vendredi 27 novembre 2020

Les sciences à l'école 1881-1970 (1)

 

L’enseignement des sciences 1881-1970

Apprendre par les choses

(Première partie)



L’éducation des sens

Bien avant les programmes Ferry, c’est d’une manière bien naturelle que Marie Pape-Carpantier (1) avait introduit dans les salles d’asiles, les prémices de la leçon de sciences en enseignant l’« explicitation des usages des choses » et en ayant une approche sensorielle qui convienne mieux à des petits enfants encore « bien éloignés de l’âge de raison ». Encore mieux que la future leçon de choses, cette démarche visant à éduquer les sens s’inscrivait, à l’instar de Jean-Jacques Rousseau, dans l’acceptation du postulat : « le jeune enfant apprend par intuition plutôt que par principe ». 



Marie Pape Carpantier (en noir) entourée de petits élèves de maternelle, 1872

Le principe fondamental développé par Pape-Carpantier fut bien que l’observation des choses était une leçon de mots qui permettait de corriger le langage jusqu’à ce qu’il désigne, nomme et qualifie la réalité observée. On voit tout l’intérêt de cette démarche pour la future école maternelle : l’enfant apprend donc d’emblée à ressentir le monde qui l’entoure en même temps qu’il apprend à parler. 

Ces leçons de choses qui ne disaient pas leur nom ne manqueront pas de s’appliquer aux écoles primaires, dès les lois Ferry édictées, comme le souligne Pierre Caspard (2) : « Apprendre par les choses (objects teaching) c'est apprendre à lire dans le monde visible qui nous entoure, l'évidence des relations qui lient entre eux les objets et les phénomènes. C'est possible, dès l'école primaire, si l'on enseigne à l'enfant qu'il peut se servir de ses sens pour appréhender avec ordre et rigueur les qualités des objets qui sont autour de lui. Car, si l'on observe avec soin, il devient possible de voir, dans chacune des qualités de l'objet, la façon dont celui-ci s'inscrit dans le milieu où il vit (histoire naturelle), où il fonctionne (arts et techniques), où il se transforme (physique). »

La réalité du terrain s’imposera rapidement et la leçon de choses devra quelquefois se passer de la présence de l’objet étudié. L’image sera mise à contribution, ce qui favorisera l’essor de l’édition scolaire.


Edition 1912


Les manuels de sciences

La plupart des manuels mettent en scène la leçon de choses et les auteurs, les années passant, rivalisent d’imageries colorées mais sans originalité. Ils accumulent les « choses » à observer d’une manière un peu hétéroclite et sans logique apparente si ce n’est deux constantes pédagogiques : d’une part, ce sont les saisons qui rythment les apprentissages, ainsi on trouve le marron et le raisin en automne, de même que la craie et le crayon à mine de plomb que l’écolier utilise en ces temps de rentrée ; le cacao et l’orange (produits par nos colonies en fin d’année) s’étudient à Noël ainsi que la laine et le coton annonciateurs des frimas ; le nettoyage de printemps est l’occasion de découvrir la fabrication du savon et l’hygiène du corps et des dents ; avril et le redémarrage de la nature introduisent l’étude des ustensiles d’atelier et de jardin tandis qu’en mai, propice aux légumes et aux fleurs, la botanique prendra le pas ; juin est le mois des naissances des animaux domestiques, bonne raison de se pencher sur le squelette du chat, de la poule ou du lapin ; enfin, au début de l’été, les abeilles et les moissons seront à l’honneur.


Edition 1912, détail

 D’autre part,  cet ordre antique des travaux et des jours étant souvent repris par les auteurs d’autres manuels pour d’autres matières, ce sont des « thèmes de vie » au sein desquels s’articulent leçon de choses, morale et lecture du jour, rédaction de la semaine.



On peut cependant reprocher à cet enseignement primaire le fait qu’aucune des notions scientifiques qui seront abordées au cours complémentaire ou au collège ne soient évoquées. Peut-être imagine-t-on toujours que la scolarité, pour beaucoup d’écoliers, s’arrêtera aux classes de fin d’études ou au certificat pour les meilleurs. L’enseignement de la science à l’école primaire est bien à l’image de l’école voulue par Jules Ferry : c’est l’apprentissage d’un savoir élémentaire aisément partagé entre les maîtres, les parents ou encore les camarades de classe ; des savoirs simples en quelque sorte, dont on pense qu’ils ne sont pas un obstacle à l’ouverture, pour certains seulement, à des apprentissages plus exigeants et plus savants.


Edition 1903

Restent malgré tout, les objectifs chers à Pape-Carpantier : cet enseignement contribue « à donner à l'enfant une certaine distance à l'égard des objets et des phénomènes qu'il côtoie dans sa vie de tous les jours, elle lui permet de tenir à leur propos des discours cohérents et informés ».

