250 e article du
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Emilienne Moreau
Héroïne à 17 ans
Emilienne Moreau, 28 novembre 1915, dans le Miroir
(picclick.fr)
Entre espoir en l’avenir et rancœur
« Je suis bien jeune, et je sais
que j’ai encore des obstacles devant moi pour exercer la profession vers
laquelle m’entraînent mes goûts, mais si jamais je deviens institutrice,
oh ! Comme aux petits que j’aurai à former le cœur et l’intelligence,
j’enseignerai la haine des Allemands, avec quelle foi je leur répéterai, tant
que les années aient passé, que, à l’égard de cet abominable peuple, l’oubli et
le pardon sont pour toujours impossibles ». Terribles paroles prononcées du haut
de ses 17 ans par Emilienne Moreau dans les pages du journal Miroir en 1915 ; paroles à replacer
dans un contexte d’occupation et d’exode, dans les régions du Nord, au début de
la Grande Guerre. Avec le temps, forgée par les épreuves de la vie, la jeune Emilienne,
deviendra une grande Dame, à la vie patriote et militante, à découvrir.
Supplément n° 107 du Miroir, 12 décembre 1915 (picclick.fr)
C’est à Wingles, dans le Pas-de-Calais, que naît Émilienne
Moreau, le 4 juin 1898. Son père, mineur, a pris sa retraite en 1914 après 38
ans de service, bien que seulement âgé de 50 ans. Lorsque la guerre éclate,
Émilienne prépare le brevet élémentaire qui lui permettra de réaliser son
rêve : devenir institutrice. La famille est installée à Loos-lez-Lens où
le père a repris la gérance d’une petite épicerie.
Mémoires d’Emillienne, manuscrit (lemonde.fr)
Aux âmes bien nées…
Les informations collectées par Émilienne vont bientôt
trouver leur utilité. En effet, le 25
septembre 1915, le 9e bataillon du Black Watch écossais est chargé
de reprendre la ville. Bravant tous les risques, Émilienne traverse les lignes
pour alerter les alliés sur les fortins des terrils. Durant toute la
bataille, elle accueille un poste médical dans la maison familiale et aide un
médecin du bataillon à soigner les blessés. Elle prendra les armes aussi, par
deux fois. Aidée de trois soldats écossais blessés, elle éliminera la menace de
deux soldats allemands introduits dans
une maison voisine de son infirmerie improvisée. Enfin, acculée seule dans une
cave avec un blessé, elle abattra deux fantassins allemands à coup de révolver.
Aquarelle dans un livre pour enfants « The lady of Loos »
(reseau-CANOPE.fr)
Loos est libérée, les familles de la ville sont évacuées loin
du front. Pour Émilienne, c’est l’heure de gloire. Elle devient le symbole
patriotique incarnant la résistance à l’ennemi. Elle est citée à l’ordre de
l’armée par le général Foch lui-même et elle reçoit la croix de guerre avec
palmes sur la place d’armes de Versailles le 25 novembre 1915. Elle est reçue
par le Président Poincaré ce jour-là. L’armée britannique, reconnaissante de
son action lors de la reconquête de Loos, lui décerne la Military Medal, la Royal red
Cross first class et la Venerable
Order of John of Jerusalem (rarement attribuée à une femme) pour ses actes
de bravoure.
Remise de la médaille à Versailles par le général Dessailly,
1915 (gallica-BnF)
(gallica-BnF)
Sous le feu des projecteurs
Désormais, le récit des exploits d’Émilienne va faire le tour
des armées et les autorités utiliseront largement son image à travers la
propagande pour soutenir le moral de la population et des troupes. Ses toutes
jeunes « mémoires » vont être publiées dans Le Petit Parisien durant
deux mois consécutifs sous forme d’épisodes (1). De son côté, le
réalisateur australien Georges Willoughby va tourner un film relatant ses
exploits : The Joan of Arc of Loos-La
Jeanne d’Arc de Loos, même s’il est surprenant de voir un Britannique faire
référence à Jeanne d’Arc ! Émilienne sera la seule femme décorée de la
Médaille militaire pour bravoure durant la Grande Guerre.
Illustration publiée dans « The war illustrated »
(reseau-CANOPE.fr)
Émilienne n’oublie pas pour autant son rêve
d’adolescente : devenir institutrice. Elle s’installe donc à Paris pour
préparer ce précieux brevet supérieur qui lui ouvrira les portes de
l’enseignement public. Durant ses études, les instituteurs mobilisés manquant
cruellement dans les écoles, elle fait fonction d’institutrice dans une école
du XV e arrondissement de Paris jusqu’en 1918. Après la guerre,
munie de son diplôme, elle exercera dans sa région natale en pleine
reconstruction.
Émilienne la militante
Émilienne Moreau rentre au parti socialiste en 1930 (SFIO à
l’époque). Elle y fait la connaissance de Just Evrard, secrétaire adjoint de la
fédération socialiste du Pas-de-Calais qu’elle épouse en 1932. En 1934, elle
prend la poste de secrétaire générale des femmes socialistes du Pas-de Calais
et la famille vit alors à Lens.
