campagnes s’accentuant, on a besoin d’ouvriers nombreux et sérieux, la guerre de 1870 n’est pas encore oubliée et la République n’est pas solidement implantée bien qu’à l’abri des crises depuis 1879.

Il n’est pas sans intérêt non plus de rappeler que ces textes austères s’adressent à des enfants peu après leur entrée à l’école, vers 7 ans, et qu’ils savent à peine lire ! Mais le ton est donné…

Plus tard, les cahiers mensuels deviendront moins rigides et leur contenu servira surtout de bulletin de liaison avec les familles, ils seront bientôt « cahiers de composition » puis « cahiers de contrôle ». Certaines écoles disposeront très tôt de véritables carnets de notes où ne figureront plus les devoirs mais seulement les résultats.


Relevé de notes, 1919 (collection musée)



De l’évaluation épreuve à l’évaluation formative (1)

La couverture du cahier spécial de devoirs mensuels reproduit un extrait de l’arrêté du 27 juillet 1882 qui stipule dans son article 13 que : « Chaque élève, à son entrée à l’école, recevra un cahier spécial qu’il devra conserver pendant toute la durée de sa scolarité. Le premier devoir de chaque mois, dans chaque ordre d’études, sera écrit sur ce cahier par l’élève, en classe et sans secours étranger, de telle sorte que l’ensemble de ces devoirs permette de suivre la série des exercices et d’apprécier les progrès de l’élève d’année en année. Ce cahier sera déposé à l’école ». Cette obligation d’archiver les cahiers d’évaluation, qu’ils soient de devoirs mensuels, de composition ou de contrôle, perdurera jusqu’à nos jours (puisque l’arrêté ne fut jamais abrogé) et il reste assez rare de trouver de tels cahiers si ce n’est dans les greniers des écoles. 



Quoi qu’il en soit, ce fut la circulaire du 25 août 1884 qui compléta le dispositif en incitant les élèves et leurs parents, à travers ces cahiers, à mesurer les progrès scolaires, par comparaison ou non avec les autres, de manière à proportionner le mérite non pas au succès, mais à l’effort, ce qui était en théorie fort louable.



Le maître devait ainsi s’assurer régulièrement que la classe et non pas l’élite de la classe suivait bien le programme et profitait bien des leçons dans toutes les parties de l’enseignement. Les inspecteurs, pour leur part, étaient invités à ne pas prendre seulement les impressions recueillies au cours d’une visite pour base des appréciations qu’ils avaient à porter sur un instituteur. Ils devaient consulter les fameux cahiers qui permettaient d’entrer dans tous les détails de la vie scolaire, tels étaient les avantages que l’on pouvait attendre du cahier de devoirs mensuels.



Cahier de devoirs mensuels, 1890 (zouaveparcy1918.skyrock.com)




Les instructions de1890 sont accompagnées d’une lettre du Ministre Léon Bourgeois dans laquelle il précise : « La vraie fin que le maître, tout en s’attachant avec passion à sa tâche journalière, doit avoir constamment présente à l’esprit, c’est de donner, par la vertu d’un savoir dont la majeure partie se perdra, une culture qui demeure. Par-delà les objets et les exercices quotidiens de la classe, c’est à l’esprit, c’est à l’âme même de ses élèves qu’il doit viser ; par-delà les sanctions  prochaines que fournissent à son enseignement examens et concours, sanctions si souvent hasardeuses et illusoires, c’est à la grande et décisive épreuve de la vie qu’il doit les préparer. C’est là, en définitive, que la valeur des leçons reçues au lycée se démontrera par l’effet. »

Des instructions de 1890 se dégage la volonté de voir les maîtres s’attacher davantage à la note qu’au classement individuel qu’ils pratiquent en évaluant les uns par rapport aux autres, généralisant au passage l’usage des « demis et quarts de points ». Malgré cela, la question de la notation y est traitée dans la partie « Discipline ». La note s’intègre dans un système de sanctions positives ou négatives en récompensant le bon élève et punissant le mauvais : « L’élève qui veut réussir doit adopter un comportement conforme aux attentes du maître ». Parallèlement, les notes restent un élément d’information pour l’administration et de communication pour les parents figurant sur les cahiers de devoirs mensuels en élémentaire ou sur le bulletin trimestriel au collège et au lycée.



Cahier de devoirs mensuels, 1890 (zouaveparcy1918.skyrock.com)



Les programmes du 20 juin 1923 sont annonciateurs de changement : « Dans chaque cours, on s’assurera que les enfants possèdent bien les notions écrites au programme. On ne fera de nouvelles conquêtes que si l’on est sûr de bien tenir le terrain déjà conquis ». L’évaluation sera-t-elle désormais au service des apprentissages ? Cette nouvelle conception de l’évaluation semble en marche mais le chemin sera long et il faudra attendre le milieu du 20ième siècle pour en voir les effets.



La circulaire du 14 mai 1962 a pour objet le cahier de devoirs mensuels  présenté comme « la meilleure réponse de l’instituteur aux familles qui peuvent demander compte à l’école de ce que les enfants y ont fait ». Le cahier mensuel se prête à bien des usages et établit les fondations solides et durables de l’édifice scolaire en mettant en relief les « connaissances fondamentales en français et en calcul » en fin de cours moyen. Ainsi, dans le cadre de chaque circonscription d’inspection primaire, la commission ayant charge d’assurer l’entrée en cycle d’observation (G.O.D) (2) éclairera son jugement par la consultation de ces cahiers.  



