mardi 21 décembre 2021

Le Père Janvier bien avant le Père Noël

 

Souvenir d’enfance

Père Janvier ou Père Fouettard ? Carte postale, 1930 (geneanet.org)


Merci Père Janvier ! Et bonne année, bonne santé !

Au début du 20e siècle, pas de père Noël en Bourgogne, encore moins dans les écoles évidemment. Depuis des siècles, c’était le Père Janvier qui distribuait les étrennes et dans les années 30, la légende est toujours tenace, surtout dans le Nivernais et le Morvan. Pas étonnant donc que cette tradition soit arrivée en Bassin minier avec la venue d’une main-d’œuvre morvandelle, dès les débuts de la Mine, au milieu du 19e siècle. Les années 30 furent aussi une période de transition qui vit les enfants, jusque dans les années 60, bénéficier des largesses des deux hommes mystérieux qu’étaient : le Père Janvier, l’« ancêtre » destiné à disparaître, et le Père Noël, nouveau « produit » surfant sur la vague du consumérisme venu d’Amérique. 


Père Janvier, carte postale (pinterest)

Pendant longtemps donc, ce fut le 31 décembre au soir que les enfants mettaient souliers ou sabots aux pieds du poêle ou de la cheminée. Il ne fut pas rare non plus que, bien après, la tradition fut perpétuée par l’achat de sabots d’enfants qui ne seraient jamais portés (comme ce fut mon cas) et qui n’avaient leur utilité que ce jour-là. Ainsi était attendu le Père Janvier qui, comme son célèbre successeur (qui lui volera la vedette), devait descendre par la cheminée pour déposer nombre de friandises : « tout ce que l’étalage de l’épicière du bourg pouvait présenter » comme l’écrira Jules Renard.

Carte postale, années 20 ? (delcampe)

Ainsi commençait le Jour de l’an qui allait voir les enfants, seuls ou en fratrie, déambuler chez parents et voisins pour souhaiter à tous une « Bonne année ! Bonne santé ! » et glaner mandarines et papillotes : les fameuses « étrennes » (1). Les catholiques avaient bien évoqué depuis longtemps le « petit Jésus » qui apportait des cadeaux aux enfants sages la nuit de Noël pour contrer le Père Janvier, mais il continuait de déposer étrennes et vêtements neufs dans les chaussures… Même chez les poilus de 14 !

Carte postale pendant la Grande Guerre (leparisien.fr)

Qui était donc ce Père Janvier ?

Au cours des siècles, la France, largement rurale a toujours célébré Noël lors de la messe de minuit, à l’issue de laquelle une soupe et un verre de vin chaud ou un « brûlot » attendaient tout le monde à la maison. Le réveillon n’existait pas, les cadeaux non plus. Bientôt, la tradition s’installa de souhaiter une bonne année à tous, le premier jour du nouvel an qui commençait ; une tradition berrichonne, semble-t-il, où apparut un Bonhomme Janvier, vieillard à la barbe blanche, chargé de cadeaux. Bientôt, la légende envahit toute la Bourgogne et au-delà : le lyonnais, la Haute-Marne, l’Ardèche… Ce diable d’homme voyageait beaucoup, souvent tout de blanc vêtu ou en robe de bure marron, courbé, âgé, pauvre, portant quelques petits cadeaux utiles, principalement de l’argent, des oranges ou quelques papillotes. 

Carte postale (delcampe)

On le décrit, mais on ne le voit jamais, pas plus que son compagnon de route, son double obscur : le Père Fouettard ! Attention enfants ! Il est petit, le visage vérolé, hargneux. Celui-là ne récompense pas, il reprend les cadeaux du Père Janvier, il punit les garnements et sa hotte est remplie de martinets (autrefois, elle était garnie d’« oussines », baguettes pour fouetter en patois). Notons que, heureusement, ce dernier était peu évoqué en Bassin minier. Au fil du temps, ces croyances se sont étiolées : le bon Père Janvier et le méchant Père Fouettard ne sont plus de mode, mais les étrennes sont restées d’actualité ! De même que quelques dictons, on dit que la première personne que l’on voit le 1er janvier à son importance : cela portera chance si c’est un homme, bonheur familial si c'est une femme, cela annoncera une naissance si c'est un enfant, une bonne nouvelle si c'est un chien, un voyage si c'est un oiseau, un secret si c'est un chat, de l’argent si c'est un cheval, tout un programme….