En 1940, l’histoire rattrape Émilienne : cette région de Lens
qui a déjà connu l’occupation allemande très dure de 1914 subit un nouveau
revers. Les deux départements du Nord-Pas-de-Calais font partie de la
« Zone interdite » placée sous l’autorité allemande de Belgique,
autant dire qu’ils sont annexés. L’occupant se souvient de son action héroïque
de 1915 et Émilienne est aussitôt placée en résidence surveillée dans la ville
de Lillers. Elle entre de nouveau en résistance et poursuit ses activités
militantes d’avant-guerre dans la clandestinité.
L’Homme Libre, octobre 1940, journal créé par Jean Lebas,
maire de Roubaix, mort en déportation. Il en publiera 6 avant son arrestation
le 21 mai 1941 (museedelaresistance.org)
L’Homme libre, 25 août 1944 (Musées de la ville de Paris)
Fin 1940, c’est au domicile de la famille Evrard qu’est créée
la section socialiste clandestine de Lens et c’est de ce lieu que seront
distribués les premiers journaux interdits du parti : L’homme libre, La IV e République, La Voix du Nord. Comme autrefois, ironie du sort,
Émilienne fournit de précieux renseignement à l’Intelligence Service britannique.
Arrêté en septembre 1941, Just Evrard est heureusement libéré en 1942 et la
famille passe en zone Sud. Émilienne devient alors agent de liaison pour le Comité
d’Action Socialiste (CAS), puis pour le parti socialiste clandestin. Émilienne,
alias Jeanne Poirier ou Émilienne la Blonde, assurera ses missions périlleuses
vers la Suisse, Paris, Toulouse ou Marseille, pour le réseau Brutus de la
France Libre tandis que Just est désigné pour siéger à l’Assemblée consultative
provisoire d’Alger en 1943.
La France au combat, 1945 (collection privée)
Émilienne entre au mouvement « La France au
Combat » fondé en octobre 1943 par André Boyer visant à regrouper les organisations
à tendance socialiste Vény (groupes d’action) et Brutus (réseau de
renseignements).
En mars 1944, elle échappe à
l’arrestation du 85 de l’avenue de Saxe. En mai, les arrestations se
multiplient et déciment le réseau « La France au Combat ». Elle
échappe une nouvelle fois à la souricière du quartier de la Guillotière à Lyon,
mais l’étau se resserre et, traquée, elle doit être exfiltrée vers Alger pour
siéger à son tour à l’Assemblée consultative. Toutes les tentatives de départ
échouent et elle se résigne à rejoindre Londres le 6 août 1944. C’est de là
qu’elle se fera le porte-voix des femmes résistantes dans de nombreuses
conférences de presse à la BBC dont celle donnée le 15 août 1944, dès son
arrivée : « Ce sont, pour la
plupart, des femmes qui font les liaisons des groupes de résistance, ce sont
des femmes qui portent et distribuent souvent les journaux et les tracts. Ce
sont encore des femmes qui, [...] revenaient fourbues, lasses,
épuisées, rapportant aux organisations les renseignements sur la concentration
des troupes. [...] La femme française a réagi, j'oserai dire,
plus vite que les hommes parce que, mère de famille, elle s'est trouvée aux
prises avec toutes sortes de difficultés que ne connaissent pas les hommes. »
Elle reviendra en France en
septembre 1944 pour œuvrer, avec son mari, à reformer les sections socialistes
du Pas-de-Calais. Elle symbolisera, une nouvelle fois, la résistance féminine
et sera décorée de la Croix de la Libération par le général De Gaulle, le 11
août 1945, à Béthune.
Émilienne Moreau à la
Libération (fondationresistance.org)
Émilienne Moreau à la
Libération, détail (fondationresistance.org)
Elle sera l’une des six
femmes à être faite « Compagnon de la Libération » (2).
Par la force des choses, la petite institutrice eut un destin qui bouscula son
rêve de jeunesse… Elle devint membre du Comité directeur de la SFIO de 1945 à
1963 et conseillère honoraire de l’Assemblée de l’Union Française de 1947 à
1958. Elle décédera le 5 janvier 1971, à Lens, peu de temps après la
publication de ses mémoires, les définitives cette fois…
(myheritage.fr)
(Gallica-BnF)
Reconnaissances :
Guerre
de 14-18 :
Guerre
de 39-45 :
(gallica-BnF)
Sources :
- Émilienne Moreau, ses mémoires : La guerre
buissonnière : une famille française dans la Résistance, Paris, Solar,
1970.
- Vladimir Trouplin, « Émilienne Moreau-Évrard » in
Guy Krivopissko, Christine Levisse-Touzé, Vladimir Trouplin, Dans
l'honneur et par la victoire. Les femmes compagnon de la Libération,
Tallandier, 2008.
(1) :
(2) : Les
six femmes que le
général de Gaulle a nommées compagnon
de la Libération « dans l'honneur et par la victoire » :
Marie
Hackin
Berthy
Albrecht
Laure
Diebold
Marcelle Henry
Simone
Michel-Lévy
Émilienne
Moreau-Évrard
Émilienne
Moreau-Évrard, Nord-Matin, 1970
Patrick PLUCHOT
Extraordinaire histoire!
RépondreSupprimerBravo au site du Musée de la Maison d'école!
Ce musée, qui est partie intégrante du patrimoine de notre ville, a aujourd'hui une fonction essentielle pour notre République, en particulier en matière de laïcité.