jeudi 25 novembre 2021

Augustine Tuillerie alias G. Bruno



 

Le Tour de la France par

Deux Enfants

Le bréviaire de l’écolier

191e édition, 1889 (collection musée)

Le manuel le plus vendu

Le Tour de la France par deux enfants de G. Bruno, est un manuel qui regroupait la lecture, l'histoire et la géographie, l'instruction civique et la morale. Il connut 411 éditions de 1877 à 1960 pour 8 400 000 exemplaires diffusés, dont 7 000 000 d’exemplaires avant 1914. Sa dernière édition date seulement de 2012, chez Tallendier, collection Texto. Les écolières et les écoliers du pays suivirent, dans cet ouvrage, les pérégrinations de deux enfants dans toutes les régions de France, même chez nous, avec leur passage au Creusot assorti d’une magnifique gravure du Marteau-pilon. La vérité sur son auteur fut longtemps cachée et ce manuel fut même taxé, par Jean Bouvier, professeur à l’Université de Paris, de « refus de la civilisation industrielle » (in Histoire de la France, préface de Georges Duby, édition de 1977, p. 438). Explications…



Statue de Giordano Bruno, auteur de De l’infinito, universo e Mondi (De l’infini, l’univers et les mondes)

Place Campo de Fiori à Rome

La vérité longtemps cachée

Le pseudonyme G. Bruno, qui signe  Le Tour de la France par Deux Enfants, désigne Giordano Bruno… né en 1550 et mort sur le bûcher de l’Inquisition romaine en 1600 ! Bruno, après avoir quitté l’ordre des Dominicains pour adhérer au Calvinisme, se fâcha avec Calvin lui-même. Dès lors, il enseigna une pensée philosophique bien peu en conformité avec les préceptes de l’Église. Au christianisme, il opposa une religion de la Nature en reprenant la suite de Copernic et de ses théories astronomiques, notamment en niant la rotation du soleil autour de la Terre qui aurait été le centre du monde. Préfigurateur de Galilée, il paya cher sa digression. 

Presque trois siècles se sont donc écoulés jusqu’à la parution de ce Tour de France, en 1877, mais qui se cache alors derrière ce pseudonyme, paraissant honteux de dévoiler son identité bien que ne craignant plus d’être jugé hérétique ? Hérétique non, mais mal-pensant peut-être… L’affaire s’avère complexe. A l’orée du 20e siècle, écrire un ouvrage scolaire nécessite de faire preuve de règles de vie exemplaires et les premiers enquêteurs, quelque peu malveillants, crurent démasquer l’inconnu. Il s’agirait d’Alfred Fouillé, maître de conférences à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm à Paris, docteur en philosophie, libre-penseur et républicain. Il est vrai que Fouillé avait déjà écrit plusieurs manuels scolaires et que c’est lui qui présenta discrètement le Tour de la France à l’éditeur Belin. Sa carrière universitaire avait été sauvée par son refus des idées socialistes et de la lutte des classes, allant même jusqu’à dénigrer Karl Marx. Il n’avait, en outre, aucun sentiment antireligieux. Mais voici qu’au tournant du siècle, plus de 20 ans après la première édition de l’ouvrage, Fouillé subit des attaques en règle mettant en cause l’idéologie de son œuvre présumée. Il avouera alors que c’est Augustine Fouillé, son épouse, qui fut à l’origine de ce manuel.