Dès la fin du 19ème siècle fleuriront à leur tour chez les éditeurs des planches « naturalistes » qui viendront entretenir et enrichir ces premiers savoirs, suivies dès les années 20, par des revues spécialisées grand public et de nombreuses encyclopédies.


Leçons de choses et exercices d’observation, 1963, Nathan


De l’observation à l’expérience

Enseigner les sciences à l’école primaire autrefois n’était donc pas faire l’étude botanique d’une plante, encore moins de faire l’étude zoologique d’un animal. Ce rôle était dévolu aux professeurs de sciences des cours supérieurs. On considère cependant que « l’observation des choses » peut devenir dans certaines occasions « l’action sur les choses » donc expérience, sans toutefois copier les protocoles expérimentaux des scientifiques qui seront l’apanage du collège. Ce ne sera qu’après les années 70 que l’expérimentation servira aussi, à l’école élémentaire, à confirmer ou infirmer une hypothèse avec, en apogée, l’initiative de Georges Charpak (prix Nobel de Physique en 1992) La Main à la Pâte, en 1995. Jusqu’à la fin de la décennie 1970, seules quelques minimes retouches viendront rafraîchir les instructions de 1925.



On peut dire que la leçon de choses et l’enseignement des sciences restent implicitement indissociables de 1880 à 1925 et ce ne sera qu’au sortir de la Grande Guerre que Paul Lapie, Directeur de l’Enseignement Primaire de 1914 à 1925, gravera leur union dans les instructions officielles de 1925. Pour un demi-siècle, l’enseignement des sciences s’appuiera sur l’observation, la dénomination et la représentation des phénomènes ou des objets mis au programme.




Quid alors de l’expérience dans la leçon de choses des années 30 aux années 50 ? Le maître ne manquera pas de mettre en œuvre quelques manipulations apprises à l’école normale, elles ne seront qu’une démonstration générale devant les élèves. Le dessin, le croquis, le résumé copié  par le maître au tableau dira ce qu’il fallait avoir vu et ce qui est à retenir. Mais ces expériences restent exceptionnelles et les leçons ordinaires ne se traduisent que par le récit de ces dernières sur le manuels scolaires et par l’étude des illustrations en couleurs. La modernité arrivant, la vision d’un film fixe sur le sujet ajoutera le plaisir de la séance de projection à celui de la leçon de choses toujours attendue avec intérêt par les écoliers.



Les nouvelles instructions de 1945 enfoncent le clou : « La physique et la chimie en tant que sciences liées, cohérentes, ne sont pas du domaine de l'école primaire » mais sont assouplies par celles de  1957 qui réhabilitent partiellement l’ancien programme centré sur des réalités physiques, duquel seules sont conservées, au cours moyen, l'étude de l'air et des combustions ainsi que celle de l'eau et de ses changements d'état. La leçon de choses investit le domaine des sciences naturelles, il est vrai qu’avec les végétaux et les animaux, l’objet de la leçon peut être plus facilement manipulé ou appréhendé par les élèves. Au maître de montrer que l’objet, certes familier, peut révéler des secrets (3).



Chic ! Cet après-midi, leçon de choses !

« Faire de la science » remportait assurément l’adhésion de tous les écoliers. Ils pouvaient laisser libre cours à leur imagination et découvrir des mondes inconnus.

Le corps humain



La planche "Os muscles et nerfs" du docteur Galtier-Boissière, chez Armand Colin, accrochée au mur de la classe, impressionnait les âmes sensibles. Certains écoliers étaient obsédés par la vue de ce squelette qui avait l’air de narguer la classe, mâchoire ricanante, dentition impeccable et orbites creuses… Plus rassurante était la musculature de l’homme écorché et l’image de son système nerveux qui ébahissait chacun par sa complexité. Tout était représenté, du cerveau à la vertèbre, des os aux osselets !



Des noms abracadabrants résonnaient aux oreilles des élèves : pie-mère, dure-mère, deltoïde, calcanéum, plexus solaire, coccyx, et autre zygomatique. Mais, douce consolation pour eux, seuls les mots écrits en gros caractères seraient à retenir pour le « certif ». De nombreux mystères se dissipaient enfin, la digestion, la respiration, la circulation du sang ; la vérité ainsi révélée se traduisait en schémas et résumés qu’il fallait porter au cahier de sciences avec toute la rigueur demandée par le maître.

L’hygiène

L’étude du corps humain mettait l’hygiène à l’ordre du jour bien qu’elle fut aussi traitée abondamment au cours des leçons de morale. "L'alcool, voilà l'ennemi" ! Le fameux tableau contre l'alcoolisme du docteur Galtier-Boissière (4), était présent en permanence sur les murs de la classe. Malgré qu’il fût contemplé pendant des années par les élèves de la communale, avec son estomac ulcéré, son foie hypertrophié, son cœur et ses reins enrobés de graisse, son cerveau ratatiné d'alcoolique, le vin n’était cependant pas proscrit dans les cantines !



