1930 :
la radio scolaire
2020 :
la télévision scolaire du confinement
La
radiodiffusion scolaire : un service public oublié
Pendant près de soixante
ans, la radio scolaire fut le quotidien de milliers de jeunes Français, une
ouverture sur le monde extérieur. Ses émissions, diffusées sur les ondes
du service public, étaient suivies par un nombre important de classes, surtout
citadines. Les enseignants les utilisaient principalement comme support
pédagogique à l’apprentissage du chant. D’aucuns se souviendront du
haut-parleur en acier émaillé gris, souvent fixé au-dessus du tableau noir dont
la musique annonciatrice de la leçon était « Pierre et le Loup » de
Sergueï Prokofiev (1). C’est alors
que les élèves, les yeux rivés sur ce caisson « musical » écoutaient
la leçon enregistrée par une classe pilote parisienne et qui commençait
toujours par une série de vocalises…
Avec
un système centralisé de radiodiffusion dans les classes, chaque haut-parleur
était relié à un émetteur principal installé dans la classe ou le bureau du directeur
de l’école. Dans les écoles rurales, les maîtres avaient quelquefois fait
l’acquisition d’un « poste de radio » TSF qui leur permettait, à eux
aussi, de capter les émissions en « ondes courtes » (2). L’histoire a peu
à peu oublié cette expérience étonnante et innovante, et cette vaste production
éducative a longtemps été jugée sans intérêt par les historiens des médias. On
notera au passage que le même sort attendit plus tard la télévision scolaire,
jusqu’à la crise sanitaire que nous vivons et le retour de l’enseignement numérique « distanciel » avec
l’opération « Nation apprenante ».
C’est
en 1927 que fut inauguré en Grande-Bretagne le concept de « radio
scolaire ». Jean Gotteland, Directeur de l’Instruction publique, des
Beaux-Arts et des Antiquités au protectorat du Maroc fut le premier français à
emboîter le pas aux anglais et, après quelques mois d’essais, il lança des
émissions hebdomadaires à partir du 9 novembre 1929 depuis l’auditorium de
Casablanca. Cette première expérience n’avait pas le format classique que la
métropole adoptera plus tard, dans les années trente. Gotteland proposait alors
un large panel de séances : leçons de choses, cours de chant, cours de
géographie, cours d’histoire et lectures commentées, sortes de courtes causeries
de dix minutes entrecoupées d’extraits musicaux classiques. Déjà, les
principales écoles du bled avaient été équipées de récepteurs TSF collectifs.
A la
suite de cette « première » coloniale, on créa en métropole, dès
1930, une Ligue de radiophonie scolaire, présidée par le professeur Gustave
Eisenmerger. Malgré la volonté de la Ligue d’« agir sur le Parlement pour obtenir un texte législatif et une
intervention de l’Etat », seuls quelques précurseurs locaux se
lancèrent dans l’aventure, à l’image du poste Marseille-Provence qui diffusa en
1933, une émission scolaire composée d’exercices de diction, de récitations, de
chants, de contes, de causeries et d’écoute de disques classiques. Le
mouvement de Célestin Freinet s’intéressa lui aussi, aux sciences et aux
innovations, comme la radio, afin de les utiliser comme support à la réflexion
pédagogique des élèves.
On
notera surtout l’expérience fondatrice de Louis Hippeau, Directeur des émissions
dramatiques de Paris PTT, qui organisa pour le poste de la Tour Eiffel, des
« cours de vacances par TSF » destinés aux candidats à la session
d’octobre du baccalauréat. L’opération eut lieu au cours des étés 1935 et 1936.
En
janvier 1937, fort de cette dernière prouesse, Jean Zay, alors ministre de
l’Education Nationale, décida d’étendre cette émission sur toute l’année et de
l’adresser à toutes les classes d’âge. La « radio scolaire » était
née. Entre
1937 et 1939, des émissions de radios donnent la parole à des artistes. C’est
ainsi que Jean Cocteau entre 1951 et 1954, fit des enregistrements à vocations
scolaires produits par RTF et le Ministère de l'Éducation Nationale.
La
région parisienne fut la première desservie par les relais-émetteurs de la Tour
Eiffel et de Radio-Paris mais l’audience fut rapidement nationale, relayée par
les émetteurs de Strasbourg, Limoges, Toulouse, Marseille et Grenoble. C’est au
Service d’Enseignement par correspondance que fut confiée la tâche de proposer
les contenus durant la « drôle de guerre » et l’occupation sous le
titre de « l’heure scolaire ».
