mardi 18 août 2020

Le Maistre d’école, le « Manœuvre de l’alphabet »



Le Maistre d’école
« Manœuvre de l’alphabet »



Le Maître d’école endormi, de Joseph Baume, 1831 (MUNAE)



Le « manœuvre de l’alphabet »


C’est ainsi qu’était qualifié l’« instructeur » devant apprendre à lire, écrire et chiffrer aux enfants sous l’Ancien Régime. Elu par l’assemblée du village, il est aussi l’auxiliaire du curé et du maire. Il est rétribué par les parents d’élèves pour chaque enfant auquel il dispense son enseignement : deux ou trois sous par mois pour apprendre à calculer, quatre ou cinq sous pour apprendre à écrire. Son salaire minimum est fixé à 150 livres par an, si la somme n’est pas atteinte avec les subsides des parents, la commune doit faire l’appoint. La plupart du temps, les maîtres exercent un deuxième métier pour compléter leurs émoluments : maçon, cordonnier, tailleur ou greffier de commune (futur secrétaire de mairie).  




Une petite école, de Joseph Baume, vers 1840 (MUNAE)



De l’instructeur communal au hussard noir de la République

Si les contours de l’enseignement restent flous sous l’Ancien Régime, nous les connaissons mieux à partir de la Révolution car les différentes assemblées révolutionnaires vont s’intéresser à l’école et notamment à l’école primaire. Des débats sur la manière d’enseigner, la rémunération des maîtres, les matières à enseigner, sont consignés. Dans les faits, les charges et le rôle des maîtres dans la commune n’évoluent pas, si ce n’est que les écoles commencent à partiellement échapper à la tutelle de l’église (1). Il reste que le juge de paix est associé au curé pour inspecter les écoles, que l’évêque ou son délégué contrôle l’enseignement religieux et que le maire exerce une surveillance administrative.



Ecole de garçons, 1930



Quoi qu’il en soit, le décret du 29 frimaire an II (19 décembre1793) rend obligatoire l’école pour les enfants de six à neuf ans. C’est ainsi qu’à Breurey, commune de Haute-Saône, le conseil municipal ordonne : « Les officiers municipaux devront avertir au son de la caisse les père et mère qui ont un enfant de six à neuf ans de les envoyer incessamment à l’école de Claude-François Camus et Jeanne-Françoise Bernard, instituteur et institutrice du lieu pour obéir à la loi du 29 frimaire ». Vœu pieux qui fut peu suivi d’effet.



Ecole maternelle, 1890



En 1794, les communes peuvent désormais choisir leur maître d’école. Elles doivent lui signer un contrat et lui donner un logement correct. La conservation de certains de ces contrats nous éclaire sur la vie souvent pénible des instituteurs de l’époque à l’image de celui signé entre le maire Gousset et l’instituteur Grand-Jean Dominique le 23 frimaire an X (15 décembre 1802).




Elèves en blouse, 1915



Cette même année, Grand-Jean a obtenu un « certificat de capacité délivré par les membres du jury d’instruction publique de Vesoul ». Le sieur Gousset, maire, le charge de la fonction d’instituteur dans sa commune sous les dispositions contractuelles suivantes : il recevra six moules de bois par an (un moule = un stère 1/3) et la somme de 60 livres ; il tiendra en outre les registres de l’état civil et il fera « le point de l’horloge et de la sonnerie » ; chaque enfant lui donnera, suivant l’âge, 30 à 50 centimes mensuels ; il sera tenu « de donner une bonne éducation à toute la jeunesse, il la réunira les jours de fête pour lui donner des leçons de morale et de religion ».

En 1806, sont fixés les mois de classe et des précisions sont portées au contrat de Grand-Jean : « il apprendra aux enfants à lire, à écrire, le calcul décimal, le catéchisme, les vérités de la religion catholique et le « plain chant ». Chaque dimanche, il fera chez lui une réunion pour préparer les enfants à répondre aux instructions du prêtre à l’église. Il doit assister le prêtre desservant la paroisse, chanter messes et vêpres, blanchir le linge de l’église. L’instituteur recevra toujours une indemnité des parents, mais les parents de dix enfants et les indigents [ils étaient fort nombreux] ne donneront rien.



