dimanche 6 décembre 2020

Les sciences à l'école 1881-1970 (2)



 

L’enseignement des sciences 1881-1970

Apprendre par les choses

(Seconde partie)




Appelons un chat, un chat !

Les sciences naturelles, peut-être plus que toutes les autres matières de l'enseignement primaire, favorisent l’éducation de l’intelligence. L’étude des êtres et des choses qui peuplent le globe apprend à observer et à traduire l’observation à travers un langage approprié. Quand le mot représente une chose précise, il n'y a aucune raison pour ne pas en enrichir le vocabulaire de l'enfant. Si certains ouvrages « vulgarisateurs », à une époque récente, ont cru bon de supprimer « étamine » et « pollen » de la description des fleurs ou encore de désigner les vertébrés par « animaux à os », ce fut une erreur absurde. Nommons donc les choses… Tout simplement. 


Le règne animal

Les premiers programmes contenaient l’étude des grandes classes d’animaux souvent peu observables : le fourmilier type « édenté », le kangourou type « marsupial », la baleine type « mammifère cétacé » ou encore la girafe type « mammifère ongulé ». Les premiers manuels, illustrés de gravures, ne donnaient alors qu’une idée approximative des animaux exotiques et l’introduction des images et des photographies ne forgèrent pas non plus une représentation réaliste. Si la grande majorité des écoliers n’avaient jamais visité de zoo, la plupart étaient issus de la campagne et avaient, depuis leur naissance, cohabité étroitement avec les animaux de leur environnement, domestiques ou non. 




Les programmes successifs, notamment à partir de 1923, orientèrent le champ d’observation de la leçon de choses vers une faune locale aussi dense que diversifiée. L’écolier ne vivait-il pas naturellement entouré d’animaux domestiques, d’oiseaux et d’insectes ? Implicitement, ce côtoiement, grâce à l’enseignement des « anciens », avait forgé une connaissance traditionnelle et populaire de la plupart des caractères distinctifs de ces animaux : éléments physiques, comportements, manières de vivre, de se nourrir, de se reproduire.



 


Restait alors au maître la lourde tâche de faire découvrir la « fiche technique » de ces derniers et de compléter le savoir de base par une observation plus scientifique du sujet : moyens de préhension, moyens de locomotion, appareils dentaire, respiratoire, digestif et circulatoire. Alors arrivaient les leçons tant attendues par les élèves ! Leçons autant pratiques que scientifiques. La vipère et la couleuvre par exemple. Les bocaux remplis de formol qui renfermaient ces deux reptiles étaient sortis du placard-musée et apparaissaient enfin, devant des yeux ahuris et des visages parfois dégoûtés, les deux bestioles à l’œil terne et à la gueule béante.




L’une était venimeuse avec sa tête triangulaire ornée de fines écailles noires en forme de V renversé et l’autre était inoffensive avec ses grandes écailles et sa longue queue dont on distinguait mal l’extrémité. En prévision d’une rencontre inopportune dans la nature, le maître jugeait bon de les distinguer l’une de l’autre et d’apprendre à sa troupe les soins à donner en cas de morsure. 



Au printemps venait aussi la leçon sur la transformation des têtards en grenouilles. L’observation de la lente métamorphose se faisait chaque jour autour du bocal où frétillaient une poignée d’individus que des garçons de la classe débrouillards avaient capturés dans une mare. Inutile de préciser que le langage scientifique était de mise et que la dénomination en patois du têtard, la « queue de casse », n’était pas tolérée par l’instituteur ! Pas plus que le fil à la patte du hanneton, que le polisson sortait de sa boîte d’allumettes et tenait en laisse au fond de la classe, produisant un bourdonnement intempestif, n’était considéré comme l’étude d’un insecte !



