La
vie en rose … et vert
150 ans d’histoires
Cette collection de livres
plébiscités par les écoles est restée bien vivante jusqu’à nos jours. Si elle a
assuré le succès de la comtesse de Ségur à partir de 1856 en « bibliothèque
rose », il en fut de même pour les voyages extraordinaires de Jules Verne,
en 1924, avec le lancement de la « bibliothèque verte ». Le succès
fut toujours au rendez-vous. Les années 50 virent l’apparition d’Alice et du
Club des Cinq, de Pierre et le Clan des Sept, suivis de Oui-Oui et Fantômette.
Dès 2006, les filles prennent le pouvoir avec Sam, Clover, Alex, Will et
Charlotte. La saga continuera de Lucky Luke à Kid Paddle, en passant par
Titeuf. La richesse des auteurs et des séries devenues culte fera le reste…
Lors d’un voyage en train en compagnie de Napoléon III, Louis
Hachette converse avec Eugène de Ségur qui lui vante les histoires que sa
femme, la comtesse de Ségur, invente pour leurs enfants. C’est donc cette
dernière qui inaugurera la collection « Les Nouveaux Contes de Fées »
en 1856, collection qui ne deviendra « rose » que quatre ans plus
tard.
Louis Hachette n’en était pas à son coup d’essai. En effet,
en 1853, il avait obtenu le monopole des ventes de livres dans les chemins de
fer, copiant l’idée de l’anglais William Henry Smith qui avait fait de même à
Londres en 1848. Hachette avait eu l’idée de découper la « Bibliothèque
des chemins de fer » en séries thématiques identifiées par les couleurs
des couvertures et cette « Bibliothèque » comprenait une collection
de couleur rose, la sixième, intitulée « Livres illustrés pour les enfants ».Vingt-cinq
titres y furent publiés jusqu’en 1858.
En 1857 apparaît donc la « Bibliothèque rose
illustrée », brochée de papier glacé rose pâle, au prix de 2 francs ou cartonnée
de percaline rouge, avec une plaque dorée précisant le nom de l’auteur, le
titre de la collection et de l’ouvrage, au prix de 2,75 francs. Jusqu’en
1958, 452 titres seront produits. A cette date, la collection deviendra
« Nouvelle bibliothèque rose » et enfin « Bibliothèque
rose » en 1971.
Dès 1858, la collection est
structurée autour de trois séries, deux s’adressant aux garçons et filles de 4
à 8 ans et de 8 à 14 ans et une dernière s’adressant aux adolescents (plus
particulièrement aux jeunes filles). Plus tard, une organisation plus claire
par âge apparaîtra : couleur pâle pour les 6-8 ans, couleur intermédiaire
pour les 8-10 ans et couleur foncée pour les 10-12 ans. Elle sera doublée par
une organisation thématique : Humour/Emotion pour le rose, Action/Aventure
pour le vert. La « Bibliothèque verte » voit le jour en 1924 et
s’adresse plus aux garçons puis plus à un public d’adolescents après la Seconde
Guerre mondiale.
Ces deux collections ont
vraisemblablement donné le goût de la lecture à des millions d’enfants. Elles
connaîtront leur apogée entre les années 50 et les années 80 avec plusieurs
séries à grand succès.
Les
champions des collections
Incontestablement la série
« Le Club des Cinq » (« The Famous Five »), publiée en
Angleterre par Enid Blyton de 1942 à 1963, détient le record des ventes. Elle
fut traduite en France par Claude Voilier de 1952 à 1967 dans la « Nouvelle
bibliothèque rose » puis la « Bibliothèque rose ». Enid
Blyton confessa sur le tard que l’un des cinq personnages qu’elle inventa,
Claude (Georgina « Claude » Kirrin), était en fait elle-même… Claude
Voilier écrivit par la suite 24 volumes supplémentaires qui laissèrent les inconditionnels sur leur faim (1). Notons qu’Enid Blyton écrivit aussi les
« Oui-Oui » et « Jojo Lapin ».
La seconde place revient
évidemment à la série « Le Clan des Sept », autre œuvre d’Enid
Blyton. Elle publia une série de quinze romans, « The Secret Seven »,
de 1949 à 1963 en Angleterre. Hachette reprit la série en France de 1958 à
1974 dans la collection « Bibliothèque rose ». Tout comme le fit
Claude Voilier avec « Le Club des Cinq », Evelyne Lallemand publia une nouvelle série de neuf romans « Les Sept » dans laquelle elle
reprit les personnages d’Enid Blyton, toujours dans la collection « Bibliothèque
rose ».
Citons pour finir la série
« Fantômette » écrite par Georges Chaulet et publiée de 1961 à 2011
dans la collection « Bibliothèque rose ». De fait, le personnage de
Fantômette traverse l’époque des nouveaux médias et il fera ainsi l’objet de
deux séries télévisées, d’une série de bandes dessinées et d’une pièce de
théâtre.
Ces
collections Hachette, rose ou verte, vont avoir, après-guerre, une fonction de
moralisation du public ciblé, par opposition aux comics américains accusés
d'avoir perverti la jeunesse avant-guerre. Une autocensure va alors s'appliquer
et ceci particulièrement dans les années 50 et 60. Du reste, une loi de 1949
instaure le contrôle des publications de jeunesse en France. Dès les années
1970-1980, la bibliothèque verte propose principalement une littérature de
divertissement, notamment issue d'autres médias culturels.
L’année 2000 verra le
« rafraîchissement » de l’ensemble des volumes des
« Bibliothèques rose et verte », un format semi-cartonné souple au
papier de haute gamme voit le jour. Les textes sont modernisés et remaniés et, comme l’a constaté Anne
Crignon : « Le Club des Cinq a
perdu son passé simple et pas mal de choses aussi » (1).
Les nouvelles séries suscitent donc la polémique auprès des parents considérant
que la traduction originale a trop été dénaturée et le niveau de langage trop
affaibli…
En
guise de conclusion
Aujourd'hui, la « Bibliothèque
rose » continue toujours de proposer ses grands classiques d'autrefois,
mais, mode oblige, les nouveautés se concentrent sur les licences des héros
phares de la nouvelle génération : les Winx, Titeuf et les personnages Disney.
Le
catalogue des deux bibliothèques rose et verte continue d’afficher un contenu
riche et varié qui s’adapte à son temps. Il conserve bon an mal an les valeurs
qui font de ces collections un incontournable pour les jeunes de 6-12 ans, que
ce soit à travers ses textes d’auteurs, ses inspirations de la télévision ou du
cinéma ou de ses adaptations de jeux vidéo
et de mangas.
Sources
:
-
d’Anne Crignon : Le Club des Cinq junior. Un après-midi bien tranquille. Hachette Livres.
-
wikipedia.org/wiki/Enid_Blyton
-
Niere-Cheverel, Isabelle et Perrot, Dictionnaire du livre de jeunesse,
Editions du Cercle de la Librairie
-
Prince Nathalie, La littérature de jeunesse en question(s), Nouvelle édition [en
ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2009
-
Heywood Sophie, Pippi Longstocking, Juvenile Delinquent ? Hachette, Self-Censorship and the Moral
Reconstruction of Postwar France, Itinéraires [En ligne], 2016.
-
CANOPE,
exposition La Bibliothèque rose, la
Bibliothèque verte, 2017.
(1) : Soixante ans après leur apparition en France,
les héros d'Enid Blyton sont toujours aussi populaires. Mais leurs aventures
font l'objet de rééditions de plus en plus simplifiées à en croire l’étude d’Anne
Crignon : Le Club des
Cinq junior. Un après-midi bien
tranquille. Hachette Livres :
« Enid
Blyton avait laissé quelques historiettes en jachère dans ses imposantes
archives, que Hachette a rachetées en 2012 à Londres. De courtes aventures
écrites, imagine-t-on, du temps qu'elle était gouvernante de très jeunes
enfants. Hachette n'ayant pas à composer avec des héritiers
sourcilleux, ces fonds de tiroir vont paraître dans une collection créée ad hoc
pour les 6 à 8 ans: «le Club des Cinq junior». Le premier
texte, en librairie cette semaine (avril 2017), s'intitule «Un après-midi bien
tranquille». Edgar, 7 ans et demi, un goût affirmé pour la lecture, l'a
avalé en un quart d'heure et trouvé «rigolo»,
particulièrement le chien Dagobert avec ses «ouaff'» sempiternels.