Classe de garçons, 1930



Cette indemnité est fixée à 4 sols par mois pour les petits, 7 sols pour ceux qui savent lire, 8 sols pour ceux qui apprennent le calcul décimal et le plain chant. L’instituteur reste chargé de la sonnerie des cloches : le matin, à midi et le soir. Chaque jour, il sonnera la « retraite » à 10 heures du soir. Il aura soin de remonter l’horloge et de la graisser. Il sonnera encore les cloches les veilles de fêtes et chaque fois que l’autorité le demandera. Il sera payé audit Grand-Jean à la fin de la présente année : 150 francs par le percepteur sur les revenus communaux et il recevra deux stères de bois. » (Source : L’école dans un village Haute-Saônois, Thérèse Madiot, 1979)



Ecole de filles, 1910 (MUNAE)



Sous Louis-Philippe, Guizot crée une école primaire dans chaque commune, explicite la tâche de l’instituteur en donnant à ce dernier plus d’ampleur à son enseignement et en lui ôtant son caractère confessionnel. Cette loi aura des répercussions financières importantes sur les budgets communaux, les maires devant prévoir l’ouverture d’une école. On songe, de surcroît, à supprimer la rétribution scolaire payée par les parents et à la remplacer par un traitement fixe.



Classe de garçons, vers 1900



Quelques repères chronologiques
1833 : rapport Guizot : les maîtres devront verser un vingtième de leur traitement à une caisse de retraite. Le traitement dépasse rarement 300 F par an, le vingtième, soit 15 F est une bien modique somme pour assurer une retraite décente qui devrait atteindre au moins 500 F par an. Beaucoup d’instituteurs ont moins de 100 F.

19 janvier, 16 février et 15 mars 1850 : La loi Falloux fait obligation aux communes de loger convenablement les instituteurs, de leur garantir une rémunération  supérieure à 600 F  par an  et d’avoir droit à une retraite après 30 ans de service. A cette date, un ouvrier gagnait 2 F par jour, un ouvrier agricole 1,50 F, un professeur de collège pouvait aller jusqu’à 2 200 F par an ; 1 cahier valait 20 c ; le kg de pain était à 50 c, le litre de vin, à 40 c, les 100 kg de pommes de terre, 4 F ; la livre de café valait 28 c ; la livre de sucre, 1 F  (elle était très chère) mais il fallait 35 F pour un costume acheté à la Belle Jardinière (les grands magasins commençaient à s’installer à Paris et les costumes étaient vendus en confection). Un costume de velours  (de travail) coûtait seulement 5,75 F  et une paire de souliers 6 F.

1867 : Victor Duruy va améliorer les traitements, de 700 F à 1 000 F par an, pour les instituteurs et de 500 à 600 F pour les institutrices. Il va fixer un traitement de 400 à 500 F pour les adjoints, payés par le maître chargé de la classe. Les livres deviennent de plus en plus nombreux et diversifiés : abécédaires, livres de lecture courante, arithmétiques, livres d’histoire (collection Lavisse, souvent copiée), géographie, ouvrages de leçons de choses. Ils coûtent cher, de 1,50 F à 2 F (le salaire journalier d’une institutrice).

1875 : Les instituteurs sont répartis en 4 classes, avec un salaire qui va de 900 F à 1 200 F par an, les institutrices, en 3 classes se contentent d’un salaire de 700 F à 900 F. L’ouvrier, à cette époque, gagnait 3,02 F par jour, un professeur 4 400 F par an. Le sucre valait 1,30 F le kg, le riz : 0,50 F, le café, 2,20 F et le pain était à 0,36 F le kg.  Un costume en confection valait 145 F, une jupe : 15 F. Un abonnement à la revue de la mode valait 12 F par an à Paris et 14 F en province, un abonnement au Monde illustré : 24 F par an. En 1875, la ville de Lyon allouait aux 11 frères et 106 sœurs qu’elle employait, un salaire de 950 et 750 F.

1880 : Le nombre d’instituteurs atteint 122 760. Ils étaient 59 735 en 1837,  75 350 en 1843 et 108 799 en 1865. Les institutrices représentaient 37,4 % du corps en 1843 et 54,10 % en 1880, cela fut dû à une arrivée plus conséquente de filles dans les écoles. Les instituteurs gagnent de 1 000 F à 1 800 F par an (suivant leur classe),  leur salaire est calculé à l'année et ne porte que sur 7 à 8 mois sur 12. A cette époque, un chef d’atelier dans le ruban gagnait 4 F par jour (mais en 1884, il ne gagnera que 1,25 F car la crise du secteur commençait à se manifester). Un commis des postes avait de 1 000 F à 2 700 F et un percepteur, de 1 400 F à 2 800 F. L’eau courante dans les villes coûtait 0,55 F le m3, l’électricité commençait à se répandre à 1,50 F le KW (source : B. Reynard, L’industrie rubanière à Saint-Etienne, 1991).

