lundi 5 juillet 2021

Chronique des héros du Roman national : Charlemagne.

 

Sacré Charlemagne !

Chronique des héros du Roman National


Lithographie en couleur, 1902

Qui a eu cette idée folle un jour d’inventer l’école ?

D’où vient donc cette affirmation que Charlemagne aurait inventé l’école le 23 mars 789 ? On peut d’ores et déjà dire que cette idée reçue ne date pas des sixties et de la chanteuse France Gall puisque l’illustre personnage fait son apparition dans les programmes d’histoire dès les années 1870 en promoteur de l’enseignement populaire. C’est, du reste, durant cette période que sont « exhumés » nombre de personnages mythiques, héros nationaux nourrissant le roman national, venant au secours de la Troisième république naissante, avide de modèles après la cuisante défaite de 1871…


Manuel scolaire 1958 (collection musée)

Quoi qu’il en soit, dire que Charlemagne a inventé l’école est peut-être abusif au sens que les premières écoles datent de l’apparition de l’écriture, vraisemblablement en Mésopotamie. Les grandes civilisations qui suivirent, les Egyptiens, les Aztèques, les Grecs, les Romains… eurent à cœur de transmettre les savoirs aux plus jeunes, les soustrayant ainsi au travail. Notre mot « école » ne vient-il pas du grec ancien skholế, littéralement « arrêt du travail » donc loisir ? Par contre, on doit reconnaître que ce roi carolingien, futur Empereur, a impulsé un nouvel élan en matière d’éducation.

Image publicitaire (collection privée)

Le contexte historique

En 768, Pépin III meurt et son fils Charlemagne lui succède pour quarante-quatre années de règne. Conquérant dans l’âme, il étendra les frontières de son royaume de la Catalogne à l’Allemagne et imposera le christianisme aux derniers peuples païens d’Europe. Mais Charlemagne ne fut pas seulement un guerrier, il fut aussi un protecteur des lettres et vraisemblablement le seul carolingien à avoir appris la grammaire avec comme maître Pierre de Pise et la rhétorique, la dialectique et l’astronomie avec Alcuin. Malheureusement, à en croire les dires de ces derniers, « il s’y prend trop tard et le résultat est fort médiocre ».

Manuel scolaire Brossolette et Ozouf 1946 (collection musée)

Ainsi, durant plusieurs siècles avant lui, les souverains qui s’étaient succédés à la tête des royaumes barbares avaient laissé s’éteindre la culture et l’éducation. Pourtant, entre 58 et 51 av. J.-C., L’Empire Romain avait déployé un réseau d’« écoles municipales » en Gaule romanisée : des écoles primaires sous l’autorité des magisters, des écoles secondaires sous celle des grammairiens et des écoles supérieures sous celle des rhéteurs.  Depuis la chute de cet Empire, un grand nombre de savoirs s’étaient progressivement perdus, entraînant un net recul intellectuel au début du Moyen-Âge, malgré la reprise du flambeau par l’Eglise de 511 à 529, période durant laquelle les conciles d’Orléans et de Vaison invitèrent les curés à faire cours à « tous les jeunes lecteurs qui ne sont pas mariés ». Charlemagne fera d’ailleurs appel aux maîtres de ces grands foyers d’études que furent les écoles presbytérales, monastiques et épiscopales pour former un corps de fonctionnaires rigoureux et une élite aristocratique. En réalité, l’enseignement prodigué dans les monastères et les églises était réservé aux jeunes gens souhaitant épouser la carrière ecclésiastique.

Charlemagne et les écoliers, Histoire France, 1934 (collection musée)

L’action de Charlemagne

Charlemagne n’inventa sans doute pas l’école mais il la réinventa en quelque sorte, remettant les études oubliées au goût du jour, même si ce ne fut que pour une partie privilégiée de la population. En 789, il fit promulguer le capitulaire Admonitio generalis (littéralement « exhortation générale »), exhortant par là même chaque évêché et chaque monastère à ouvrir une double école : l’une intérieure réservée aux clercs (les membres du clergé) et aux moines, l’autre extérieure ouverte à tous. La première enseignait la théologie et les sept arts libéraux : le trivium (grammaire, rhétorique, logique) et le quadrivium (arithmétique, géométrie, musique, astronomie). La seconde enseignait la foi, les prières, les psaumes, le chant, la grammaire, la lecture et l’écriture. 

L’Empereur Charlemagne et l’école, chromolithographie d’après un dessin de J.L. Beuzon (pinterest)

Comme la plupart des fonctionnaires étaient issus des clercs et devaient travailler dans chaque province de l’Empire, Charlemagne choisit le latin comme langue officielle et développa les scriptoria, ateliers d’écriture dirigés par les moines copistes. Il y imposa l’écriture en minuscule caroline dont l’orthographe introduisait les lettres minuscules arrondies et la séparation des mots par un espace. Avancée révolutionnaire si l’on pense qu’à l’époque les mots étaient écrits en majuscules et n’étaient pas toujours séparés.

Ecriture mérovingienne et caroline comparées (picclic)

Dans les murs de son palais d’Aix-la-Chapelle, Charlemagne fit ouvrir l’académie palatine dont la légende s’empara rapidement. Nokter de Saint Gall dit Nokter le Bègue, moine chroniqueur de l’époque, rédigea la Vie de Charlemagne, il fut à l’origine de cette légende sur l’« école » palatine, dont l’image idéalisée fut reprise au 19ème siècle, notamment par Jules Ferry. 



