La traite négrière
Mémoires de la Traite, de l’esclavage, des abolitions, 10 mai journée nationale
173 ans après l’abolition
De nos jours, les manuels scolaires offrent
essentiellement des documents illustrant les différents discours destinés à la
jeunesse sur cette sombre page de l’histoire de l’humanité. Entre la première
abolition de l’esclavage le 16 pluviôse de l’An II (4 février 1794), son
rétablissement en 1802 par Napoléon et l’abolition définitive en 1848, on a vu
fleurir nombre des représentations de ce passé esclavagiste à travers la
personnalité de femmes et d’hommes descendants d’esclaves, avec des nuances
significatives au cours des ans. Retour sur ces représentations.
Un thème longtemps controversé
Fête
de l’abolition du 30 pluviôse de l’An II, le député Jean-Baptiste Belley (1)
brandit son chapeau au bout de son épée, à droite de l’image (©cliché BNF)
La
plupart des manuels scolaires mettent l’accent sur une vulgarisation des faits
marquant de la période qui favorise des analyses historiques partielles de la
traite négrière et éludent souvent les étapes qui conduisirent à l’abolition
définitive. Si les lieux communs évoqués dans les manuels ne sont pas
contestables, de nombreuses questions sont malheureusement passées sous silence
quant au devenir des populations concernées tout au long du 19ème
siècle. On rejoint alors le sujet tabou de l’« esprit colonialiste ».
Evidemment,
de nombreux progrès ont été faits dans l’approche pédagogique de cette période
marquante de l’histoire de l’humanité et, notamment durant les dernières
décennies. Les instructions préconisent d’aborder le sujet dès l’école
élémentaire, puis en classe de quatrième, de seconde et de première. On est
désormais loin des nombreux manuels anciens qui s’illustrèrent par de
scandaleuses lacunes sur l’esclavage et la traite négrière. Certains pourront
regretter le peu de volume horaire consacré officiellement à ce thème, volume
que les programmes d’enseignement de l’Histoire laissent à l’appréciation des
maîtres et des professeurs ; ainsi choisiront-ils entre approfondissement
ou survol de la période suivant les impératifs du moment.
Une représentation restée longtemps caricaturale
L’abolition
de l’esclavage effaça-t-elle l’image « colonialiste » des populations
noires ? Pas sûr si l’on en croit l’image des descendants des peuples
asservis qui fut transmise longtemps dans la littérature de jeunesse et dans un
partie de l’imagerie populaire. Certains vecteurs de communication en direction
des enfants voire des scolaires ont délibérément participé à la diffusion de ces
représentations pour le moins indélicates. Ce fut le cas des buvards, des
couvertures de cahiers et autres publications à vocation didactique. Certes,
certains d’entre-eux ont pu avoir une démarche « saine », même
modeste :
Buvard
publicitaire : l’abolition de l'esclavage sous la Révolution (1794). Un
ouvrier libère des esclaves de leurs chaînes sous les yeux de soldats
républicains en bicorne, 1955
Esclave nègre condamné au supplice du fouet, couverture
de cahier, vers 1872, Charles Pinot, éditeur-imprimeur, Épinal
Couverture
de cahier, Les devoirs de l’homme, 1905
Histoire du petit nègre Moricot, planche d’imagerie d’Épinal, vers 1890, Pellerin,
éditeur-imprimeur
D’autres
n’ont malheureusement pas hésité à produire des images dévoyées de l’individu
d’origine africaine, ancien esclave de peu de considération :
Petit Négro, buvards publicitaires,
vers 1955
Buvard
publicitaire, 1935
Essai sur l’inégalité des races humaines publié entre 1853 et
1855, il hiérarchise « les races blanche, jaune et noire ». Les stéréotypes
racistes envers l’homme noir sont visibles sur cette planche didactique, où il
est le seul à être représenté nu et doté d’une arme primitive. Ils se
retrouvent régulièrement dans les manuels scolaires, comme dans les
robinsonnades de l’époque où les « sauvages » sont à la fois redoutés, méprisés
et caricaturés.(CANOPE)
Le Tour de France par deux
enfants, édition 1904 (collection musée)
Dessin d’une élève de cours complémentaire (Paris) réalisé vers 1939-41,
iIllustration littérale des premières paroles de la chanson : "une
négresse qui buvait du lait / ah! se dit-elle si je pouvais / tremper ma figure
dans un bol de lait / je serais plus blanche que tous les Français!".