Après
la Libération, fin 47, la Radiodiffusion Française reprit progressivement le
projet, se dotant d’un service expérimental de « télévision
éducative ». A la rentrée 1951-52, la toute nouvelle Radio-Télévision scolaire
(RTS) fut confiée à un nouvel opérateur : le Centre de la documentation
pédagogique (rebaptisé bientôt Institut pédagogique national puis Office
français des techniques modernes d’éducation avant de revenir à son intitulé
originel…). Tout au long de l’année scolaire 1958-1959, les émissions scolaires
pour le primaire sont diffusées de 14 heures à 14 heures 30, le lundi pour les
cours moyens et les classes de fin d’études primaires (FEP), le vendredi
alternativement pour les cours élémentaires et les FEP. En
1960, la télévision scolaire produit quatre heures de programmes par semaine à
destination des classes élémentaires, primaires et secondaires, jusqu’à
atteindre une vingtaine d’heures à la fin de la décennie (soit 20 % de la
programmation télévisuelle totale de l’ORTF).
La radio
scolaire atteignit son apogée entre 1964 et 1976 avec 15 à 21 heures
d’émissions hebdomadaires mais l’implantation rapide du nouveau média
télévisuel amorça le déclin du département radio. Malgré tout, un plan de
transition avait été élaboré entre 1967 et 1969, pour élargir le champ d’action
de la radio scolaire en perte de vitesse. Elle fut ouverte à l’éducation permanente
des adultes et proposa aussi des formations à destination des instituteurs et
des professeurs en ciblant les nouvelles méthodes pédagogiques ainsi que les
contenus d’enseignement.
En
1981, le service radio fut progressivement démantelé et les productions
cessèrent définitivement en 1983. Seules subsistèrent, jusque dans les années
90, quelques émissions produites par France Musique ou RFI, enregistrées à la
Maison de la Radio.
En
2012, la valeur patrimoniale des productions de la radio scolaire fut enfin
reconnue par les autorités et le fonds d’archives du CNDP (12 000 bandes
enregistrées), patiemment constitué au fil des décennies mais tombé en
déshérence, fut reclassé et préservé avec soin.
Ce sont l’historien Thierry Lefebvre et le réalisateur Alexandre Duval qui
commencèrent cette entreprise en organisant le premier colloque sur le sujet (2).
Les recueils de chants
Dès
les années 50, en septembre, un petit livret, d’une trentaine de pages
généralement, était édité pour chaque niveau de l’école primaire. Il regroupait
les chants et les récitations qui seraient diffusés par la radio scolaire au
cours de l’année. Cette brochure était vendue aux écoles par l’« Institut
Pédagogique National. Service d’Edition et de Vente des Productions de
l’Education Nationale ». Souvent, la coopérative scolaire faisait
l’acquisition des livrets et demandait une participation financière aux
familles.
Dans
le livret 1969-1970, il était précisé que les chants seraient diffusés le
mercredi de 15 heures 45 à 16 heures et les récitations le mardi de 15 heures
15 à 15 heures 30. Il était aussi indiqué en page 2 que « Les chants et les textes de récitations publiés dans ce livret
et diffusés par la radio scolaire au cours de l’année 1969-1970 sont enregistrés
sur disques micro-sillons (33 tours 17 cm). 815-16-17 (album N°2). Cette
collection portant le titre de « Chants et Récitations, répertoire de la
radio scolaire » est éditée par Fernand Nathan 9, rue Méchain Paris XIV ».
Les écoles pouvaient donc utiliser les enregistrements de manière plus
souple que les horaires fixes de la radio.
L’année
suivante, les livrets et les enregistrements furent en vente dans les CDDP
(Centres Départementaux de Documentation Pédagogique) et les CRDP (Centres Régionaux
de Documentation Pédagogique).