Protège cahier, Extrait de Faits et Gestes de Charles le Grand, Nokter de saint Gall, vers 1890 (picclick)

Nokter explique dans sa chronique que l’école palatine était en principe réservée aux enfants de seigneurs mais que Charlemagne n’hésitait pas à y introduire des enfants d’humble condition afin de « stimuler » les enfants bien nés. Un jour, toujours selon Nokter, le roi décida de faire subir une sorte d’examen aux élèves. Les enfants sans fortune qui avaient travaillé dur,  réussirent là où les fils de comtes et de ducs échouèrent. Charlemagne vanta alors leurs mérites.



Protège-cahier, Charlemagne visitant une école, vers 1890 (Picclick)

D’autres sources dépeignent cette école palatine de manière bien différente en décrivant une école vraisemblablement composée de copistes, de chantres et de scribes en phase d’apprentissage, bien loin d’une école au sens moderne, avec maîtres, cours et examen. La légende retiendra la première version, pour des raisons politiques assurément.

Extrait de manuel scolaire : félicitations aux humbles, réprimandes aux nantis (détail)

Il reste que ce mouvement intellectuel impulsé par Charlemagne se poursuivit jusqu’à sa mort et fut baptisé renovatio par les chroniqueurs de l’époque (littéralement « renouvellement » en latin) et « Renaissance carolingienne » plus tard. Renaissance à ne pas confondre avec celle du 16ème siècle qui fut un mouvement intellectuel laïc, contrairement à la renovatio qui fut purement religieuse.

Gravure ombre et lumière, les fils du peuple félicités, les fils de nobles admonestés et les prêtres toujours présents (BNF)

Pour conclure

D’autres historiens sont beaucoup plus radicaux dans leur analyse. Après avoir décortiqué des textes très anciens, ils concluent que Charlemagne était avant tout un militaire qui lisait et écrivait assez mal. Seul fait authentique reconnu par eux : c’est bien lui qui aurait encouragé évêques et moines à aller enseigner et entretenir les écoles. Ils réfutent aussi la véracité de l’Empereur examinant lui-même les élèves de l’école palatine ou de l’Empereur créant les Universités d’Aix-la-Chapelle et de Paris. Ils pensent qu’il a suffi à cette belle légende de passer de mains en mains, des partisans de la monarchie aux humanistes des Lumières puis aux intellectuels du 19ème siècle tel Victor Hugo, pour perdurer jusqu’à nos jours. Chacun est juge.

Cahier du début du 20ème siècle (collection musée)

On notera tout de même que la mise sur un piédestal de cette légende relève plus naturellement de la leçon de morale que de la leçon d’histoire. Le message véhiculé ainsi est sans équivoque : chers écoliers et jeunes citoyens, soyez studieux et appliqués à l’école, la France a besoin de vous ! L’esprit des manuels scolaires de la troisième république est clair, la nouvelle école publique laïque et obligatoire doit apprendre à ses élèves les bonnes vertus en prenant comme modèles des héros historiques nationaux exemplaires auxquels il leur sera facile de s’identifier et de suivre les préceptes. L'école de la République se voulant égalitaire dépeindra un Charlemagne garant de la méritocratie : enfants du peuple et enfants des élites ont la même reconnaissance. Une lecture politique de l'histoire assurément.


Charlemagne n’a échappé ni à la réclame d’autrefois ni à la publicité d’aujourd’hui




 Et encore moins à la chanson…

https://www.youtube.com/watch?v=CYkZwwAPxW4

Les séries « Les Noms de nos Fils » et « Les Noms de nos Filles »

 De Georges Dascher 





La série masculine commence par le cahier-titre avec Charlemagne et ses louanges sur les 3 autres pages de couverture du cahier qui lui est consacré.

Puis dans l'ordre alphabétique : Alexandre, Alphonse, Ambroise, André, Antoine, Bertrand, Bernard, Charles, Claude, Edouard, Etienne, Eugène, Fernand, François, Gaston, Georges, Gustave, Henri, Jacques, Jean-Baptiste, Jean, Joseph, Jules, Louis, Maurice, Michel, Nicolas, Philippe, Pierre, René, Richard, Robert ...

Chacun de ces prénoms masculins est associé à un personnage historique célèbre, dessiné en situation avec pour chacune des couvertures les commentaires sur les autres pages

La série féminine procède de la même manière :

Anne, Berthe, Blanche, Catherine, Cécile, Charlotte, Christine, Clémence, Clotilde, Edith, Elisabeth, Esther, Félicité, Françoise, Geneviève, Germaine, Hélène, Henriette, Isabelle, Jacqueline, Jeanne, Joséphine, Julie, Louise, Lucie, Madeleine, Marguerite, Marie, Marie-Antoinette, Marie-Thérèse, Marthe, Mathilde, Nicole, Odette, Pauline, Rosalie, Suzanne, Virginie, Yvonne...

Chacun de ces prénoms féminins est aussi associé à un personnage historique célèbre, dessiné en situation par Georges Dascher

Prochainement, un article sur Georges Dascher, dessinateur de 30 séries de gravures qui ont illustré les couvertures de cahiers scolaires distribués aux élèves des écoles publiques.

 

Patrick PLUCHOT

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire