jeudi 18 juin 2020

La Radio télévision Scolaire




1930 : la radio scolaire
2020 : la télévision scolaire du confinement






La radiodiffusion scolaire : un service public oublié



Pendant près de soixante ans, la radio scolaire fut le quotidien de milliers de jeunes Français, une ouverture sur le monde extérieur. Ses émissions, diffusées sur les ondes du service public, étaient suivies par un nombre important de classes, surtout citadines. Les enseignants les utilisaient principalement comme support pédagogique à l’apprentissage du chant. D’aucuns se souviendront du haut-parleur en acier émaillé gris, souvent fixé au-dessus du tableau noir dont la musique annonciatrice de la leçon était « Pierre et le Loup » de Sergueï Prokofiev (1). C’est alors que les élèves, les yeux rivés sur ce caisson « musical » écoutaient la leçon enregistrée par une classe pilote parisienne et qui commençait toujours par une série de vocalises…






Avec un système centralisé de radiodiffusion dans les classes, chaque haut-parleur était relié à un émetteur principal installé dans la classe ou le bureau du directeur de l’école. Dans les écoles rurales, les maîtres avaient quelquefois fait l’acquisition d’un « poste de radio » TSF qui leur permettait, à eux aussi, de capter les émissions en « ondes courtes » (2). L’histoire a peu à peu oublié cette expérience étonnante et innovante, et cette vaste production éducative a longtemps été jugée sans intérêt par les historiens des médias. On notera au passage que le même sort attendit plus tard la télévision scolaire, jusqu’à la crise sanitaire que nous vivons et le retour de l’enseignement  numérique « distanciel » avec l’opération « Nation apprenante ».


Haut-parleur, années 30 (picclick.fr)



C’est en 1927 que fut inauguré en Grande-Bretagne le concept de « radio scolaire ». Jean Gotteland, Directeur de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des Antiquités au protectorat du Maroc fut le premier français à emboîter le pas aux anglais et, après quelques mois d’essais, il lança des émissions hebdomadaires à partir du 9 novembre 1929 depuis l’auditorium de Casablanca. Cette première expérience n’avait pas le format classique que la métropole adoptera plus tard, dans les années trente. Gotteland proposait alors un large panel de séances : leçons de choses, cours de chant, cours de géographie, cours d’histoire et lectures commentées, sortes de courtes causeries de dix minutes entrecoupées d’extraits musicaux classiques. Déjà, les principales écoles du bled avaient été équipées de récepteurs TSF collectifs.



Haut-parleur, année 60 (picclick)



A la suite de cette « première » coloniale, on créa en métropole, dès 1930, une Ligue de radiophonie scolaire, présidée par le professeur Gustave Eisenmerger. Malgré la volonté de la Ligue d’« agir sur le Parlement pour obtenir un texte législatif et une intervention de l’Etat », seuls quelques précurseurs locaux se lancèrent dans l’aventure, à l’image du poste Marseille-Provence qui diffusa en 1933, une émission scolaire composée d’exercices de diction, de récitations, de chants, de contes, de causeries et d’écoute de disques classiques. Le mouvement de Célestin Freinet s’intéressa lui aussi, aux sciences et aux innovations, comme la radio, afin de les utiliser comme support à la réflexion pédagogique des élèves.



L’Educateur Prolétarien N°9 de Célestin Freinet, juin 1933 (ICEM)

L’Educateur Prolétarien N°9 de Célestin Freinet, suite, juin 1933 (ICEM)



On notera surtout l’expérience fondatrice de Louis Hippeau, Directeur des émissions dramatiques de Paris PTT, qui organisa pour le poste de la Tour Eiffel, des « cours de vacances par TSF » destinés aux candidats à la session d’octobre du baccalauréat. L’opération eut lieu au cours des étés 1935 et 1936.

En janvier 1937, fort de cette dernière prouesse, Jean Zay, alors ministre de l’Education Nationale, décida d’étendre cette émission sur toute l’année et de l’adresser à toutes les classes d’âge. La « radio scolaire » était née. Entre 1937 et 1939, des émissions de radios donnent la parole à des artistes. C’est ainsi que Jean Cocteau entre 1951 et 1954, fit des enregistrements à vocations scolaires produits par RTF et le Ministère de l'Éducation Nationale.