(CANOPE)
Vue
sur verre pour projection lumineuse, vers 1900 (CANOPE)
Les enfants de Toussaint Louverture à l’école
républicaine
Toussaint Louverture, figure emblématique des
mouvements d’émancipation des colonies, est lui-même descendant d’esclaves
noirs et affranchi. Si la Révolution l’a porté au plus haut grade d’une
carrière militaire, général de division, en 1796, c’est l’Empire qui
précipitera sa déchéance jusqu’à sa mort dans sa cellule du Fort de Joux en
1803.
La vie privée des
Hommes-Au temps de la Révolution française, bibliothèque scolaire, Hachette
Jeunesse, 1989 (collection musée)
Lui-même alphabétisé, il accepte d’envoyer ses deux
fils, Placide (né en 1781) et Isaac (né en 1786), en métropole, à l’été 1796, sur proposition du Directoire.
En effet, au lendemain de la première abolition de l’esclavage, les enfants de
l’élite noire et mulâtre furent invités à rejoindre les écoles métropolitaines.
Ainsi partirent les enfants de Toussaint Louverture, accompagnés d’autres
enfants comme ceux du général Pierrot, lui aussi originaire des îles. Ils
intégreront l’école de Liancourt dans l’Oise, future école impériale des Arts
et Métiers. Cette école, créée par le duc de La Rochefoucaud Liancourt dans une
ferme, était destinée aux pupilles de son régiment de dragons. L’enseignement y
était dispensé dans des conditions déplorables par des sous-officiers du
régiment, les plus instruits. Leur mission était d’apprendre à lire, écrire,
calculer et pour les éléments les plus « doués », de leur enseigner les
rudiments des travaux manuels. Par « répugnance » pour les lieux, les
deux frères tenteront plusieurs fugues, si bien que le Ministère des Colonies
se saisira de l’affaire et recherchera
pour eux « une maison
d’instruction qui soit propre à leur caractère et à leur instruction [d’enfants] trop peu instruits [ne
sachant pas] lire et écrire (…), une maison
d’éducation particulière, digne de (…) confiance, où ils
recevraient (…) des leçons appropriées à la tournure de leur
esprit ». Pierre Louis Guinguené, Directeur de l’Instruction publique
prendra les choses en main dans une lettre du 22 nivôse An V (11 janvier
1797) :
Lettre au sujet de Toussaint
Louverture par Pierre-Louis Guinguené, 22 nivôse An V (11 janvier 1797)
« Paris, le 22
nivose, l’an V de la République française (11 janvier 1797)
Le Directeur général
de l’Instruction publique, Au Ministre de la Marine et des Colonies,
Citoyen Ministre,
Je
prends comme vous et surtout d’après votre recommandation le plus grand intérêt
aux jeunes colons Toussaint L’Ouverture
et Pierrot, mais je vois avec douleur que les attributions du Ministre de
l’Intérieur ne renferment aucune maison d’instruction qui soit propre à leur
caractère et à leur position. Ils ont montré pour l’école de Liancourt, dont
ils ont déserté deux fois une telle répugnance qu’on ne peut les y renvoyer de
nouveau ; d’ailleurs on ne peut se dissimuler que le régime de cette
Maison ne saurait leur convenir et qu’ils sont trop âgés et trop peu instruits
pour mettre à profit un enseignement général. Les mêmes raisons subsistent
contre leur admission au nombre des Boursiers du Collège Egalité, où l’on ne
reçoit que des enfants qui sachent lire et écrire. Ces jeunes gens ont besoin
d’être suivis en particulier, et il me semble d’après cela que vous ne pourriez
mieux faire que de les placer dans une maison d’éducation particulière, digne
de votre confiance, et où ils recevraient, par votre ordre, des leçons
appropriées à la tournure de leur esprit. La dépense qu’occasionnerait cette
mesure serait un emploi tout naturel des fonds qui sont mis à votre
disposition.
Salut et respect.
