François Bourgogne
Instituteur à Gourdon (71)
Instituteur à Gourdon (71)
(1837– 1850)
François Bourgogne est né à Collonges (canton de La Guiche en
Saône-et-Loire), le 16 floréal, an XIII, selon le calendrier républicain,
ou le 6 mai 1804, d’après le calendrier grégorien, rétabli en 1806. Il était le
fils d’un manœuvre, comme l’atteste son certificat de naissance, probablement
d’un humble manœuvre agricole de village.
Les gouvernements d’après Révolution (1789 –
1799) avaient donc énoncé des idées généreuses quant à l’éducation populaire.
Les gouvernements qui suivirent cette période, quant à eux, se montrèrent peu
favorables à l’école primaire publique et à ses maîtres. Il avait fallu
attendre la Monarchie de Juillet (1830 – 1848), sous le roi Philippe 1er,
pour voir le ministre François Guizot, par la loi du 28 juin 1833 (1),
s’efforcer de développer vraiment l’enseignement primaire public en instituant
un Brevet de capacité réglementant l’exercice de l’enseignement.
François
Bourgogne,
plutôt que de devenir religieux, avait choisi d’être instituteur public. Dans
ces temps incertains pour la fonction, son choix fut clair et démontrait déjà,
sinon son engagement politique, du moins son attachement aux idées
républicaines.
Les premières mentions de François Bourgogne
instituteur se trouvent dans son acte de mariage avec Philiberte Denis à
Mont-Saint-Vincent, le 27 novembre 1828. Il y est indiqué qu’il est instituteur
à Marigny (source dann31). Plus tard, dans
l’acte de naissance de l’un de ses enfants, Emiland, à Gourdon,
commune de Saône-et-Loire (canton de Mont-Saint-Vincent), en 1832, il est aussi
désigné comme exerçant cette profession. On peut croire qu’il possédait les
connaissances souhaitables pour enseigner, on ignore cependant comment il
atteignit son niveau d’instruction et comment il avait été autorisé
provisoirement à enseigner à Marigny puis à Gourdon par le recteur de
l’académie de Dijon.
Il
est peu probable que la commune de Gourdon ait eu un bâtiment d’école dédié à
cette époque : « Il est plus
que vraisemblable que sous la monarchie de Juillet et jusqu'au milieu du Second
Empire l'école est établie dans une maison louée par la commune à un
particulier, puisqu'il n'y a pas d'acquisition d'immeuble avant 1855. Il est
rarement possible d'identifier avec certitude les immeubles loués qui ont servi
d'école, car même si l'on trouve un bail de location, ce dernier ne donne
généralement pas les cotes cadastrales.(..) En ce qui concerne le caractère
congréganiste ou laïc de l'enseignement, je n'ai pas d'élément précis
concernant Gourdon. (..) On trouve régulièrement, sous le Second Empire, des
délibérations municipales à ce propos. Le préfet nommait les instits, mais
selon l'avis des conseils municipaux entendus selon les termes du décret du 9 mars 1854. Ce dernier a donné lieu à
de multiples jurisprudences. En 1869, la question sous-tendue est souvent celle
de la gratuité, généralement la règle dans les écoles congréganistes, alors que
la loi Duruy de 1867 pose le principe de la gratuité partielle pour les écoles
publiques qui peuvent désormais l'assurer grâce à une imposition extraordinaire. » (Alain Dessertenne, voir https://adessertenne.pagesperso-orange.fr/,
Ecoles communales)
Toujours est-il qu’en 1837, pour obtenir,
selon la loi de 1833, le diplôme exigé, François Bourgogne passa devant une
commission d’attribution composée de Louis Hiacynthe Méline, inspecteur de
l’Académie de Dijon ; Jean-Baptiste
Tellorce, conseiller de préfecture ; Théo Lorain, juge
d’instruction : Théodore Bonnaire, principal de collège ; Pierre Poulain,
professeur de mathématiques et Alfred Letallier, inspecteur des écoles
primaires. Cette commission comprenait donc un inspecteur d’académie et un
inspecteur primaire « particulièrement
compétents en pédagogie » mais particulièrement inutiles aux yeux des
autres membres… (2).
François Bourgogne fut examiné sur
l’instruction morale et religieuse, puis sur les matières essentielles et les
méthodes de l’enseignement primaire. Ayant passé les épreuves avec succès, il
reçut le Brevet de capacité pour l’enseignement primaire élémentaire.
C’est ainsi que le 30 juin 1837, il fut
officiellement « institué instituteur de Gourdon pour y tenir une école primaire élémentaire »,
autorisation donnée cette fois par le ministre Narcisse-Achille de Salvandy, Grand
maître de l’Université, au nom du roi.
Il ne restait plus à François Bourgogne, qu’à
prêter le serment de fidélité envers Louis-Philippe 1er , le 10
septembre 1837 et il fut installé rapidement dans ses fonctions par le comité
local témoin, il avait 32 ans. Il prodigua son enseignement pendant 13 ans en
cette commune.
Une décision prise le 28 décembre 1850 par le
recteur de l’académie de Saône-et-Loire et son conseil, obligea François
Bourgogne à aller exercer, dès lors provisoirement, en la commune de Mornay
(canton de Saint-Bonnet-de-Joux). Fallait-il voir, dans cette mutation non
désirée, une sanction ? Le recteur motivait cette nomination par le fait
que le conseil municipal de cette commune n’avait pas encore choisi
d’instituteur communal sur la « liste
d’admissibilité et d’avancement » qui lui avait été adressée, curieux
motif.
Un arrêté du ministre de l’instruction publique et des cultes, le 5 juillet 1851,
nomma donc le sieur Bourgogne François, instituteur de la commune de Mornay et
annonça qu’il y serait installé par le délégué de Monsieur le recteur
d’académie, ce qui fut fait le 1er septembre 1851.
Une mise à l’écart
forcée
Le déplacement de l’instituteur était
évidemment lié à des circonstances politiques. Selon la tradition familiale,
parvenue jusqu’à nous, celui-ci était républicain. Il avait sans doute appris,
à l’issue de la Révolution des 22, 23 et 24 février 1848, la proclamation de la
Seconde République le 24 février et il dut montrer, imprudemment sans doute, de
vives espérances. Cependant, le nouveau régime, très démocratique à ses débuts,
fut bientôt trahi, à la suite de l’élection par le peuple mal informé, de
Louis-Napoléon Bonaparte, Président de la République (le 10 décembre 1848) et
d’une Assemblée Législative en majorité royaliste.
Une menace durable s’en suivit contre les
instituteurs républicains, car, en accord avec l’Assemblée, ce Président et
bientôt Prince-Président, commença d’en révoquer bon nombre, dès 1850, avant
d’abolir la République par son coup d’état du 2 décembre 1851. Un an plus tard, il se proclamait Empereur
sous le nom de Napoléon III (2 décembre 1852). S’ouvrit alors une période durant
laquelle les cléricaux eurent la part belle (3).
Des raisons politiques donc présidèrent à
l’éviction de François Bourgogne de la commune de Gourdon. Sa nouvelle
affectation fut de courte durée puisque dès le 19 juillet 1851, il était
vivement réprimandé, en une lettre, par le recteur qui l’avait fait nommer à
Mornay : « … j’étais loin de m’attendre que vous
donneriez lieu à des plaintes soit de la part de l’autorité administrative,
soit de la part des autorités locales et que
vous vous rendriez impossible dans cette localité… ». Là
encore la persécution était d’ordre politique et ne pouvait provenir que de
partisans de la restauration de l’empire puisque le maire de Mornay, en accord
avec ses conseillers municipaux, capable d’écrire, certifia le 9 mars 1852
notamment que « … le sieur Bourgogne François … a apporté tout le zèle
et l’application dans ses services qu’on est en droit d’attendre d’un
instituteur et qu’il emporte le regret général des habitants… ».
Certaines « autorités » ne
pouvaient manquer de menacer un républicain, quel qu’il fut, pour écarter tout
obstacle aux ambitions du Président de la République. La lettre du 19 juillet
1851 rappelait à François Bourgogne ses antécédents (sous-entendues : ses
initiatives politiques républicaines), en lui laissant penser que cela pouvait
désormais être ignoré… s’il adoptait une conduite conformiste, considérée
comme « morale et indispensable ». Il pourrait
alors redemander son inscription sur « la
liste d’admissibilité » des instituteurs enseignants. Le recteur
consentait ainsi pour lui « à un nouvel et dernier essai ».
C’était une menace, à peine déguisée, de révocation sans appel.
Il s’en suivit une lettre le 23 février 1852
par laquelle le recteur l’invitait à se « rendre immédiatement à
Chevagny-sur-Guye » où
Monsieur le Maire devait l’installer dans ses fonctions et
où il devait éviter toute plainte
« de la part des diverses autorités chargées de la surveillance
des écoles ».
Par son « Instruction
Publique » du 22 avril 1852, le recteur de l’académie de
Saône-et-Loire confirmait cette nomination, toujours à titre provisoire, à la
direction de l’école communale de Chevagny-sur-Guye d’ « un laïque »
demandé par le conseil municipal local.
François Bourgogne mourut huit ans plus tard,
le 1er avril 1860, âgé de 50 ans, étant déclaré « instituteur
à Chevagny » par l’avis de décès. Il lui était né plusieurs enfants. Leur éviter la
misère lui a-t-il paru essentiel ? Son garçon âgé de 18 ans en 1852
n’était que domestique de ferme… Les soucis familiaux l’ont-ils fait renoncer à
la politique ? Sa carrière sembla dès lors moins houleuse, grâce peut-être
aussi à la certaine tolérance enfin
favorable aux instituteurs laïcs intervenue sous le ministère Rouland
(1856-1863). Cette dernière lui fut sans nul doute salutaire…
Les troubles qui ponctuèrent la carrière de
François Bourgogne restèrent cependant sans commune mesure avec ceux que
subirent d’autres instituteurs du département (4).
(1) : La loi Guizot du 28 juin 1833 prévoie
l’ouverture obligatoire d’une école primaire par commune de plus de cinq cents
habitants mais n’institue pas l’obligation scolaire, les parents peuvent garder
leurs enfants à la maison pour de menus travaux ou les mettre au travail dès
leur plus jeune âge. Par ailleurs, la loi s’en tient à l’enseignement des
garçons, la Chambre n’est pas prête à voter des crédits pour promouvoir
l’instruction des filles mais émet l’idée que les filles pourraient toujours
fréquenter l’école de garçons, proposition farfelue quand on sait qu’à cette
époque, et pour longtemps encore, l’Eglise jugeait immorale la mixité. Guizot
s’attacha d’autre part, à redéfinir le statut de l’enseignant du primaire dont
il voulait faire un fonctionnaire d’Etat. L’obligation est faite aux communes
de dégager les ressources nécessaires à l’entretien de l’école et de son
maître, le département et l’Etat pouvant fournir un complément le cas échéant.
L’instituteur doit avoir un logement et son
salaire fixe ne doit pas être inférieur à 200 francs par an.
(2) : Par l’ordonnance du 26 février
1835, Guizot fonde l’inspection primaire et académique composée d’un inspecteur
assisté de deux sous-inspecteurs qui seront chargés de visiter les écoles du
département. Rapidement, le contrôle effectué par ces fonctionnaires d’Etat se
heurte au contrôle des notables locaux auquel le fonctionnement quotidien des
écoles reste soumis : les nominations des instituteurs sont soumises à un
comité d’arrondissement où siègent les notables
et où les inspecteurs n’ont pas voix délibératrice. Par le biais de ces
comités, le clergé garde donc la mainmise sur l’instruction publique alors que
Guizot voulait une école neutre. Du reste, l’Eglise s’opposera toujours au
contrôle de l’Etat sur ses propres écoles, de même qu’elle se soumettra de
mauvaise grâce à la nécessité pour les religieux de détenir un brevet pour
enseigner.
(3) : Pendant sa courte présidence,
Louis-Napoléon nomma M. de Falloux ministre de l’Instruction publique.
Légitimiste et clérical, Falloux mit au point la loi de 1850, aidé en cela de
Montalembert, de Mgr Dupanloup et de Thiers. L’état d’esprit de ces
législateurs était sans appel. Comme le disait Montalembert : « Il y a deux armées en présence, l’armée des
instituteurs et l’armée des curés. A l’armée démobilisatrice et anarchique des
instituteurs, il faut opposer l’armée du clergé. » On amalgame et on range tous les instituteurs du côté des insurgés,
oubliant que s’il s’en trouvait pour adhérer au socialisme naissant, bon nombre d’entre eux étaient encore des
chantres et des sacristains à la veille de la Deuxième République. La vérité
est plus sournoise, c’est l’instruction génératrice de revendication elle-même
qui est visée comme le dira à demi-mots Thiers à la commission
extra-parlementaire du 10 janvier 1849 : « Oui, je dis que je
soutiens que l’enseignement primaire ne doit pas être forcément et
nécessairement mis à la portée de tous ; J’irai même jusqu’à dire que
l’instruction est suivant moi un commencement d’aisance et que l’aisance n’est
pas réservée à tous. » Il proclame
bientôt : « Moi qui, à une autre époque ne voulais pas immoler
l’université au clergé, qui certes quant à l’enseignement secondaire, n’y
serais pas encore disposé aujourd’hui, je suis prêt à lui donner tout
l’enseignement primaire. » Il va
sans dire qu’on n’encouragea pas la création des écoles normales voulues par
Guizot, ces pépinières de « petits instituteurs laïques… à la
dévorante ambition » (Thiers). La
loi accompagna donc le développement de l’enseignement confessionnel, tandis
qu’on épurait le corps des enseignants laïques. Quatre mille instituteurs
furent révoqués durant cette période.
