vendredi 17 avril 2020

Histoire de protège-cahiers



Les protège-cahiers






De la propagande à la réclame

Le musée de la Maison d’Ecole conserve dans ses archives des séries importantes de protège-cahiers qui s’étalent des années 1890, date de leur apparition, jusqu’aux années 1960, date de leur disparition sous forme cartonnée. Si les premiers véhiculaient des idées patriotiques bien marquées, les seconds offraient une tribune de choix aux commerçants de tout poil.




On peut définir  plusieurs périodes dans la manière d’utiliser les protège-cahiers, outre leur fonction initiale : protéger le cahier de l’écolier, souvent l’unique cahier qui regroupait autrefois toutes les matières.

Période 1880-1920

Notre musée possède un lot intéressant de protège-cahiers dont la production la plus importante eut lieu durant les années 1890-1910 et concerna donc pleinement les élèves des écoles primaires soumis à l’obligation scolaire édictée par les lois Ferry de 1881-1882. De notre collection se dégagent quelques grands thèmes : la formation de la conscience patriotique, l’histoire de France, la géographie (France et conquête des colonies), les  personnages qui ont forgé la Nation.



Série La Patrie, collection Garnier, 1895 (CANOPE)



Ces thèmes s’inspirent directement des programmes conçus par Ernest Lavisse pour l’instruction des enfants et l’éveil de l’amour de la Patrie comme il le définira : « Le vivant souvenir des gloires nationales ». Ainsi se côtoieront les grandes figures oubliées jusqu’alors, de Vercingétorix à Bonaparte, en passant par Clovis et Jeanne d’Arc. Sans nul doute, la palme revient à la mémoire de 1870 (perte d’un Empire) et à son corollaire, la colonisation (reconquête d’un Empire).



Nos aïeux les Gaulois - Série instructive recommandée pour les écoles, Papeteries de Clairefontaine, vers 1900 (CANOPE)



Le souvenir de la guerre de 1870-1871 :

Les éditeurs produisent alors des séries de protège-cahiers, colorées et suggestives, attirant l’œil des écoliers, véritables bandes-dessinées avant l’heure. La série « Les villes décorées » eut un certain succès. Elle reprenait la liste des villes ayant obtenu la médaille de la Légion d’Honneur pour leur résistance ou leur martyre, durant la Révolution et le Premier Empire  (Chalon-sur-Saône, Landrecies, Lille, Roanne, Saint-Jean-de-Losne, Thionville, Tournus, Valenciennes) et durant la guerre franco-allemande de 1870 (Bazeille, Belfort, Bitche, Châteaudun, Dijon, Paris, Péronne, Phalsbourg, Rambervillers, Saint-Quentin). Les Editions Louis Vagné de Pont-à-Mousson sortiront, dans les années 1890, une série de 12 protège-cahiers présentant ces villes.



Collection "Nos villes décorées. Série instructive recommandée pour les écoles. 12 sujets", Louis Vagné Imagerie, recto, 1895 (collection musée)

Collection "Nos villes décorées. Série instructive recommandée pour les écoles. 12 sujets", Louis Vagné Imagerie, verso, 1895 (collection musée)



Citons encore la série éditée par Paul Varin en 1900, « Episodes de la guerre de 1870 », collection Paul Varin (15 couvertures) :



Episodes de la Guerre de 1870, collection Paul Varin, vers 1890 (CANOPE)



La série « Récits patriotiques sur la guerre de 1870-1871 » sortie en 1890 aux éditions Garnier frères et Lebrun et commentées par Dick de Lonlay (25 couvertures) :



Récits patriotiques sur la guerre de 1870-1871, éditions Garnier frères et Lebrun, vers 1890 (CANOPE)



La série « Les femmes de France pendant la guerre », réalisée par Moulignié et Charaire en 1880 (12 couvertures) :



Les femmes de France pendant la guerre, éditions Auguste-Godchaux, vers 1890, texte au verso de Victor Hugo (CANOPE)



Nous terminerons par la série « Quand tu seras soldat ! » qui fit l’objet d’une étude et d’une exposition labellisée, au musée de la Maison d’Ecole, dans le cadre du Centenaire de la Grande Guerre. Cette série fut éditée par les Papeteries Clairefontaine (Vosges) en 1895 (1).

Une remarque s’impose concernant le traitement de cette période 1870, les séries ne proposent aucun personnage contrairement aux autres périodes. Pas d’identification possible pour les écoliers sauf, contre toute attente, dans la série « Les femmes de France pendant la guerre » qui met au générique de ses protège-cahiers Jeanne Bernier, Sœur Chantal et Juliette Dodu !






La colonisation :

La représentation des colonies à travers les protège-cahiers concerne « l’Empire français » et met souvent en avant les affrontements avec les autochtones mais aussi les « bienfaits » de la colonisation sur les populations, les milieux et les sociétés conquises. Rappelons qu’après 1885, la France est solidement implantée en Indochine et en Outre-mer. Elle commence sa mainmise sur Madagascar, l’Algérie est dominée, la Tunisie est sous tutorat, reste à étendre l’emprise sur le Sahara, le Maroc, le Dahomey, le Niger.



Les colonies françaises, Geisler-Dascher, 1900 (belin.education)



« Les colonies françaises » est une série de protège-cahiers éditée par l’imprimerie Louis Geisler, illustrée par Georges Dascher. Elle remporta un vif succès auprès des écoles (2).



Collection papibeverophile Guallo



Période 1920-1960

Si la fonction évidente des protège-cahiers reste la protection des couvertures des cahiers des écoliers, il en est pour qui elle est bien différente. Ces protège-cahiers sont peu coûteux à fabriquer avec les nouvelles techniques de pliage et d’impression, les plus anciens étaient tenus par une agrafe alors qu’à partir des années 20, des rabats sont simplement pliés à l’intérieur et, dans le meilleur des cas, collés.



(collection privée)



En plein développement de la « réclame », les commerçants comprirent assez vite l’impact sur les jeunes enfants (et leur famille) que pourrait avoir un tel support publicitaire. Ils commencèrent de distribuer gratuitement aux directeurs d’école nombre d’articles dont des protège-cahiers.



(collection musée)



N’importe quel industriel pouvait faire imprimer des protège-cahiers, avec un objectif didactique bien sûr, afin que le ministre de l’Instruction n’en soit pas froissé : les rabats portaient alors les grandes dates de notre histoire, au dos étaient imprimées les quatre tables arithmétiques ou parfois une carte des préfectures et sous-préfectures, les numéros des départements, des conseils de santé et de prévoyance…



(Collection privée)



Les annonceurs les plus variés et les plus curieux tirèrent profit de cette tolérance, aidés qu’ils furent par la plupart des dessinateurs de talent (3). On trouvait une jolie image, colorée ou non, en première page, traitant d’un sujet plus ou moins délicat à l’image de cet enfant costumé en docteur conseillant « un bon grog au bon rhum Négrita » ! Mais tout a une fin et vint l’ère du plastique…



(Collection privée)



Après les années 60

Avec l’avènement du plastique apparaît le protège-cahier à rabats soudés. Il est muni d’une petite fenêtre transparente où l’élève doit insérer l’étiquette portant son nom, sa classe et la nature du cahier. La matière plastique est très fine, d’un ton uni ou quelquefois en motifs écossais, à chevrons ou vichy. Les matières d’enseignement se multipliant avec le temps, les protège-cahiers se déclinèrent en une multitude de couleurs et de formats.










(1)  : Quelques protège-cahiers de la série « Quand tu seras soldat ! » de la collection du musée :


Série Quand tu seras soldat !, Papeteries de Clairefontaine, 1895 (collection musée)

Série Quand tu seras soldat !, Papeteries de Clairefontaine, 1895 (collection musée)

Série Quand tu seras soldat !, Papeteries de Clairefontaine, 1895 (collection musée)

Série Quand tu seras soldat !, Papeteries de Clairefontaine, 1895 (collection musée)

Série Quand tu seras soldat !, Papeteries de Clairefontaine, 1895 (collection musée)



(2) : « Les colonies françaises », série de protège-cahiers, imprimerie Louis Geisler, illustrée par Georges Dascher : quelques exemplaires :



Collection papibeverophile Guallo

Collection papibeverophile Guallo

Collection papibeverophile Guallo

Collection papibeverophile Guallo

Collection papibeverophile Guallo

Collection papibeverophile Guallo



(3) : Le fabricant de chicorée Mogta-Williot fit des articles scolaires son cheval de bataille et le protège-cahier Williot constitua un vecteur publicitaire  très puissant. Il accueillit même, dans certaines académies, le carnet de classe de l’élève qui était présenté régulièrement aux parents. La maison Williot édita de nombreuses séries à vocation pédagogique : les Pays, les Régions de France, l’Histoire de France notamment. Elle disposait aussi d’une grande panoplie d’objets publicitaires proposant tout ce dont les enfants avaient besoin pour faire leurs devoirs à la maison. Nombre de mères furent ainsi influencées par la Marque Williot dont le slogan fut longtemps : « La chicorée Williot est supérieure aux imitations, l’homme crée, le singe imite ». (collection.chicoreewilliot)









(chicoreewilliot.com)




P.P

2 commentaires:

  1. Que d'émouvants souvenirs !
    Les dessinateurs avaient même du talent.
    Bravo pour cette belle évocation et toutes les recherches faites autour de ces "protège-cahiers".

    Jean Pirou

    RépondreSupprimer
  2. Mes encouragements pour tout votre travail et cette remontée dans le temps.Etant scolarisé en 1959 en Algérie,je m'en souviens que des protège-cahiers en plastique et en feuilles de papier.

    RépondreSupprimer