Cahier de devoirs mensuels, classe de fin d’études, 1960 (collection musée)



La circulaire du 6 janvier 1969, dans la trajectoire de mai 1968, met en avant une pédagogie plus active qui inviterait à des contrôles formatifs : « Ainsi les trois notions essentielles de notre système d’appréciation des résultats scolaires, notions de compositions, de note et de classement, doivent faire l’objet d’une triple révision (..) Les travaux scolaires les plus formateurs sont ceux où la préoccupation de la note s’efface : maître et élèves avancent ensemble dans la découverte d’un texte, d’un raisonnement, d’une expérience scientifique, etc., et ce n’est qu’à regret que le fil est interrompu pour permettre les contrôles cependant nécessaires. Une pédagogie véritablement active réussit d’ailleurs, sans difficultés, à inclure le contrôle dans le champ même de l’élaboration des connaissances. Le contrôle permet en effet au maître d’orienter de manière plus efficace les directions de son action. Sans doute l’élève a-t-il besoin de voir son travail apprécié, ses efforts motivés et sa progression jalonnée. Sans doute les parents comme les autorités scolaires ont-ils besoin d’informations précises. Il faut cependant éluder l’obsession de la note, presqu’aussi pernicieuse que l’obsession de la «  place », comme l’ont observé depuis longtemps bien des maîtres expérimentés. ». Le classement aux lettres se substituera au classement aux notes.



Cahier de compositions, cours moyen, 1989 (collection musée)



La circulaire du 15 mai 1985 réaffirmera la notion de « jalonnement » de la progression de l’élève plusieurs fois par semaine sinon quotidiennement, dans une relation d’aide, essentielle à toute action éducative. On tendra alors vers une individualisation des activités de certaines séquences d’acquisitions de nature instrumentale et des exercices d’entraînement, de consolidation ou d’approfondissement. L’évaluation se mettra désormais au service de l’individualisation. Cette circulaire propose des pistes pédagogiques dans ses Programmes et instructions à l’école élémentaire, pour la lecture : « Le maître tient compte des différences d’âge, des rythmes et modalités d’acquisition propres à chacun, de la continuité du cours préparatoire au cours élémentaire. Il ne perd jamais de vue que tous les enfants peuvent apprendre à lire et doivent savoir lire », pour l’expression écrite : « (..) en fonction de ses rythmes et capacité [en parlant de l’élève] », pour les mathématiques : « (..) tout en aidant l’élève à se forger des méthodes de travail » pour l’E.P.S : « L’évaluation des progrès individuels et collectifs passe par l’élaboration de grilles de repères et par la constitution d’un dossier ».

La loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 propose une école organisée en cycles, un dispositif  national d’évaluation et un livret outil de suivi des acquis des élèves.







La circulaire du 6 septembre 1994 prône l’évaluation des compétences réinvesties : « Il s’agit essentiellement de s’assurer avec précision, dans un temps différé, de l’assimilation des notions et des connaissances ayant fait l’objet d’un apprentissage lors de séquences qui se sont déroulées soit dans la journée même, soit dans la semaine, soit même antérieurement. En effet, les acquis ne sont réels que lorsque les élèves sont capables de les réinvestir non seulement dans des situations analogues à celles de l’apprentissage mais encore dans des situations différentes (..) Elles [les évaluations] contribuent à apporter à chaque élève l’aide personnalisée dont il a besoin ».

La loi de programmation du 13 juillet 1995 définit: un nouveau contrat pour l’école, l’évaluation et la remédiation sont basées sur la méthodologie, il faut « apprendre à apprendre ».

La circulaire du 18 novembre 1998 ou l’évaluation au service de la personnalisation. Ces textes sont relatifs aux évaluations CE2 et 6ème, premières évaluations nationales de cette ampleur devant aboutir à un « programme personnalisé d’aide et de progrès », rapidement suivies d’une circulaire sur l’évaluation et  l’aide aux apprentissages en grande section de maternelle et au cours préparatoire visant à identifier les compétences et repérer les difficultés des élèves en prenant en compte les acquis et les besoins de chacun. Parallèlement, un plan de lutte contre l’illettrisme est mis en place et apparaissent les livrets CP, dispositifs d’évaluation et propositions d’aide. Les compétences sont définies selon l’âge et le cycle : « Cycle I, l’enfant s’engage, activité fonctionnelle : je fais, je réussis ; Cycle II, l’enfant analyse, activité réflexive : je réussis, je comprends ; Cycle III, l’enfant anticipe, activité cognitive : je dis ce que je vais réussir et pourquoi ».

La loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005 introduit le socle commun de connaissances et de compétences et réaffirme le parcours personnalisé en cas de difficulté, d’où la nécessité d’évaluer l’élève pour garantir la réussite scolaire et la création des PPRE (Programmes Personnalisés de Réussite Educative). Un nouveau dispositif d’évaluation diagnostique est instauré pour le CE1 et le CM2 en deux livrets.

Pour conclure : à partir de cette loi de 2005, l’évaluation, quel que soit son format, aura désormais pour objectifs de vérifier la solidité des acquis des élèves, de mettre en place une différenciation durant les séquences d’apprentissage, de concevoir un parcours personnalisé dont la forme et les supports, depuis, sont en constante évolution.






(1) : Source Inspection académique de la Loire, publié par E. Boutin.

(2) : A propos des classes de 6ème de G.O.D (Groupe d’Observation Dirigée) : extraits de l’ouvrage de Jean Ferrez Au service de la démocratisation-Souvenirs du ministère de l’Education nationale 1943-1983,  préface d’Antoine Prost. 












 P.P

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