Exposition décembre 2021
Les écoles polonaises
L’immigration polonaise
Le conflit de 14-18 laisse la France exsangue de ses travailleurs, elle doit trouver de la main d’œuvre et, de fait, elle signe avec la Pologne restaurée une convention fixant le cadre d’une émigration d’ouvriers polonais de Westphalie-Rhénanie et de Pologne. Le gouvernement polonais laisse les pleins pouvoirs aux autorités françaises quant à la gestion de ses ressortissants sur le sol français. Malheureusement, la convention omet d’aborder le problème de l’instruction des enfants d’immigrés polonais.
Cet oubli ouvrira une longue période d’incertitude et de tractations infructueuses tendant vers l’organisation de cours de polonais dans les écoles primaires françaises, notamment dans les cités minières où ces immigrés étaient regroupés. La demande de diverses associations à caractère patriotique et religieux proches de l’église polonaise fut dès lors forte. L’intervention des prêtres et des autorités consulaires se fit plus pressante, si bien que les Compagnies minières privées recrutèrent des instituteurs parmi les rares intellectuels présents en France entre 1922 et 1923, en faisant venir aussi de nouveaux de Pologne… sans l’aval des académies, évidemment.
Ce n’est que le 17 avril 1924 qu’un accord fut trouvé entre la Délégation polonaise et la Direction des groupements des Compagnies Minières française, en ces termes : « Nous nous déclarons donc prêts à inviter, de la manière la plus pressante, les employeurs, ressortissants à nos groupements, à inaugurer et à poursuivre la réalisation du programme visant, dans le cadre et dans les délais variables selon les professions, les régions et les moyens, à l’institution de l’enseignement ci-après défini :
- Soit, en ce qui concerne les écoles publiques, en supportant les frais de l’enseignement complémentaire qui pourrait être institué, de la langue, de l’histoire et de la géographie polonaise.
- Soit, lorsque l’effectif des enfants polonais le justifiera, c’est-à-dire plus généralement dans la grande industrie et, en particulier, à plus brève échéance , dans l’industrie houillère, à raison de l’importance de la densité de ses effectifs polonais en ouvrant au fur et à mesure des besoins des écoles privées, où sera assuré, sous la surveillance des autorités académiques françaises, et dans le cadre du programme scolaire normal, le même enseignement complété, s’il y a lieu, pour les jeunes enfants qui n’auraient pas encore les notions suffisantes de la langue française, par l’enseignement d’autres matières en polonais.
Les candidats destinés à assurer la part polonaise de l’enseignement ci-dessus prévu seront présentés par l’Administration polonaise (Ministre de l’Instruction publique et des Cultes) à l’agrément d’une Commission privée d’examen qui recommandera aux employeurs pour engagement les candidats reconnus par elle, pourvus des aptitudes pédagogiques nécessaires. »
L’ambassade de Paris crée immédiatement un service chargé de veiller sur cet enseignement (Naczelny Instruktorat Szkolny). Trois circulaires vinrent compléter l’accord, celle du 21 décembre 1925, celle du 13 décembre 1927 et celle de mars 1929. C’est ce cadre ainsi défini qui fut adopté dans le Bassin minier de Montceau avec la création des Ecoles Spéciales de la Mine dites « écoles polonaises ». La Compagnie s’engagea à ouvrir des cours de polonais en recrutant des institutrices et instituteurs (monitrices ou moniteurs) à partir d’une liste proposée par les autorités consulaires polonaises. Ces derniers devaient percevoir une rémunération égale à celle de leurs collègues français sur la base de 15 heures par semaine et être logés.
En 1930, les statistiques nationales sont les suivantes : l’enseignement de la langue, de l’histoire et de la géographie polonaise en France étaient assuré par 138 instituteurs, 77 moniteurs et 40 responsables de garderies. Ils encadraient 23 000 enfants polonais dans 250 classes auxquelles on peut ajouter 116 cours du jeudi assurés par des instructeurs bénévoles, le plus souvent associatifs. Au 1er avril 1939, l’académie de Lyon (dont nous dépendions alors) compte 42 cours de polonais répartis dans les villes de Roche-la-Molère, Blanzy, Montceau-les-Mines, Le Creusot, Montchanin, Saint-Eloy-les-Mines, Beaulieu, Firminy, Saint-Vallier-les Gautherets.
