dimanche 4 août 2019

C'était mieux avant...



C’était mieux avant…
Mythe ou réalité ?




Tableau 1960 (collection musée)



Là est la constante de l’avant, du présent et du futur

Nous avons tous une kyrielle d'instituteurs et d'institutrices dans le cœur. Tous ceux qui ont impressionné (au sens quasi photographique) notre jeune cervelle de moineau. Ce souvenir-là réunit le meilleur et le pire : on a adoré Mme. X ou M. Y, on a détesté M. V ou Mlle P. Comme Claudine à l'école a aimé et détesté tout à la fois la fameuse Mlle Sergent. Que sait-on d'eux et d'elles ? Rien. Ils et elles sont passés dans nos existences comme des images d'autorité, de devoirs, de leçons, de récréations, de réussites ou d'échecs. Et pour les plus de 50 ans, ils et elles s'associent à des encriers, des tableaux noirs, des craies ou des cartes murales. À nos enfants et petits-enfants, d'autres images resteront, depuis le poisson rouge de la classe jusqu'au premier stylo, la première tablette ou le tableau numérique et sa floraison d'images. Mais le maître et la maîtresse de la maternelle, promus profs au CE1 ou au CM2, seront toujours ces premiers repères adultes hors parents dont on ignore tout, au fond. Qui les a inventés, puisque ce n'est pas Charlemagne ? Comment apprenait-on avant Jules Ferry et sa grande réforme ? Et ces instituteurs de la « communale », comment étaient-ils formés ? Pourquoi les a-t-on appelés des « hussards noirs » ? Aujourd'hui, ces « professeurs des écoles » choisissent-ils toujours ce métier par vocation, passion, ont-ils toujours l'envie d'être le maître ou la maîtresse ? Nous avons tout appris à l'école, le monde, les autres, la vie. Auprès de ces passeurs dont nous fûmes un jour la joie, l'espoir ou l'inquiétude. Et qui, tous, nous ont aimés, malgré tout. Parce que leur métier l'exige (1).





Cahier d’écriture, 1908 (collection musée)



De l’encre violette et une plume qui glisse sur un cahier d’écriture, une craie carrée qui déroule les pleins et les déliés au tableau noir, un maître impitoyable qui toise une troupe aux bras croisés, des bons points et des mauvais, de la morale et des dictées, des photographies de classes aux enfants endimanchés et aux fiers instituteurs de la République … et voilà la nostalgie à la rescousse de la « baisse de niveau » et du « manque de discipline », le retour de l’indécrottable vieille école et de ses clichés…



Cahier de devoirs, 1919 (collection musée)



C’était le temps où les écoliers savaient lire, compter, réciter la liste des départements et des chefs-lieux de canton, se tenir en rang serrés. Le temps aussi où les maîtres inspectaient impitoyablement les ongles et les cheveux. En somme, de quoi faire verser une petite larme à nos anciens qui visitent le musée.



Le contrôle des mains, vers 1890 (collection particulière)



Méfiance tout de même, Claude Lelièvre, historien de l’éducation nous met en garde : «C’est un classique qui revient régulièrement. Quand on n’a pas d’utopie porteuse, on se réfère à un passé mythique. Comme en ce moment, faute de cap. On a beau parler de refondation de l’école, l’idée ne passe pas dans le grand public et chez une partie des enseignants. Et comme, dans le même temps, la France n’est pas très bien placée dans les classements, notamment dans la lutte contre les inégalités. On en revient à nos mythes, telle l’école de la IIIe République, qui, dans nos esprits, englobe aussi la IVe République». C’était mieux avant ? Peut-être… ou pas. Petites remarques comparatives :



Cahier de devoirs, 1918 (collection musée)



De mon temps, on ne faisait pas de fautes ! Admettons mais la seule certitude, c’est que les bambins d’aujourd’hui passent quasiment moitié moins de temps à faire du français que les écoliers de la Troisième République. Les nécessaires évolutions pédagogiques et notamment l’allongement des vacances, la suppression des cours du samedi ou encore la multiplication des matières ont pesé lourdement sur l’apprentissage de l’orthographe usuel dont chacun sait qu’il requiert de longues heures répétitives. Ce fut un choix assumé qui souleva de tout temps la polémique comme le souligne Christian Signol : «La question de l’orthographe est une sorte de totem français. Une obsession qui n’existe que chez nous. Et déjà au début du XXe siècle, on se plaignait d’une crise de l’orthographe. C’est récurrent. C’est encore revenu à l’entre-deux-guerres. A cette époque, on accusait la méthode de lecture globale non pas de ruiner la lecture, comme ce fut le cas dans les années 70-80, mais l’orthographe.»



Cahier de devoirs 1918



Oui mais de mon temps, on savait écrire ! Admettons une nouvelle fois, on peut s’extasier devant les belles pages d’écriture mais notons au passage que, souvent, seuls les cahiers des bons élèves sont parvenus jusqu’à nous : « le débat a fait rage, à la fin du XIXe siècle, entre les tenants de l’écriture droite et ceux de l’école penchée : c’est la première qui a été retenue comme mieux à même d’éviter mauvaises postures et scolioses ». La chose était d’importance mais qu’en fut-il des fautes ? Il est de notoriété publique que les élèves ont perdu la maîtrise de l’orthographe principalement avec l’autorisation du stylo-bille dans les écoles en 1965 !



