Les
protège-cahiers
De
la propagande à la réclame
Le
musée de la Maison d’Ecole conserve dans ses archives des séries importantes de
protège-cahiers qui s’étalent des années 1890, date de leur apparition,
jusqu’aux années 1960, date de leur disparition sous forme cartonnée. Si les
premiers véhiculaient des idées patriotiques bien marquées, les seconds offraient
une tribune de choix aux commerçants de tout poil.
On peut définir plusieurs périodes dans la manière d’utiliser
les protège-cahiers, outre leur fonction initiale : protéger le cahier de
l’écolier, souvent l’unique cahier qui regroupait autrefois toutes les matières.
Période
1880-1920
Notre musée possède un lot intéressant
de protège-cahiers dont la production la plus importante eut lieu durant les
années 1890-1910 et concerna donc pleinement les élèves des écoles primaires
soumis à l’obligation scolaire édictée par les lois Ferry de 1881-1882. De
notre collection se dégagent quelques grands thèmes : la formation de la
conscience patriotique, l’histoire de France, la géographie (France et conquête
des colonies), les personnages qui ont
forgé la Nation.
Ces thèmes s’inspirent
directement des programmes conçus par Ernest Lavisse pour l’instruction des
enfants et l’éveil de l’amour de la Patrie comme il le définira : « Le vivant souvenir des gloires
nationales ». Ainsi se côtoieront les grandes figures oubliées
jusqu’alors, de Vercingétorix à Bonaparte, en passant par Clovis et Jeanne d’Arc.
Sans nul doute, la palme revient à la mémoire de 1870 (perte d’un Empire) et à
son corollaire, la colonisation (reconquête d’un Empire).
Le souvenir de la guerre de
1870-1871 :
Les éditeurs produisent
alors des séries de protège-cahiers, colorées et suggestives, attirant l’œil
des écoliers, véritables bandes-dessinées avant l’heure. La série « Les
villes décorées » eut un certain succès. Elle reprenait la liste des
villes ayant obtenu la médaille de la Légion d’Honneur pour leur résistance ou
leur martyre, durant la Révolution et le Premier Empire (Chalon-sur-Saône, Landrecies, Lille, Roanne,
Saint-Jean-de-Losne, Thionville, Tournus, Valenciennes) et durant la guerre
franco-allemande de 1870 (Bazeille, Belfort, Bitche, Châteaudun, Dijon, Paris,
Péronne, Phalsbourg, Rambervillers, Saint-Quentin). Les Editions Louis Vagné de
Pont-à-Mousson sortiront, dans les années 1890, une série de 12 protège-cahiers
présentant ces villes.
Citons encore la série
éditée par Paul Varin en 1900, « Episodes de la guerre de 1870 »,
collection Paul Varin (15 couvertures) :
La série « Récits
patriotiques sur la guerre de 1870-1871 » sortie en 1890 aux éditions
Garnier frères et Lebrun et commentées par Dick de Lonlay (25 couvertures) :
La série « Les femmes
de France pendant la guerre », réalisée par Moulignié et Charaire en 1880
(12 couvertures) :
Nous terminerons par la
série « Quand tu seras soldat ! » qui fit l’objet d’une étude et
d’une exposition labellisée, au musée de la Maison d’Ecole, dans le cadre du
Centenaire de la Grande Guerre. Cette série fut éditée par les Papeteries
Clairefontaine (Vosges) en 1895 (1).
Une remarque s’impose
concernant le traitement de cette période 1870, les séries ne proposent aucun
personnage contrairement aux autres périodes. Pas d’identification possible
pour les écoliers sauf, contre toute attente, dans la série « Les femmes
de France pendant la guerre » qui met au générique de ses protège-cahiers
Jeanne Bernier, Sœur Chantal et Juliette Dodu !
La colonisation :
La représentation des
colonies à travers les protège-cahiers concerne « l’Empire français »
et met souvent en avant les affrontements avec les autochtones mais aussi les
« bienfaits » de la colonisation sur les populations, les milieux et
les sociétés conquises. Rappelons qu’après 1885, la France est solidement
implantée en Indochine et en Outre-mer. Elle commence sa mainmise sur
Madagascar, l’Algérie est dominée, la Tunisie est sous tutorat, reste à étendre
l’emprise sur le Sahara, le Maroc, le Dahomey, le Niger.