Augustine Tuillerie, épouse Guyau puis épouse Fouillé, alias G. Bruno

 A notre époque, il est permis de s’interroger sur les raisons d’un si long silence, mais voilà, les « bonnes mœurs » étaient  en cause. En 1877, Augustine Fouillé n’existait pas ou plutôt pas encore, elle se nommait Augustine Tuillerie, épouse Guyau. Femme battue, elle avait abandonné son mari en 1871, ayant même été jusqu’à tenter de l’assassiner. Elle le quitte pour vivre avec un lointain cousin, Alfred Fouillé (1838/1912). Ce concubinage de trente ans aurait causé un scandale certain si les défenseurs des bonnes mœurs avaient eu vent de la situation de l’auteur d’un manuel scolaire à succès. En 1884, Augustine et Alfred profitèrent du rétablissement du divorce (institué en 1792, mais aboli en 1816) pour régulariser l’existence de leur couple illégitime. Ils se marièrent en 1885. Les mentalités évoluant nécessairement moins vite que les lois, la vérité n’éclata au grand jour qu’en 1899. Le statut de la femme restait précaire en ces temps et Alfred Fouillé ne devait pas voir cette usurpation comme immorale, n’avait-il d’ailleurs pas déclaré dans un ouvrage que « La femme capable de donner de beaux enfants fait plus pour l'humanité que celle qui a subi l'examen du baccalauréat. » Malgré tout, les rééditions du manuel  continuèrent à paraître, jusqu’à nos jours, sous le nom d’emprunt de G. Bruno, devenu célèbre.

Edition 1982 (collection musée)

D’une famille de philosophes, en renom à la fin du 19e siècle, Augustine Fouillé allait devenir, bon gré mal gré, plus connue qu’eux par d’autres moyens. Non point fille de philosophe elle-même, elle fut d’abord la mère du philosophe Jean-Marie Guyau (né en 1854 de son premier mariage et mort en 1888). D’après Jacques et Mona Ozouf, dans leur ouvrage consacré au Tour de France par deux enfants, on sait seulement qu’Augustine avait 5 ans de plus qu’Alfred, on peut en déduire qu’elle était née en 1833 et que, lors de la prétendue révision complète de son ouvrage en 1906, elle avait atteint l’âge de 73 ans.

Un contenu universel

Par son œuvre éditée pour la première fois en 1877, Augustine Tuillerie (future Mme Fouillé) prétendait apporter surtout une révolution dans la pédagogie, notamment en intéressant les enfants à la vie des travailleurs de France à l’aide de simples récits, du niveau intellectuel du cours moyen. Du reste, l’ouvrage respectait les « devoirs envers Dieu », ce qui remporta l’adhésion d’une partie des congrégations enseignantes comme le note l’historien catholique Pierre Zind (1923/1988) auteur de L’enseignement religieux dans l’instruction publique primaire, en France, de 1850 à 1873 : « ce pseudonyme original était à lui seul tout un programme », Lyon, 1971.

Jeanne d’Arc, page 104 (collection musée)

A travers Le Tour de la France par deux enfants, l’enfant connaîtra désormais des lectures profanes (toujours selon Pierre Zind, dans l’ouvrage cité, page 185), au lieu d’être contraint d’apprendre à lire avec un texte religieux, en un style qu’il ne comprenait pas. L’acquisition du mécanisme de la lecture, qui exige au surplus des exercices répétés, devenait moins difficile pour le jeune lecteur, mieux intéressé par le texte qui lui était soumis. C’est en cela que l’œuvre de Mme Fouillé fut jugée comme une bonne méthode de lecture courante, longtemps privilégiée.

Un contenu controversé cependant

Soucieuse sans doute de plaire à un éditeur, lui-même probablement désireux de résister à la concurrence d’autres confrères, Augustine ne montra qu’incidemment l’évolution économique de la France, car ce n’était pas là le but qu’elle avait recherché originellement. A l’image de ses héros restés enfants, qui au fil du temps ne sont jamais devenus adultes, la France serait restée figée.

Parcours des deux enfants, édition 1904 (collection musée)

Il faut alors relire les deux ouvrages d’Augustine Fouillé, hautement significatifs et dont la diffusion fut inégalée entre 1870 et la Grande Guerre : Francinet, édité pour la première fois en 1870 et Le Tour de la France par deux enfants, édité au début pour le cours moyen en 1877. Le premier servit d’ébauche au second. 