Quoi qu'on
pense de ce Club des Cinq riquiqui, le miracle
est là : la série « The Famous Five
» écrite « pour la
libération des enfants », selon François Rivière,
biographe d'Enid Blyton, et installée depuis 1955 dans les librairies de
France, est toujours au XXIe siècle une œuvre qui compte 300.000 exemplaires
vendus rien qu'en France en 2016. Pour comprendre comment Hachette la «modernise» depuis soixante ans,
nous avons donc lu et comparé, stylo à la main, « le Club des Cinq contre-attaque
» dans ses versions successives : celle de 1955 avec la tranche jaune qui a
préludé à la Bibliothèque rose (très prisée des bibliophiles), celle
de 1974 dans la Rose, et ses versions édulcorées en 2000 et 2005.
Exit,
le passé simple :
Six
ans après la mort d'Enid Blyton, les modifications survenues sont un
incroyable coup de ciseaux: 400 lignes de moins en 1976, soit douze pages ou
l'équivalent de deux chapitres. Des bavardages charmants
et des considérations échangées par François, Mick, Claude et Annie
en marge de l'intrigue disparaissent. Chez Hachette, on n'a pas gardé trace de
ce travail éditorial; mais on est passé de 31 dessins à 57.
Dans les années 2000, la série est reprise. On
raccourcit, on simplifie. On ôte au texte son vocabulaire désuet
- des mots comme « grommeler » - et les marques d'une
technologie dépassée - les enfants ne reçoivent plus un télégramme mais un
appel téléphonique. En 2005, la bascule est spectaculaire: pour les 150
ans de la Bibliothèque rose, le passé simple est déclaré non grata. La
série est réécrite au présent. On ne veut pas risquer qu'un enfant
lâche le livre au premier « découvrit » venu.
"Le
premier polar pour enfants" :
Un
autre Club entre alors en scène,
celui des anciens lecteurs catastrophés. Qui ose dégrader ainsi
la chère série de leur enfance? Un blogueur nommé Celeborn prend la tête
de la contestation. Le petit Edgar, à qui nous expliquons cette
querelle, dit qu'il «aime bien le passé» et file chercher
un Roald Dahl écrit au passé simple. « Si c'est au présent, dit-il, c'est comme si ça arrivait
au moment où c'est écrit. Avec le passé, on voit que ça leur est
déjà arrivé. » Mais Edgar grandit dans un milieu où on lit.
Or le Club des Cinq est pensé pour le grand
public enfantin. C'est « le premier polar pour enfant et les abdominaux de
la lecture », disait Charlotte Ruffault, l'éditrice qui décida
de tout mettre au présent.
Aujourd'hui
encore cette série doit être « divertissante,
attrayante et facile, explique Myriam Héricier,
directrice des Bibliothèques rose et verte. Les enfants commencent
par le Club des Cinq puis ils lisent Jack London et
plus tard Kant, et nous avons gagné. » Jamais elle ne réécrirait la
comtesse de Ségur, qui reflète l'esprit du XIXe siècle, mais il lui semble
pertinent de simplifier la série la plus susceptible de faire aimer les
livres. Le prix à payer, c'est
que le Club des Cinq de 2017 a bel et bien perdu son
charme au profit d'une intrigue déshabillée jusqu'à l'os et d'une histoire
platement rédigée.
Que faire,
alors ? Proposer deux versions en librairie. Celle des années 1970,
avec son passé simple et ses longueurs savoureuses, simplement modernisée
par les illustrations; et l'actuelle, rétrécie au nom de la lecture
pour tous. »
P.P
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