L’enseignement
des sciences 1881-1970
Apprendre
par les choses
(Seconde
partie)
Appelons un
chat, un chat !
Les sciences naturelles, peut-être plus que toutes les autres
matières de l'enseignement primaire, favorisent l’éducation de l’intelligence. L’étude
des êtres et des choses qui peuplent le globe apprend à observer et à traduire
l’observation à travers un langage approprié. Quand
le mot représente une chose précise, il n'y a aucune raison pour ne pas en
enrichir le vocabulaire de l'enfant. Si certains ouvrages
« vulgarisateurs », à une époque récente, ont cru bon de supprimer
« étamine » et « pollen » de la description des fleurs ou
encore de désigner les vertébrés par « animaux à os », ce fut une
erreur absurde. Nommons donc les choses… Tout simplement.
Le
règne animal
Les premiers programmes contenaient l’étude des grandes classes d’animaux souvent peu observables : le fourmilier type « édenté », le kangourou type « marsupial », la baleine type « mammifère cétacé » ou encore la girafe type « mammifère ongulé ». Les premiers manuels, illustrés de gravures, ne donnaient alors qu’une idée approximative des animaux exotiques et l’introduction des images et des photographies ne forgèrent pas non plus une représentation réaliste. Si la grande majorité des écoliers n’avaient jamais visité de zoo, la plupart étaient issus de la campagne et avaient, depuis leur naissance, cohabité étroitement avec les animaux de leur environnement, domestiques ou non.
Les programmes successifs,
notamment à partir de 1923, orientèrent le champ d’observation de la leçon de
choses vers une faune locale aussi dense que diversifiée. L’écolier ne
vivait-il pas naturellement entouré d’animaux domestiques, d’oiseaux et
d’insectes ? Implicitement, ce côtoiement, grâce à l’enseignement des
« anciens », avait forgé une connaissance traditionnelle et populaire
de la plupart des caractères distinctifs de ces animaux : éléments
physiques, comportements, manières de vivre, de se nourrir, de se reproduire.
Restait alors au maître la
lourde tâche de faire découvrir la « fiche technique » de ces
derniers et de compléter le savoir de base par une observation plus
scientifique du sujet : moyens de préhension, moyens de locomotion,
appareils dentaire, respiratoire, digestif et circulatoire. Alors arrivaient
les leçons tant attendues par les élèves ! Leçons autant pratiques que
scientifiques. La vipère et la couleuvre par exemple. Les bocaux remplis de formol qui renfermaient ces deux
reptiles étaient sortis du placard-musée et apparaissaient enfin, devant des
yeux ahuris et des visages parfois dégoûtés, les deux bestioles à l’œil terne
et à la gueule béante.
Au printemps venait aussi la
leçon sur la transformation des têtards en grenouilles. L’observation de la
lente métamorphose se faisait chaque jour autour du bocal où frétillaient une
poignée d’individus que des garçons de la classe débrouillards avaient capturés
dans une mare. Inutile de préciser que le langage scientifique était de mise et
que la dénomination en patois du têtard, la « queue de casse »,
n’était pas tolérée par l’instituteur ! Pas plus que le fil à la patte du
hanneton, que le polisson sortait de sa boîte d’allumettes et tenait en laisse
au fond de la classe, produisant un bourdonnement intempestif, n’était
considéré comme l’étude d’un insecte !
La poursuite de la leçon
passait par le manuel à partir duquel on apprenait à dessiner l’objet
observé : la coupe d’un œuf, la mâchoire du chat, la dentition du lapin
ou, plus compliqué, l’appareil digestif de la poule, étalé par le maître sur la
table d’expérience. Mais attention ! Ces exercices qui auraient pu paraître
ludiques aux écoliers plus habitués aux dictées et aux problèmes pouvaient
faire l’objet d’une question au certificat d’études. D’autant plus que ces
croquis étaient toujours accompagnés d’un résumé qu’il fallait apprendre par
cœur et dont les thèmes étaient au programme de l’examen : les cinq
classes de mammifères, les sept espèces d’oiseaux, les poissons, les
batraciens, les reptiles, sans oublier les invertébrés (insectes, araignées,
crustacés, vers, mollusques)…
A y regarder de plus près,
toutes ces connaissances dûment répertoriées restaient malgré tout
superficielles et rudimentaires. Jusque dans les années 1930, elles étaient en
conformité avec l’ignorance de l’époque en la matière et reflétaient l’esprit
d’un temps où les animaux étaient considérés comme des êtres de seconde zone au
service de l’homme, espèce supérieure.
Le
règne végétal
Une fois encore, l’origine
rurale des petits écoliers présageait d’une connaissance de la nature transmise
de génération en génération : la reconnaissance des arbres, les plantes du
potager, des champs, des prés et des bois. Chacun connaissait l’époque de leur
floraison et celle de leur récolte, le tout guidé par les phases de la lune et
savait distinguer les champignons comestibles des vénéneux ou encore utiliser
les plantes médicinales aux vertus thérapeutiques. Qu’avaient-ils donc à
apprendre sur la flore qu’ils ne sachent pas ? Nul n’était censé ignorer
qu’il était né dans un chou ou dans une rose, cependant…
Cependant, si la
reproduction de l'espèce humaine restait le mystère, aucun enfant n'aurait eu
l'impudence de questionner qui que ce soit sur le sujet et chacun devait rester
dans une ignorance… très relative, somme toute ! Mais voilà que l’école levait
le voile sur la reproduction du végétal. La classe procédait avec enthousiasme
à la dissection d’une fleur que chacun avait apportée. Les élèves détachaient
délicatement et comptaient les pétales de la corolle, les sépales du calice, le
nombre d’étamines… et voilà dévoilée l’intimité de la fleur. Le maître attirait
alors leur attention sur les petits sacs au sommet des étamines, les anthères,
remplies de pollen qui jaunissait les doigts et ensuite sur le pistil surmonté
d’un petit renflement, le stigmate. A la base de ce dernier se trouvait une
petite boule : l’ovaire, à l’intérieur duquel on découvrait, en l’ouvrant
délicatement, les ovules, minuscules petits grains blancs. Alors, les élèves
curieux et attentifs écoutaient les explications du maître sur la reproduction
des plantes. Les plus perspicaces d'entre eux ne manquaient pas de noter en silence que le nom de l'appareil reproducteur femelle de la fleur était au masculin (le pistil) alors que son organe mâle était au féminin (l'anthère)... curieux !
Au
cours complémentaire en 1942
Les
sciences, c’est du sérieux !
P.P
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