Cahier de compositions  (collection Henri Merou)



Oui mais de mon temps, le « niveau » était plus élevé ! Admettons toujours, nous voilà repartis sur le sacro-saint « moi j’ai eu mon certif ». Mais comme le note Claude Lelièvre : « Mais de quel niveau parle-t-on ? Quelles générations compare-t-on précisément ? Sur quelles matières ? ». Du reste, jusque dans les années 30, un petit pourcentage des élèves étaient présentés au Certificat d’Etude et Olivier Magnan de rajouter : « Dans les faits, seule une minorité décrochait le fameux certif. (..) En 1986, parce qu’on a mis la main sur 3 000 copies de certificats d’études, de 1873 à 1877 dans la Somme, on décide de faire passer (tous biais corrigés) les mêmes épreuves à 3 000 élèves dans toute la France.» ET alors ?

 « C’est la fin du XIXe siècle qui l’emporte ! » Je vous l’avais dit… Mais « Plutôt que de parler de niveau, on devrait se pencher sur les nouvelles compétences demandées aux élèves : expression orale, écrite, recherche d’information, informatique, ouverture sur le monde…» conclut Magnan.


Ecole de filles du Centre à Montceau, 1941 (collection musée)



Oui mais de mon temps, les garçons n’étaient pas avec les filles ! C’est vrai, mais la mixité a-t-elle vraiment changé les choses ? Pas sûr  quand on observe que les filles réussissent toujours mieux que les garçons dès l’école primaire, mais qu’à l’arrivée, un diplômé d’école d’ingénieurs sur trois seulement  est une femme. Selon Olivier Magnan : « on revient de loin. Si le mot mixité est entré dans le dictionnaire en 1842, les textes officiels de l’Education nationale ne l’utiliseront qu’à compter de 1957 !». «L’école républicaine ne pouvait pas lutter contre tout, ajoute Claude Lelièvre. Elle a lâché sur la mixité face à l’Eglise, qui redoutait des comportements sexuels débridés. Finalement, la mixité a commencé à s’instaurer au début des années 60, donc avant 1968. Derrière cela, il y avait l’idée que les filles soient moins godiches et les garçons moins violents.» De nos jours, la mixité est bien installée et rentre en lutte contre les stéréotypes, même si de bonnes âmes crient toujours à la confusion des sexes, à l’image de Jean Dutourd qui déclarait en son temps : «Que croyaient-ils qu’il sortirait de la mixité sinon une grande valse des pucelages et la transformation méthodique des lycées en bordels ?»… Délicat, vous en conviendrez.



Barème des punitions en 1945 (AD de la Creuse)



Oui mais de mon temps il y avait de la discipline ! Et même encore plus avant : dès la fin de l’Antiquité, « l’enseignement ne s’adresse qu’à quelques enfants frappés et dressés par des maîtres sans prestige ». De cette tradition « pédoplégique » (la pédoplégie étant la pédagogie par les coups), le symbole pourrait bien être les mémoires d’un instituteur du 18ème siècle qui exerçait en Souabe : « ayant tenu un compte méticuleux de ses faits et gestes en 51 ans et 7 mois de carrière, il aboutissait à un total de 911 257 coups de bâton, dont 800 000 environ à cause du latin, et 124 000 coups de verge, dont 76 000 environ à cause des versets de la bible ou des cantiques, plus quelques milliers de soufflets sur la bouche ou de calottes sur les oreilles, pour des raisons tout aussi pédagogiques. » (François Jacquet-Roussillon, in Instituteurs avant la République, 1999). Suivirent les oreilles longuement tirées par le maître, les coups de règle sur les doigts, le supplicié à genou sur la bûche, le bonnet d’âne… Comment regretter cette sévérité extrême, même si la tolérance de la gifle ou du tirage d’oreilles avait pourtant la "compréhension", pendant des décennies, des familles, complices dans une certaine limite de cette éducation par les coups pourtant interdite depuis la Révolution, interdiction confirmée par les lois Ferry ? Selon les travaux du chercheur Bernard Douet, conduits en 1980 sur les punitions à l’école et malgré bien sûr quelques exceptions ou saute d’humeur impardonnables bien sûr souvent explicables, « un ou une instit reste un être humain dont la patience pédagogique connaît des limites, l’immense majorité des sanctions se réduit à des punitions à faire signer ou à des détours par le couloir.» Enfin un bon point pour aujourd’hui !



Punition (collection privée)



(1) : Note d’après Histoire Vraie des Violences à l’Ecole.

Sources :

- Olivier Magnan, La Vraie Histoire des Instits, 2014






- Claude Lelièvre, Histoire Vraie des Violences à l’Ecole, 2007






- Julie Malaure, lepoint.fr

- Catherine Mallaval, liberation.fr



(Photographie CANOPE, détail)

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