Sacré Charlemagne !
Chronique des héros du Roman National
Qui
a eu cette idée folle un jour d’inventer l’école ?
D’où
vient donc cette affirmation que Charlemagne aurait inventé l’école le 23 mars
789 ? On peut d’ores et déjà dire que cette idée reçue ne date pas des
sixties et de la chanteuse France Gall puisque l’illustre personnage fait son
apparition dans les programmes d’histoire dès les années 1870 en promoteur de
l’enseignement populaire. C’est, du reste, durant cette période que sont
« exhumés » nombre de personnages mythiques, héros nationaux
nourrissant le roman national, venant au secours de la Troisième république
naissante, avide de modèles après la cuisante défaite de 1871…
Manuel scolaire 1958
(collection musée)
Quoi qu’il en soit, dire que
Charlemagne a inventé l’école est peut-être abusif au sens que les premières
écoles datent de l’apparition de l’écriture, vraisemblablement en Mésopotamie.
Les grandes civilisations qui suivirent, les Egyptiens, les Aztèques, les
Grecs, les Romains… eurent à cœur de transmettre les savoirs aux plus jeunes,
les soustrayant ainsi au travail. Notre mot « école » ne vient-il pas
du grec ancien skholế, littéralement
« arrêt du travail » donc loisir ? Par contre, on doit
reconnaître que ce roi carolingien, futur Empereur, a impulsé un nouvel élan en
matière d’éducation.
Image publicitaire (collection privée)
Le
contexte historique
En 768, Pépin III meurt et
son fils Charlemagne lui succède pour quarante-quatre années de règne.
Conquérant dans l’âme, il étendra les frontières de son royaume de la Catalogne
à l’Allemagne et imposera le christianisme aux derniers peuples païens
d’Europe. Mais Charlemagne ne fut pas seulement un guerrier, il fut aussi un
protecteur des lettres et vraisemblablement le seul carolingien à avoir appris
la grammaire avec comme maître Pierre de Pise et la rhétorique, la dialectique
et l’astronomie avec Alcuin. Malheureusement, à en croire les dires de ces
derniers, « il s’y prend trop tard
et le résultat est fort médiocre ».
Manuel scolaire Brossolette
et Ozouf 1946 (collection musée)
Ainsi, durant plusieurs
siècles avant lui, les souverains qui s’étaient succédés à la tête des royaumes
barbares avaient laissé s’éteindre la culture et l’éducation. Pourtant, entre
58 et 51 av. J.-C., L’Empire Romain avait déployé un réseau d’« écoles
municipales » en Gaule romanisée : des écoles primaires sous l’autorité
des magisters, des écoles secondaires sous celle des grammairiens et des écoles
supérieures sous celle des rhéteurs. Depuis la chute de cet Empire, un grand nombre
de savoirs s’étaient progressivement perdus, entraînant un net recul
intellectuel au début du Moyen-Âge, malgré la reprise du flambeau par l’Eglise
de 511 à 529, période durant laquelle les conciles d’Orléans et de Vaison invitèrent
les curés à faire cours à « tous les
jeunes lecteurs qui ne sont pas mariés ». Charlemagne fera d’ailleurs
appel aux maîtres de ces grands foyers d’études que furent les écoles presbytérales,
monastiques et épiscopales pour former un corps de fonctionnaires rigoureux et
une élite aristocratique. En réalité, l’enseignement prodigué dans les
monastères et les églises était réservé aux jeunes gens souhaitant épouser la
carrière ecclésiastique.
Charlemagne et les écoliers,
Histoire France, 1934 (collection musée)
L’action
de Charlemagne
Charlemagne n’inventa sans
doute pas l’école mais il la réinventa en quelque sorte, remettant les études
oubliées au goût du jour, même si ce ne fut que pour une partie privilégiée de
la population. En 789, il fit promulguer le capitulaire Admonitio generalis (littéralement « exhortation
générale »), exhortant par là même chaque évêché et chaque monastère à
ouvrir une double école : l’une intérieure
réservée aux clercs (les membres du clergé) et aux moines, l’autre extérieure ouverte à tous. La première enseignait la théologie et
les sept arts libéraux : le trivium (grammaire,
rhétorique, logique) et le quadrivium
(arithmétique, géométrie, musique, astronomie). La seconde enseignait la foi,
les prières, les psaumes, le chant, la grammaire, la lecture et
l’écriture.
L’Empereur Charlemagne et
l’école, chromolithographie d’après un dessin de J.L. Beuzon (pinterest)
Comme la plupart des
fonctionnaires étaient issus des clercs et devaient travailler dans chaque
province de l’Empire, Charlemagne choisit le latin comme langue officielle et
développa les scriptoria, ateliers
d’écriture dirigés par les moines copistes. Il y imposa l’écriture en minuscule caroline dont l’orthographe
introduisait les lettres minuscules arrondies et la séparation des mots par un
espace. Avancée révolutionnaire si l’on pense qu’à l’époque les mots étaient
écrits en majuscules et n’étaient pas toujours séparés.
Ecriture mérovingienne et
caroline comparées (picclic)
Dans les murs de son palais
d’Aix-la-Chapelle, Charlemagne fit ouvrir l’académie
palatine dont la légende s’empara rapidement. Nokter de Saint Gall dit Nokter
le Bègue, moine chroniqueur de l’époque, rédigea la Vie de Charlemagne, il fut à l’origine de cette légende sur l’« école »
palatine, dont l’image idéalisée fut reprise au 19ème siècle,
notamment par Jules Ferry.