Malgré tout, à certains égards, la loi
Falloux est un compromis entre l’Eglise et l’Etat. Elle tend à donner aussi une
certaine autonomie à l’administration scolaire : l’inspecteur siège
désormais avec voix délibératrice dans le conseil académique qui remplace les
comités d’arrondissement. C’est ce conseil qui dresse la liste d’aptitude sur
laquelle les municipalités devront choisir leurs instituteurs. Au surplus, dès
1952, les enseignants de primaire seront choisis par le recteur départemental,
puis, en 1854, par le préfet sur rapport écrit de l’inspecteur d’académie.
Cependant, les notables locaux (dont les ecclésiastiques) gardent la
possibilité de passer outre cette procédure administrative grâce aux délégués
cantonaux qui inspectent les écoles au nom du conseil départemental et ne manquent
pas d’influencer directement les recteur… c’est ce qui, probablement, arriva à
François Bourgogne le 28 décembre 1850.
(4) : « Le département de Saône-et-Loire fut un de ceux où le Coup
d’Etat rencontra une assez vive
résistance. A Louhans, elle ne prit pas un caractère bien grave. Néanmoins, il
y eut de la part d’honnêtes citoyens un mouvement très marqué de réprobation.
Des rassemblements se formaient, on commentait les nouvelles qu’avait apportées
le courrier. Des jeunes gens essayèrent d’arracher les proclamations affichées
contre les murs de l’Hôtel de Ville et la gendarmerie les avait arrêtés. On
voulut s’opposer aux arrestations.
Dans
la mêlée, un de ceux qui avait le plus excité à la résistance, Riboulet*,
ex-instituteur, fut appréhendé par le maréchal des logis de gendarmerie. C’est
alors qu’un coup de pistolet fut tiré contre ce sous-officier et à deux
reprises, le coup rata. « Deux fois (disent les écrits bonapartistes), la détente du pistolet fut
lâchée, mais deux fois la Providence s’opposa à la consommation d’un grand
crime ». Un autre insurgé tira par
derrière le sabre d’un gendarme qu’un de ses amis cherchait à étrangler. Enfin,
pour finir cette lutte, le sous-préfet, Monsieur Houssart et le lieutenant de
gendarmerie arrivèrent, armés, le premier d’un fusil à deux coups et l’officier
de deux pistolets. Le sous-préfet ayant donné l’ordre de repousser par la force
toute résistance, cette attitude ferme en imposa à la multitude qui se
dispersa.
Riboulet,
jugé par la Commission mixte fut déporté à Cayenne. D’autres louhannais furent
arrêtés. Ils grossirent les convois de prisonniers que l’on vit partir sur
Toulon pour l’Algérie. Des colonnes entières de gens enchaînés venant du Jura,
encadrés par des troupes, passèrent à Louhans. Un canon suivait, prêt à être
braqué sur eux comme pour en imposer davantage et terroriser le pays.
Le
nombre des arrestations pour tout le département s’élevait à 467 dont 31 pour
l’arrondissement de Louhans. 389 citoyens passèrent en jugement devant la
Commission mixte. Le département de Saône-et-Loire fut mis en état de siège,
comme un certain nombre d’autres, quoique dès le 6 décembre toute agitation
était terminée, mais cela facilitait la recherche et l’arrestation de ceux
qu’on allait livrer à ces Commissions mixtes… Un certains nombres d’entre eux
purent s’échapper et gagner la Suisse. »
« Histoire de la Bresse
Louhannaise », L. Guillemaut-1911
* Sébastien Philibert Riboulet,
né le 28 novembre 1825, cabaretier et ex-instituteur à Digoin, poursuivi à la
suite du coup d’Etat de décembre 1851, détenu et condamné à Chalon-sur-Saône à
la « transportation » à Cayenne, dépose une demande de grâce le 26
décembre 1852.
SOURCES :
-
Documentation
et fonds d’archives du Musée de la Maison d’Ecole
-
Archives
Départementales de Saône-et-Loire
-
Archives
de P. Gillot
-
« Histoire
de la Bresse Louhannaise », Lucien Guillemaut, 1911, collection P.PLUCHOT
Prochain
article : « La naissance d’une l’école publique à GOURDON »
P.P
Merci et compliments pour ce coup de projecteur sur les débuts de notre Ecole et les luttes qu'ont dû mener nos prédécesseurs. Espérons que notre école laïque actuelle ne soit pas bientôt confrontée à des problèmes et des attaques similaires!
RépondreSupprimerselon son acte de mariage le 27/11/1828 a Mont-Saint-Vincent
RépondreSupprimeril se marie avec Denis Philiberte 19 ans elle-meme "née hors mariage" Sur cet acte il se déclare instituteur a Marigny