« Les colonies
françaises » est une série de protège-cahiers éditée par l’imprimerie
Louis Geisler, illustrée par Georges Dascher. Elle remporta un vif succès
auprès des écoles (2).
Période
1920-1960
Si la fonction évidente des
protège-cahiers reste la protection des couvertures des cahiers des écoliers,
il en est pour qui elle est bien différente. Ces protège-cahiers sont peu
coûteux à fabriquer avec les nouvelles techniques de pliage et d’impression,
les plus anciens étaient tenus par une agrafe alors qu’à partir des années 20,
des rabats sont simplement pliés à l’intérieur et, dans le meilleur des cas,
collés.
En plein développement de la
« réclame », les commerçants comprirent assez vite l’impact sur les
jeunes enfants (et leur famille) que pourrait avoir un tel support publicitaire.
Ils commencèrent de distribuer gratuitement aux directeurs d’école nombre
d’articles dont des protège-cahiers.
N’importe quel industriel
pouvait faire imprimer des protège-cahiers, avec un objectif didactique bien
sûr, afin que le ministre de l’Instruction n’en soit pas froissé : les
rabats portaient alors les grandes dates de notre histoire, au dos étaient
imprimées les quatre tables arithmétiques ou parfois une carte des préfectures
et sous-préfectures, les numéros des départements, des conseils de santé et de
prévoyance…
Les annonceurs les plus
variés et les plus curieux tirèrent profit de cette tolérance, aidés qu’ils
furent par la plupart des dessinateurs de talent (3). On trouvait une
jolie image, colorée ou non, en première page, traitant d’un sujet plus ou
moins délicat à l’image de cet enfant costumé en docteur conseillant « un bon grog au bon rhum Négrita » !
Mais tout a une fin et vint l’ère du plastique…
Après
les années 60
Avec l’avènement du
plastique apparaît le protège-cahier à rabats soudés. Il est muni d’une petite
fenêtre transparente où l’élève doit insérer l’étiquette portant son nom, sa
classe et la nature du cahier. La matière plastique est très fine, d’un ton uni
ou quelquefois en motifs écossais, à chevrons ou vichy. Les matières
d’enseignement se multipliant avec le temps, les protège-cahiers se déclinèrent
en une multitude de couleurs et de formats.
(1) : Quelques protège-cahiers de la série «
Quand tu seras soldat ! » de la collection du musée :
(2) : « Les
colonies françaises », série de protège-cahiers, imprimerie Louis Geisler,
illustrée par Georges Dascher : quelques exemplaires :
(3) : Le
fabricant de chicorée Mogta-Williot fit des articles scolaires son cheval de
bataille et le protège-cahier Williot constitua un vecteur publicitaire très puissant. Il accueillit même, dans
certaines académies, le carnet de classe de l’élève qui était présenté
régulièrement aux parents. La maison Williot édita de nombreuses séries à
vocation pédagogique : les Pays, les Régions de France, l’Histoire de
France notamment. Elle disposait aussi d’une grande panoplie d’objets
publicitaires proposant tout ce dont les enfants avaient besoin pour faire
leurs devoirs à la maison. Nombre de mères furent ainsi influencées par la
Marque Williot dont le slogan fut longtemps : « La
chicorée Williot est supérieure aux imitations, l’homme crée, le singe
imite ». (collection.chicoreewilliot)
(chicoreewilliot.com)
P.P
Que d'émouvants souvenirs !
RépondreSupprimerLes dessinateurs avaient même du talent.
Bravo pour cette belle évocation et toutes les recherches faites autour de ces "protège-cahiers".
Jean Pirou
Mes encouragements pour tout votre travail et cette remontée dans le temps.Etant scolarisé en 1959 en Algérie,je m'en souviens que des protège-cahiers en plastique et en feuilles de papier.
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