Protège cahier, Extrait de
Faits et Gestes de Charles le Grand, Nokter de saint Gall, vers 1890 (picclick)
Nokter explique dans sa
chronique que l’école palatine était en principe réservée aux enfants de
seigneurs mais que Charlemagne n’hésitait pas à y introduire des enfants
d’humble condition afin de « stimuler » les enfants bien nés. Un
jour, toujours selon Nokter, le roi décida de faire subir une sorte d’examen
aux élèves. Les enfants sans fortune qui avaient travaillé dur, réussirent là où les fils de comtes et de
ducs échouèrent. Charlemagne vanta alors leurs mérites.
Protège-cahier, Charlemagne
visitant une école, vers 1890 (Picclick)
D’autres sources dépeignent
cette école palatine de manière bien différente en décrivant une école
vraisemblablement composée de copistes, de chantres et de scribes en phase
d’apprentissage, bien loin d’une école au sens moderne, avec maîtres, cours et
examen. La légende retiendra la première version, pour des raisons politiques
assurément.
Extrait de manuel scolaire : félicitations aux humbles, réprimandes aux nantis (détail)
Il reste que ce mouvement
intellectuel impulsé par Charlemagne se poursuivit jusqu’à sa mort et fut
baptisé renovatio par les
chroniqueurs de l’époque (littéralement « renouvellement » en latin)
et « Renaissance carolingienne » plus tard. Renaissance à ne pas
confondre avec celle du 16ème siècle qui fut un mouvement
intellectuel laïc, contrairement à la renovatio
qui fut purement religieuse.
Gravure ombre et lumière,
les fils du peuple félicités, les fils de nobles admonestés et les prêtres toujours présents (BNF)
Pour
conclure
D’autres historiens sont
beaucoup plus radicaux dans leur analyse. Après avoir décortiqué des textes
très anciens, ils concluent que Charlemagne était avant tout un militaire qui
lisait et écrivait assez mal. Seul fait authentique reconnu par eux :
c’est bien lui qui aurait encouragé évêques et moines à aller enseigner et
entretenir les écoles. Ils réfutent aussi la véracité de l’Empereur examinant
lui-même les élèves de l’école palatine ou de l’Empereur créant les Universités d’Aix-la-Chapelle et de Paris. Ils pensent qu’il a suffi à cette belle légende
de passer de mains en mains, des partisans de la monarchie aux humanistes des
Lumières puis aux intellectuels du 19ème siècle tel Victor Hugo,
pour perdurer jusqu’à nos jours. Chacun est juge.
Cahier du début du 20ème
siècle (collection musée)
On notera tout de même que la mise sur un piédestal de cette légende relève plus naturellement de la leçon de morale que de la leçon d’histoire. Le message véhiculé ainsi est sans équivoque : chers écoliers et jeunes citoyens, soyez studieux et appliqués à l’école, la France a besoin de vous ! L’esprit des manuels scolaires de la troisième république est clair, la nouvelle école publique laïque et obligatoire doit apprendre à ses élèves les bonnes vertus en prenant comme modèles des héros historiques nationaux exemplaires auxquels il leur sera facile de s’identifier et de suivre les préceptes. L'école de la République se voulant égalitaire dépeindra un Charlemagne garant de la méritocratie : enfants du peuple et enfants des élites ont la même reconnaissance. Une lecture politique de l'histoire assurément.
Et encore moins
à la chanson…
https://www.youtube.com/watch?v=CYkZwwAPxW4
Les
séries « Les Noms de nos Fils » et « Les Noms de nos
Filles »
De Georges Dascher
La série masculine commence par le cahier-titre avec
Charlemagne et ses louanges sur les 3 autres pages de couverture du cahier qui
lui est consacré.
Puis dans l'ordre alphabétique : Alexandre, Alphonse,
Ambroise, André, Antoine, Bertrand, Bernard, Charles, Claude, Edouard, Etienne,
Eugène, Fernand, François, Gaston, Georges, Gustave, Henri, Jacques, Jean-Baptiste,
Jean, Joseph, Jules, Louis, Maurice, Michel, Nicolas, Philippe, Pierre, René,
Richard, Robert ...
Chacun de ces prénoms masculins est associé à un
personnage historique célèbre, dessiné en situation avec pour chacune des
couvertures les commentaires sur les autres pages
La série féminine procède de la même manière :
Anne, Berthe, Blanche, Catherine, Cécile,
Charlotte, Christine, Clémence, Clotilde, Edith, Elisabeth, Esther, Félicité,
Françoise, Geneviève, Germaine, Hélène, Henriette, Isabelle, Jacqueline,
Jeanne, Joséphine, Julie, Louise, Lucie, Madeleine, Marguerite, Marie, Marie-Antoinette, Marie-Thérèse, Marthe, Mathilde, Nicole, Odette,
Pauline, Rosalie, Suzanne, Virginie, Yvonne...
Chacun de ces prénoms féminins est aussi associé à un
personnage historique célèbre, dessiné en situation par Georges Dascher
Prochainement, un article sur Georges
Dascher, dessinateur de 30 séries de gravures qui ont illustré les couvertures
de cahiers scolaires distribués aux élèves des écoles publiques.
Patrick PLUCHOT
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