La région parisienne fut la première desservie par les relais-émetteurs de la Tour Eiffel et de Radio-Paris mais l’audience fut rapidement nationale, relayée par les émetteurs de Strasbourg, Limoges, Toulouse, Marseille et Grenoble. C’est au Service d’Enseignement par correspondance que fut confiée la tâche de proposer les contenus durant la « drôle de guerre » et l’occupation sous le titre de « l’heure scolaire ».



(collection musée)



Après la Libération, fin 47, la Radiodiffusion Française reprit progressivement le projet, se dotant d’un service expérimental de « télévision éducative ». A la rentrée 1951-52, la toute nouvelle Radio-Télévision scolaire (RTS) fut confiée à un nouvel opérateur : le Centre de la documentation pédagogique (rebaptisé bientôt Institut pédagogique national puis Office français des techniques modernes d’éducation avant de revenir à son intitulé originel…). Tout au long de l’année scolaire 1958-1959, les émissions scolaires pour le primaire sont diffusées de 14 heures à 14 heures 30, le lundi pour les cours moyens et les classes de fin d’études primaires (FEP), le vendredi alternativement pour les cours élémentaires et les FEP. En 1960, la télévision scolaire produit quatre heures de programmes par semaine à destination des classes élémentaires, primaires et secondaires, jusqu’à atteindre une vingtaine d’heures à la fin de la décennie (soit 20 % de la programmation télévisuelle totale de l’ORTF).



Premier bulletin de la radiotélévision scolaire, 6 janvier 1964 (franceculture.fr)



La radio scolaire atteignit son apogée entre 1964 et 1976 avec 15 à 21 heures d’émissions hebdomadaires mais l’implantation rapide du nouveau média télévisuel amorça le déclin du département radio. Malgré tout, un plan de transition avait été élaboré entre 1967 et 1969, pour élargir le champ d’action de la radio scolaire en perte de vitesse. Elle fut ouverte à l’éducation permanente des adultes et proposa aussi des formations à destination des instituteurs et des professeurs en ciblant les nouvelles méthodes pédagogiques ainsi que les contenus d’enseignement.



(collection musée)



En 1981, le service radio fut progressivement démantelé et les productions cessèrent définitivement en 1983. Seules subsistèrent, jusque dans les années 90, quelques émissions produites par France Musique ou RFI, enregistrées à la Maison de la Radio.

En 2012, la valeur patrimoniale des productions de la radio scolaire fut enfin reconnue par les autorités et le fonds d’archives du CNDP (12 000 bandes enregistrées), patiemment constitué au fil des décennies mais tombé en déshérence, fut reclassé et préservé avec soin.  Ce sont l’historien Thierry Lefebvre et  le réalisateur Alexandre Duval qui commencèrent cette entreprise en organisant le premier colloque sur le sujet (2).



(collection musée)



Les recueils de chants

Dès les années 50, en septembre, un petit livret, d’une trentaine de pages généralement, était édité pour chaque niveau de l’école primaire. Il regroupait les chants et les récitations qui seraient diffusés par la radio scolaire au cours de l’année. Cette brochure était vendue aux écoles par l’« Institut Pédagogique National. Service d’Edition et de Vente des Productions de l’Education Nationale ». Souvent, la coopérative scolaire faisait l’acquisition des livrets et demandait une participation financière aux familles.   



(collection musée)



Dans le livret 1969-1970, il était précisé que les chants seraient diffusés le mercredi de 15 heures 45 à 16 heures et les récitations le mardi de 15 heures 15 à 15 heures 30. Il était aussi indiqué en page 2 que « Les chants et les textes de récitations publiés dans ce livret et diffusés par la radio scolaire au cours de l’année 1969-1970 sont enregistrés sur disques micro-sillons (33 tours 17 cm). 815-16-17 (album N°2). Cette collection portant le titre de « Chants et Récitations, répertoire de la radio scolaire » est éditée par Fernand Nathan 9, rue Méchain Paris XIV ». Les écoles pouvaient donc utiliser les enregistrements de manière plus souple que les horaires fixes de la radio.



(picclick.fr)

(picclick.fr)

(picclick.fr)



L’année suivante, les livrets et les enregistrements furent en vente dans les CDDP (Centres Départementaux de Documentation Pédagogique) et les CRDP (Centres Régionaux de Documentation Pédagogique).









