Le
Tour de la France par
Deux
Enfants
Le
bréviaire de l’écolier
191e édition, 1889 (collection musée)
Le
manuel le plus vendu
Le
Tour de la France par deux enfants de G. Bruno, est un manuel qui regroupait
la lecture, l'histoire et la géographie, l'instruction civique et la morale. Il
connut 411 éditions de 1877 à 1960 pour 8 400 000 exemplaires
diffusés, dont 7 000 000 d’exemplaires avant 1914. Sa dernière
édition date seulement de 2012, chez Tallendier, collection Texto. Les
écolières et les écoliers du pays suivirent, dans cet ouvrage, les
pérégrinations de deux enfants dans toutes les régions de France, même chez
nous, avec leur passage au Creusot assorti d’une magnifique gravure du Marteau-pilon.
La vérité sur son auteur fut longtemps cachée et ce manuel fut même taxé, par
Jean Bouvier, professeur à l’Université de Paris, de « refus de la civilisation industrielle » (in Histoire de la France, préface de
Georges Duby, édition de 1977, p. 438). Explications…
Statue de Giordano Bruno,
auteur de De l’infinito,
universo e Mondi (De l’infini, l’univers
et les mondes)
Place Campo de Fiori à Rome
La
vérité longtemps cachée
Le pseudonyme G. Bruno, qui signe Le Tour de la France par Deux Enfants,
désigne Giordano Bruno… né en 1550 et mort sur le bûcher de l’Inquisition
romaine en 1600 ! Bruno, après avoir quitté l’ordre des Dominicains pour
adhérer au Calvinisme, se fâcha avec Calvin lui-même. Dès lors, il enseigna une
pensée philosophique bien peu en conformité avec les préceptes de l’Église. Au
christianisme, il opposa une religion de la Nature en reprenant la suite de
Copernic et de ses théories astronomiques, notamment en niant la rotation du
soleil autour de la Terre qui aurait été le centre du monde. Préfigurateur de Galilée, il paya cher sa
digression.
Presque trois siècles se sont donc écoulés jusqu’à la
parution de ce Tour de France, en
1877, mais qui se cache alors derrière ce pseudonyme, paraissant honteux de
dévoiler son identité bien que ne craignant plus d’être jugé hérétique ?
Hérétique non, mais mal-pensant peut-être… L’affaire s’avère complexe. A l’orée
du 20e siècle, écrire un ouvrage scolaire nécessite de faire preuve
de règles de vie exemplaires et les premiers enquêteurs, quelque peu
malveillants, crurent démasquer l’inconnu. Il s’agirait d’Alfred Fouillé,
maître de conférences à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm à Paris,
docteur en philosophie, libre-penseur et républicain. Il est vrai que Fouillé
avait déjà écrit plusieurs manuels scolaires et que c’est lui qui présenta
discrètement le Tour de la France à
l’éditeur Belin. Sa carrière universitaire avait été sauvée par son refus des
idées socialistes et de la lutte des classes, allant même jusqu’à dénigrer Karl
Marx. Il n’avait, en outre, aucun sentiment antireligieux. Mais voici qu’au
tournant du siècle, plus de 20 ans après la première édition de l’ouvrage,
Fouillé subit des attaques en règle mettant en cause l’idéologie de son œuvre
présumée. Il avouera alors que c’est Augustine Fouillé, son épouse, qui fut à
l’origine de ce manuel.
