Les rites scolaires
A la mi-vacances, la
rentrée est en vue
Tels des oiseaux de mauvais augure,
comme à leur habitude, les commerces étalaient leurs rayons de fournitures
scolaires avant même la sortie des classes ! Quelle gageure… Mais personne
n’est exempte des traditions. Il n’est pas de sociétés durables sans rites
d’identification et d’intégration. Il en allait de même pour l’école autrefois.
Les rites de la rentrée étaient les plus forts : ils impliquaient
infiniment plus que de simples débuts ou de nouveaux retours en classe.
Tout d’abord, la rentrée était rite de
normalisation vestimentaire. Relisons ce que Charles Péguy écrivait au sujet de
« sa » rentrée à la « grande » école : « Quelques jours avant la rentrée des
classes, on m’acheta un beau képi neuf, on me fit faire de beaux sarraus noirs
pour aller à l’école ; on m’acheta un sac d’écolier, un beau sac neuf,
jaune, en toile et en cuir avec des dessins, et une courroie en cuir glacé ;
on m’acheta des beaux crayons neufs à un sou, des beaux porte-plumes neufs, et
de belles plumes neuves ».
La rentrée était aussi la découverte
de la discipline et de l’agressivité collectives, force principale des armées. « Les maîtres frappèrent dans leurs
mains », les enfants cessent de jouer, se mettent en rang par taille,
rentrent au pas dans la classe en chantant en cœur : « Aux premières notes de la chanson (…) une émotion de surprise et
d’admiration anxieusement indéfinissable m’avait tout entier et définitivement
envahi ; jamais je n’aurais supposé que l’on pût comme eux chanter et
marcher d’un seul accord, au lieu de marcher comme tout le monde. » L’école
publique formait le soldat-citoyen dont la patrie avait besoin pour être forte
et défendue. Dans la cour, l’écolier découvre à la fois la solidarité
réconfortante de sa bande, mais aussi l’agressivité inquiétante des bagarreurs.
Ce souvenir de la collectivité se
trouve conservé dans la photographie scolaire dont l’habitude rituelle se prend
dès les débuts de la Troisième République, moment scolaire annuel unique où
l’élève endimanché, pose autour de son maître pour une photographie dont
l’unique destin semble être de prouver qu’il était là… comme naguère les
grognards à Austerlitz. Curieux souvenir mais témoignage si riche pour
l’historien, tout y est : nombre d’élèves dans la classe, répartition des
divisions, habits bourgeois du maître souvent moustachu, sarraus uniformes des
gamins aux crânes tondus, aux pieds reflétant leur classe sociale (bottines,
galoches ou sabots), jusque, parfois, aux yeux exorbités des enfants
d’alcooliques comme sur la planche murale du Dr Galtier-Boissière…
Un autre grand rite scolaire est
l’appel bi-quotidien des présents, être noté « absent » à l’un de ces
appels (qualificatif identique à celui du code militaire), entraîne une
présomption de désertion, en l’occurrence, d’école buissonnière. Toute absence
doit donc être justifiée et, qui plus est, par un « mot » des
parents. Cette pratique est à l’origine d’une variété ahurissante de bouts de
papier « portés au maître » comportant quelquefois une graphie
sommaire ou des explications rocambolesques et montrant crûment la distance
abyssale qui sépare l’école institutionnelle et le milieu familial des élèves.
Mais ne
jouons pas les trouble-fêtes car le temps des congés n’est pas encore terminé !
Laissons nos chères têtes blondes oublier l’école encore quelques temps. Place
à l’école buissonnière et aux vacances, à leurs jeux et à leurs découvertes
merveilleuses… Les jours et les heures ne sont plus les mêmes et souffle alors
un vent de liberté… Même en cette année si particulière !
Ecouter Jacques Prévert
Le Cancre
Il dit
non avec la tête
Mais
il dit oui avec le cœur
Il dit
oui à ce qu’il aime
Il dit
non au professeur
Il est
debout
On le
questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain
le fou rire le prend
Et il
efface tout
Les
chiffres et les mots
Les
dates et les noms
Les
phrases et les pièges
Et malgré les menaces du maître
Sous
les huées des enfants prodiges
Avec
des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur
P.P
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