samedi 21 décembre 2019

Le conte de fée de Campénéac



1951 :  l’école Jean Jaurès de Montceau
Au secours de l’école de Campénéac (Morbihan)
Deuxième partie


Elèves de la classe de cours préparatoire et cours élémentaires 1 et 2, 1952, photographie prise par M. Quinio, leur instituteur, devant la « baraque » qui leur sert de local (collection musée)



Un véritable conte de fée pour cette fin d’année 2019
Une leçon de solidarité à méditer

Note de M. Joly, Directeur de l’école Jean JAURES à ses adjoints le 29 octobre 1952 :
 « Ci-joint la lettre d’un instituteur du Morbihan, annotée par M. l’Inspecteur d’Académie. M. l’Inspecteur Primaire nous demande d’être cette « école importante et riche » qui viendrait en aide à une école de l’Ouest en plein essor mais aussi en crise de croissance (..) Je n’ai pas voulu prendre d’engagement sans votre accord. Lorsque chacun aura vu cette lettre et réfléchi à la question, nous nous réunirons et verrons ce que nous pouvons faire. Pour ma part, j’estime que ce serait pour nous une occasion de montrer que nous sommes laïques et que nous pouvons le prouver autrement que par des paroles. »








L’année scolaire 1952-1953
Genèse et organisation de l’action en faveur de Campénéac

C’est à la rentrée 1952 que M. Izanic, secrétaire de l’amicale laïque de Campénéac adresse un courrier à l’Inspecteur d’Académie de Saône-et-Loire. Les archives ne mentionnent pas les raisons qui l’ont conduit à choisir notre département pour son appel à l’aide mais on peut supposer qu’il fit sa demande dans d’autres académies. Toujours est-il que M. Jullien (IA 71) et M. Hustache (Inspecteur Primaire) furent prompts à proposer l’école Jean Jaurès comme organisatrice de ce projet.

Ce choix ne fut pas un hasard si l’on a en mémoire l’histoire scolaire et sociale du Bassin minier et notamment de Montceau, ville pour laquelle solidarité et justice avaient une résonance toute particulière depuis le début du siècle. Le conseil des maîtres accepta bien évidemment la proposition de M. Joly qui, aussitôt, prit contact avec M. Izanic dans un courrier du 3 novembre 1952 :

« Monsieur,
J’ai eu communication de la lettre que vous avez adressée le 9 octobre à M. Jullien, Inspecteur d’Académie à Mâcon. M. Jullien, par l’intermédiaire de l’Inspecteur Primaire, cherche une école qui pourrait vous aider. Nous avons été présentés.
L’école dont j’assure la direction compte 330 élèves. Peut-être pourrions-nous faire quelque chose pour vous. Mais pour que notre aide soit la plus efficace possible, il faudrait que vous nous fassiez savoir :
1-     Quelle catégorie d’école vous êtes (garçons, géminée, mixte)
2-     Quels sont vos effectifs dans chaque cours : CP, CE, CM, FE
3-     Quels sont vos besoins les plus urgents : manuels scolaires dont nous ne nous servons plus mais qui pourraient vous dépanner, fournitures scolaires, aide financière, etc…
4-     A quelle adresse, quelle gare devrions-nous éventuellement vous faire des envois.
5-     Enfin tous détails utiles qui nous permettront de mieux définir la nature de notre aide.
N’hésitez pas à nous informer. Dans l’espoir d’une prochaine réponse, je vous prie de croire à mes bons sentiments.
Joly »

La réponse fut rapide, longue et argumentée. C’est l’instituteur  de l’école de Campénéac qui entra en contact avec son homologue montcellien, voici quelques extraits de la lettre :

« Pierre Quinio
Instituteur à Campénéac
CCP-143.659-Nantes                                                                                 Campénéac le 10 novembre