Augustine Tuillerie, épouse Guyau puis
épouse Fouillé, alias G. Bruno
A notre époque, il est permis de s’interroger
sur les raisons d’un si long silence, mais voilà, les « bonnes
mœurs » étaient en cause. En 1877,
Augustine Fouillé n’existait pas ou plutôt pas encore, elle se nommait
Augustine Tuillerie, épouse Guyau. Femme battue, elle avait abandonné son mari
en 1871, ayant même été jusqu’à tenter de l’assassiner. Elle le quitte pour
vivre avec un lointain cousin, Alfred Fouillé (1838/1912). Ce concubinage de
trente ans aurait causé un scandale certain si les défenseurs des bonnes mœurs
avaient eu vent de la situation de l’auteur d’un manuel scolaire à succès. En
1884, Augustine et Alfred profitèrent du rétablissement du divorce (institué en
1792, mais aboli en 1816) pour régulariser l’existence de leur couple
illégitime. Ils se marièrent en 1885. Les mentalités évoluant nécessairement
moins vite que les lois, la vérité n’éclata au grand jour qu’en 1899. Le statut
de la femme restait précaire en ces temps et Alfred Fouillé ne devait pas voir
cette usurpation comme immorale, n’avait-il d’ailleurs pas déclaré dans un
ouvrage que « La femme capable de donner
de beaux enfants fait plus pour l'humanité que celle qui a subi l'examen du
baccalauréat. » Malgré tout, les rééditions du manuel continuèrent à paraître, jusqu’à nos jours, sous
le nom d’emprunt de G. Bruno, devenu célèbre.
Edition 1982 (collection
musée)
D’une famille de
philosophes, en renom à la fin du 19e siècle, Augustine Fouillé
allait devenir, bon gré mal gré, plus connue qu’eux par d’autres moyens. Non
point fille de philosophe elle-même, elle fut d’abord la mère du philosophe
Jean-Marie Guyau (né en 1854 de son premier mariage et mort en 1888). D’après
Jacques et Mona Ozouf, dans leur ouvrage consacré au Tour de France par deux enfants, on sait seulement qu’Augustine
avait 5 ans de plus qu’Alfred, on peut en déduire qu’elle était née en 1833 et
que, lors de la prétendue révision complète de son ouvrage en 1906, elle avait
atteint l’âge de 73 ans.
Un
contenu universel
Par son œuvre éditée pour la
première fois en 1877, Augustine Tuillerie (future Mme Fouillé) prétendait
apporter surtout une révolution dans la pédagogie, notamment en intéressant les
enfants à la vie des travailleurs de France à l’aide de simples récits, du
niveau intellectuel du cours moyen. Du reste, l’ouvrage respectait les
« devoirs envers Dieu », ce qui remporta l’adhésion d’une partie des
congrégations enseignantes comme le note l’historien catholique Pierre Zind
(1923/1988) auteur de L’enseignement
religieux dans l’instruction publique primaire, en France, de 1850 à
1873 : « ce pseudonyme original était à lui seul tout un
programme », Lyon, 1971.
Jeanne d’Arc, page 104 (collection
musée)
A travers Le Tour de la France par deux enfants,
l’enfant connaîtra désormais des lectures profanes (toujours selon Pierre Zind,
dans l’ouvrage cité, page 185), au lieu d’être contraint d’apprendre à lire
avec un texte religieux, en un style qu’il ne comprenait pas. L’acquisition du
mécanisme de la lecture, qui exige au surplus des exercices répétés, devenait moins
difficile pour le jeune lecteur, mieux intéressé par le texte qui lui était
soumis. C’est en cela que l’œuvre de Mme Fouillé fut jugée comme une bonne
méthode de lecture courante, longtemps privilégiée.
Un
contenu controversé cependant
Soucieuse sans doute de
plaire à un éditeur, lui-même probablement désireux de résister à la
concurrence d’autres confrères, Augustine ne montra qu’incidemment l’évolution
économique de la France, car ce n’était pas là le but qu’elle avait recherché
originellement. A l’image de ses héros restés enfants, qui au fil du temps ne
sont jamais devenus adultes, la France serait restée figée.
Parcours des deux enfants,
édition 1904 (collection musée)
Il faut alors relire les
deux ouvrages d’Augustine Fouillé, hautement significatifs et dont la diffusion
fut inégalée entre 1870 et la Grande Guerre : Francinet, édité pour la première fois en 1870 et Le Tour de la France par deux enfants, édité
au début pour le cours moyen en 1877. Le premier servit d’ébauche au second.
