mardi 1 juin 2021

1901 : l'école en Charolais

 

1901 : La situation scolaire dans le Charolais

Par Jean Chèze

(collection musée)

Quelle était donc la situation avant le grand élan républicain de laïcisation qui se termina par la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat ? Loi votée par vingt-deux députés bourguignons sur vingt-six. Si tout avait débuté sous Jules Ferry, l’accélération du processus s’amplifia avec l’application du titre III de la fameuse loi de 1901 sur les associations. Ce chapitre, anodin à première vue, ciblait les associations congréganistes et l’enseignement qu’elles prodiguaient pour beaucoup d’entre elles.


(collection musée)

C’est un rapport très détaillé, de plus de quarante pages, d’une très belle écriture à la sergent-major, rédigé par l’Inspecteur Primaire de la circonscription de Charolles en cette année 1901, qui sera le support de ce tour d’horizon. Comme nous le verrons les choses ont beaucoup évolué en un siècle. C’est bien normal. Dans cette région à vocation agricole, 230 écoles accueillaient garçons et filles en ce début de XXème siècle:161 publiques, dont 4 maternelles, 69 privées dont 7 maternelles. Petite remarque: certaines écoles primaires privées sont non confessionnelles, d’autres publiques (au nombre de 21, surtout de filles) sont dirigées par des religieuses.

(collection musée)

L’inspecteur insiste sur le fait que pour assurer, convenablement et légalement, la scolarité de tous les enfants, un certain nombre d’écoles de filles sont à créer. En particulier sont pointées du doigt les communes, ou groupements de communes (déjà), de Vendenesse les Charolles, La Chapelle sous Dun, Ozolles, St Bonnet de Cray, St Yan, Tancon, Céron, St Laurent en Brionnais, Vigny les Paray et St Léger les Paray, Changy, Lugny les Charolles et Nochize, St Symphorien des Bois, St Racho, St Germain des Rives et Varennes Reuillon, et enfin Beaudemont. Il est à remarquer que l’Inspecteur ne précise nullement si elles devront être, publiques ou privées, confessionnelles ou laïques…

(archives nationales, numérisation musée)

Pourtant il signale : « le mouvement de laïcisation a débuté avec  trois écoles ». Au 1er Janvier 1901 ce sont les écoles de filles de Montceau l’Etoile, Chauffailles et l’école maternelle de cette même commune. Il se poursuivra au 1er Janvier 1902 avec Varennes sous Dun et l’école mixte (mais oui) du Bois Sainte Marie. L’inspecteur dresse la liste de 19 écoles de filles à laïciser, en précisant que certaines comme Gibles, Colombier, Vauban, peuvent l’être immédiatement, les locaux appartenant aux communes. Pour les autres, il indique que la situation est plus délicate, les bâtiments étant, soient prêtés aux communes, soient issus de legs, avec dans les deux cas, condition expresse que l’école soit dirigée par des religieuses.


(archives nationales, numérisation musée)



(archives nationales, numérisation musée)

Aux quatre écoles maternelles de Bourbon, Digoin, Charolles et Chauffailles, il faut ajouter trois classes enfantines annexées aux écoles de filles de Marcigny, Paray et Sivignon. « Malgré un matériel pas toujours adapté, mais grâce au dévouement et à l’ingéniosité active des maîtresses, l’enseignement y est judicieusement donné », est-il annoté.  Plus de 15 000 enfants, à égalité de sexe, fréquentent les établissements existants. Si 80% des garçons sont scolarisés dans le système laïque, 2/3 des filles le sont dans des écoles dirigées par des congréganistes de divers ordres.

(archives nationales, numérisation musée)

Qu’en est-il de la fréquentation, sachant que la scolarité est obligatoire de 6 à 13 ans ? Le rapport avoue sur ce point son manque de certitude faute de relevés fréquents. Deux périodes sont prises en compte: été et hiver, les enfants aidant aux travaux des champs. Il est mentionné: « dans notre région d’herbages, clos de haies vives, la garde du bétail ne réclame pas l’aide des enfants ». Si la fréquentation hivernale se situe autour des 90%, celle d’été est beaucoup plus lâche, tombant à 65% par exemple dans le canton de St Bonnet de Joux. Ces pourcentages sont établis par rapport aux enfants inscrits dans les écoles. On ne fait pas mention de l’existence ou non d’éventuels enfants passant au travers des mailles.