Monsieur et cher collègue,
M. Izanic, secrétaire de notre amicale laïque, m’a transmis la lettre que vous lui avez adressée. Je vous remercie vivement de votre offre de parrainage que j’accepte avec empressement car notre situation n’est pas des plus florissantes au point de vue matériel. Mais je vais vous faire un peu l’historique de l’école afin que vous jugiez plus aisément notre situation.
Ce fut le début de la remontée de l’école, 10 nouveaux élèves, les succès au CEP et au centre d’apprentissage (de Josselin). Et l’année suivante [1941] après bien des heurts avec les adversaires j’arrivais à 41 élèves à Pâques, moment où l’Inspecteur vint me rendre visite et décida la création d’une deuxième classe. Problème : il n’y avait pas de local. Mais notre Inspecteur Primaire réussit après bien des démarches à le résoudre. Il réussit à obtenir un baraquement de l’Office des Victimes de Guerre. C’est ainsi que depuis le 23 mai 1951 la deuxième classe fonctionne. (..)
Comment ai-je obtenu ce résultat ? J’ai bénéficié certainement de conditions favorables par moment. J’étais le premier instituteur depuis 20 ans. Jusque-là il n’y avait eu que des institutrices. En général tous les ans, parfois même 2 fois par an, changement d’institutrice. Ajoutez que les résultats ne plaidaient guère pour l’école. Le seul fait que je sois resté 3 ans de rang m’a valu de connaître presque toute la commune et de pouvoir m’introduire dans les familles. Et surtout je n’ai pas hésité à me consacrer aux œuvres : cantine, amicale. Actuellement, nous servons un repas complet à 33 élèves  et ceci à titre gratuit. Ma femme m’est, inutile de le préciser, d’un secours immense. C’est elle qui fait toute la cuisine car ma collègue actuelle dont le mari est officier au camp de Coëtquidan n’arrive à l’école qu’à 8 h 50 et repart à 18 h. (..) Inutile de vous dire que les dépenses atteignent un chiffre élevé : l’an dernier 60 000 F pour la seule cantine. Nos fournitures sont également gratuites l’an dernier 20 000 F (achat de livres dont l’école était entièrement démunie) à peine pour 20 élèves et ces 20 000 F ne sont pas alloués par la commune. Cette année j’ai pu acheter 14 000 F de livres au titre de la loi Barrangé. Mais il me faudra 5 ans pour doter tous les élèves de livres acceptables. Nous organisons en outre un arbre de Noël avec distribution de jouets et de friandises, coût 12 000 F l’an dernier. Et voilà le budget de l’an dernier établi et arrêté à 12 000 F. Vous allez me demander  et les ressources ? C’est là qu’il me faut me débattre : l’an dernier nous avons pu avec l’aide de quelques amis (dont M. Izanic) boucler le budget.
J’ai en tout et pour tout touché 2 000 F de la commune. Notre arbre de Noël que vous jugerez peut-être superflu nous laisse un bénéfice de l’ordre de 7 000 F car nous organisons à cette occasion une séance récréative et un bal. Nous organisons au mois de juin une kermesse qui l’an dernier nous avait procuré 40 000 F et cette année 34 000 F (nous n’avons pas été favorisés par le temps et le curé avait retardé sa procession de la Fête Dieu et organisé une séance théâtrale gratuite. Je lui ai rendu la monnaie de sa pièce en organisant le jour de sa kermesse un bal qui nous a rapporté 12 500 F. (..) et pour terminer avec le chapitre recettes, j’ajouterai les subventions du Cartel (4 000 F) et de la Fédération de Pupilles (4 800 F). Vous serez sans doute étonné de voir la modicité de la somme allouée par la municipalité. Je vous éclaire : le maire est le beau-père de… l’instituteur libre.
Voici un exposé bien long et parfois embrouillé mais j’ai voulu vous brosser une situation exacte de l’école et pour vous montrer combien votre aide nous sera précieuse. Je ne veux pas m’étendre sur les besoins urgents. Je vous dirai simplement  ce que l’école possède comme manuels : 
Vous voyez que votre aide sera la bienvenue. Que je réponde tout de suite à votre première question. L’école est une école mixte : 28 garçons 15 filles. FE : 3 garçons 1 fille. CM : 13 garçons 4 filles. CE2 : 2 filles 1 garçon.
CE1 : 3 filles 6 garçons. CP : 4 filles 4 garçons. SE : 2 filles.
Adresse de la gare : En gare d’Augan (Morbihan).
Je vais arrêter pour ce soir mes bavardages en vous indiquant que je me propose de demander à mes élèves d’écrire à vos élèves afin de faire connaître leur école et leur pays à leurs « parrains ».


Pierre Quinio est né le 28 avril 1927, à Kernascléden où son père était sabotier et sa mère y tenait un café-restaurant. Alors qu'il étudiait au Lycée Dupuy-de-Lôme de Lorient, replié à Guémené-sur-Scorff, il s'engage en 1944, à 17 ans, dans les rangs de la Résistance. Il prend part aux combats sur le front de Lorient, au sein du 10e bataillon FFI de Jean Le Coutaller.
Après la guerre, il obtient un CAP d'instituteur, il enseigne successivement à Campénéac (1951-1958), à Lanester (1958-1971) et à Quéven où il dirige l'école Jean Jaurès, puis l'école Anatole France.

Élu conseiller municipal en 1971 dans l'équipe de Joseph Kerbellec, il devient adjoint chargé des affaires scolaires. Il succède à Joseph Kerbellec, démissionnaire, en août 1974. Pierre Quinio est réélu aux élections municipales de 1977 avec 75 % des suffrages et poursuit l'œuvre de son prédécesseur et mentor. Il est décédé le 29 décembre 1980 à l’âge de 53 ans. 

Note de M. Joly à ses adjoints en date du 14 novembre 1952 faisant état de la lettre de M. Quinio :




Le 17 novembre 1952, M. Joly prend contact avec le maire de Montceau (Pierre Mazuet de 1944 à 1965)  et lui expose le projet qu’il entend mener avec son équipe :

« Montceau, le 17 novembre  1952
Monsieur le Maire, sur demande de M. l’Inspecteur Primaire l’école de garçons de la rue Jean Jaurès a adopté en parrainage celle de Campénéac (Morbihan). (..) Le jeune instituteur, objets d’attaques incessantes de la part du curé, qui d’autre part déchaîne ses foudres sur la population favorable à l’école laïque, se dépense sans compter ! Cantine, amicale, fêtes, il s’est même engagé à procurer les fournitures scolaires gratuitement aux élèves (..) l’aide de la commune est dérisoire : 2 000 F l’an dernier (le maire est le beau-père de l’instituteur privé) (..) l’école manque de livres ; je vais essayer de la dépanner en rassemblant de vieux manuels qui ne sont plus en usage ici et que l’on destinait au chiffonnier. Je solliciterai certains concours pour avoir de l’argent. Enfin, si vous le permettez, nous pourrions nous restreindre un peu plus encore  au point de vue papeterie pour faire parvenir à l’école de Campénéac quelques cahiers, buvards, plumes, très peu car nos moyens sont limités mais enfin il y aurait  de notre part un geste  qui constituerait un réconfort pour le moins moral.
Le personnel de l’école de la rue Jean Jaurès  serait d’accord pour s’imposer certains sacrifices. Veuillez donc me faire savoir si vous nous accordez l’autorisation de distraire de notre propre attribution de fournitures – sans préjudice sensible pour nos élèves – quelques articles qui seraient bienvenus à Campénéac.
Dans l’attente d’une réponse favorable, je vous prie de croire, Monsieur le Maire, à mes sentiments les meilleurs.
M. Joly »

Dans le même temps, M. Hustache, Inspecteur Primaire, lance un appel aux dons en direction des écoles de la circonscription :

« Inspection Primaire de Montceau
Le 17 novembre 1952
APPEL en faveur d’une école de l’Ouest

L’école de la rue Jean Jaurès vient d’adopter en parrainage, celle de Campénéac (Morbihan). Cette dernière avait 5 élèves en 1948. Elle en a maintenant 43 et atteindra la cinquantaine à Pâques. Inutile de vous préciser aux dépens de qui s’est accomplie cette progression éclair !
Cependant, la lutte est dure. Aide dérisoire de la commune (2 000 F l’an dernier) et le jeune maître se dépense pour parer à tout : cantine, amicale, fête. Il donne même les fournitures gratuitement à ses élèves.
Mais l’école souffre d’une forte crise de croissance. Elle manque de livres. A la rue Jean Jaurès, on en a rassemblé un stock important. Il en manque encore. Je vous serais obligé de bien vouloir regarder si, dans vos collections qui ne sont plus en usage dans votre école, vous ne pouviez pas en rassembler quelques livres ou spécimens qui ne vous intéressent pas  en assez bon état qui pourraient dépanner l’école de Campénéac.
Il faudrait que vous fassiez parvenir ces livres à l’école de la rue Jean Jaurès le jeudi 27 au plus tard.
A l’avance, je vous remercie.
L’Inspecteur Primaire
Hustache »

A la lecture des archives, on se rend compte que la rapidité de la Société Nationale des Chemins de Fer resta aléatoire mais en ce qui concerne le premier envoi de matériel, elle fut sans reproche puisque la commande vraisemblablement effectuée dans la foulée de la date butoir du 27 novembre arriva le 5 décembre :