Mais ce qui inspirait la crainte de l’écolier, c’était la récente découverte de Pasteur de ces bestioles invisibles qui causaient toutes sortes de maladies, quelquefois mortelle comme le fléau de l’époque : la tuberculose (5). Pas encore d’antiseptiques, d’antibiotiques, de vaccins dignes de ce nom ; seules restaient les règles d’hygiène que le maître enseignait pour protéger les enfants et souvent informer des parents peu disposés à modifier leurs habitudes ancestrales. Dans nos campagnes, ne trouvait-on pas toujours les tas de fumier à la porte des habitations ? 

La propreté devint la priorité des maîtres, les contrôles journaliers des mains, des cheveux, voire des oreilles furent la règle et chaque écolier était tenu de respecter ou faire respecter ces quelques règles :

- Se laver tous les jours les mains et le visage (on continuait toutefois de penser qu’une toilette hebdomadaire était suffisante pour les autres parties du corps protégées par les vêtements). L’idéal était de se laver les mains avant les repas et toutes les fois qu'on les avait salies.

- Ne pas porter à la bouche des objets salis ou qui ont pu servir à d'autres.



- L'air, la lumière et le soleil étant les ennemis des microbes, il convenait donc d'aérer la classe pendant la récréation, d'aérer maisons et appartements même en hiver. Parallèlement, on devait se protéger des afflictions pulmonaires en évitant les courants d'air et en portant un gilet et une ceinture de flanelle qui absorbent la sueur.

- La corvée de balayage du plancher de la salle de classe devait être précédé d’un arrosage afin de ne pas soulever la poussière.


« Arrosoirs » de plancher

- Gare aux poux dont l’éradication, chez les garçons, passait par la tonsure et, chez les filles, par la « Marie Rose »… 

- Et bien sûr, prendre une cuillerée d'huile de foie de morue chaque matin, ce qui devait rendre l’enfant fort et résistant.

A suivre…

P.P

(1) : Voir l’article du blog : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2017/10/marie-pape-carpantier-pedagogue-et.html#more

(2) : Né en 1944, Pierre Caspard est un ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé et docteur en histoire. Il est docteur Honoris causa de l'Université de Neuchâtel. Ses recherches ont d'abord porté sur l'histoire économique et sociale de la Suisse aux XVIIIe et XIXe siècles, puis aussi sur l'histoire et l'historiographie de l'éducation, dans ce pays et en France. Il a dirigé le Service d'histoire de l'éducation de l'INRP de 1977 à 2010, et a fondé en 1978 la revue Histoire de l'éducation. Ses recherches actuelles concernent notamment l'instruction familiale et scolaire, avant l'organisation des systèmes éducatifs par les États, ainsi que sur l'histoire du sentiment amoureux chez les enfants et adolescent(e)s, à travers leurs mémoires et souvenirs.



En 1981, il participa au groupe de travail de notre musée et apporta sa contribution dans une étude : L’Histoire de l’Ecole et la Recherche Historique, page 7 à 13 de Cent ans d’Ecole.



 (3) :

« Les « sciences naturelles » deviennent alors le domaine par excellence de la leçon de choses. Il est vrai qu'avec les végétaux ou les animaux, l'objet de la leçon peut être plus souvent mis entre les mains des élèves eux-mêmes. Ils peuvent y appliquer les petites manipulations qui en permettent l'exploration et apprennent, ce faisant, à discerner et nommer les différentes parties qui les caractérisent. Il ne reste plus au maître qu'à en révéler les fonctions ou les usages. La pomme est certes un objet familier aux élèves, mais lorsqu'elle est partagée horizontalement pour laisser voir la rosace de ses « logettes » ainsi que chacun des pépins qui y sont contenus, elle devient tout à coup un objet étranger qu'il faut apprendre à décrire avec des mots qui ne sont pas ceux de tous les jours et dessiner d'un crayon rigoureux. Les métamorphoses du têtard ou les étapes successives de la germination du haricot donnent lieu aux mêmes exercices, espacés dans le temps nécessaire à leur observation. Ces processus, nous disent les auteurs de manuels, « intéressent » les enfants et, à ce titre, méritent de retenir l'attention des maîtres. Mieux, ils peuvent fournir l'occasion d'installer un élevage dans la classe ou de conduire les élèves sur les bords de la mare pour y mener une « étude du milieu » que les mouvements de jeunesse, plus encore que les programmes de 1945 vite oubliés, ont mis à l'honneur tout au long des années 1950. » Pierre Caspard in Cent ans d’Ecole, 1981.



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