Guinguené »
Les
enfants furent ramenés à Paris, au collège de La Marche, nouvelle
« Institution nationale des colonies » dont la tâche était d’assurer
la formation républicaine des futures élites coloniales. Finalement, ils
poursuivirent leurs études brillamment comme l’atteste un rapport scolaire de
prairial an VIII (juin 1800). L’Empereur ne manquera pas d’utiliser la fratrie
dans le jeu diplomatique qui l’opposera à leur père, notamment pour freiner ses
velléités d’émancipation des Antilles. Ils feront partie de l’expédition
Leclerc (2) et seront porteur du message de l’Empereur (3)…
Coisnon,
précepteur, ramenant à Toussaint Louverture ses enfants Placide et Isaac.
Lithographie de Villain 1822. Le général est supplié par ses enfants et sa
femme d’abandonner la cause des noirs.
Sources :
-
Exposition Musée
national de l’Education, 2020
-
Toussaint Louverture : https://www.herodote.net/L_heritier_noir_des_Lumieres-synthese-403.php
-
Duprat, Julie, Placide
et Isaac Louverture : une enfance en partage, publié 04/09/2019, mis à jour
le 26/01/2020 : https://minorhist.hypotheses.org/1165
-
Roussier, Michel,
L'Education des enfants de Toussaint Louverture et l'Institution nationale des
colonies, Revue français d’Histoire d’Outre-Mers, 1977
-
Le poème
dramatique Toussaint Louverture d’Alphonse de Lamartine,
publié en 1850, évoquant le sort de Placide et Isaac Louverture.
Sources :
-
Exposition Musée
national de l’Education, 2020
-
Toussaint Louverture : https://www.herodote.net/L_heritier_noir_des_Lumieres-synthese-403.php
-
Duprat, Julie, Placide
et Isaac Louverture : une enfance en partage, publié 04/09/2019, mis à jour
le 26/01/2020 : https://minorhist.hypotheses.org/1165
-
Roussier, Michel,
L'Education des enfants de Toussaint Louverture et l'Institution nationale des
colonies, Revue français d’Histoire d’Outre-Mers, 1977
-
Le poème
dramatique Toussaint Louverture d’Alphonse de Lamartine,
publié en 1850, évoquant le sort de Placide et Isaac Louverture.
(1) :
Jean-Baptiste Belley, député
à la Convention
Jean-Baptiste
Belley est un ancien esclave de Saint-Domingue, affranchi pour services rendus
dans l’armée durant la guerre d’Indépendance américaine. Il fait alors partie
de la classe des « libres de couleur » dans les villes coloniales.
Elu à la Convention le 24 septembre 1793, ce premier député noir de l’île
arrive à Paris avec deux autres députés, Mills, un mulâtre et Dufaÿs, un blanc.
Il milita dès lors pour l’abolition. Il continua son combat au Conseil des Cinq-Cents jusqu’en 1797contre
les groupes de pression des colons mais les droits des non-blancs furent peu à
peu laminés.
Contre l’indépendance de
l’île, il s’oppose à Toussaint Louverture et conseille l’intervention militaire
à Bonaparte. Il est alors chargé par le Consulat d’organiser la gendarmerie
nationale à Saint-Domingue et participe à l’expédition Leclerc de 1802. Mais,
en février, il est arrêté et déporté à Belle-Ile-en-mer en toute discrétion. Son
sort était scellé par Bonaparte, avant même son départ en expédition, dans
instructions secrètes : « On
réorganisera la gendarmerie. Ne pas souffrir qu’aucun noir ayant eu le grade
au-dessus de capitaine reste dans l’île (..) Quelque chose qu’il arrive, on
croit que dans la troisième époque on doit désarmer les nègres, de quelque
parti qu’ils soient et les remettre à la culture. » Le rétablissement de l’esclavage se profile…
(2) : Charles Victoire Emmanuel Leclerc
et Mont-Saint-Vincent :
Charles
Victoire Emmanuel Leclerc
Charles
Leclerc, général d’Empire, naquit à Pontoise de la grande famille des Leclerc
qui avaient résidence à Mont-Saint-Vincent (71). Il fut le compagnon de route
de Bonaparte dès le Consulat et tout au long de ses campagnes. Il se maria avec
Pauline Bonaparte en 1797. Il commanda l’expédition de Saint-Domingue où il
mourut de la fièvre jaune le 1er novembre 1802.
On trouve
toujours, à Mont-Saint-Vincent, la maison des Leclerc où résidèrent : Jacques
Leclerc, écuyer du roi Louis XI, Jean Leclerc gouverneur de la Bastille, père
de François Joseph de Tremblay célèbre capucin plus connu sous le nom de
l’« éminence grise », Georges Louis Leclerc comte de Buffon célèbre
naturaliste (mort sur l’échafaud pendant la Terreur en 1793) et Charles Leclerc
général d’Empire.
Source :
(3) :
Isaac
Louverture
Placide
Louverture
« La
fratrie Louverture, c’est tout d’abord, et dès l’origine, une différence
notable : Isaac, né en 1786, est le fils légitime de Toussaint Louverture et
Suzanne Simon Baptiste alors que Placide, de cinq ans son aîné, est né d’une
précédente union entre Suzanne Simon Baptiste et un Blanc, Séraphin Clère. Il
est cependant adopté sans discussion par Toussaint Louverture. La fratrie est
encore agrandie en 1791 avec Saint-Jean, dernier enfant de Toussaint Louverture
et Suzanne Baptiste. Les trois frères grandissent dans un relatif confort :
tandis que leur mère a été marchande au Cap, leur père possède depuis son
affranchissement une plantation de café, cultivée par une dizaine d’esclaves.
Très vite, ils assistent à l’ascension politique de Toussaint : : après avoir
participé à la révolte des esclaves de 1791 puis finalement rallié les
républicains français avec son armée d’insurgés, il est nommé
lieutenant-gouverneur de Saint-Domingue en 1796, faisant de lui un acteur
politique de premier plan. Cette fulgurante carrière militaire lui ouvre
bientôt de nombreuses portes : il obtient ainsi d’envoyer ses fils en métropole
afin de parfaire leur éducation avec d’autres libres de couleur.
Le
Directoire vient en effet de soutenir la création de l’Institution Nationale
des Colonies, situé rue de la Montagne Sainte-Geneviève dans l’ancien Collège
de la Marche : cette école a pour objectif de former les futures élites
coloniales, acquises aux principes de la nouvelle République et seuls quelques
élèves, parmi les plus éminentes familles de couleur de Saint-Domingue, sont
retenus. A dix ans, Isaac et Placide découvrent donc Paris. Mathématiques,
latin, histoire, physique-chimie, français, langues vivantes, architecture,
escrime, musique … Pendant 6 ans, les deux frères suivent un cursus varié au
terme duquel ils semblent atteindre les objectifs fixés par l’Institution
nationale des colonies comme en témoigne Norvins : « c’était
réellement, sauf la couleur, deux jeunes français ».
Les professeurs ont cependant tôt fait de noter des
différences entre leurs deux personnalités, une dichotomie que l’on retrouvera
ensuite tout au long de leur vie. Tandis que Placide est plus porté sur les
matières militaires, Isaac, plus intellectuel, « [a] de grands moyens
d’instruction ». Deux événements viennent ainsi illustrer cet état de fait
: entre novembre 1800 et septembre 1801, la scolarité de Placide est ainsi
interrompue, dates à laquelle il escorte le général Sahuget comme aide de camp.
En pleine campagne d’Egypte, il est en effet choisi pour faire croire aux
Anglais que la flotte qu’il accompagne part pour Saint-Domingue et non pour le
Levant. Pendant son absence, en avril 1801, son cadet Isaac use quant à lui de
ses talents d’écriture pour envoyer une missive au Ministre de la Marine afin
de demander à revoir ses parents.
Cinq mois plus tard, par un concours de circonstances, le
Ministère accède à sa demande : les relations entre la France et Saint-Domingue
se sont en effet considérablement tendues avec les velléités d’indépendance de
plus en plus perceptibles de Toussaint. En décembre 1801, un corps
expéditionnaire, dirigé par Leclerc, est alors envoyé par Bonaparte afin de
mettre un terme à l’émancipation dominguoise. Isaac et Placide sont du voyage
et sont chargés d’apporter à leur père une lettre annonçant la venue de cette
expédition, un épisode resté célèbre et abondamment illustré dans
l’historiographie consacrée à Toussaint Louverture.
Isaac et
Placide retrouvant leurs parents en 1802, gravure de Chanson et Gabirel
L’expédition Leclerc sonne le glas des ambitions de
Louverture et après plusieurs mois de combats, il est contraint de capituler.
Condamné à être déporté en France, il embarque pour la Bretagne avec sa famille
en juin 1802. De là, les Louverture sont séparés : Suzanne Baptiste et les
cadets rejoignent Bayonne tandis que Toussaint Louverture et Placide sont
débarqués à Brest où ce dernier sert de secrétaire à son père. Ce séjour
confirme le lien étroit existant entre Toussaint et Placide, qui apparaît,
malgré son statut d’enfant adopté, comme le véritable héritier de Toussaint.
Aux yeux des Français tout d’abord, qui le choisissent, nous l’avons vu, en
1801 afin de duper les Anglais ; aux yeux de Toussaint surtout qui, après l’avoir
chargé de courses auprès du général Leclerc, le nomme chef d’escadron dans ses
armées en 1802. Cette relation privilégiée est encore confirmée quelques mois
plus tard : lors de son arrivée au fort de Joux, Toussaint demande des
nouvelles de sa famille, et, expressément, de Placide, comme le rapporte le
général Caffarelli.
Après une année 1802 difficile, l’année qui suit est
incontestablement traumatique pour Isaac et Placide : leur père meurt en avril
1803, suivi peu de temps après par Saint-Jean le benjamin de la famille. Durant
la même période, Isaac et sa mère sont placés en étroite résidence surveillée à
Agen, rue de l’Union (actuelle rue des Colonels Lacuée), où finira par les
rejoindre Placide. Dans cette région nouvelle, coupée des réseaux atlantiques,
la survie de la famille dépend en grande partie de la mise en place d’un réseau
de solidarité. Et c’est Isaac qui excelle à ce jeu : il marie sa cousine Louise
Chancy en 1804 à Agen et s’emploie surtout à se faire connaître en ayant une
correspondance active. Il est ainsi en relation avec le maire d’Agen, pour
demander l’amélioration de leurs conditions de vie et reçoit les lettres
de plusieurs fidèles de Toussaint comme son ancien domestique Mars-Plaisir ou
ses compatriotes Jean-Pierre Delva et Joseph Rigaud. Cette importance d’Isaac
dans les relations épistolaires s’explique à la fois par son aisance avec
l’écrit mais aussi par l’effacement, volontaire semble-t-il, de Placide qui ne
répond pas aux lettres qui lui sont adressées. Déjà, se dessinent ainsi les
deux stratégies de survie des deux frères : tandis qu’Isaac s’efforce de
maintenir un lien avec Haïti, Placide tourne le dos à son passé.
Ces pistes de réflexion mériteraient d’être approfondies mais
il faut avouer que les Louverture, surveillés étroitement jusqu’à la chute de
Napoléon en 1815, se montrent durant ces treize années assez discrets et
produisent peu d’archives. Le retour d’un régime monarchique change
considérablement la donne : ils reçoivent une pension du ministère de la Marine
et au début de l’année 1817, Isaac écrit au roi Louis XVIII afin de lui
demander de faire officiellement cesser la surveillance policière sur sa
famille. Il argue de la loyauté de son père, bon chrétien et protecteur de la
noblesse, fustige le « tyran » Napoléon et rappelle que « les
rois, images de Dieu sur la terre sont […] grands dans leurs actions ».
Les qualités mondaines d’Isaac sont flagrantes : il sait comment flatter et
fait jouer son réseau pour transmettre la missive. ll demande en effet de
l’aide au comte d’Embrugeac qui avait été protégé pendant la Révolution par
Toussaint et officie désormais dans la brigade royale. Cette lettre a sans
doute accéléré le processus et dès le 1er mai, la surveillance policière est
levée. Quelques mois plus tard, Suzanne Baptiste décède à Agen aux côtés de ses
fils.
L’année 1817 marque donc un vrai tournant dans la vie d’Isaac
et de Placide et le décès de leur mère précipite leur rupture. Les deux frères
vont désormais faire des choix de vie radicalement différents ; reste malgré
tout qu’ils auront passé leurs 30 premières années ensemble, sans jamais
vraiment se quitter, vivant au plus près l’ascension et la chute de Toussaint
Louverture, et qu’ils seront tous les deux durablement marqué par cette figure
paternelle. » Julie DUPRAT, Placide et Isaac Louverture : une enfance
en partage, https://minorhist.hypotheses.org
P.P
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