2020, « Nation apprenante » : le retour
de la télévision scolaire
Quid
de la fracture numérique qui empêcha certaines classes sociales modestes
d’accéder à l’enseignement à distance proposé par nombre de professeurs pendant
la crise du coronavirus ? Absence d’ordinateur à la maison, connexion
internet inexistante, incapacité des parents à accompagner leurs enfants dans
ces « cours à la maison », autant de problématiques qui ont
rapidement été soulignées par les enseignants, générant des inégalités entre
les familles. L’utilisation d’un média de masse était la solution, le
téléviseur trônant dans tous les foyers…
Le
Covid-19 a réveillé un temps que les moins de 50 ans ne pouvaient pas
connaître ! Lorsqu’en plein confinement, les anciens ont vu s’afficher sur
leur petit écran le programme quotidien des cours de mathématiques, français,
histoire ou sciences proposés par la télévision publique, ils sont revenus au temps
de leur jeunesse.
Pour
les 12 millions d’élèves confinés chez eux, en complémentarité de
l’enseignement « distanciel » dispensé par les professeurs, le
ministère de l’Education Nationale a lancé le dispositif « Lumni »,
la continuité pédagogique à la maison… A la surprise générale, le succès fut au
rendez-vous avec 8,1 millions de téléspectateurs entre le 23 mars et le 19
avril dont 2,4 millions d’enfants de moins de 15 ans (chiffres France
Télévision).
A
partir de 1981, la RTS avait mis une décennie pour s’éteindre et il suffit
d’une dizaine de jours en mars du printemps 2020 pour lancer « La Maison
Lumni » à France 4, France 2 et France 5, dans l’objectif de « proposer aux élèves de réviser les
enseignements fondamentaux qu’ils auraient normalement travaillé en classe,
lors d’un rendez-vous régulier avec Alex Goude entouré de professeurs. » (Amel Cogard, Chargé de l’éducation à
France Télévision)
C’est
dans les studios de la Plaine-Saint-Denis que sont enregistrées au pas de
charge les émissions : une fausse classe au décor sobre et dépouillé, un
vrai prof de l’Education Nationale, un tableau blanc et trente minutes de leçon
par niveau sur des thèmes aussi nombreux que diversifiés : de la fraction
décimale au graphème, de l’anglais à la division euclidienne en passant par
l’Europe économique et une série de reportages ou de créations audiovisuelles
labellisées.
Pour
parfaire le dispositif, les contenus « Lumni » furent
accessibles en ligne et, parallèlement aux émissions télévisées, les vidéos
furent vues 13,4 millions de fois entre le 23 mars et le 19 avril et le replay
de France.tv vu 2 millions de fois. (Source Le Monde Education, avril 2020,
Séverin Graveau)
Dernier
soubresaut de la télévision scolaire en somme… ou peut-être une nouvelle brèche
ouverte dans un monopole de l’école publique et républicaine déjà bien entamé ?
Les propos officiels nous laissent perplexes en la matière : « Le visuel « Nation apprenante » pourra être obtenu par tous les
médias audiovisuels et écrits, publics ou privé qui le souhaitent auprès du
ministère, qui garantira leur cohérence avec les objectifs et les contenus des
programmes scolaires. » (Communiqué de Jean-Michel Blanquer, Ministre
de l’Education Nationale)
(1) :
Pierre
et le Loup, disque 33T (collection musée)
(2) :
Témoignage de Daniel Chatenay, Directeur de l’école de Saint-Martin-Belle-Roche (71) dans les années 60 recueilli par Jean-Paul Moiraud sur son blog (https://moiraudjp.wordpress.com/) :
(3) : Les
premières vidéos présentées dans Gallica, produites entre 1954 et 2004,
illustrent toutes les disciplines de l’enseignement scolaire : la
littérature et la philosophie, l’histoire et la géographie, ainsi que
l’enseignement des arts et l’économie. Les enseignants étaient accompagnés dans
leur utilisation par des publications comme
le "Bulletin de la radio-télévision scolaire" de
1964 à 1969, les "Dossiers pédagogiques de la radio-télévision scolaire" de
1965 à 1983, ou par la revue "Média", toutes trois numérisées dans
Gallica.
P.P
Bonjour, j’ai bénéficié de la radio scolaire dans les années 50 et c’est pour moi un grand souvenir
RépondreSupprimerPetite école à 2 classes où l’on enseignait de la maternelle jusqu’au certificat d’étude. Nous écoutions grâce au poste de radio
C’était une ouverture magnifique sur la musique notamment classique peu ou pas écoutée dans mon entourage
J’ai peu croisé d’anciens élèves qui ont connu cet avantage de l’institutrice
Merci à cette école primaire dont le souvenir est toujours présent, tant elle m’a appris et m’a permis de continuer à apprendre
Brigitte