Francinet, édition 1882
Quoique la 331e
édition du Tour de la France fût
déclarée « entièrement revue » en 1906, la teneur générale du texte
resta pratiquement inchangé depuis 1877, comme si le développement et la
croissance de la France économique n’avaient pas évolué d’un pouce. Un épilogue
fut bien ajouté qui présentait les découvertes de Pasteur, les sous-marins, les
colonies, les premiers appareils électriques (téléphone, phonographe, T.S.F.),
mais le livre se concluait, lors de la réunion de famille de Noël 1906 dans la
ferme familiale, par cette phrase du petit Jean « notre village, qui est un petit coin de la France », ultime
évocation d’une France qui serait demeurée rurale.
Le Tour de la France par
deux enfants, première édition, 1877
Tout au long du livre, la
découverte des régions est ponctuée par l’éloge des métiers anciens et de
l’artisanat : serruriers, horlogers, dentellières, mégissiers, sabotiers,
fromagers, chaudronniers… La vieille France rurale, au passé bientôt révolu,
est à l’honneur : « Et toi,
André, tu nous aideras à cultiver cette terre jusqu’à ce que nous ayons trouvé
à t’établir comme serrurier au village voisin (..) Quand il y a chômage chez le
serrurier du bourg, André travaille à la ferme » (pages 296 et 299).
Voilà le chemin des deux enfants tout tracé : entre écurie et pauvre
atelier, mièvre idéal en vérité proposé aux enfants d’ouvriers, de paysans ou
de boutiquiers au fil des pages.
191ème édition,
1889, page 104 (collection musée)
Et l’industrie alors ?
Oubliée ou minimisée. Prenons un exemple qui nous est proche : la
Bourgogne. Lorsque nos deux protagonistes traversent notre contrée, tout
commence par le vignoble et l’agriculture avec la fameuse phrase de Sully qui
vante les « vraies mines et trésors
du Pérou ». Il ne s’agit évidemment pas là des mines de charbon qui
n’ont droit qu’à une courte page dans la description des installations du
Creusot où figure tout de même la gravure du marteau-pilon.
191ème édition,
1889, page 115 (collection musée)
La traversée du Nord et des
Flandres ne sera pas mieux lotie avec une ligne sur les mines, agrémentée de la
gravure d’un plan d’œillette ! Ce relent de nostalgie fait encore fi de
cette France en avance, dynamique, moderne, efficace d’avant 1914, avec ses
réussites techniques et économiques, individuelles et sociales. Des secteurs
neufs du développement industriel du pays sont nés dès la fin du 19e
siècle : l’automobile, l’aviation, l’électricité, la chimie… La France des
dix années d’avant la Grande Guerre traverse une phase de mutation industrielle
aussi importante que les premières années du second Empire, avec des données
similaires à celles de l’Allemagne ou de l’Angleterre. Qu’importe, la France
traditionnelle doit subsister dans les jeunes esprits.
191ème édition, 1889, page 117, courte description de la mine (collection musée)
D’ailleurs, Le Tour de la France par deux enfants est aussi un livre de morale (1)
et, des prérequis précédemment exposés, va découler alors un idéal de vertu
dont les enfants seront l’image. Ils seront la perfection vivante, à un tel
degré, que nos yeux contemporains ne peuvent n’y voir que niaiserie. Mais le
contexte de l’époque est propice à une morale sociale bourgeoise qui prône
l’obéissance, la discipline, la docilité envers la hiérarchie des
autorités : ne pas mentir, ne pas boire d’alcool, ne pas trop parler (d’où
l’adage « trop gratter cuit, trop parler nuit » ), ne pas s’emporter,
ne pas paresser, ne pas… dont acte. On doit gagner sa vie par son honnête
labeur, tenir sa place et y demeurer, mais surtout, ne pas envier les riches,
consommer peu, économiser beaucoup en vue des mauvais jours, fuir l’emprunt
comme la peste : « Un homme
courageux compte sur ce qu’il peut gagner par son travail, non sur ce qu’il
peut emprunter aux autres. » (page 193) (2)
Paradoxalement, la morale
qui coulait à pleine page dans l’ouvrage d’Augustine Fouillé s’accommodait des
mauvaises conditions de travail et de l’exploitation des enfants. Revenons
alors sur la visite du Creusot. La conscience de nos deux petits n’est pas