Francinet, édition 1882

Quoique la 331e édition du Tour de la France fût déclarée « entièrement revue » en 1906, la teneur générale du texte resta pratiquement inchangé depuis 1877, comme si le développement et la croissance de la France économique n’avaient pas évolué d’un pouce. Un épilogue fut bien ajouté qui présentait les découvertes de Pasteur, les sous-marins, les colonies, les premiers appareils électriques (téléphone, phonographe, T.S.F.), mais le livre se concluait, lors de la réunion de famille de Noël 1906 dans la ferme familiale, par cette phrase du petit Jean « notre village, qui est un petit coin de la France », ultime évocation d’une France qui serait demeurée rurale.

Le Tour de la France par deux enfants, première édition, 1877

Tout au long du livre, la découverte des régions est ponctuée par l’éloge des métiers anciens et de l’artisanat : serruriers, horlogers, dentellières, mégissiers, sabotiers, fromagers, chaudronniers… La vieille France rurale, au passé bientôt révolu, est à l’honneur : « Et toi, André, tu nous aideras à cultiver cette terre jusqu’à ce que nous ayons trouvé à t’établir comme serrurier au village voisin (..) Quand il y a chômage chez le serrurier du bourg, André travaille à la ferme » (pages 296 et 299). Voilà le chemin des deux enfants tout tracé : entre écurie et pauvre atelier, mièvre idéal en vérité proposé aux enfants d’ouvriers, de paysans ou de boutiquiers au fil des pages.

191ème édition, 1889, page 104 (collection musée)

Et l’industrie alors ? Oubliée ou minimisée. Prenons un exemple qui nous est proche : la Bourgogne. Lorsque nos deux protagonistes traversent notre contrée, tout commence par le vignoble et l’agriculture avec la fameuse phrase de Sully qui vante les « vraies mines et trésors du Pérou ». Il ne s’agit évidemment pas là des mines de charbon qui n’ont droit qu’à une courte page dans la description des installations du Creusot où figure tout de même la gravure du marteau-pilon. 



191ème édition, 1889, page 115 (collection musée)

La traversée du Nord et des Flandres ne sera pas mieux lotie avec une ligne sur les mines, agrémentée de la gravure d’un plan d’œillette ! Ce relent de nostalgie fait encore fi de cette France en avance, dynamique, moderne, efficace d’avant 1914, avec ses réussites techniques et économiques, individuelles et sociales. Des secteurs neufs du développement industriel du pays sont nés dès la fin du 19e siècle : l’automobile, l’aviation, l’électricité, la chimie… La France des dix années d’avant la Grande Guerre traverse une phase de mutation industrielle aussi importante que les premières années du second Empire, avec des données similaires à celles de l’Allemagne ou de l’Angleterre. Qu’importe, la France traditionnelle doit subsister dans les jeunes esprits.

191ème édition, 1889, page 117, courte description de la mine (collection musée)

D’ailleurs, Le Tour de la France par deux enfants  est aussi un livre de morale (1) et, des prérequis précédemment exposés, va découler alors un idéal de vertu dont les enfants seront l’image. Ils seront la perfection vivante, à un tel degré, que nos yeux contemporains ne peuvent n’y voir que niaiserie. Mais le contexte de l’époque est propice à une morale sociale bourgeoise qui prône l’obéissance, la discipline, la docilité envers la hiérarchie des autorités : ne pas mentir, ne pas boire d’alcool, ne pas trop parler (d’où l’adage « trop gratter cuit, trop parler nuit » ), ne pas s’emporter, ne pas paresser, ne pas… dont acte. On doit gagner sa vie par son honnête labeur, tenir sa place et y demeurer, mais surtout, ne pas envier les riches, consommer peu, économiser beaucoup en vue des mauvais jours, fuir l’emprunt comme la peste : « Un homme courageux compte sur ce qu’il peut gagner par son travail, non sur ce qu’il peut emprunter aux autres. » (page 193) (2)

Paradoxalement, la morale qui coulait à pleine page dans l’ouvrage d’Augustine Fouillé s’accommodait des mauvaises conditions de travail et de l’exploitation des enfants. Revenons alors sur la visite du Creusot. La conscience de nos deux petits n’est pas affleurée par la vision apocalyptique d’un atelier de forge :

Ni Augustine, ni ses deux personnages ne sont troublés non plus par le « livret » que chaque ouvrier doit posséder pour travailler, carte d’identité spéciale aux ouvriers où sont inscrites les appréciations des patrons et des maires des communes, tout cela est naturel : « André et Julien savent que tout ouvrier doit avoir des certificats en règle » (page 13). Le livret d’André est même reproduit en page 62 : « Sa conduite, y est-il consigné par le maire d’Épinal, n’a rien laissé à désirer ». C’est en effet une ancienne institutrice qui héberge les enfants à leur arrivée à Épinal, elle aide Julien à s’instruire le temps qu’André assiste aux cours du soir après sa journée à l’atelier. Parallèlement, il réparera toutes les serrures et ferrures de la maison qui l’accueille, éloge de sa profession dans le chapitre XXI avec la gravure d’une forge de serrurier et celle d’une serrure « bec-de-cane ». Alors, André peut quitter la ville avec de bons certificats et son livret d’ouvrier en règle.

191ème édition, 1889, page 62 (collection musée)

La morale contenue dans Le Tour de la France confond donc habilement les règles de bonne conduite individuelle, les règlements de l’usine, les interdits sociaux au profit d’une « docilité universelle ». Jean Bouvier (déjà cité) va plus loin dans son analyse des ouvrages d’Augustine Fouillé en citant La Chanson du pauvre : « Mais livrons sans commentaire, de peur de ne pas maîtriser notre plume, le poème qui clôt – à toutes les éditions – l’autre ouvrage de la bonne Mme Bruno, La Chanson du pauvre (1869), dont le sous-titre pourrait être : « Battu, mais content. »  (3) 

Rendons à César…

Il reste qu’en 1877, Eugène Belin éditait « le » chef-d’œuvre de l’enseignement primaire qui s’avéra être l’un des plus grands succès de l’édition française. Auparavant, Augustine, la petite institutrice éprise de pédagogie, avait écrit Francinet, déjà traduit en anglais, allemand, espagnol, italien, hongrois, tchèque, russe, turc, arménien… Des leçons de patriotisme comme l’écrit P.-J. Hélias dans Le cheval d’orgueil. Le Tour de la France par deux enfants devient rapidement la « bible » pour les enseignants et le support idéal pour leurs leçons. L’itinéraire des deux frères ne négligeant aucune région de la belle France (même pas les deux annexées par les prussiens), chaque chapitre est prétexte à leçons de choses, de morale, de géographie ou d’histoire, à travers les descriptions des lieux et des grands hommes qui y sont attachés.

Edition 1904 (collection musée)

Pour les écoliers, leur livre de lecture sera leur encyclopédie dont la forme narrative d’un voyage initiatique donnera un tour vivant à leurs apprentissages. L’ouvrage sera aussi lu dans les foyers, par les enfants aux parents souvent illettrés, ainsi la volonté d’éducation morale des classes populaires voulue par la Troisième République passera par cette apologie du savoir, du travail, de la justice, de la liberté, du sentiment religieux, du devoir,  et de la patrie.  

Augustine Fouillé reste aussi dans l’utopie de la Seconde République de 1848 et l’influence du saint-simonisme : il faut aider la Troisième République à combattre l’ignorance, traquer l’obscurantisme, défendre l’égalité et la fraternité et mettre à l’honneur les bons ouvriers, à l’image d’André. On ne peut d’ailleurs pas s’empêcher de faire le rapprochement entre Le Tour de la France et le compagnonnage qui déplace les apprentis de ville en ville. Curieuse coïncidence d’ailleurs : André sera ouvrier serrurier comme l’ont été les deux héros du livre succès de Frédéric Soulié, publié dans Le Journal des enfants en 1835, intitulé Le Tour de France. Il narre le périple de deux Compagnons serruriers. Augustine ne pouvait vraisemblablement pas ignorer l’existence de ce conte qui fut remis au goût du jour en 1875, à l’occasion de l’inauguration d’un monument à la mémoire de Soulier. On y retrouve, développé dans une série d’épisodes, le projet tant conceptuel que formel du livre d’Augustine Fouillé.

Le Tour de France, Frédéric Soulié, réédité en 1937

Comme toujours, il convient de lire ou de relire Le Tour de la France par deux enfants avec les yeux de nos arrière-grands-parents qui y voyaient un récit captivant plutôt qu’un outil de propagation des idées que les fondateurs de la Troisième République souhaitaient voir triompher. Pour revenir sur l’édition de 1906, « entièrement revue et augmentée d’un épilogue », comme l’ouvrage le précise, le récit et la pagination semblent à première vue inchangés mais, à y regarder de plus près, l’étude des premières pages réserve des surprises... 

Etude comparative (ICEM-pédagogie-freinet)

La laïcité et les lois Combes sont passées par là et la pérennité de l’ouvrage dans les écoles nécessitait bien un « toilettage » exigé par nos « hussards noirs de la République ». Ainsi disparaissent du périple : Notre-Dame de Paris, de Reims, de Marseille, de Chartres, remplacées par de grands lieux plus laïques. Pour l’anecdote, « la Grande Chartreuse, située dans un site superbe et où se vend la liqueur du même nom » (édition 1877) n’a plus sa place non plus dans cette école laïque qui lance les campagnes antialcooliques salvatrices. 

Le crucifix de la gravure de la ferme jurassienne de 1877 (page 26) a disparu

Certains personnages sont dès lors exclus : Saint-Bernard, Saint-Vincent-de-Paul, l’évêque Bossuet et l’archevêque Fénélon. D’autres résistent, mais leur dimension spirituelle disparaît : Bayard qui n’agit plus pour l’amour de Dieu, Du Guesclin qui n’implore plus Dieu, l’abbé Pierre, grand pacifiste, deviendra le « philanthrope Castel » et enfin, Jeanne d’Arc qui, en raison de sa conduite exceptionnelle (mais aussi de son image de défenseure de la patrie dans le récit national) pourra continuer à « prier Dieu et ses saints » et « croire avoir entendu des voix »

Tout un cinéma




André et Julien Volden sur le chemin des Vosges et André seul, images du film de Carbonnat, 1924

Gravure des personnages du livre, 1877 (collection musée)

Le succès du livre ne pouvait qu’inspirer le 7e art depuis sa naissance et durant tout le 20e siècle, entre hommage, interprétation, voire détournement. La première adaptation est muette et à épisodes, comme c’est la mode dans les années 20. Elle est réalisée par Louis Carbonnat en 1924, produit par Pathé et reprend le titre original du manuel. C’est un classique du cinéma muet : la musique y est directement improvisée au piano lors de la projection, des cartons manuscrits signalent les villes visitées et quelques paroles des personnages, rien de bien original si ce ne sont les nombreux tournages en extérieur. C’est la période du déclin du manuel d’Augustine dans les écoles, il est encore lu et connu des spectateurs du film et obtient un succès d’estime.

Arrivée des deux enfants au havre, image du film de 1957

Après avoir disparu du paysage cinématographique, Le Tour de France réapparaît trente-quatre ans plus tard sur un nouveau média : la télévision. La RTF, bien que née en 1949, ne verra son essor qu’entre 1952 et 1958 grâce à Jean d’Arcy, nouveau directeur des programmes. L’année 1957 voit l’adaptation télévisuelle du manuel et la RTF en fera une expérience de collaboration avec les télévisions étrangères francophones. La Section des émissions de la jeunesse, dont la mission est « d’instruire tout en divertissant » étudie le projet avec Radio Canada. C’est ainsi que naît le premier feuilleton de grande ampleur produit par la RTF sur une adaptation de Claude Santelli. Le tournage de ce nouveau Tour de la France est réalisé dans tout l’Hexagone et se décline en trente-neuf épisodes sur deux ans. L’émission est fort appréciée du public encore en petit nombre à l’époque, il faut bien le dire.

Claude Rich, Un comédien lit un auteur, 1978

C’est une nouvelle traversée du désert pour Le Tour de France, jusqu’à son centenaire et la réédition d’un fac-similé de la première édition. FR3 Nancy évoquera le manuel dans son émission Un comédien lit un auteur dans laquelle, durant 50 minutes, Claude Rich en fera une lecture agrémentée de quelques gravures. Le programme n’aura que peu de retentissement et un projet télévisuel est alors confié à Jean-Luc Godard par Marcel Julian, en 1978, pour Antenne 2, en direction des enfants. Le programme sort deux ans plus tard sous un titre qui peut laisser perplexe : France, tour, détour, deux enfants… une adaptation très libre de Godard en douze épisodes qui fera grincer les dents et couler l’encre ! La diffusion n’aura lieu qu’en 1980 et à 23 heures.

En conclusion, seul le film de 1924 conserve encore l’esprit du livre, dans ses scènes et dans les plans fixes qui sont les transpositions filmiques des gravures sur cuivre du manuel.  Le Tour de la France de 1924 s’en tient rigoureusement au scénario que lui avait fourni G. Bruno. Chaque péripétie est scrupuleusement conservée et les villes visitées sont à quelques exceptions près les mêmes. La version de 1957 est transposée à l’époque contemporaine et adaptée au public nouveau qu’il faut divertir à grands renforts de trouvailles et de rebondissements. André et Julien sont devenus québécois et débarquent au Havre ; ils ont perdu leur légendaire perfection, font des erreurs, boudent, élèvent la voix et font même l’école buissonnière, un comble !  Avec la version de Godard, la nouvelle vague balaye l’œuvre originelle. André et Julien  sont devenus Camille et Arnaud (une fille et un garçon), deux petits parisiens qui ne quittent pas Paris. On s’éloigne alors de la fiction pour des entretiens en caméra zoom dont les sujets sont philosophiques : le temps, la vie, la mort, le rêve, la réalité, la guerre, la liberté… et Godard de conclure sa lecture moderne du sujet : « Ce que j’ai fait, ce n’est pas interroger les enfants, c’est m’interroger avec les enfants. » Un film à l’étrangeté et la profondeur du discours sans doute trop peu vu.

Camille, image du film de Jean-Luc Godard, 1980

Sources :

- Documentation et collections Musée de la Maison d’Ecole.

- Travaux de Pierre Gillot, archiviste du musée.

- Histoire de la France, 1977.

- Chapitre de Jean Bouvier dans opus cité.

- Le Tour de la France par deux enfants de G. Bruno et ses adaptations cinématographiques et télévisuelles, mémoire de master, Aline Garin, 2014.

- Jacques et Mona Ozouf, Le petit livre rouge de la République, 1997.

- Article de Martine Watrelot, Revue d’histoire moderne et contemporaine, avril-juin 1999.

- A l’école de la République, ICEM, 1993.

  (1) : 191e édition, 1889 le manuel colle aux programmes : 



(collection musée)

(2) : Souvenir de la fac de science-économique : Lord Keynes, éminent économiste, fondateur de la macroéconomie keynésienne (1883/1946), dont les théories résonnaient encore dans les facultés des années 70, écrivant à propos des équilibres économiques de la fin du 19e siècle, confirmait ce que le Tour de France sous-entendait :

Paroles rapportées dans Histoire de la France, 1977

 (3) :

Patrick PLUCHOT

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