Retour
sur une enquête
Suite
de l’article « L’idée républicaine
à l’école avant 1914 »
Image
des Maîtres d’avant 1914
La publication du
livre Cent Ans d’Ecole par
notre musée en 1981 fut l’occasion de réunir un groupe de travail local et d’illustres
chercheurs en éducation parmi lesquels participèrent Antoine Prost, Georges
Duby, Jacques Ozouf, Pierre Caspard, Serge Chassagne, Yves Lequin ou encore Guy
Vincent. Cent ans après les lois Ferry, il s’agissait de conter fidèlement la
naissance de l’école de la République et de fixer un instantané des maîtresses
et des maîtres de cette époque. Retour sur une enquête…
Jacques Ozouf s’intéresse à l’école depuis les années
1962-1963, date à laquelle il eut l’idée d’entreprendre, par voie postale, une
enquête d’opinion rétrospective auprès des instituteurs français ayant exercé
avant 1914 (voir l’article
https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/03/les-hussards-noirs-de-la-republique.html#more). Il avait alors
envoyé 20 000 questionnaires et obtenu 4 000 réponses. Il a présenté
un certain nombre de résultats en 1967 dans
« Nous les maîtres d’école, Autobiographie d’instituteurs de la Belle
Epoque » (Juillard).
Questionnaire
sur la période avant 1918
Jacques
Ozouf
poursuivit ses recherches sur
l’école (contenu de l’enseignement, manuels scolaires, journaux pédagogiques,
vie associative des instituteurs) dans de nombreux articles et sur
l’alphabétisation dans le livre publié en 1977 avec François Furet : « Lire et écrire, l’alphabétisation
des français de Calvin à Ferry » (Editions
de Minuit).
A l’occasion du centenaire des lois Ferry, Jacques Ozouf
dressa le bilan critique de son enquête initiale pour le groupe de travail du
musée de la Maison d’Ecole de Montceau. Peu après, à sa
demande, des instituteurs de Montceau et du Creusot vont travailler sur son
questionnaire initial afin de l’adapter à la période de l’entre-deux-guerres.
Le musée publiera la réflexion de Jacques Ozouf en 1981 dans « Cent ans d’Ecole » (pages
26 à 32) :
Texte
de Jacques Ozouf
Questionnaire
sur la période
de l’entre-deux-guerres
Après ce bilan tout en modestie, Jacques et Mona Ozouf
publieront en 1992, La République des
Instituteurs, (Paris. Gallimard. Le Seuil), ouvrage qui prendra appui lui
aussi sur l’enquête de 1960, l’histoire ne finit jamais vraiment…
Ce livre fut salué par tous et notamment par François
Jacquet-Francillon de l’IUFM de Versailles :
« La République des Instituteurs, est le résultat d'une enquête
effectuée en 1960 auprès des instituteurs survivants de la belle époque, soit
20 000 personnes alors âgées d'environ 70 à 100 ans : 4 000 réponses, dont la
moitié retenue comme échantillon représentatif, formaient une « archive
provoquée », recueil d'un imaginaire politique émaillé de références
religieuses, culturelles, de réflexions sur des événements, d'impressions sur
des hommes, mais aussi d'une masse de souvenirs personnels que les instituteurs
avaient voulu ajouter à leur envoi. Ce débordement autobiographique fut, disent
les auteurs, une surprise et, finalement, une chance. Une partie de ces textes
avait d'ailleurs été présentée en 1967 dans un opuscule savoureux et bien connu :
Nous les maîtres d'école.
C'est
sur la même base que Jacques et Mona Ozouf explorent aujourd'hui l'univers
mental des enseignants de l'école laïque d'avant la grande guerre. N'attendons
pas les commentaires et les compliments pour apprécier l'ampleur de ce travail.
Après tant de livres où la nostalgie obligatoire retourne sans cesse aux images
d'Épinal, il s'agit d'un ouvrage scientifique, où la rigueur de la démarche («
positiviste ») le dispute à un exceptionnel contrôle du style : ni trop, ni
trop peu ! Même le dernier chapitre, sous le signe d'une poétique « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? », se déprend de la mièvre compassion et
renonce aux accents d'un Péguy lecteur du Jean Costes d'Antonin Lavergne (1),
personnage dont la pauvreté létale avait sans doute ému les instituteurs visés
ici. On n'appliquera donc pas à J. et M. Ozouf cette remarque de Claudel
relative à Péguy, précisément (dans une lettre de 1916) : « taché d'encre jusqu'au bout du nez ». Sur l'utilisation des fragments
biographiques, ce livre lève d'abord une équivoque. L'enquête créait chez les
sujets une disposition affective d'autant plus forte qu'ils étaient séparés de
l'époque mémorable par un bon demi-siècle ce que l'un d'eux résume avec la
belle dédicace du Roman d'un enfant, de Pierre Loti : « II se fait tard dans nos vies... » (p. 19). Pouvaient-ils ne pas verser
dans l'examen de conscience, voire dans le bilan final, peut-être désabusé mais
certainement porteur d'une fierté inébranlable ? Certes. Mais nombre d'entre
eux décrivent en réalité un itinéraire collectif. Chose remarquable, ils
prennent la plume pour évoquer l'Instituteur, avec une majuscule, et en parlant
de leur carrière ils pensent autant à celle de leurs collègues proches ou
lointains : « nos vies », et non pas « ma vie » !
Si bien que leurs récits sont assortis de vérifications scrupuleuses et parfois
de données quantitatives. Ici, l'individu ne s'oppose pas au groupe et les
choix personnels ne sont pas aveugles aux régularités sociales. C'est pourquoi
J. et M. Ozouf soulignent l'avantage plus que l'inconvénient de cette
énonciation, qui, d'après eux, aura de toutes manières formulé les valeurs
essentielles du corps enseignant. Voici, par conséquent, une histoire des idées
attentive aux acteurs sociaux et, du même coup, jamais phagocytée par la
rationalité autoritaire des doctrines savantes et des discours officiels. Avec
J. et M. Ozouf, nous ne descendons pas les larges avenues de « l'idée républicaine en France » telle que l'envisageait par exemple C.
Nicolet quel que soit l'intérêt de cette entreprise. Nous empruntons plutôt des
chemins de traverse où les « idées » sont comprises et reprises par ceux qui
s'en servent dans un monde vivant de pratiques, de comportements et de
sensibilités.
La République selon ces instituteurs compose en l'occurrence une figure
idéologique singulière, sur la base des utopies fondamentales de la gauche et
du principe originel, donc presque hors du temps de la laïcité (nous sommes
dans la décennie où le Bloc des gauches s'est annexé les maîtres d'école).
S'ils approuvent l'organisation hiérarchique des rapports sociaux, c'est à
condition qu'elle soit fondée sur un régime d'égalité - l'égalité sur les bancs
de leurs classes ou « égalité des chances », ainsi qu'elle est nommée depuis lors
dans le vocabulaire démocratique. S'ils admirent Jaurès, c'est au nom d'un
socialisme qui ignore la lutte des classes et l'abolition de la propriété
privée. Enfin, s'ils ont une sympathie fort libérale pour les droits
individuels, la capacité d'initiative et la liberté, terme qui a leur
préférence dans la devise nationale, c'est dans l'optique solidariste d'une
communauté fraternelle où chaque membre n'obtient de place qu'en récompense de
son travail. Telle est, d'après J. et M. Ozouf, la conception d'un régime
républicain réglé sur un idéal d'école, et d'une école qui actualise les
valeurs de la République (pp. 118-119) ; au total, un ordre ouvert, mais
protégé des rigidités, moral en fin de compte, car la loi y juge avant tout de
la conduite de tous. On le comprend, rien ne réjouit ces maîtres comme l'ancien
élève qui avoue leur devoir sa bonne situation ; rien, sinon le fait que leurs
propres enfants soient enseignants si possible agrégés ! »
(1) Charles
Péguy, Les Cahiers de la quinzaine, 3e cahier de la 4e série, 4 novembre 1902,
in Bibliothèque de la Pléiade, œuvres en prose, 1898-1908.
P.P
Comme il est sain de rappeler toutes ces valeurs éternelles de la Républiques grâce à des grands plumes.
RépondreSupprimerMerci.
Jean Pirou