« Campénéac le 6 décembre 1952

Cher collègue,
J’ai reçu hier, en même temps que votre lettre, vos deux caisses de livres et fournitures qu’un commerçant m’a ramenées d’Augnan. Je suis confus et ne sais comment vous remercier. Quelle abondance ! (..) Je ne serai pas obligé de repasser à la librairie cette année et j’aurai même une légère avance pour l’année prochaine (..) Vous me disiez qu’avec des gens comme moi l’Ecole laïque pouvait se défendre. Vous êtes trop aimable. Je n’ai sans doute pas un grand mérite personnel. Je dois vous dire que j’étais prédestiné à aimer ces luttes car j’en ai toujours eu des exemples sous les yeux. Mon père, laïque dans l’âme, était l’ennemi juré des cléricaux et a beaucoup souffert des brimades du curé de mon pays, quoique tiré de ses luttes à son honneur puisqu’il fut élu conseiller municipal dans un pays clérical. Durant 2 ans mes trois frères et moi étions avec un jeune camarade les seuls élèves de l’Ecole publique. Je vous dirai plus tard toutes les attaques dont mon père a été l’objet tant pour son commerce et son travail que pour sa vie privée. Mais il a tenu ferme comme nos rocs bretons. J’ai hérité de sa volonté. J’ai aussi eu l’exemple de mes oncles, instituteurs dont l’un est directeur de l’Ecole de Rezé-les-Nantes (..) Mais je parle beaucoup de moi, trop même. Votre travail est aussi écrasant et même bien plus écrasant que le mien. Je sais que le secrétariat d’une inspection primaire est une lourde tâche. Vous devez avoir du travail en masse et devez encore en plus assumer la direction de votre école (..) Je joins à ma lettre quelques vues de Campénéac et la carte du département. Mes élèves ont écrit deux lettres. Je vous les envoie avec les fautes et les incorrections. C’est le fruit de leur travail en commun.
Je me propose de leur faire connaître parfaitement notre commune à vos élèves. La semaine prochaine, ils vous adresseront d’autres lettres (..) Il n’existe pas de vue de notre école, mais je vous adresserai des photographies sous peu ainsi que des photos de sites typiques : forêt, chaumières bretonnes, costumes, etc…
En attendant le plaisir de vous lire, croyez cher collègue à mes meilleurs sentiments.
Quinio »

M. Joly avertit immédiatement ses collègues, dès la réception de cette lettre, dans une note de décembre 1952 :




Une des vues de Campénéac envoyée par M. Quinio, 1952, « L’arrivée route de Ploërmel » (collection musée)

Une des vues de Campénéac envoyée par M. Quinio, 1952, « Rocher dit Le Pied d’Anon » (collection musée)

Carte du calendrier des Postes envoyée par M. Quinio, 1952 (collection musée)



Dès janvier 1953, M. Joly sollicite le Patronage des Ecoles laïques de Montceau en ces termes :

« Montceau, janvier 1953
Monsieur Joly, Directeur de l’Ecole de garçons de la rue Jean Jaurès
A Madame la Présidente du Patronage des Ecoles laïques à Montceau

Madame la Présidente,
Comme vous le savez, Monsieur l’Inspecteur d’Académie a demandé à l’Ecole de la rue Jean Jaurès de prendre en parrainage celle de Campénéac dans le Morbihan. (..) Au début de décembre, nous avons fait parvenir 85 kg de matériel à Campénéac. Certaines classes ont déjà collecté de l’argent. Mais étant donné les besoins de cette école, je crois qu’une aide du Patronage qui viendrait s’ajouter à la nôtre ne serait pas de trop. Il n’est pas interdit à un parrain, je crois, de faire appel à tous les membres de la famille en faveur de son filleul. Et voilà une belle occasion de faire de la défense laïque.
En conséquence, je serais reconnaissant aux membres du bureau du Patronage de bien vouloir accorder une subvention à l’école de Campénéac, subvention qui lui faciliterait son démarrage et lui permettrait de triompher  de ses détracteurs.
Dans l’espoir que mon appel sera entendu, je prie le patronage de croire à ma vive gratitude.
M. Joly »

Dans une lettre du 4 janvier 1953, l’instituteur de Campénéac présente ses bons vœux à la famille Joly et aux collègues de la rue Jean Jaurès. Il raconte la réussite de la fête de Noël de son école malgré les difficultés : « Mes élèves ont rédigé pendant les vacances un compte-rendu de cette fête et l’adressent aujourd’hui même à vos élèves. La fête a obtenu un beau succès. La classe était pleine, bien pleine même quoique les curés aient eux aussi organisé pour la 1ère fois un arbre de Noël  qui s’est déroulé à la même heure que le mien… ». Il annonce une belle recette qui ne couvrira certes pas les besoins. Ainsi, il faudra donc organiser un bal fin janvier, un autre en février, un autre en mars pour renflouer régulièrement la caisse. Un long courrier de M. Quinio du 2 février fait le bilan de la situation en ce début d’année 1953 (emploi des fonds reçus, projet de construction de deux classes  par la commune, problèmes récurrents avec l’école privée…). Dès réception, M. Joly la fera circuler parmi ses collègues ainsi que cette note :






« Campénéac le 2 Février,

Cher collègue,
Je viens de recevoir votre lettre que j’ai lue avec grand plaisir tant pour le résultat de vos démarches que pour la façon dont vous nous aidez. (..) Vous avez appris comme moi que l’amendement Simonet relatif aux crédits Barangé a été voté. J’ai été consterné à la lecture de ce projet de loi. Je crois vous avoir déjà dit que la commune doit nous construire deux classes (..) donc pas question pour moi de songer à utiliser tant soit peu de crédits à l’amélioration du matériel d’enseignement. (..) L’école ne compte guère de matériel sensoriel et éducatif pour le Cours Préparatoire, je vais demander un devis à SUDEL. (..)
Nous avons adressé à vos élèves des photos de leurs petits camarades. J’espère qu’elles leur auront fait plaisir et qu’ils auront ainsi plus de plaisir à écrire à des enfants qu’ils connaîtront de vue.



Petits acteurs de SE-CP pour Noël et petits acteurs de CE dans Blanche Neige et les Sept Nains Photographiés par M. Quinio (collection musée)



J’ai aussi photographié notre « palais scolaire » et vous avez pu vous rendre compte que c’est loin d’être luxueux. Les enfants vous ont dit comment on « ventile » la fumée. Le médecin d’hygiène scolaire a d’ailleurs rédigé un rapport concluant à l’insalubrité de la classe. Il y avait encore un lieu qui eût mérité les honneurs de la photo : les waters. C’est une honte de voir ça ! Tout menace de s’écrouler et les enfants nagent dans « l’abondance » c’est le cas de le dire. (..)



« Baraque » de la classe des CM et Fin d’Etudes photographiée par M. Quinio (collection musée)



Vous me demandiez quelques arguments de propagande. J’aurais voulu vous adresser un exemplaire du bulletin paroissial dans lequel le recteur et son vicaire ne ménagent pas leurs attaques mais je me suis démuni des plus intéressants au profit de l’Inspecteur primaire. Je vous copierai jeudi celui de la paroisse voisine [voir lettre suivante du 10 mars] et dans lequel mon collègue d’Augan est mis à rude épreuve. (..) J’ai encore la chance que le vicaire de notre paroisse « déblatère » à tout point de vue et se mette une partie de la population à dos. Aussi, en général, j’arrive à le contrer. Il n’en est pas toujours de même avec la bonne sœur infirmière dont je vous livre une recommandation à une élève de 8 ans « Ma petite Denise prie pour le salut de l’âme de ton frère qui fréquente l’instituteur de l’Ecole laïque » (le frère en question a maintenant sa fille en classe chez moi). Elle profite de ses visites pour essayer de présenter l’Ecole laïque  comme un monstre. Elle n’hésite pas à mettre en parallèle l’Ecole laïque  et le « salut dernier ». C’est mon pire ennemi dans le clergé, d’autant plus dangereuse que je ne peux l’attaquer de front.
Ce ne sont pas là les seuls ennemis de l’Ecole. Nous sommes encore bridés par 3 châtelains, gros propriétaires terriens qui font pression sur leurs fermiers. L’un de ces châtelains est d'ailleurs propriétaire des écoles libres et le « généreux donateur » pour l’arbre de Noël. (..)
Je joins à ma lettre les trois lettres de remerciements pour l’envoi des fonds. Mes élèves préparent un envoi de lettres pour la fin de la semaine. Je vous prie de croire, cher collègue, à mes sentiments les plus cordiaux.
Quinio »

Une des lettres des enfants de Campénéac à leurs parrains de Montceau, promise par leur maître, date du 18 février 1953, la voici annotée par M. Joly et transmise aux enseignants pour leur classe :







Lettre du 10 mars 1953 :

« Cher collègue,
J’ai reçu samedi l’avis de votre virement à mon CCP (..) nous avons déjà commencé, sur les crédits « Montceau-les-Mines », l’acquisition de matériel pour CP et CE. Ma collègue a acheté à Rennes du matériel d’enseignement pour calcul et travail manuel. Nous avons établi une seconde liste de matériel qu’elle prendra à Rennes jeudi prochain. Nous sommes d’autant plus heureux de votre aide qu’en raison de l’amendement Simonet il ne nous faut plus compter sur les crédits Barangé qui seront employés à financer la construction de nos deux classes et du logement. (1)
(..) J’envisage sérieusement  la possibilité d’avoir une 3ème classe dans un avenir assez proche. Je compte en effet sur 8 nouveaux à la rentrée de Pâques ce qui porterait mon effectif à 52. En outre, après la « confirmation » je dois pouvoir compter sur 7 ou 8 autres élèves. (..)
Mais tous ces espoirs risquent d’être anéantis en partie par les pressions des curés. Je vous avais promis une copie du bulletin paroissial de la commune voisine pour vous permettre de juger des procédés employés par les curés de chez nous. (..) Vous pourrez je pense faire connaître aux amis de votre école le climat dans lequel nous luttons, à la simple lecture de cette copie du bulletin paroissial (2).
Croyez, cher collègue, à mes meilleurs sentiments confraternels.
Quinio » 

L’année scolaire 1953-1954
Bilan et pérennisation de l’action

Après un an de parrainage, M. Joly rendit compte de l’action engagée et de l’aide apportée à l’école de Campénéac dans un courrier à M. l’Inspecteur d’Académie en date du 10 juillet 1953 :







Durant cette année, des liens forts se sont tissés entre les enseignants des deux régions et M. Quinio, dans ce premier trimestre de l’année scolaire 53-54, rencontre toujours des difficultés importantes et compte toujours sur l’aide montcellienne. Sa correspondance se fait de plus en plus pressante (3).

Considérant le travail inachevé, les enseignants de l’école Jean Jaurès décident la poursuite de l’aide pour une année encore. Dans cette perspective, M. Joly relance le partenariat engagé l’année précédente :

« Montceau, le 20 janvier 1954

Monsieur le Maire,
J’ai l’honneur de vous informer que le 7 janvier, j’ai fait parvenir à l’école de Campénéac un colis de fourniture scolaires d’une valeur totale de 17 096 francs (port compris).
L’Instituteur de Campénéac, M. Quinio vous en accusera réception.
Je vous serais obligé de bien vouloir, ainsi que vous me l’avez promis verbalement, donner à vos services toutes instructions utiles pour assurer le financement de cet envoi et vous remercie à l’avance.
Désormais, si cette école a encore des besoins, je ferai mon possible pour lui venir en aide par mes propres moyens et vous demanderai seulement de bien vouloir m’accorder toute liberté d’action.
Veuillez agréer, Monsieur le Maire, l’expression de mes sentiments les meilleurs.
M. Joly »

« Montceau, le 8 février 1954
Monsieur Joly, Directeur de l’école de garçons de la rue Jean Jaurès à Madame la Présidente des Patronages laïques de Montceau-les-Mines.

Madame la Présidente,
Cette année encore, je me permets de faire appel au Patronage en faveur de notre filleule, l’école de Campénéac (Morbihan) qui actuellement dépasse les 50 élèves (5 en 1948). Beau résultat atteint grâce à l’activité débordante d’un maître dévoué, M. Quinio, bien secondé d’ailleurs par sa jeune collègue. Et qui malgré la lutte que mènent contre l’Ecole laïque une municipalité réactionnaire, le clergé du lieu et son école privée.
Au cours de l’année scolaire 1952-1953, nous avons fait parvenir à Campénéac :
120 manuels scolaires en bon état
Des livres de bibliothèque, des sous-verre, des Francs Jeux18 000 F de fournitures scolaires
18 575 F en espèces. Dans cette somme était comprise une subvention de 10 000 F du Patronage. (..) Au Patronage, je ne demanderai pas une subvention aussi importante que l’an passé (..) le collègue qui là-bas, ne se plaint pas, ne demande pas la relève ; il ne demande que… des munitions.
Confiant dans votre esprit de solidarité et de foi laïque, je vous prie d’agréer, Madame la Présidente, avec mes remerciements l’expression de mes sentiments les meilleurs.
M. Joly »

Les lettres du 19 janvier et du 16 mars 1954 de M. Quinio, parmi d’autres, montrent bien la rude tâche à laquelle il s’est attelé et laisse transparaître le doute et la fatigue. Elles sont notamment le reflet des luttes qui se trament autour des demandes de l’école libre et qui aboutiront à la loi Debré du 31 décembre 1959 qui verra la naissance des écoles privées sous contrat. Il fait état des pressions du C.A.L.S (voir article précédent) qui tente de fédérer les maires favorables aux écoles « dites libres ». Il y déplore aussi les nombreuses difficultés liées à la construction de ses nouvelles classes sans cesse repoussée (4).  

Eté 1954
Le temps des remerciements

A la fin de l’année scolaire 1953-1954, M. Joly adresse un nouveau bilan des actions réalisées au cours de la période :

« Montceau, juillet 1954

Monsieur l’Inspecteur d’Académie,
J’ai l’honneur de vous rendre compte de l’aide que nous avons apportée au cours de l’année 1953-1954 à l’école de Campénéac dont nous assurons le parrainage depuis 1952.
1. Aide en nature le 7 janvier 1954 : colis contenant 06 555 F de papeterie (surtout des articles représentant une assez grande valeur pour un faible poids – ceci pour diminuer les frais de port (541 F à notre charge)
2. Dons en espèces les 16 février et 10 mars, deux mandats d’un montant total de 22 620 F dont :
5 000 F du Patronage des Ecoles laïques de Montceau
8 000 F du Conseil de Parents d’Elèves
9 620 F provenant des souscriptions faites dans les diverses classes de l’école.
Nous espérons pouvoir continuer une aide aussi importante dans les années à venir.
Veuillez croire, Monsieur l’Inspecteur d’Académie, à mes sentiments respectueux.
M. Joly »

Le mois de juillet sera ponctué de lettres de félicitations pour le parrainage engagé avec l’école de Campénéac, florilège :






Réponse de M. Joly à l’Inspecteur d’Académie du Morbihan le 28 juillet 1954 :

« Montceau-les-Mines, le 28 juillet 1954
M. Joly, Directeur d’école, rue Jean Jaurès à Montceau-les-Mines
A Monsieur l’Inspecteur d’Académie du Morbihan
S/C de Monsieur l’Inspecteur d’Académie de Saône-et-Loire

Monsieur l’Inspecteur d’Académie,
J’ai l’honneur de vous accuser réception de votre lettre de remerciements du 19 juillet. Toutefois je tiens à vous préciser que celle que j’avais adressée à Monsieur l’Inspecteur d’ Académie en résidence à Mâcon n’était qu’un compte-rendu nécessaire et déplore que l’on se croie dans l’obligation de me témoigner quelque gratitude pour une action qui n’est qu’un devoir professionnel.
Je ne manquerai pas de faire part de vos remerciements aux organisations qui ont pris part à cette action comme aux élèves de mon école qui ont pensé à leurs petits camarades de Campénéac.
A l’occasion, je crois bon de vous signaler que j’ai l’impression que notre aide s’adresse à des gens qui en sont dignes. M. Quinio me paraît un maître dévoué, dynamique et à la hauteur d’une tâche difficile. D’autre part, lui-même déclare qu’il est très secondé par une jeune collègue.
J’espère que dans les années à venir nous pourrons continuer à soutenir l’école de Campénéac de façon aussi large que nous le faisons depuis deux ans. Si notre aide lui permet de triompher de ses détracteurs nous en éprouverons vive satisfaction. Ce sera pour nous une belle récompense.
Veuillez agréer, Monsieur l’Inspecteur d’Académie, l’expression de mes sentiments respectueux.
M. Joly »

L’année scolaire 1954-1955
La fin de l’aventure

Si la situation de l’école de Campénéac s’est considérablement améliorée depuis deux ans : « Je suis maintenant à peu près « monté » en matériel et en livres indispensables. Evidemment, il me manque encore bien des choses mais tout de même quelle différence avec ma classe d’il y a quelques années », l’instituteur Quinio dresse un bilan mitigé dans une longue lettre le 12 janvier 1955 en ce qui concerne la concurrence scolaire et les fonds publics.



Lettre de M. Quinio du 12 janvier 1955 dans laquelle il fait référence au « projet St-Cyr » (5) (collection musée)


Suite à cette lettre, M. Joly relance l’opération et remotive ses troupes dans une note du 24 janvier 1955 :
« Pour Campénéac
Je vous communique la dernière lettre de M. Quinio. Je vous dirai tout de suite que pour ma part, j’admire ce collègue et j’estime qu’au moment où l’on fait de nouveau appel au parrainage des Ecoles de l’Ouest, nous ne devons pas ralentir notre aide. Inspirons-nous de l’article paru dans l’Ecole Libératrice du 14 janvier et dont je joins un extrait à la présente lettre.

Article de l'Ecole Libératrice du 14 janvier 1955 cité par M. Joly dans sa note (collection musée)

Nos envois des deux dernières années se sont chiffrés par un total d’environ 40 000 F chaque année. Pour 1954-55, en novembre, j’ai fait parvenir à M. Quinio pour 19 725 F de fournitures. De nouveau je demanderai une aide au Patronage et au Conseil des Parents.

Mais il faut que chacun de vous fasse un effort (..) faites donc une collecte au cours de cette semaine et envoyez-moi les fonds recueillis lundi 31 janvier. (..) Au préalable, expliquez ou rappelez à vos élèves ce qu’est l’Ecole de Campénéac : école d’un pays pauvre et pauvre elle-même parce qu’elle ne reçoit qu’une aide dérisoire de la commune : 2 000 F en 1952, rien en 1953, rien en 1954, les crédits Barangé eux-mêmes ayant été bloqués par le financement de la construction d’une nouvelle école. Dites leur pourquoi il faut aider cette école ; lisez leur la lettre de leurs camarades de là-bas. (..) Enfin, si vous écrivez à M. Quinio vous-même, il en sera très heureux. Ce sera pour lui un réconfort de savoir que 12 maîtres d’une école située « quelque part en France » collaborent unanimement à le soutenir dans le combat qu’il mène sans faiblir.
Je sais que votre esprit laïc me permet de compter sur vous.
Joly »

Ce nouvel appel ne restera pas lettre morte et l’équipe des maîtres ainsi que tous les partenaires assumeront leur devoir comme le montre cette note-bilan de M. Joly du 12 février 1955.




S’en suivit une vive lettre de remerciements adressée à tous les maîtres de l’école Jean Jaurès, document intéressant s’il en est qui nous rappelle les noms des collègues de l’époque, nommés personnellement en en-tête :




Ce seront là les derniers échanges entre la petite école de Campénéac et l’école Jean Jaurès de Montceau. Le dossier cartonné ouvert par M. Joly a délivré ses derniers secrets avec l'ultime fiche récapitulative de l’action  qui donne le sentiment du devoir accompli :







L’histoire ne nous dit pas si l’aide fut continuée les années suivantes, aucun document ne nous est parvenu après que le dossier « Joly » fut clos. M. Joly partit en retraite à ce moment-là et peut-être le voyage de la famille Joly en Bretagne eut-il lieu comme le souhaitait M. Quinio dans sa lettre de novembre 1954, après sa visite à Montceau-les-Mines… 





Pour conclure

Dossier Campénéac (collection musée)



Si le petit instituteur de Campénéac eut un destin politique remarquable, son souvenir reste vif dans sa région natale, pour preuve ces quelques documents :







(1)  :

Lors du débat budgétaire 1952-53, le député MRP de Vendée, Tinguy de Pouet, fait voter l’extension des bourses de l’enseignement supérieur privé. Le Bureau national du SGEN exprime alors à M. Billère, Président de la Commission de l’Education Nationale, ses réserves à l’égard de cette attribution de fonds publics « en dehors de tout plan d’affectation rationnelle des ressources publiques disponibles pour l’Education Nationale », il se demande si toutes les institutions qui vont recevoir des boursiers ont leur place dans l’état des besoins et des ressources d’une nation appauvrie et accablée par la guerre encore récente.


Ecole religieuse de Campénéac, 1950


Dans le même temps, la proposition Dielthem augmente le taux de l’allocation scolaire prévue par la loi Barangé tandis que l’amendement Simonet (député MRP de la Drôme) affecte à la construction et à la réparation des bâtiments scolaires publics les fonds Barangé qui devaient , selon la circulaire ministérielle du 5 décembre 1951, permettre « l’amélioration du service scolaire public ». Le SGEN déplore que la loi Barangé « serve maintenant à décharger les communes de leurs obligations à l’égard des écoles publiques ». La lettre adressée au Président par le syndicat n’est semble-t-il pas sans effet, plusieurs sénateurs dont Léo Hamon appuyé  par la majorité du groupe MRP, obtiennent une modification de l’amendement dans lequel on remplace par une simple « possibilité » l’obligation imposée aux communes, ce que l’Assemblée Nationale ne retiendra pas… 

(2) : Copie manuscrite du bulletin paroissial : 





(3) : Lettres de M. Quinio de la fin 1953 : 







(4) : Lettre de M. Quinio du 19 janvier au 16 mars 1954 : 


Lettre de M. Quinio du 19 janvier 1954, extrait (Collection musée)

Note de M. Joly à ses collègues du 16 mars 1954 concernant le courrier de M. Quinio du 10 mars (collection musée)

Lettre du 10 mars 1954 de M. Quinio, extrait (collection musée)


(5)  :
Jean Saint-Cyr présente le 9 juin 1954 un rapport prévoyant que l’enseignement agricole du premier degré « dispensé dans des centres publics et des établissements privés » (art. 11) « est placé sous l’autorité du ministre de l’agriculture » (art.12). Ce projet favorise substantiellement les centres agricoles privés. Aussitôt l’opposition accuse la proposition de « favoriser l’enseignement privé et confessionnel » et « de démanteler le ministère de l’Education Nationale en lui arrachant une de ses attributions essentielles ».

Commence alors une longue bataille parlementaire, les nouvelles propositions et les débats se succèdent jusqu’à la cession du printemps 1955. Le député Roland Boscary-Monsservin  (MRP) reprend le dossier  de Saint-Cyr, démissionnaire. Membre de l’Association parlementaire pour la liberté de l’enseignement, il défend l’école privée mais le bloc laïc fait front. Le sociologue Paul Fraisse, en 1955, dans la revue Esprit, écrira à son propos : « La profession agricole, note-t-il, se défie de l’Education Nationale, qui ignorerait ses problèmes et détournerait les jeunes de la terre. En réalité, les élus paysans, en majorité de droite, ne souhaitent pas voir renforcer la puissance des instituteurs, en grande majorité à gauche ; ils préfèrent que le contrôle de ce secteur de l’enseignement soit assuré par le ministère de l’agriculture (..) Le gouvernement d’Edgard Faure tente d’accélérer la procédure en présentant son propre projet mais il est rejeté par la commission. Pour sortir de l’impasse, Jean Saint-Cyr tente une nouvelle fois de présenter une proposition de compromis. Dans son exposé des motifs, il parle d’un « condominium » des ministères de l’Education Nationale et de l’Agriculture mais laisse en suspens la question du financement des établissements privés. Le projet est rejeté. »

La question sera tranchée par la loi Debré du 31 décembre 1959, aux allures concordataires, par la création des contrats enseignement privé/Etat.


Ecole religieuse de Campénéac, 1950


P.P

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