2020, « Nation apprenante » : le retour de la télévision scolaire





Quid de la fracture numérique qui empêcha certaines classes sociales modestes d’accéder à l’enseignement à distance proposé par nombre de professeurs pendant la crise du coronavirus ? Absence d’ordinateur à la maison, connexion internet inexistante, incapacité des parents à accompagner leurs enfants dans ces « cours à la maison », autant de problématiques qui ont rapidement été soulignées par les enseignants, générant des inégalités entre les familles. L’utilisation d’un média de masse était la solution, le téléviseur trônant dans tous les foyers…

Le Covid-19 a réveillé un temps que les moins de 50 ans ne pouvaient pas connaître ! Lorsqu’en plein confinement, les anciens ont vu s’afficher sur leur petit écran le programme quotidien des cours de mathématiques, français, histoire ou sciences proposés par la télévision publique, ils sont revenus au temps de leur jeunesse.






Pour les 12 millions d’élèves confinés chez eux, en complémentarité de l’enseignement « distanciel » dispensé par les professeurs, le ministère de l’Education Nationale a lancé le dispositif « Lumni », la continuité pédagogique à la maison… A la surprise générale, le succès fut au rendez-vous avec 8,1 millions de téléspectateurs entre le 23 mars et le 19 avril dont 2,4 millions d’enfants de moins de 15 ans (chiffres France Télévision).






A partir de 1981, la RTS avait mis une décennie pour s’éteindre et il suffit d’une dizaine de jours en mars du printemps 2020 pour lancer « La Maison Lumni » à France 4, France 2 et France 5, dans l’objectif de « proposer aux élèves de réviser les enseignements fondamentaux qu’ils auraient normalement travaillé en classe, lors d’un rendez-vous régulier avec Alex Goude entouré de professeurs. » (Amel Cogard, Chargé de l’éducation à France Télévision)



« Les cours Lumni »  pour les collégiens. France 4 / France.tv



C’est dans les studios de la Plaine-Saint-Denis que sont enregistrées au pas de charge les émissions : une fausse classe au décor sobre et dépouillé, un vrai prof de l’Education Nationale, un tableau blanc et trente minutes de leçon par niveau sur des thèmes aussi nombreux que diversifiés : de la fraction décimale au graphème, de l’anglais à la division euclidienne en passant par l’Europe économique et une série de reportages ou de créations audiovisuelles labellisées.






Pour parfaire le dispositif, les contenus  « Lumni » furent accessibles en ligne et, parallèlement aux émissions télévisées, les vidéos furent vues 13,4 millions de fois entre le 23 mars et le 19 avril et le replay de France.tv vu 2 millions de fois. (Source Le Monde Education, avril 2020, Séverin Graveau)

Dernier soubresaut de la télévision scolaire en somme… ou peut-être une nouvelle brèche ouverte dans un monopole de l’école publique et républicaine déjà bien entamé ? Les propos officiels nous laissent perplexes en la matière : « Le visuel « Nation apprenante » pourra être obtenu par tous les médias audiovisuels et écrits, publics ou privé qui le souhaitent auprès du ministère, qui garantira leur cohérence avec les objectifs et les contenus des programmes scolaires. » (Communiqué de Jean-Michel Blanquer, Ministre de l’Education Nationale)






(1) :




Pierre et le Loup, disque 33T (collection musée)





(2) : Témoignage de Daniel Chatenay, Directeur de l’école de Saint-Martin-Belle-Roche (71) dans les années 60 recueilli par Jean-Paul Moiraud sur son blog (https://moiraudjp.wordpress.com/) :









(3) : Les premières vidéos présentées dans Gallica, produites entre 1954 et 2004, illustrent toutes les disciplines de l’enseignement scolaire : la littérature et la philosophie, l’histoire et la géographie, ainsi que l’enseignement des arts et l’économie. Les enseignants étaient accompagnés dans leur utilisation par des publications comme le "Bulletin de la radio-télévision scolaire" de 1964 à 1969, les "Dossiers pédagogiques de la radio-télévision scolaire" de 1965 à 1983, ou par la revue "Média", toutes trois numérisées dans Gallica.



La page de l’écolier, revue l’Amateur Radio, 1937



P.P

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