lundi 17 février 2020

La "Bibliothèque rose" et la "Bibliothèque verte"



La vie en rose … et vert 



Bibliothèque rose (collection musée)



150 ans d’histoires

Cette collection de livres plébiscités par les écoles est restée bien vivante jusqu’à nos jours. Si elle a assuré le succès de la comtesse de Ségur à partir de 1856 en « bibliothèque rose », il en fut de même pour les voyages extraordinaires de Jules Verne, en 1924, avec le lancement de la « bibliothèque verte ». Le succès fut toujours au rendez-vous. Les années 50 virent l’apparition d’Alice et du Club des Cinq, de Pierre et le Clan des Sept, suivis de Oui-Oui et Fantômette. Dès 2006, les filles prennent le pouvoir avec Sam, Clover, Alex, Will et Charlotte. La saga continuera de Lucky Luke à Kid Paddle, en passant par Titeuf. La richesse des auteurs et des séries devenues culte fera le reste…





Bibliothèque de quai de Lyon-Perrache, vers 1900 (collection privée)



Lors d’un voyage en train en compagnie de Napoléon III, Louis Hachette converse avec Eugène de Ségur qui lui vante les histoires que sa femme, la comtesse de Ségur, invente pour leurs enfants. C’est donc cette dernière qui inaugurera la collection « Les Nouveaux Contes de Fées » en 1856, collection qui ne deviendra « rose » que quatre ans plus tard.

Louis Hachette n’en était pas à son coup d’essai. En effet, en 1853, il avait obtenu le monopole des ventes de livres dans les chemins de fer, copiant l’idée de l’anglais William Henry Smith qui avait fait de même à Londres en 1848. Hachette avait eu l’idée de découper la « Bibliothèque des chemins de fer » en séries thématiques identifiées par les couleurs des couvertures et cette « Bibliothèque » comprenait une collection de couleur rose, la sixième, intitulée « Livres illustrés pour les enfants ».Vingt-cinq titres y furent publiés jusqu’en 1858.

En 1857 apparaît donc la « Bibliothèque rose illustrée », brochée de papier glacé rose pâle, au prix de 2 francs ou cartonnée de percaline rouge, avec une plaque dorée précisant le nom de l’auteur, le titre de la collection et de l’ouvrage, au prix de 2,75 francs. Jusqu’en 1958, 452 titres seront produits. A cette date, la collection deviendra « Nouvelle bibliothèque rose » et enfin « Bibliothèque rose » en 1971.


Les Petites Filles Modèles, texte de la Comtesse de Ségur, illustrations de Bertall, Paris, Hachette « Bibliothèque rose illustrée », troisième édition, 1863 (BnF Y68148)


Les Petites Filles Modèles, texte de la Comtesse de Ségur, illustrations de Bertall, Paris, Hachette « Bibliothèque rose illustrée », troisième édition, 1880 (BnF D10459)


Les Petites Filles Modèles, texte de la Comtesse de Ségur, illustrations de Pécoud, Paris, Hachette « Nouvelle bibliothèque rose N°4 », 1971 (collection musée)



Dès 1858, la collection est structurée autour de trois séries, deux s’adressant aux garçons et filles de 4 à 8 ans et de 8 à 14 ans et une dernière s’adressant aux adolescents (plus particulièrement aux jeunes filles). Plus tard, une organisation plus claire par âge apparaîtra : couleur pâle pour les 6-8 ans, couleur intermédiaire pour les 8-10 ans et couleur foncée pour les 10-12 ans. Elle sera doublée par une organisation thématique : Humour/Emotion pour le rose, Action/Aventure pour le vert. La « Bibliothèque verte » voit le jour en 1924 et s’adresse plus aux garçons puis plus à un public d’adolescents après la Seconde Guerre mondiale.



Bibliothèque verte (collection musée)



Ces deux collections ont vraisemblablement donné le goût de la lecture à des millions d’enfants. Elles connaîtront leur apogée entre les années 50 et les années 80 avec plusieurs séries à grand succès.

Les champions des collections

Incontestablement la série « Le Club des Cinq » (« The Famous Five »), publiée en Angleterre par Enid Blyton de 1942 à 1963, détient le record des ventes. Elle fut traduite en France par Claude Voilier de 1952 à 1967 dans la « Nouvelle bibliothèque rose » puis la « Bibliothèque rose ». Enid Blyton confessa sur le tard que l’un des cinq personnages qu’elle inventa, Claude (Georgina « Claude » Kirrin), était en fait elle-même… Claude Voilier écrivit par la suite 24 volumes supplémentaires qui laissèrent les inconditionnels sur leur faim (1). Notons qu’Enid Blyton écrivit aussi les « Oui-Oui » et « Jojo Lapin ».



Bibliothèque verte (collection musée)



La seconde place revient évidemment à la série « Le Clan des Sept », autre œuvre d’Enid Blyton. Elle publia une série de quinze romans, « The Secret Seven », de 1949 à 1963 en Angleterre. Hachette reprit la série en France de 1958 à 1974 dans la collection « Bibliothèque rose ». Tout comme le fit Claude Voilier avec « Le Club des Cinq », Evelyne Lallemand publia une nouvelle série de neuf romans « Les Sept » dans laquelle elle reprit les personnages d’Enid Blyton, toujours dans la collection « Bibliothèque rose ».



La Nouvelle Bibliothèque rose (collection musée)



Citons pour finir la série « Fantômette » écrite par Georges Chaulet et publiée de 1961 à 2011 dans la collection « Bibliothèque rose ». De fait, le personnage de Fantômette traverse l’époque des nouveaux médias et il fera ainsi l’objet de deux séries télévisées, d’une série de bandes dessinées et d’une pièce de théâtre.



Bibliothèque rose, Fantômette (collection privée)



Ces collections Hachette, rose ou verte, vont avoir, après-guerre, une fonction de moralisation du public ciblé, par opposition aux comics américains accusés d'avoir perverti la jeunesse avant-guerre. Une autocensure va alors s'appliquer et ceci particulièrement dans les années 50 et 60. Du reste, une loi de 1949 instaure le contrôle des publications de jeunesse en France. Dès les années 1970-1980, la bibliothèque verte propose principalement une littérature de divertissement, notamment issue d'autres médias culturels.



La Comtesse de Ségur, édition 1969 (collection musée)



L’année 2000 verra le « rafraîchissement » de l’ensemble des volumes des « Bibliothèques rose et verte », un format semi-cartonné souple au papier de haute gamme voit le jour. Les textes sont modernisés  et remaniés et, comme l’a constaté Anne Crignon : « Le Club des Cinq a perdu son passé simple et pas mal de choses aussi » (1). Les nouvelles séries suscitent donc la polémique auprès des parents considérant que la traduction originale a trop été dénaturée et le niveau de langage trop affaibli…



Nouvelle collection 2000 (collection privée)



En guise de conclusion 

Aujourd'hui, la « Bibliothèque rose » continue toujours de proposer ses grands classiques d'autrefois, mais, mode oblige, les nouveautés se concentrent sur les licences des héros phares de la nouvelle génération : les Winx, Titeuf et les personnages Disney.



Donald cherche fortune, Paris, Hachette « Bibliothèque rose », 2001 (collection privée)


Titeuf, Paris, Hachette « Bibliothèque rose », 2000 (collection privée)


Winx, Paris, Hachette « Bibliothèque rose », 2005 (collection privée)



Le catalogue des deux bibliothèques rose et verte continue d’afficher un contenu riche et varié qui s’adapte à son temps. Il conserve bon an mal an les valeurs qui font de ces collections un incontournable pour les jeunes de 6-12 ans, que ce soit à travers ses textes d’auteurs, ses inspirations de la télévision ou du cinéma ou de ses adaptations de jeux vidéo  et de mangas.

Sources :

-       d’Anne Crignon : Le Club des Cinq junior. Un après-midi bien tranquille. Hachette Livres.
-       wikipedia.org/wiki/Enid_Blyton
-       Niere-Cheverel, Isabelle et Perrot, Dictionnaire du livre de jeunesse, Editions du Cercle de la Librairie
-       Prince Nathalie, La littérature de jeunesse en question(s), Nouvelle édition [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2009
-       Heywood Sophie, Pippi Longstocking, Juvenile Delinquent ? Hachette, Self-Censorship and the Moral Reconstruction of Postwar France, Itinéraires [En ligne], 2016.
-       CANOPE, exposition La Bibliothèque rose, la Bibliothèque verte, 2017.

(1)  :  Soixante ans après leur apparition en France, les héros d'Enid Blyton sont toujours aussi populaires. Mais leurs aventures font l'objet de rééditions de plus en plus simplifiées à en croire l’étude d’Anne Crignon : Le Club des Cinq junior. Un après-midi bien tranquille. Hachette Livres :



Enid Blyton, Le Club des Cinq et Le Clan des Sept (collection musée)



« Enid Blyton avait laissé quelques historiettes en jachère dans ses imposantes archives, que Hachette a rachetées en 2012 à Londres. De courtes aventures écrites, imagine-t-on, du temps qu'elle était gouvernante de très jeunes enfants. Hachette n'ayant pas à composer avec des héritiers sourcilleux, ces fonds de tiroir vont paraître dans une collection créée ad hoc pour les 6 à 8 ans: «le Club des Cinq junior». Le premier texte, en librairie cette semaine (avril 2017), s'intitule «Un après-midi bien tranquille». Edgar, 7 ans et demi, un goût affirmé pour la lecture, l'a avalé en un quart d'heure et trouvé «rigolo», particulièrement le chien Dagobert avec ses «ouaff'» sempiternels.

Quoi qu'on pense de ce Club des Cinq riquiqui, le miracle est là : la série « The Famous Five » écrite « pour la libération des enfants », selon François Rivière, biographe d'Enid Blyton, et installée depuis 1955 dans les librairies de France, est toujours au XXIe siècle une œuvre qui compte 300.000 exemplaires vendus rien qu'en France en 2016. Pour comprendre comment Hachette la «modernise» depuis soixante ans, nous avons donc lu et comparé, stylo à la main, « le Club des Cinq contre-attaque » dans ses versions successives : celle de 1955 avec la tranche jaune qui a préludé à la Bibliothèque rose (très prisée des bibliophiles), celle de 1974 dans la Rose, et ses versions édulcorées en 2000 et 2005.

Exit, le passé simple :
Six ans après la mort d'Enid Blyton, les modifications survenues sont un incroyable coup de ciseaux: 400 lignes de moins en 1976, soit douze pages ou l'équivalent de deux chapitres. Des bavardages charmants et des considérations échangées par François, Mick, Claude et Annie en marge de l'intrigue disparaissent. Chez Hachette, on n'a pas gardé trace de ce travail éditorial; mais on est passé de 31 dessins à 57.

Dans les années 2000, la série est reprise. On raccourcit, on simplifie. On ôte au texte son vocabulaire désuet - des mots comme « grommeler » - et les marques d'une technologie dépassée - les enfants ne reçoivent plus un télégramme mais un appel téléphonique. En 2005, la bascule est spectaculaire: pour les 150 ans de la Bibliothèque rose, le passé simple est déclaré non grata. La série est réécrite au présent. On ne veut pas risquer qu'un enfant lâche le livre au premier « découvrit » venu.

"Le premier polar pour enfants" :
Un autre Club entre alors en scène, celui des anciens lecteurs catastrophés. Qui ose dégrader ainsi la chère série de leur enfance? Un blogueur nommé Celeborn prend la tête de la contestation. Le petit Edgar, à qui nous expliquons cette querelle, dit qu'il «aime bien le passé» et file chercher un Roald Dahl écrit au passé simple. « Si c'est au présent, dit-il, c'est comme si ça arrivait au moment où c'est écrit. Avec le passé, on voit que ça leur est déjà arrivé. » Mais Edgar grandit dans un milieu où on lit. Or le Club des Cinq est pensé pour le grand public enfantin. C'est « le premier polar pour enfant et les abdominaux de la lecture », disait Charlotte Ruffault, l'éditrice qui décida de tout mettre au présent.

Aujourd'hui encore cette série doit être « divertissante, attrayante et facile, explique Myriam Héricier, directrice des Bibliothèques rose et verte. Les enfants commencent par le Club des Cinq puis ils lisent Jack London et plus tard Kant, et nous avons gagné. » Jamais elle ne réécrirait la comtesse de Ségur, qui reflète l'esprit du XIXe siècle, mais il lui semble pertinent de simplifier la série la plus susceptible de faire aimer les livres. Le prix à payer, c'est que le Club des Cinq de 2017 a bel et bien perdu son charme au profit d'une intrigue déshabillée jusqu'à l'os et d'une histoire platement rédigée.
Que faire, alors ? Proposer deux versions en librairie. Celle des années 1970, avec son passé simple et ses longueurs savoureuses, simplement modernisée par les illustrations; et l'actuelle, rétrécie au nom de la lecture pour tous. »



Enid Blyton, édition 1982 (collection musée)


Enid Blyton, N°21, 1975 (collection musée)



P.P

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