Carte postale (delcampe)

Pour mon cas personnel, j’étais, bien sûr, un enfant sage et surtout chanceux : le Père Noël passait chez mes parents dans la nuit du 24 au 25 décembre, mais il me fallait alors attendre le passage du Père Janvier pour découvrir ce qu’il m’avait apporté dans la famille, chez les amis et chez les voisins. Le 1er janvier, nous faisions la « tournée de la bonne année » entre cousins, joyeuse bande qui fanfaronnait dans les rues. Fanfaron, pas tant que ça, car plus jeune, il n’était pas question pour moi de rencontrer ces deux personnages et, lorsqu’un voisin grimé faisait le tour du quartier et frappait à la porte, le dessous de la table m’offrait un refuge que je refusais de quitter. Courageux, mais pas téméraire….

Carte postale (delcampe)

Et le Père Noël entra dans l’école

Le Père Noël réussit là où le Père Janvier n’avait pas sa place : devenir le vecteur d’une grande entreprise commerciale. Alors, l’école participa-t-elle au mythe ? La question ne se posait pas dans les années qui m’ont vu naître, pas de sapins dans les classes, aucune allusion à ce personnage de fiction. Mais quand l’intrusion eut-elle lieu ? Avec l’avènement de la société de consommation bien sûr. Dans les pays anglo-saxons, précurseurs, les remises de prix dans les écoles à l’occasion des fêtes de Noël, débutèrent entre les deux guerres. En France, Les éditions Rossignol s’en firent l’écho dès 1953. Ces fêtes demeuraient cependant exceptionnelles et souvent hors temps scolaire.

Plymouth Christmas, 1948, Advertising National Geographic (pinterest)

« A l’approche de Noël, la directrice de l’école distribue les prix aux meilleurs élèves, sous l’œil bienveillant de monsieur le Maire », éditions Rossignol, 1953-série 2-tableau 8 (www.collectionsrossignol.com)

Mais voilà, les enfants n’arrivent pas à l’école dépourvus de références culturelles et le Père Noël en est une majeure. Peu à peu, beaucoup d’enseignants ont estimé que cet univers féerique était propice aux apprentissages, ne voyant en cela, aucune caution de la fête religieuse de Noël, mais plutôt un moment collectif magique respectant la laïcité incontestable du Père Noël, surtout dans les petites classes. Ce fut un prétexte idéal à l’acquisition de notions touchant à toutes les matières d’enseignement, du langage aux arts plastiques, en passant par la lecture. Évidemment, il s’est élevé des voix ne cautionnant pas cette fête typiquement commerciale et qui dénoncèrent la frénésie d’achat de jouets et de nourriture liée à cette période. Mais comment lutter contre un phénomène de société ? Il reste que dans l’inconscient collectif, croire au Père Noël n’est plus une question d’âge. Il y a quelques décennies, cette croyance se dissipait naturellement lorsque l’enfant entrait à l’école élémentaire, dans la confrontation avec des écoliers plus âgés. Il semblerait que l’éveil à la réalité se fasse désormais autour de 10 ans, peu avant l’entrée au collège.

Que nous dit la psychologie sur le sujet ? : « On pourrait comparer le Père Noël à un conte de fées. Une des fonctions des contes de fées est de permettre à l’imaginaire des enfants de pouvoir s’exprimer librement à travers eux et de décharger toutes les pulsions, inquiétudes qu’ils ressentent inconsciemment en eux. Ainsi le fait de “croire au Père Noël” permet donc aux petits enfants de se faire une idée très rassurante de ce personnage de bon père, affectueux, gentil, aimant et qui vient nous apporter des cadeaux, de façon désintéressée. » Aurore Le Moing, psychoclinicienne

Ce en quoi la sortie du mensonge est toujours difficile...

(1) : Les Romains célébraient Strena, déesse de la santé, le premier janvier. Strena aurait engendré le mot étrennes, car en ce jour, les dons de plantes médicinales étaient de mise. À l’arrivée du christianisme, les Pères de l’Église ne manquèrent pas de qualifier cette pratique de « diabolique » sans toutefois pouvoir l’empêcher. En France, il faudra attendre le 9 août 1564 et l’édit de Roussillon de Charles IX pour que le départ du Nouvel an soit fixé au 1er janvier. 



Carte postale illustrée par André Hellé, 1871-1945 (amtcollections.fr)

Bonne année tout de même

Patrick PLUCHOT

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