La poursuite de la leçon passait par le manuel à partir duquel on apprenait à dessiner l’objet observé : la coupe d’un œuf, la mâchoire du chat, la dentition du lapin ou, plus compliqué, l’appareil digestif de la poule, étalé par le maître sur la table d’expérience. Mais attention ! Ces exercices qui auraient pu paraître ludiques aux écoliers plus habitués aux dictées et aux problèmes pouvaient faire l’objet d’une question au certificat d’études. D’autant plus que ces croquis étaient toujours accompagnés d’un résumé qu’il fallait apprendre par cœur et dont les thèmes étaient au programme de l’examen : les cinq classes de mammifères, les sept espèces d’oiseaux, les poissons, les batraciens, les reptiles, sans oublier les invertébrés (insectes, araignées, crustacés, vers, mollusques)…







A y regarder de plus près, toutes ces connaissances dûment répertoriées restaient malgré tout superficielles et rudimentaires. Jusque dans les années 1930, elles étaient en conformité avec l’ignorance de l’époque en la matière et reflétaient l’esprit d’un temps où les animaux étaient considérés comme des êtres de seconde zone au service de l’homme, espèce supérieure.





Le règne végétal




Une fois encore, l’origine rurale des petits écoliers présageait d’une connaissance de la nature transmise de génération en génération : la reconnaissance des arbres, les plantes du potager, des champs, des prés et des bois. Chacun connaissait l’époque de leur floraison et celle de leur récolte, le tout guidé par les phases de la lune et savait distinguer les champignons comestibles des vénéneux ou encore utiliser les plantes médicinales aux vertus thérapeutiques. Qu’avaient-ils donc à apprendre sur la flore qu’ils ne sachent pas ? Nul n’était censé ignorer qu’il était né dans un chou ou dans une rose, cependant…





Cependant, si la reproduction de l'espèce humaine restait le mystère, aucun enfant n'aurait eu l'impudence de questionner qui que ce soit sur le sujet et chacun devait rester dans une ignorance… très relative, somme toute ! Mais voilà que l’école levait le voile sur la reproduction du végétal. La classe procédait avec enthousiasme à la dissection d’une fleur que chacun avait apportée. Les élèves détachaient délicatement et comptaient les pétales de la corolle, les sépales du calice, le nombre d’étamines… et voilà dévoilée l’intimité de la fleur. Le maître attirait alors leur attention sur les petits sacs au sommet des étamines, les anthères, remplies de pollen qui jaunissait les doigts et ensuite sur le pistil surmonté d’un petit renflement, le stigmate. A la base de ce dernier se trouvait une petite boule : l’ovaire, à l’intérieur duquel on découvrait, en l’ouvrant délicatement, les ovules, minuscules petits grains blancs. Alors, les élèves curieux et attentifs écoutaient les explications du maître sur la reproduction des plantes. Les plus perspicaces d'entre eux ne manquaient pas de noter en silence que le nom de l'appareil reproducteur femelle de la fleur était au masculin (le pistil) alors que son organe mâle était au féminin (l'anthère)... curieux ! 




Tout était dit sans tabou ;  la fécondation de la fleur qui, fanée, laissait s’ouvrir les anthères des étamines pour que le pollen s’échappe et vienne se déposer sur le stigmate au sommet du pistil avant de pénétrer dans l’ovaire pour le féconder. C’était le commencement d’une nouvelle vie : l’ovaire en grossissant deviendrait fruit (à noyau ou à pépin, gousse de pois ou de haricot…). La germination de la graine qui, mise à germer en classe (graines de haricots ou de lentilles dans une assiette dans la ouate humide), faisait surgir comme par enchantement, de minuscules racines suivies de deux petites feuilles se nourrissant des deux moitiés de la graine. Tout comme pour l’étude des animaux, la schématisation de ces expériences était de mise et passait par la mémorisation d’un vocabulaire précis que les épreuves du « certif » ne manqueraient pas de nous rappeler.




A l’évidence, l’étude des sciences à l’école primaire visait à former les élèves à une approche rationnelle de la réalité qui les entourait en levant tout scepticisme. La découverte des différents modes de transmission de la vie chez les animaux et chez les végétaux en fut un exemple. Cela n’empêchait nullement de poursuivre d’autres objectifs plus ludiques. Après avoir disséqué  bon nombre de fleurs, tout écolier avait un jour appris à les faire sécher entre deux buvards, à l'intérieur d'un livre, dans le but de réaliser un herbier, travail qui exigeait soin, habileté et persévérance. Certains herbiers soigneusement conservés sont de véritables merveilles, premières notions de sciences physiques et naturelles.

Au cours complémentaire en 1942

Les sciences, c’est du sérieux !






















P.P


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