1888 : On institue un nouveau régime de traitements : les instituteurs en début de carrière gagnent 1 200 F par an, les institutrices 1 000 F, les directeurs d’école, enfin reconnus, touchent une indemnité de 200 F à 400 F et les maîtres de cours complémentaires, une indemnité de 200 F. Il y a 5 classes et l’avancement se fait de 5 ans en 5 ans. Une indemnité de résidence est ajoutée au salaire, elle varie de 700 F à 800 F. A cette époque, un manœuvre gagnait 3 F par jour, une douzaine d’œufs valait  1 F, un costume 50 F, la pension complète dans une auberge pour un instituteur débutant : 75 F par mois.



La Belle Jardinière, catalogue hiver 1877-1878 (pinterest)

La Belle Jardinière, catalogue hiver 1877-1878 (pinterest)

La Belle Jardinière, catalogue hiver 1877-1878 (pinterest)



1914 : Les instituteurs gagnent de 1 200 F à 2 200 F par an, les institutrices, de 1 100 F à 2 000 F. L’ouvrier gagne de 180 F à 200 F par an, l’ouvrière de 100 F à 110 F. Le kg de pain vaut 44 c, le litre de lait 30 c, le kg de pommes de terre 10 c, le kg de plat de côtes de bœuf  1,70 F, le litre de vin 50 c, la tablette de chocolat 28 c et le journal quotidien est à 5 c.

1937-1938 : Un instituteur gagnait de 900 à 1 000 F par mois. Il y avait 6 classes de traitement, les classes seront transformées en échelons le 1er janvier 1960. Les chargés mixtes deviendront directeurs mixtes et adjoints mixtes le 1er janvier 1962… A cette époque, le pain coûtait 2,80 F le kg, le lait, 1,65 F le litre, le beurre, de 8 à 12 F le kg, les pommes de terre, 1,22 F le kg, le bifteck, 13 F le kg, le poisson, de 8 à 18 F le kg, un lapin, de 8 à 10 F. On pouvait acheter une bicyclette avec 300 F, un repas au restaurant valait de 100 à 200 F et une traction avant Citroën, légère, 11 CV, atteignait la somme de 12 000 F. A cette époque un comptable recevait de 1 100 à 1 400 F par mois, un professeur licencié, 1 400 F et un agrégé, 2 200 F (source : Amouroux, Histoire des français sous l’occupation, le peuple des désastres).

Quelques repères monétaires

Le franc du 19ème siècle vaut 100 centimes.
Un sou valait  5 centimes en 1840 mais après 1900, on appelait la pièce de 1 centime la pièce de « vingt sous » et la pièce de 5 centimes la pièce de « cent sous ».
Un franc de 1850 vaut 3.27 euros d’aujourd’hui en valeur non corrigée.
A l’époque de Victor Hugo, on utilisait des pièces de 1, 2, 5, 10, 25 et 50 centimes ; des pièces de 1, 2, 5, 10, 20, 50 et 100 francs ; des billets de 5, 10, 20, 50, 100, 200, 300, 500, 1000, 5000 et 10 000 francs.




Convertisseur de monnaie d’Ancien Régime





Convertisseur francs/euros




(1) : La Révolution a ses préceptes : «Enseigne à tes élèves les connaissances élémentaires aux citoyens pour exercer leurs droits, remplir leurs devoirs et administrer les affaires publiques. Fais-leur connaître les traits de vertu qui honorent le plus les hommes libres et particulièrement les faits de la Révolution française susceptibles de leur élever l’âme et de les rendre dignes de la liberté et de l’égalité ». La Convention va plus loin encore: «Apprends-leur l’arpentage, la géographie et l’histoire des peuples libres, les principaux phénomènes et les productions les plus usuelles de la nature; fais-leur visiter les hôpitaux, les manufactures, les ateliers; initie-les au travail manuel ». Ces idées étaient vraisemblablement prématurées et à la fin de la Révolution, l’instituteur est limité dans ses actions : «Borne-toi à la lecture, à l’écriture, au calcul et à la morale républicaine ».

