L'idée républicaine à l’école
Avant 1914
La religion de la Patrie
« La religion de
la Patrie n’a pas de dissidents ! »
Jules Ferry, discours
de Nancy le 10 août 1881.
Et
Paul Bert, Ministre de l’Instruction Publique de surenchérir : « Il
faut une religion pour le peuple ! Il faut une foi commune pour le peuple
sans quoi il ne serait qu’une agrégation d’hommes juxtaposés par des intérêts
communs… C’est cette religion de la Patrie, c’est ce culte et cet amour à la
fois ardent et raisonné dont nous voulons pénétrer le cœur et l’esprit de
l’enfant, dont nous voulons l’imprégner jusqu’aux moelles ; c’est ce que
fera l’enseignement civique. » L’école sera donc le
vecteur du républicanisme et du nationalisme. L’instruction civique en sera
l’axe principal et dès lors, les symboles de la République seront de retour et
investiront l’école
(1).
Sentiment nouveau pour un mot nouveau : le nationalisme, né après
l'annexion par l'Allemagne victorieuse de l'Alsace-Lorraine, en 1871, au mépris
du droit des populations à rester françaises, d’où, chez nous, une idée de
guerre de revanche. Les couvertures de cahiers de l'époque évoquaient
volontiers un esprit de revanche à travers des illustrations de batailles
gagnées lors d'une guerre perdue... Cette agressivité s'atténua bientôt, pour
disparaître avec le déclin des bataillons scolaires en 1892, bien que les
territoires perdus figurassent toujours en grisé sur bien des cartes scolaires
de la France. Quant aux ministres de l’Instruction Publique, successeurs de
Jules Ferry, ils n’ont que peu fait allusion à ce premier conflit dans leurs
instructions. Ils prétendaient, comme Poincaré en 1895, Briand en 1907,
seulement réaliser l’enseignement militaire légalement prévu à l’école primaire
ou secondaire. Malgré tout, l'Alsace-Lorraine suscitait toujours un attachement
sentimental chez les Français et en 1914, à l'annonce de la mobilisation, la
consternation précéda le sentiment d'un devoir à accomplir. Les instituteurs,
même pacifistes jusqu'alors, comme Pergaud (2), allèrent risquer tout particulièrement leur vie au combat.
L’idée républicaine
dans nos écoles locales
Mais à quoi toutes les prescriptions guerrières d’après 70
aboutirent-elles à l’orée du nouveau siècle ? A peu de résultats si l’on
s’en rapporte, pour la Saône-et-Loire, du moins en 1897, aux déclarations de
son Inspecteur d’Académie : « La
gymnastique et les exercices militaires n’existent sérieusement que dans
quelques écoles urbaines. Les jeux scolaires sont peu pratiqués ; sauf
dans quelques écoles de filles… ». Au surplus, en 1908, à l’appel du Ministre
de l’Instruction Publique et de l’Inspecteur d’Académie de Saône-et-Loire, pour
une « œuvre » qualifiée d’ « éminemment patriotique »
par celui-ci, le conseil des maîtres de l’école publique de Blanzy acceptait
enfin, mais seulement enfin, d’organiser l’ « instruction du
tir » pour les élèves d’au moins dix ans, à l’école de garçons. Les années
suivantes, le conseil devenait muet au sujet d’un exercice militaire difficile
pourtant à surveiller. Il en avait donc abandonné le projet probablement.
A Montceau-Centre, en 1907, le directeur de l’école, placé devant un
problème semblable, demanda, en accord avec ses collègues de la ville, qu’il
fut résolu par la municipalité. Celle-ci sollicita une subvention. Puis on n’en
parla plus en conseil de maîtres de cet établissement. Très vraisemblablement,
on omit d’exécuter des maniements d’armes dans les écoles élémentaires du
Bassin minier de Blanzy-Montceau, sauf dans celles que dirigeaient les frères
qui faisaient utiliser pour cela des bâtons. Une des explications possibles est
probablement l’existence d’une tradition ouvrière socialiste forte et pacifiste
en cette fin de siècle qui fut secouée par des mouvements sociaux importants.
Toutefois, bien des sociétés de tir s’organisèrent en France pour palier
la désaffection de l’Institution à partir de 1896 et elles existèrent jusqu’en
1918, dans le cadre et sous la responsabilité d’une Union nationale. Depuis
1910, les jeunes gens y préparèrent un brevet d’éducation physique et de
préparation militaire.
Institutrices, instituteurs et
l’idée républicaine
La Troisième République met en place un Etat-nation éducateur, notion
apparue durant la révolution française et oubliée jusqu’alors. Sans doute les
instituteurs furent-ils surtout aptes à défendre la République moralement et,
autour d’elle, le patriotisme. Contre quoi devaient-ils la défendre ?
D’abord contre l’ignorance. En 1870, le sentiment national était inexistant,
surtout dans les régions de la France rurale en retard de développement et il
ne devait apparaître que progressivement avant 1914. Sans doute, de
l’indifférence politique des paysans, leur analphabétisme avait-il été
responsable, car celui-ci était bien plus répandu que ne le laissent penser
leurs signatures de registres communaux.
Ainsi, en 1869, à Saint-Martin d’Auxy (71), d’après un compte-rendu de
fraude électorale, bien plus de 16 électeurs savaient signer, mais il n’y en
avait guère plus de deux qui savaient lire : l’instituteur et un paysan aisé.
Dans les années 1890, à Torcy (71), le chef d’une grande famille illettrée à
deux ménages de pauvres métayers pouvait se faire lire le journal par l’un de
ses petits enfants qui fréquentait l’école laïque voisine et élargir enfin
l’horizon de ses pensées (témoignage, archives du musée).
Depuis l’affaire Dreyfus surtout (1894-1906), pour l’instituteur public,
défendre la République, c’était aussi défendre son école contre une certaine
droite cléricale et autoritaire qui commençait seulement à se rallier à la
nouvelle forme de gouvernement. Dans une France encore en nette majorité
rurale, l’instituteur, souvent secrétaire de mairie et animateur de cours
d’adultes, avait l’occasion de faire partager ses sympathies pour une
République évoluant vers la gauche. Méfiant à l’égard de la politique (celle
que l’on fait), les maîtres d’alors se disaient par contre tous intéressés par
les problèmes politiques. Il en était de même pour les maîtresses, bien plus
isolées qu’eux, celles du moins qui avaient accepté d’apporter une part des
4 000 témoignages du corps enseignant d’alors, recueillis lors d’une
enquête menée par un historien auquel ces idées sont empruntées (3).
Si par souci scrupuleux de la neutralité scolaire, l’enseignant limitait
ses activités à son école, il y diffusait souvent, avec les manuels d’histoire
Lavisse, ces pensées : « Aimes
la France, détestez la guerre, travaillez pour l’humanité » et cette
idée que les régimes autoritaires sont dangereux pour la paix. La République ne
pouvait songer selon lui, qu’à se défendre.
Il s’agissait donc de préserver la République, malgré la prépondérance
acquise par l’Allemagne en Europe. Figurant en grisé sur bien des cartes
scolaires de notre pays, l’Alsace-Lorraine annexée, n’était pas oubliée des
français bien que peu d’entre eux n’eussent désiré la reconquérir par une
guerre de revanche. Leur volonté de paix vient d’être démontrée par une analyse
rigoureuse de documents inédits, notamment plus de 600 témoignages
d’instituteurs, bien placés pour avoir connu, par sympathie, l’état d’esprit du
peuple de chez nous . La mobilisation fut teintée de résignation le plus
souvent, mais aussi, comme à Montceau-les-Mines, créa un élan de solidarité.
Quant aux instituteurs, ils perdirent 22.6 % de leur effectif dans les combats.
Pour conclure cet épisode, notons qu’en 1935, réunis dans un noble but de
paix, des historiens français et allemands devaient convenir, en particulier,
que l’idée de revanche, en France, « a
constamment décliné après 1890 et n’a plus joué, dès lors, un rôle
appréciable ». Leurs conclusions furent publiées en France le 15 mai
1937, dans « L’Ecole Libératrice », organe du syndicat National des
Instituteurs (syndicat autorisé depuis 1924). Beaux efforts d’éducateurs en vue
d’éviter une nouvelle guerre ! On ne doit jamais cependant les considérer
comme vains. Mais ceci est une autre histoire qui vous sera contée en cette
année 2018 lors de notre projet commémoratif de rentrée « Mômes et Instits du
Centenaire : 1918, espoir d’une paix universelle ! Période
1918-1939 »
avec l’exposition « Ecoliers, n’oubliez
jamais ! » (Label
National du Centenaire 2018).
Le souvenir des grandes tragédies qui ensanglantèrent l’Europe et le
Monde s’est éloigné aujourd’hui mais pour combien de temps encore ? Seul
reste vraiment actuel l’espoir renouvelé en la paix, inculqué par nos
enseignants, en particulier, à notre jeunesse française et sans lequel il n’y
aurait pas de véritable éducation.
(1) : LA MARSEILLAISE : Maurice Faure, Ministre de l'Instruction publique, par
un arrêté de décembre 1910, charge une commission d'établir une version
officielle de la Marseillaise à l'usage des écoles.
Le 25
février 1911, ce chant, devenu hymne national de la République est enseigné
dans les écoles. Cela apparaît comme nécessaire, car la Marseillaise n'est pas
connue de la grande majorité des Français bien que décrétée chant national le
26 messidor an III (14 juillet 1795) puis à nouveau en 1879.
Pour
l'exécution scolaire, on recommande de chanter le premier et le dernier couplet
des six écrits par Rouget de Lisle et entre les deux, un troisième couplet
appelé "le couplet des enfants", écrit en 1792 par un écrivain de
Lisieux, Louis Dubois.
LA
DECLARATION DES DROITS DE L'HOMME : La déclaration des droits de l'homme et du citoyen a
permis à Jules Ferry de braver le passé en s'appuyant sur le principe selon
lequel "tous les hommes naissent libres et égaux en droit".
Tout
homme est un être pensant et la Nation a le devoir de l'instruire pour qu'il
acquière responsabilité et dignité : "toute sa dignité consiste dans la
pensée". On doit abolir l'inégalité de culture, ce qui implique l'obligation
scolaire.
Votée
par l'Assemblée Constituante le 2 octobre 1789, la Déclaration des Droits de
l'Homme et du Citoyen doit être affichée dans toutes les écoles de France à la
suite d'une décision de la Chambre des Députés du 28 mars 1901. A noter que
certains directeurs avaient devancé ce vote dans leur école.
LE
REGLEMENT DEPARTEMENTAL: Suivant le Décret du
18 janvier 1887, un règlement des écoles primaires publiques de chaque
département est rédigé par le Conseil départemental de l'Education Nationale,
d'après les indications du règlement modèle arrêté par le Ministre de
l'instruction primaire en Conseil Supérieur. Il fixe le cadre disciplinaire et
les devoirs des enfants, des familles et des maîtres dans le respect des
prescriptions de la République.
(2) : Louis Pergaud, au centre en vareuse claire,
instituteur dans le Doubs, prix Goncourt
1910 avec « De Goupil à Margot », auteur de « La Guerre des
Boutons » en 1912, fut porté disparu le 8 avril 1915, son corps n’a jamais
été retrouvé, comme bon nombre de ses compagnons d’infortune.
(3) : « Retour sur une enquête », pages 25 à 36 du livre du Musée de la Maison d’Ecole « Cent ans d’Ecole ».
Jacques Ozouf s’intéresse à l’école depuis les années 1962-1963, date à laquelle
il eut l’idée d’entreprendre, par voie postale, une enquête d’opinion
rétrospective auprès des instituteurs français ayant exercé avant 1914. Il
avait alors envoyé 20 000 questionnaires et obtenu 4 000 réponses. Il
a présenté un certain nombre de résultats en 1967 dans « Nous les maîtres d’école, Autobiographie d’instituteurs
de la Belle Epoque » (Juillard).
Il a poursuivi ses recherches sur l’école (contenu de l’enseignement, manuels
scolaires, journaux pédagogiques, vie associative des instituteurs) dans de
nombreux articles et sur l’alphabétisation dans le livre publié en 1977 avec
François Furet : « Lire
et écrire, l’alphabétisation des français de Calvin à Ferry » (Editions
de Minuit).
A l’occasion du
centenaire des lois Ferry, Il en dressa le bilan avec le groupe de travail du
musée en 1981 dans « Cent
ans d’Ecole ».
Vous
retrouverez prochainement sur le blog, un article évoquant les conclusions de
cette enquête.
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