affleurée par la vision apocalyptique d’un atelier de forge :
Ni Augustine, ni ses deux
personnages ne sont troublés non plus par le « livret » que chaque
ouvrier doit posséder pour travailler, carte d’identité spéciale aux ouvriers
où sont inscrites les appréciations des patrons et des maires des communes,
tout cela est naturel : « André
et Julien savent que tout ouvrier doit avoir des certificats en règle » (page
13). Le livret d’André est même
reproduit en page 62 : « Sa
conduite, y est-il consigné par le maire d’Épinal, n’a rien laissé à
désirer ». C’est en effet une ancienne institutrice qui héberge les
enfants à leur arrivée à Épinal, elle aide Julien à s’instruire le temps
qu’André assiste aux cours du soir après sa journée à l’atelier. Parallèlement,
il réparera toutes les serrures et ferrures de la maison qui l’accueille, éloge
de sa profession dans le chapitre XXI avec la gravure d’une forge de serrurier
et celle d’une serrure « bec-de-cane ». Alors, André peut quitter la
ville avec de bons certificats et son livret d’ouvrier en règle.
191ème édition,
1889, page 62 (collection musée)
La morale contenue dans Le Tour de la France confond donc
habilement les règles de bonne conduite individuelle, les règlements de
l’usine, les interdits sociaux au profit d’une « docilité
universelle ». Jean Bouvier (déjà cité) va plus loin dans son analyse des
ouvrages d’Augustine Fouillé en citant La
Chanson du pauvre : « Mais
livrons sans commentaire, de peur de ne pas maîtriser notre plume, le poème qui
clôt – à toutes les éditions – l’autre ouvrage de la bonne Mme Bruno, La
Chanson du pauvre (1869), dont le sous-titre pourrait être : « Battu,
mais content. » (3)
Rendons
à César…
Il reste qu’en 1877, Eugène
Belin éditait « le » chef-d’œuvre de l’enseignement primaire qui
s’avéra être l’un des plus grands succès de l’édition française. Auparavant,
Augustine, la petite institutrice éprise de pédagogie, avait écrit Francinet, déjà traduit en anglais,
allemand, espagnol, italien, hongrois, tchèque, russe, turc, arménien… Des
leçons de patriotisme comme l’écrit P.-J. Hélias dans Le cheval d’orgueil. Le Tour
de la France par deux enfants devient rapidement la « bible »
pour les enseignants et le support idéal pour leurs leçons. L’itinéraire des
deux frères ne négligeant aucune région de la belle France (même pas les deux
annexées par les prussiens), chaque chapitre est prétexte à leçons de choses,
de morale, de géographie ou d’histoire, à travers les descriptions des lieux et
des grands hommes qui y sont attachés.
Edition 1904 (collection
musée)
Pour les écoliers, leur
livre de lecture sera leur encyclopédie dont la forme narrative d’un voyage
initiatique donnera un tour vivant à leurs apprentissages. L’ouvrage sera aussi
lu dans les foyers, par les enfants aux parents souvent illettrés, ainsi la volonté
d’éducation morale des classes populaires voulue par la Troisième République
passera par cette apologie du savoir, du travail, de la justice, de la liberté,
du sentiment religieux, du devoir, et de
la patrie.
Augustine Fouillé reste
aussi dans l’utopie de la Seconde République de 1848 et l’influence du
saint-simonisme : il faut aider la Troisième République à combattre
l’ignorance, traquer l’obscurantisme, défendre l’égalité et la fraternité et
mettre à l’honneur les bons ouvriers, à l’image d’André. On ne peut d’ailleurs
pas s’empêcher de faire le rapprochement entre Le Tour de la France et le compagnonnage qui déplace les apprentis
de ville en ville. Curieuse coïncidence d’ailleurs : André sera ouvrier
serrurier comme l’ont été les deux héros du livre succès de Frédéric Soulié,
publié dans Le Journal des enfants en
1835, intitulé Le Tour de France. Il
narre le périple de deux Compagnons serruriers. Augustine ne pouvait
vraisemblablement pas ignorer l’existence de ce conte qui fut remis au goût du
jour en 1875, à l’occasion de l’inauguration d’un monument à la mémoire de
Soulier. On y retrouve, développé dans une série d’épisodes, le projet tant
conceptuel que formel du livre d’Augustine Fouillé.
Le Tour de France, Frédéric
Soulié, réédité en 1937
Comme toujours, il convient
de lire ou de relire Le Tour de la France
par deux enfants avec les yeux de nos arrière-grands-parents qui y voyaient
un récit captivant plutôt qu’un outil de propagation des idées que les
fondateurs de la Troisième République souhaitaient voir triompher. Pour revenir
sur l’édition de 1906, « entièrement
revue et augmentée d’un épilogue », comme l’ouvrage le précise, le
récit et la pagination semblent à première vue inchangés mais, à y regarder de
plus près, l’étude des premières pages réserve des surprises...
Etude comparative
(ICEM-pédagogie-freinet)
La laïcité et les lois
Combes sont passées par là et la pérennité de l’ouvrage dans les écoles
nécessitait bien un « toilettage » exigé par nos « hussards
noirs de la République ». Ainsi disparaissent du périple : Notre-Dame
de Paris, de Reims, de Marseille, de Chartres, remplacées par de grands lieux
plus laïques. Pour l’anecdote, « la
Grande Chartreuse, située dans un site superbe et où se vend la liqueur du même
nom » (édition 1877) n’a plus sa place non plus dans cette école
laïque qui lance les campagnes antialcooliques salvatrices.
Le crucifix de la gravure de
la ferme jurassienne de 1877 (page 26) a disparu
Certains personnages sont
dès lors exclus : Saint-Bernard, Saint-Vincent-de-Paul, l’évêque Bossuet
et l’archevêque Fénélon. D’autres résistent, mais leur dimension spirituelle
disparaît : Bayard qui n’agit plus pour l’amour de Dieu, Du Guesclin
qui n’implore plus Dieu, l’abbé Pierre, grand pacifiste, deviendra le
« philanthrope Castel » et enfin, Jeanne d’Arc qui, en raison de sa
conduite exceptionnelle (mais aussi de son image de défenseure de la patrie
dans le récit national) pourra continuer à « prier
Dieu et ses saints » et « croire
avoir entendu des voix » …
Tout
un cinéma
André et Julien Volden sur
le chemin des Vosges et André seul, images du film de Carbonnat, 1924
Gravure des personnages du
livre, 1877 (collection musée)
Le succès du livre ne
pouvait qu’inspirer le 7e art depuis sa naissance et durant tout le
20e siècle, entre hommage, interprétation, voire détournement. La
première adaptation est muette et à épisodes, comme c’est la mode dans les
années 20. Elle est réalisée par Louis Carbonnat en 1924, produit par Pathé et
reprend le titre original du manuel. C’est un classique du cinéma muet :
la musique y est directement improvisée au piano lors de la projection, des
cartons manuscrits signalent les villes visitées et quelques paroles des
personnages, rien de bien original si ce ne sont les nombreux tournages en
extérieur. C’est la période du déclin du manuel d’Augustine dans les écoles, il
est encore lu et connu des spectateurs du film et obtient un succès d’estime.
Arrivée des deux enfants au
havre, image du film de 1957
Après avoir disparu du
paysage cinématographique, Le Tour de
France réapparaît trente-quatre ans plus tard sur un nouveau média :
la télévision. La RTF, bien que née en 1949, ne verra son essor qu’entre 1952
et 1958 grâce à Jean d’Arcy, nouveau directeur des programmes. L’année 1957
voit l’adaptation télévisuelle du manuel et la RTF en fera une expérience de
collaboration avec les télévisions étrangères francophones. La Section des
émissions de la jeunesse, dont la mission est « d’instruire tout en divertissant »
étudie le projet avec Radio Canada. C’est ainsi que naît le premier feuilleton
de grande ampleur produit par la RTF sur une adaptation de Claude Santelli. Le
tournage de ce nouveau Tour de la France
est réalisé dans tout l’Hexagone et se décline en trente-neuf épisodes sur deux
ans. L’émission est fort appréciée du public encore en petit nombre à l’époque,
il faut bien le dire.