Avec Napoléon 1er, autre son de cloche : «Enseigne les préceptes de la religion catholique, la fidélité à l’empereur et à la monarchie impériale, dépositaire du bonheur des peuples, à la dynastie napoléonienne, conservatrice de l’unité de la France et de toutes les idées proclamées par la Constitution, forme des citoyens attachés à leur religion, à leur prince, à leur patrie et à leur famille». Avec Louis XVIII et Charles X, c’est le retour avant 1789 : «Fonde ton enseignement sur la religion, sur le respect pour les lois dû au souverain, partage le temps de la classe entre le catéchisme, la lecture, l’écriture, le calcul».

Le 8 mai 1824, Louis XVIII publie une ordonnance relative à l’Instruction publique et l’évêque de Versailles, dans une lettre-circulaire qu’il adresse aux curés du diocèse, en fait un commentaire intéressant et recommande la création de Comités cantonaux d’Instruction publique. Un de ces Comités cantonaux fut créé à Mantes. Il fit éditer à l’imprimerie de Mme Veuve Refay, à Mantes, rue de la Mercerie, no 259, une petite brochure sous le titre : Conseils aux Instituteurs des Écoles primaires du canton de Mantes. Ce recueil contenait cinq parties: 1/ De l’autorité du maître ; 2/ Des punitions ; 3/ De l’instruction ; 4/ De l’’hygiène ou état de santé des enfants ; 5/ De l’influence du maître sur les habitants de la commune. Ce Comité se faisait renseigner sur les aptitudes et sur la tenue des instituteurs du canton.
Les mouvements socialistes et anarchistes de 1848 ont une influence sur les instituteurs ; aussi en 1852, le Ministre de l’Instruction publique adresse une lettre aux recteurs pour faire disparaître les dernières traces de l’anarchie. «Vous leur recommanderez de ne pas souffrir que les maîtres paraissent devant leurs élèves en costume négligé, qu’ils laissent croître leur barbe et affectent ainsi des manières peu compatibles avec la dignité de leur profession. La singularité ou la fantaisie du costume appelle la critique ou la raillerie ; elle déconsidère d’avance le maître auprès de ses élèves qui ne reconnaissent pas leur instituteur sous l’espèce de déguisement que lui fait trop souvent adopter une mode absurde».

La Troisième République promulgue ses lois scolaires interdisant la rétribution scolaire dans les écoles primaires publiques (gratuité), obligeant les enfants des deux sexes, de 6 à 13 ans, à fréquenter les établissements d’enseignement publics ou privés ou de recevoir l’instruction dans leur famille (obligation), ordonnant que l’enseignement religieux ne puisse être donné qu’en dehors des édifices publics (laïcité).

Dès lors, de par son recrutement à l’Ecole Normale, l’instituteur d’une région est le plus souvent originaire du département. Les cours complémentaires n’existaient pas; les écoles primaires supérieures et les lycées étaient rares et éloignés. Dans le village, l’instituteur en exercice remarquait un élève intelligent et laborieux, s’intéressait à lui et l’orientait vers l’enseignement en le préparant lui-même au brevet et au concours de l’École Normale. Trois ans après, ce jeune homme débutait et il cherchait à obtenir un poste dans sa région. Il s’acclimatait tout naturellement aux habitudes, au caractère, à la vie des campagnes et gagnait facilement la confiance des ruraux. Arrivé célibataire dans son village, l’instituteur y trouvait facilement une compagne, souvent une collègue mais quelques fois une cultivatrice, heureuse d’abandonner les travaux pénibles des champs et lui, satisfait d’épouser une jeune fille qui avait du bien en dote. L’instituteur ne songeait pas à changer de poste, il s’enracinait dans le pays ; il prenait sa retraite dans son école de début où il avait acquis une haute autorité morale. Il avait rendu mille services extrascolaires : baux, sous-seings privés, lettres d’affaires ou lettres familiales. Il avait été le confident intime, l’homme de bon conseil, l’ami sûr au jugement sain. Pendant vingt, vingt-cinq et même trente ans, nos communes connurent le même instituteur. Cette situation perdura jusqu’au milieu du XXème siècle. (Source : Du maistre d’école d’autrefois à l’instituteur d’aujourd’hui, Paul Potié, 1953)

P.P

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