L’organisation de l’enseignement polonais
Les enseignants polonais, outre les heures d’enseignement officielles, prenaient en charge les adolescents et l’action sociale en organisant des activités sportives et culturelles en tant que responsable, conseiller ou instructeur. Ils étaient sous la triple tutelle de l’Inspecteur d’académie, de l’Inspecteur primaire et du Directeur de l’école, ce qui ne les dispensait pas de rendre compte de leur enseignement, des programmes et des résultats obtenus, aux inspecteurs polonais délégués par les consulats. Les différentes autorités coopéraient et favorisaient l’action de ces instituteurs afin qu’ils exercent leurs fonctions dans les meilleures conditions.
Chaque enfant polonais d’âge scolaire (6 ans) pouvait bénéficier d’un enseignement français-polonais à mi-temps dans les écoles « spéciales » mais en moyenne les cours de polonais étaient de 3 à 6 heures par semaine dans les écoles publiques. Ces cours étaient dispensés selon trois niveaux :
- Premier degré : correspondant au cours préparatoire.
- Deuxième degré : correspondant au cours élémentaire.
- Troisième degré : correspondant au cours moyen.
Cependant, certaines associations patriotiques polonaises ouvrirent des cours de polonais en « omettant » de les signaler à l’académie alors que les trois circulaires suscitées en fixaient l’obligation. Devant cette situation anarchique, le Ministère de l’Education Nationale fit un rappel à la loi dans les Instructions du 12 juillet 1939, édictant des conditions drastiques d’ouverture des cours de langues vivantes et d’emploi de moniteurs étrangers dans les écoles publiques et privées : « Des cours de langues étrangères peuvent être créés auprès des écoles primaires publiques, par décision ministérielle, après avis du Préfet et de l’Inspecteur d’académie du département. L’enseignement de ces langues est confié à des moniteurs étrangers, en dehors des heures de classe. Il ne peut porter que sur la grammaire, l’histoire et la géographie de la nation à laquelle appartiennent les moniteurs, à l’exclusion de toute autre matière (..) Les moniteurs doivent exercer leur fonction avec tact. Ils sont placés sous l’autorité du Directeur de l’école et soumis à son contrôle effectif. Dans les écoles primaires privées, des moniteurs étrangers peuvent être autorisés à donner un enseignement auquel il ne peut être consacré que la moitié de l’emploi du temps. Les moniteurs ainsi agréés sont soumis à l’inspection des autorités scolaires dans les conditions prévues à l’article 9 de la loi du 30 octobre 1886. »
La situation à partir de 1939
L’année 39 vit l’engagement de nombreux instituteurs polonais dans l’armée polonaise qui se reconstituait en France sous les ordres du Général Wladyslaw Sikorski, ce qui perturba les cours. Les années 40 se déroulèrent presque normalement mais sous la surveillance des autorités d’occupation et de la gestapo. A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement polonais en exil à Londres avec l’accord de la France, reprit les inspectorats auprès des consulats afin de redonner des postes aux instituteurs qui regagnaient leur foyer. Les statistiques de l’Association Indépendante des Enseignants Polonais (Niezalezny Zwiatek Nauczycielstwa Polskiego) en la personne de son président M. Kukuryka, en janvier 1945, font état du nombre des enseignants polonais en France qui était de 287 et monta, à la suite des retours, à 350 personnes pour 32 000 enfants polonais en juin 1945.
Peu après la guerre, la France reconnut officiellement le gouvernement communiste de Varsovie et tous les Inspecteurs auprès des consulats et l’Inspecteur général auprès de l’Ambassade de Paris démissionnèrent. Que faire alors des instituteurs polonais présents sur le sol français ? Apprenant la démission des Inspecteurs, le Zwiazek Nauczycielski (union des instituteurs polonais en France, association à caractère syndical), auquel tous les instituteurs appartenaient, décide de prendre contact avec les nouveaux fonctionnaires du gouvernement de Varsovie qui fixent de nouvelles règles : les instituteurs devront alors faire un choix, soit travailler avec un gouvernement dont ils n’épousent pas l’idéologie, soit chercher un nouvel emploi.
Cet état de fait créa à nouveau une situation confuse sur laquelle les autorités françaises fermèrent les yeux. A la rentrée scolaire 1945-1946, trois catégories d’enseignants polonais coexistaient :
- - Les instituteurs d’avant-guerre qui avaient accepté de se soumettre au gouvernement de Varsovie.
- - Les personnels bénévoles des cours du jeudi, des écoles maternelles et des garderies qui percevaient toutefois une petite rémunération sur les fonds des associations polonaises catholiques locales Polskie Zjednoczenie Katolickie (l’Union des Catholiques Polonais).
- - Les personnes recrutées par le Centralny Zwiazek Polakow we Francji (Union Centrale des Polonais en France) financé par le gouvernement provisoire de Londres.
Le grand bouleversement vint de la nationalisation des compagnies minières et de leurs écoles privées en 1945. Si les cours de polonais étaient maintenus, ils auraient désormais lieu en dehors des cours normaux de l’emploi du temps, c’est-à-dire le jeudi ou le soir après les classes.
La situation des enseignants polonais après 1947
Le gouvernement de Varsovie créa rapidement des Conseils Nationaux (Rady Narodowe) qui devaient donner un avis déterminant sur les enseignants désirant conserver leur poste. Ces derniers étaient invités à remplir des fiches détaillées de renseignements leur demandant notamment leur appartenance politique. La grande majorité des enseignants d’avant-guerre étant hostiles au régime communiste, la nouvelle situation créa un profond malaise : certains démissionnèrent, beaucoup acceptèrent les nouvelles conditions à contre cœur. Le premier accord culturel entre la France et la République Populaire de Pologne (Polska Rzeczpospolita Ludowa) parut au Journal Officiel du 31 juillet 1947. Dans son article 7, il confiait l’enseignement du polonais en France à une Commission Mixte, 300 enseignants furent ainsi recrutés, issus des anciens instituteurs qualifiés et des nouveaux recrutés. La situation dans l’académie de Lyon est détaillée dans un rapport de l’Annuaire de l’Immigration Polonaise en France (Rocznik Wychodzstwa Polskiego we Francji), Paris 1948 :
- - Effectif des enfants suivant les cours de polonais : 33 en garderies, 1846 dans les écoles, 104 dans les cours du jeudi, 593 dans les cours pour adultes.
- - Effectif des enseignants polonais : 1 en garderie, 47 en écoles primaires.
A cette époque, le gouvernement polonais de Londres s’opposait toujours farouchement à ce qu’il qualifiait d’ « action d’endoctrinement du gouvernement polonais de Varsovie » et disposait de l’appui incontestable de l’Association Centrale des Polonais en France (Centralny Zwiazek Polakow we Francji) et de l’Union des catholiques Polonais (Polskie Zjednoczenie Katolickie) qui regroupaient la majorité des associations polonaises de France. En 1948, l’Association Centrale gérait, sans être reconnue par les autorités françaises, 17 écoles maternelles, 9 centres d’enseignement du polonais et 70 cours du jeudi, tandis que l’Union des catholiques s’occupait de 11 cours du jeudi, de 7 garderies et maternelles et de 15 enseignement pour adultes.