Claude Rich, Un comédien lit
un auteur, 1978
C’est une nouvelle traversée
du désert pour Le Tour de France,
jusqu’à son centenaire et la réédition d’un fac-similé de la première édition.
FR3 Nancy évoquera le manuel dans son émission Un comédien lit un auteur dans laquelle, durant 50 minutes, Claude
Rich en fera une lecture agrémentée de quelques gravures. Le programme n’aura
que peu de retentissement et un projet télévisuel est alors confié à Jean-Luc
Godard par Marcel Julian, en 1978, pour Antenne 2, en direction des enfants. Le
programme sort deux ans plus tard sous un titre qui peut laisser
perplexe : France, tour, détour,
deux enfants… une adaptation très libre de Godard en douze épisodes qui
fera grincer les dents et couler l’encre ! La diffusion n’aura lieu qu’en
1980 et à 23 heures.
En conclusion, seul le film
de 1924 conserve encore l’esprit du livre, dans ses scènes et dans les plans
fixes qui sont les transpositions filmiques des gravures sur cuivre du
manuel. Le Tour de la France de 1924 s’en
tient rigoureusement au scénario que lui avait fourni G. Bruno. Chaque
péripétie est scrupuleusement conservée et les villes visitées sont à quelques
exceptions près les mêmes. La version de 1957 est transposée à l’époque
contemporaine et adaptée au public nouveau qu’il faut divertir à grands
renforts de trouvailles et de rebondissements. André et Julien sont devenus
québécois et débarquent au Havre ; ils ont perdu leur légendaire
perfection, font des erreurs, boudent, élèvent la voix et font même l’école
buissonnière, un comble ! Avec la
version de Godard, la nouvelle vague balaye l’œuvre originelle. André et
Julien sont devenus Camille et Arnaud
(une fille et un garçon), deux petits parisiens qui ne quittent pas Paris. On
s’éloigne alors de la fiction pour des entretiens en caméra zoom dont les
sujets sont philosophiques : le temps, la vie, la mort, le rêve, la
réalité, la guerre, la liberté… et Godard de conclure sa lecture moderne du
sujet : « Ce que j’ai fait, ce
n’est pas interroger les enfants, c’est m’interroger avec les enfants. »
Un film à l’étrangeté et la profondeur du discours sans doute trop peu vu.
Camille, image du film de
Jean-Luc Godard, 1980
Sources :
- Documentation et
collections Musée de la Maison d’Ecole.
- Travaux de Pierre Gillot,
archiviste du musée.
- Histoire de la France, 1977.
- Chapitre de Jean Bouvier
dans opus cité.
- Le Tour de la France par deux enfants de G. Bruno et ses adaptations
cinématographiques et télévisuelles, mémoire de master, Aline Garin, 2014.
- Jacques et Mona Ozouf, Le petit livre rouge de la République,
1997.
- Article de Martine
Watrelot, Revue d’histoire moderne et
contemporaine, avril-juin 1999.
- A l’école de la République, ICEM, 1993.
(1) : 191e édition, 1889 le manuel colle aux programmes :
(collection musée)
(2) :
Souvenir de la fac de science-économique : Lord Keynes, éminent
économiste, fondateur de la macroéconomie keynésienne (1883/1946), dont les
théories résonnaient encore dans les facultés des années 70, écrivant à propos
des équilibres économiques de la fin du 19e siècle, confirmait ce
que le Tour
de France sous-entendait :
Paroles rapportées dans
Histoire de la France, 1977
(3) :
Patrick PLUCHOT
Comme d'habitude excellent article
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