(archives nationales, numérisation musée)

La situation matérielle est décrite avec précision.

         Il faut rappeler que beaucoup de communes venaient de construire des « écoles-mairies » au style symétrique si caractéristique. En Charolais l’une d’entre elles se singularisait, à la fois par son emplacement et son architecture. Appliquant l’intercommunalité bien avant l’heure, les communes de St Vincent et Bragny (réunies depuis lors en 1972) avaient construit en pleine campagne, à la limite géographique précise des deux communes (la ligne fatidique passait au centre de l’école), un édifice remarquable. L’architecte charolais Della Jogna, bâtisseur d’églises (St Martin de Salencey entre autres), avait conçu une école avec pignons à redent, clocher-arcade, encadrements et trumeaux de baies moulurés et chanfreinés. Au pays des tailleurs de cette pierre jaune, il avait paré la République de tout son savoir-faire. Et il l’avait fait savoir : c’est toujours l’actuelle mairie.

Architecte A. Della-Jogna, Mairie-école de garçons de Saint-Vincent-Bragny, 1867 (ADSL O 2038)

En cette année 1901, on recense des travaux d’amélioration et d’agrandissement pour quelques communes, et même à Digoin le projet d’une nouvelle école publique de garçons. L’inspecteur recommande de laver et blanchir au moins une fois par an les salles de classes, ceci « dans le but d’éviter le retour fréquent des épidémies de rougeole et de scarlatine ». Le logement des instituteurs est qualifié de convenable même si à Paray et Mussy sous Dun, il se réduit parfois à une pièce unique. Cet adjectif est aussi employé pour le mobilier scolaire où de vieilles tables à six ou huit places sont encore en place. Quant aux tableaux noirs, « ils manquent souvent, et n’ont de noir que le nom ». Le matériel pédagogique est rudimentaire, la décoration des salles de classes, et son financement, étant uniquement le fait de l’enseignant.

Salle de classe vers 1900, tableau noir (©INRP)

Ces instituteurs et institutrices, adjoints compris, étaient au nombre de 245, public et privé confondus. Voyons en détails. Ecoles publiques : 140 hommes pour 105 femmes. Nous étions loin de la situation actuelle. Pas de précision sur le taux de couples enseignants. Tous les  instituteurs ont le brevet élémentaire, le brevet supérieur pour certains. Chez les institutrices, 7 exercent sans diplôme, ce sont des congréganistes. Ecoles privées : 10 écoles de garçons toutes dirigées par des congréganistes, et 59 de filles dont 4 dirigées par des laïques. A signaler que 21 institutrices congréganistes, dont 6 directrices, exercent sans aucun titre de capacité.

Conseil des maîtresses, 71 (collection musée)

Une appréciation globale est donnée par l’inspecteur. Il insiste sur la valeur et le mérite du personnel des écoles publiques et souligne que les ¾ des congréganistes « malgré une certaine bonne volonté ne peuvent guère enseigner convenablement autre chose que la lecture, l’écriture et la couture ». Suit un impressionnant palmarès de médailles, diplômes d’honneur et mentions pour signaler les plus méritants au cours de l’année écoulée, travail scolaire ou non. Il faut se souvenir que vers 1900 de nombreux instituteurs ont rédigé les monographies de leur commune. En Charolais, celles de Joseph Sandre sur St Julien de Civry et Montceau l’Etoile, travail titanesque réalisé sur une dizaine d’années, font encore référence.