Cette querelle idéologique ne fut pas du goût des autorités françaises qui décidèrent d’une « épuration ». En décembre 1949, 83 personnes dont 18 instituteurs et 5 inspecteurs furent expulsés et le droit d’enseigner fut retiré à de nombreux membres du corps enseignant consulaire. Elles mirent fin aux activités des organisations polonaises pro-communistes mais aussi à celles de l’Union des Enseignants Polonais en France. Dans le même temps, le gouvernement de Varsovie fit le reproche à certains instituteurs d’avant-guerre de manquer de loyauté et ordonnèrent leur rapatriement en Pologne. Presque tous refusèrent l’ordre et furent révoqués mais certains furent malgré tout maintenus en poste par le Ministre de l’Education Nationale en tant que moniteurs polonais (décret du 4 octobre 1950). 42 moniteurs furent ainsi nommés pour l’année scolaire 1950-1951, en 1955, ils étaient 65, nombre cependant insuffisant pour combler le départ des instituteurs révoqués.
L’amorce du déclin
L’enseignement du polonais ne fut bientôt dispensé que le soir après l’école ou le jeudi, ce qui demandait un effort et une motivation supplémentaires à des enfants qui se demandaient bien pourquoi apprendre la langue de leurs parents alors qu’ils ne retourneraient jamais en Pologne, bons petits français qu’ils étaient devenus. Les conditions de travail des moniteurs aussi se durcirent du fait de la perte du soutien des autorités polonaises. A partir de 1950 ne subsistaient donc que deux catégories d’enseignants polonais :
- - Les moniteurs polonais, instituteurs indépendants employés par le gouvernement français.
- - Les instituteurs consulaires (Nauczyciel konsularni) payés par la Pologne, travaillant dans certaines écoles ou locaux privés.
En 1962, la république Populaire de Pologne mit fin à son enseignement du polonais et ferma son lycée polonais de Paris, proposant à ses instituteurs consulaires un retour au pays. Devant un refus massif, le gouvernement français accepta à nouveau de les prendre à son service, tant et si bien qu’en 1962, il rétribuait 92 moniteurs sur le budget de l’Education Nationale. En 1968, les enfants volontaires des écoles primaires et des collèges pouvaient bénéficier de 1 à 6 heures d’enseignement du polonais dispensé le soir ou le jeudi par une centaine de moniteurs.
Conclusion
Avant la Seconde Guerre mondiale, l’enseignement du polonais en France visait principalement à élever les jeunes enfants dans l’esprit patriotique polonais, les former à la culture nationale car ils retourneraient bientôt dans leur patrie d’origine. Les événements en décidèrent autrement, la grande majorité des polonais issus de l’immigration restèrent définitivement en France et demandèrent la nationalité française que leurs enfants avait acquise à leur naissance.
A la rentrée 1978-1979, plus que 900 enfants suivaient les cours de polonais, encadrés par 33 moniteurs. Quant au Bassin minier de Montceau, l’enseignement du polonais s’est éteint au début des années 2000, faute de volontaires… Laissons le mot de la fin à Edmond Gogolewski dont les travaux ont largement inspiré cet article ainsi que l’exposition du Centenaire de l’arrivée des premiers migrants polonais à Montceau. Mais ce qu’il écrivait en 1981 n’était-il pas déjà qu’un vœu pieux ?
« Il n’est pas rare de nos jours de rencontrer des jeunes gens avec des noms en –ski ou en –ak, pour ne parler que de ceux-là, qui ne connaissent plus la langue de leurs aïeux. Les enfants issus de mariages mixtes ne continuent à cultiver un tant soit peu la langue polonaise que si la mère est d’origine polonaise.
Il n’en reste pas moins que la langue et les traditions polonaises continuent à être cultivées pieusement par les familles et les associations polonaises regroupées autour des prêtres des paroisses polonaises (Scouts, K.S.M.P, Sokols…). En s’intégrant à la vie française, l’enfant d’origine polonaise échappe de plus en plus à l’influence conservatrice de ses parents, mais il garde toutefois au fond de lui-même le sentiment profond de son appartenance ethnique. »
Les documents présentés dans l’article seront visibles à l’exposition, au musée, avec beaucoup d’autres :
Exposition inaugurée le vendredi 3 décembre 2021 à 18 heures30
Visible à l'E.C.L.A de st-Vallier aux heures d'ouverture de la bibliothèque
du 6 au 18 décembre
Rappel : Articles déjà parus sur le sujet :
Patrick PLUCHOT
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire