Dis Michel,
Il existe le Père
Noël ?
École Rochechouart (Paris IXe), Michel Serres, 88 ans, a été accueilli par une multitude de questions d’écoliers de maternelle
Michel Serres nous a quittés le 1er juin
2019
Mais c’est en mars de la même année que le grand philosophe, professeur, académicien, écrivain et historien des sciences, passionné d’éducation et d’écologie, a vécu une dernière expérience extraordinaire : pour la première fois de sa vie, il fut confronté à un public ne sachant pas encore lire, 90 écoliers de maternelle, âgés de 3 à 5 ans… « C’est le plus beau jour de ma vie » a-t-il avoué devant enfants « J’ai toujours essayé d’être compris de la plus large majorité. Y arriver avec des enfants de cet âge, ça sauve une vie. »
Michel
Serres est accueilli sous le préau où se trouve un auditoire nombreux et
attentif. Les questions fusent à l’école Rochechouart « Tu fabriques des livres ? » « Tu as un
vélo ? » « Est-ce que tu fais d’autres choses que d’écrire des
livres ? ». Les réponses s’enchaînent car le philosophe excelle
dans l’exercice de la vulgarisation et il s’adresse à ces petits avec un
vocabulaire à leur portée mais sans tricher sur la franchise ni sur la volonté
de transmettre. « C’est quoi ton
projet en ce moment ? » et Michel Serres de répondre : « Peut-être que je vais disparaître dans
quelque temps. Alors j'essaye d'écrire mon dernier livre » (1).
Et
voici qu’arrive la question fatale d’un garçonnet de 4 ans : « Est-ce que le Père Noël
existe ? ». Derrière les sourcils broussailleux, le regard est
perçant : « Je veux te dire un
secret. Je ne l’ai jamais rencontré. Je suppose qu’il n’existe pas ». Stupeur…
Aucun pleur, aucune larme, certains confirment, d’autres doutent, mais une
fillette, sûre d’elle, affirme «
C'est parce qu'il se déplace dans le noir. C'est pour ça que tu ne l'as pas vu.
», imparable !
Une expérience nouvelle (ou presque)
« On ne peut apprendre aucune philosophie, on ne
peut apprendre qu’à philosopher. » Emmanuel
Kant
L’instauration
du débat à l’école et son inscription dans les programmes officiels en 2002, de
la maternelle au cycle 3, ont mis en évidence l’importance de ces pratiques
qui, au-delà des objectifs fondamentaux de maîtrise de la langue, visent une
meilleure intégration de l’élève à la vie de l’école, ainsi que l’acquisition
des compétences participant à la formation de futurs citoyens autonomes et
responsables (2).
Un projet
pédagogique sur Michel Serres est lancé en 2018 par l’organisme public Paris Lecture. Une malle pleine de livres et d’images se référant à l’univers de Serres, Sales gosses, mutins et mutants, est proposée aux écoles
parisiennes volontaires (maternelles ou élémentaires).
Robert
Caron, à l’origine du concept, explique que « Les petits sont souvent confrontés à la complexité.
Il n'y a pas de sujet adapté ou pas aux enfants, il n'y a que des sujets
intéressants, ou moins », et Hélène
Simonot, animatrice Paris Lecture, de compléter « Ils sont trop jeunes pour les concepts, mais ils peuvent
accéder à l'œuvre à travers des images, des documents sonores ou vidéos ». Cette dernière fut surprise que ces écoliers en herbe
puissent, simplement à partir de photos, reconstituer les grands thèmes chers à
Serres : la nature, les écrans, la planète, le savoir. Christelle
Vaillant, directrice de l’école maternelle Rochechouart, s’étonna elle-même de
l’engouement des enfants : « Ils
fouillaient dans les malles de livres avec une vraie curiosité », « Certains
enfants m'ont demandé tous les jours cette semaine quand est-ce qu'ils allaient
rencontrer Michel Serres ! ».
Pendant
trois semaines, entre janvier et février 2019, les élèves ont étudié chaque
matin en classe la vie et l'œuvre du philosophe, entre naïveté et découverte.
Ils ont produit des dessins, émis des idées sous la dictée, réfléchi et réagi aux sollicitations, affiché fièrement leurs représentations sur les murs et les
tableaux, en attendant la rencontre. « Il
met les doigts sur la tête. C'est comme ça qu'on a des idées ! ». L’intéressé
répondra le jour venu en souriant : «
Je vais essayer ! ». La conclusion appartiendra aux enseignants :
Merci au centre Paris Lecture pour cette
formidable aventure !
Et si par hasard Michel Serres en vient à
nous lire ici, sachez que les élèves ont été sensibles à votre esprit
facétieux, bienveillant mais aussi mutin, mutant... et parfaitement sale gosse
!
(Site Académie de Paris, 27 mars 2019)
Michel Serres mourra d’un
cancer peu de temps après, le 1er juin 2019. « Il est mort très paisiblement à 19
heures entouré de sa famille », déclara son éditrice Sophie Bancquart.
(1) : Le
dernier message de Michel
Serres tient en un livre. Le philosophe
ne voulait pas que ce livre paraisse de son vivant. « Sans doute »,
précise son éditrice, « parce que ces textes sont empreints de
nostalgie ». Michel Serres avait commencé en 2001 ces
réflexions, il y remonte le temps, celui de son enfance et de l’univers dans
lequel il s’est forgé. Il nous parle d’histoire comme de géographie. Mais aussi
de… rugby, « une école d’altruisme ». Plus qu’un adieu, c’est un legs que Michel
Serres nous transmet. « Adichats ! »,
éd. Le Pommier.
(2) : LES
OBJECTIFS DU DEBAT REFLEXIF A VISEE PHILOSOPHIQUE (débat-philo)
« Depuis
plusieurs années se multiplient des expériences de débats réflexifs à visée
philosophique (débats philo) dans des classes primaires et maternelles en
France. Des sites internet ont été ouverts, des livres écrits, des mémoires
universitaires rédigés, des colloques organisés.
La
démarche du débat-philo se situe parfaitement dans le cadre des programmes
officiels de l’Education nationale, notamment à travers la demi-heure de débat
hebdomadaire dans les classes prévue par les dernières Instructions
Officielles.
Les
objectifs sont au moins de quatre ordres :
-
approfondissement
d’un thème (en lien transversal avec d’autres activités de la classe) en
dégageant la complexité d’une notion
-
structuration
de la pensée, construction collective d’une pensée
-
maîtrise
du langage
-
écoute
de l’autre, respect dans le débat, prise en compte des idées d’autrui.
Le
problème soulevé par certains professionnels de la philosophie, notamment au
colloque national qui s’est tenu à Montpellier en mars 2003, est de savoir s’il
s’agit bien de philosophie ou de simple débat réflexif. Certains pensent qu’il
ne saurait y avoir de philosophie sans conceptualisation, chose impossible pour
des enfants. Nous répondons à cette objection qu’il ne s’agit évidemment pas
pour nous de faire des cours de philo à des élèves de primaire mais d’induire
chez eux une démarche réflexive sur des thèmes touchant l’existence. L’enfant
se pose aussi des questions existentielles ( la mort, « être grand », la
justice, la paix, le bonheur…) et nos débats-philo ont pour objet, dans les
contours explicités précédemment, de favoriser l’émergence de la réflexion et
de la pensée construite.
Dans
ce sens, la pratique du débat-philo nous semble intimement liée à la pratique
de l’éducation à la citoyenneté déjà largement développée dans de nombreuses
écoles primaires. Là où existe la pratique du débat citoyen (conseils d’élèves
réguliers par exemple) le débat-philo apporte un plus, un approfondissement de
la discussion collective. Pratiquer ensemble dans les classes les prises de
décision collective après débat favorise ensuite, au sein du débat-philo,
l’échange sur des thèmes de fond au travers de la construction collective de la
pensée. » (a.c-grenoble, IEN.cluse,
2005)
P.P
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