(archives nationales, numérisation musée)

Quatre récits, quatre manuscrits, quatre voix de la famille Sandre dont celle de Joseph, relatés par Mona Ozouf, tranches de vie du Directoire à la Troisième République

Le Certificat d’Etudes Primaires, qualifié de « modeste diplôme », est cependant perçu comme très apprécié des familles. En 1901, 541 élèves (à égalité garçons filles) ont été présentés. Sur combien en âge de l’être ? On ne le précise. 442 ont été reçus, soit un pourcentage de réussite proche de celui des baccalauréats actuels. Un paragraphe du rapport concerne les établissements dits supérieurs. Si la circonscription ne possède pas d’écoles primaires supérieures (la demande étant faite pour une de filles à Charolles), quatre cours complémentaires sont bien en place. A Charolles, 29 filles le fréquentent. Trois élèves ont été reçues à l’Ecole Normale et au Brevet élémentaire. A Bourbon, 27 garçons, fils de cultivateurs ou commerçants, y sont présents. Les études ont un côté scientifique souligné, « le matériel d’expériences étant fourni par l’hospice d’Aligre et la municipalité ». A Paray 20 garçons reçoivent un enseignement « pour faire des ouvriers instruits qui trouvent facilement à s’employer chez les industriels de la région ».  A Marcigny, ce sont 18 élèves qui ont « une instruction complète et de bon niveau ».   REM JC / voyez les EFFECTIFS !!!

Charollles, l’E.P.S, vers 1900 (collection privée)

Une face méconnue de l’œuvre scolaire est ensuite décrite sous la rubrique  « institutions auxiliaires ». Ce sont d’abord les 86 cours d’adultes fréquentés durant l’hiver par plus de 1300 jeunes gens sur la circonscription. Ils consistent surtout en révision des notions scolaires oubliées, dirions-nous. Plusieurs niveaux existaient mais il est précisé : « les illettrés sont relativement peu nombreux dans le Charolais ».

(collection privée)

 Nous trouvons ensuite les conférences populaires. 212 ont été programmées sur des sujets aussi divers que l’histoire, la géographie ou les sciences. L’inspecteur regrette toutefois « que le niveau intellectuel des auditeurs fasse défaut et que les enseignants soit timorés en la matière, n’aimant pas  prendre la parole en public ». 



(collection privée)

Puis viennent, les bibliothèques « pédagogiques » pour Bourbon, Charolles, Chauffailles, Paray, Marcigny et La Clayette, avec ouvrages et prêts restreints, les bibliothèques « scolaires » au nombre de 95, avec 13 000 ouvrages au total, financées par souscriptions, crédits municipaux et subventions du Conseil Général, fonctionnant à merveille.



(archives nationales, numérisation musée)

Sont passées en revue différentes formules financières pour venir en aide aux écoles, enfants et familles. Tout d’abord des « caisses des écoles » dont les recettes et dépenses de l’exercice sont transcrites. Seules les communes de Mont, Charolles, Mussy sous Dun, Paray, Briant et Maltat en ont une. Elles ne prennent pas en compte l’argent versé par les communes pour les fournitures. On trouve ensuite 15 « caisses d’épargne scolaire » comprenant 250 livrets pour un montant de 10 572 Frs. Leur nombre est signalé en diminution « par la facilité que trouvent instituteurs et parents à les remplacer par des caisses d’épargne postale ». Puis viennent deux « mutualités scolaires cantonales », pour Chauffailles et Marcigny avec 150 sociétaires au total. Autres créations de type associatif  « le Sou des écoles ». Elles sont présentes à Charolles, Marcigny, Paray et La Clayette, fournissant aux élèves indigents des livres de classes, des cahiers et même des vêtements. Sur ce même mode, ont été créés des « patronages scolaires » qui ont un but identique, comme à Chauffailles, Artaix avec « les anciens élèves de l’école publique de garçons et les Amis de l’Instruction », à Coublanc avec les 60 adhérents de la « Société du sou et des amis des écoles publiques laïques ». A Bourg le Comte, la seule « petite A » de la circonscription assiste elle aussi les élèves en difficultés financières.



(archives nationales, numérisation musée)

… ET DANS LES ANNEES QUI SUIVIRENT

 Tel était donc la photographie scolaire du Charolais fin 1901. Les évènements allaient se précipiter avec tout d’abord l’application stricte du fameux paragraphe de la loi de 1901 par le ministère Combes. De nombreuses congrégations ne furent plus autorisées, d’où fermetures d’écoles avec scellés (parfois brisés comme à Rigny/ Arroux où Maire et  adjoint seront révoqués).



(archives nationales, numérisation musée)

 Les réactions ne tardèrent point avec des procès à Charolles, appels à Dijon, assortis de violentes diatribes et d’articles de journaux très durs, d’affiches appelant à manifester comme à Vitry en Charollais. Une lettre publique fut adressée à l’homme politique le plus influent de la région, celui qu’à l’Assemblée on appelait « le taureau du Charolais », Ferdinand Sarrien, homme de terrain de Bourbon Lancy. L’ancien ministre et futur Président du Conseil dirigeait à cette époque la commission du droit d’association. Avec Demôle, l’autre éminence politique locale, celui qui prononça l’éloge funèbre de Ferry, les deux modérés et habiles conciliateurs réussirent à éviter des remous trop importants dans leur zone d’influence où était située la très religieuse Paray. Ils y calmèrent les esprits, fermant même les yeux sur certaines modifications d’emblèmes patriotiques. Mais la marche en avant vers l’indépendance de l’instruction se poursuivit avec la loi du 7 Juillet 1904 condamnant de fait tout enseignement congréganiste dans les dix années à venir. Localement on tergiversa sur la forme, et c’est ainsi que jusqu’en Septembre 1908 on assista à des fermetures autoritaires d’écoles privées, comme à Charolles. Celles de Paray l’avaient été durant l’été 1906… pour rouvrir quelques mois plus tard, tenues par des Sœurs ayant accepté statut et Etat laïcs.

Buste de Ferdinand Sarrien, monument face au collège du même nom à Bourbon Lancy (fond Debuisson)

La paix scolaire ne fut point au rendez-vous pour autant. Citons l’affaire des manuels scolaires de moral condamnés par l’évêque et brûlés à Vitry, Volesvres, Chassigny… A ce sujet, François Ducarouge, maire de Digoin et successeur de Sarrien à l’Assemblée Nationale, monta à la tribune pour interpeller le Ministre de l’Instruction Publique sur ces regrettables incidents. Puis il y eut l’exécution des inventaires des biens des églises avec des incidents vifs dans le bassin minier. En 1906, intervint le décès du cardinal Perraud, évêque d’Autun. Désirant être inhumé dans une chapelle du centre-ville de Paray, le maire refusa, autorisant la sépulture que dans celle du cimetière communal. Il faudra attendre 1923 pour que le vœu soit accompli.

En effet ces luttes s’apaisèrent avec le conflit de 1914/18 où l’on vit naître l’Union Sacrée pour défendre la patrie en danger. L’évêque d’Autun et Sarrien travaillèrent alors ensemble pour soulager les populations meurtries dans leur chair. Partout en France, une tolérance s’installa avec la reconstitution ou le retour des congrégations.

 C’est ainsi que prit corps, au long de ces vingt années, une déclinaison de la formule imaginée par l’artisan de l’unité italienne, Cavour : « L’Eglise libre dans l’Etat libre ». La laïcité française était née. Elle sera inscrite dans le préambule de la constitution de 1958, aboutissement de cette loi de 1905 qualifiée il y a peu, par le Président de la République de « pilier du temple », et par son Premier Ministre de « grammaire du vivre ensemble ».

 Rappel des Délégués cantonaux  de l’Education Nationale  de Paray en 1901

 Mrs BARTHELEMY propriétaire, BERGER ancien Maire et ex Conseiller Général, (auteur d’un virulent discours prônant la laïcité des écoles publiques de Paray en 1889), BERTHOUD négociant, BESSON adjoint au Maire de Paray, CRETIN Maire et Conseiller Général de Paray (il avait imposé symboliquement sa commune pour le banquet républicain du 29 Avril 1906 où son voisin et ami Président du Conseil traça ce qu’on appellerait aujourd’hui sa feuille de route), FAUCONNET ancien Maire, MATHERAT propriétaire à Poisson.


Jean Chèze, défenseur de l'Ecole républicaine, Président H de l'AMOPA71, Président H des DDEN71







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