Souvenir
d’enfance
Père Janvier
ou Père Fouettard ? Carte postale, 1930 (geneanet.org)
Merci Père Janvier ! Et bonne
année, bonne santé !
Au début du 20e siècle, pas de père Noël en
Bourgogne, encore moins dans les écoles évidemment. Depuis des siècles, c’était
le Père Janvier qui distribuait les étrennes et dans les années 30, la légende
est toujours tenace, surtout dans le Nivernais et le Morvan. Pas étonnant donc
que cette tradition soit arrivée en Bassin minier avec la venue d’une main-d’œuvre
morvandelle, dès les débuts de la Mine, au milieu du 19e siècle. Les
années 30 furent aussi une période de transition qui vit les enfants, jusque
dans les années 60, bénéficier des largesses des deux hommes mystérieux qu’étaient :
le Père Janvier, l’« ancêtre » destiné à disparaître, et le Père
Noël, nouveau « produit » surfant sur la vague du consumérisme venu
d’Amérique.
Père Janvier, carte postale (pinterest)
Pendant
longtemps donc, ce fut le 31 décembre au soir que les enfants mettaient
souliers ou sabots aux pieds du poêle ou de la cheminée. Il ne fut pas rare non
plus que, bien après, la tradition fut perpétuée par l’achat de sabots
d’enfants qui ne seraient jamais portés (comme ce fut mon cas) et qui n’avaient
leur utilité que ce jour-là. Ainsi était attendu le Père Janvier qui, comme son
célèbre successeur (qui lui volera la vedette), devait descendre par la
cheminée pour déposer nombre de friandises : « tout ce que l’étalage
de l’épicière du bourg pouvait présenter » comme l’écrira Jules
Renard.
Carte postale,
années 20 ? (delcampe)
Ainsi
commençait le Jour de l’an qui allait voir les enfants, seuls ou en fratrie,
déambuler chez parents et voisins pour souhaiter à tous une « Bonne
année ! Bonne santé ! » et glaner mandarines et papillotes :
les fameuses « étrennes » (1). Les catholiques avaient bien
évoqué depuis longtemps le « petit Jésus » qui apportait des cadeaux
aux enfants sages la nuit de Noël pour contrer le Père Janvier, mais il
continuait de déposer étrennes et vêtements neufs dans les chaussures… Même
chez les poilus de 14 !
Carte
postale pendant la Grande Guerre (leparisien.fr)
Qui était donc ce Père
Janvier ?
Au cours des
siècles, la France, largement rurale a toujours célébré Noël lors de la messe
de minuit, à l’issue de laquelle une soupe et un verre de vin chaud ou un
« brûlot » attendaient tout le monde à la maison. Le réveillon
n’existait pas, les cadeaux non plus. Bientôt, la tradition s’installa de
souhaiter une bonne année à tous, le premier jour du nouvel an qui
commençait ; une tradition berrichonne, semble-t-il, où apparut un
Bonhomme Janvier, vieillard à la barbe blanche, chargé de cadeaux. Bientôt, la
légende envahit toute la Bourgogne et au-delà : le lyonnais, la Haute-Marne,
l’Ardèche… Ce diable d’homme voyageait beaucoup, souvent tout de blanc vêtu ou
en robe de bure marron, courbé, âgé, pauvre, portant quelques petits cadeaux
utiles, principalement de l’argent, des oranges ou quelques papillotes.
Carte
postale (delcampe)
On le décrit,
mais on ne le voit jamais, pas plus que son compagnon de route, son double
obscur : le Père Fouettard ! Attention enfants ! Il est petit,
le visage vérolé, hargneux. Celui-là ne récompense pas, il reprend les cadeaux
du Père Janvier, il punit les garnements et sa hotte est remplie de martinets
(autrefois, elle était garnie d’« oussines », baguettes pour fouetter
en patois). Notons que, heureusement, ce dernier était peu évoqué en Bassin
minier. Au fil du temps, ces croyances se sont étiolées : le bon Père
Janvier et le méchant Père Fouettard ne sont plus de mode, mais les étrennes
sont restées d’actualité ! De même que quelques dictons, on dit que la
première personne que l’on voit le 1er janvier à son
importance : cela portera chance si c’est un homme, bonheur familial si c'est une femme, cela annoncera
une naissance si c'est un enfant, une bonne nouvelle si c'est un chien, un voyage
si c'est un oiseau, un secret si c'est un chat, de l’argent si c'est un cheval,
tout un programme….
Carte
postale (delcampe)
Pour mon cas
personnel, j’étais, bien sûr, un enfant sage et surtout chanceux : le Père
Noël passait chez mes parents dans la nuit du 24 au 25 décembre, mais il me
fallait alors attendre le passage du Père Janvier pour découvrir ce qu’il
m’avait apporté dans la famille, chez les amis et chez les voisins. Le 1er
janvier, nous faisions la « tournée de la bonne année » entre
cousins, joyeuse bande qui fanfaronnait dans les rues. Fanfaron, pas tant que ça,
car plus jeune, il n’était pas question pour moi de rencontrer ces deux
personnages et, lorsqu’un voisin grimé faisait le tour du quartier et frappait
à la porte, le dessous de la table m’offrait un refuge que je refusais de
quitter. Courageux, mais pas téméraire….
Carte
postale (delcampe)
Et le Père Noël entra dans l’école
Le Père Noël
réussit là où le Père Janvier n’avait pas sa place : devenir le vecteur d’une
grande entreprise commerciale. Alors, l’école participa-t-elle au mythe ?
La question ne se posait pas dans les années qui m’ont vu naître, pas de sapins
dans les classes, aucune allusion à ce personnage de fiction. Mais quand l’intrusion
eut-elle lieu ? Avec l’avènement de la société de consommation bien sûr.
Dans les pays anglo-saxons, précurseurs, les remises de prix dans les écoles à
l’occasion des fêtes de Noël, débutèrent entre les deux guerres. En France, Les
éditions Rossignol s’en firent l’écho dès 1953. Ces fêtes demeuraient cependant
exceptionnelles et souvent hors temps scolaire.
Plymouth
Christmas, 1948, Advertising National Geographic
« A l’approche
de Noël, la directrice de l’école distribue les prix aux meilleurs élèves, sous
l’œil bienveillant de monsieur le Maire », éditions Rossignol, 1953-série
2-tableau 8 (www.collectionsrossignol.com)
Mais voilà,
les enfants n’arrivent pas à l’école dépourvus de références culturelles et le
Père Noël en est une majeure. Peu à peu, beaucoup d’enseignants ont estimé que
cet univers féerique était propice aux apprentissages, ne voyant en cela,
aucune caution de la fête religieuse de Noël, mais plutôt un moment collectif
magique respectant la laïcité incontestable du Père Noël, surtout dans les
petites classes. Ce fut un prétexte idéal à l’acquisition de notions touchant à
toutes les matières d’enseignement, du langage aux arts plastiques, en passant
par la lecture. Évidemment, il s’est élevé des voix ne cautionnant pas cette
fête typiquement commerciale et qui dénoncèrent la frénésie d’achat de jouets
et de nourriture liée à cette période. Mais comment lutter contre un phénomène
de société ? Il reste que dans l’inconscient collectif, croire au Père
Noël n’est plus une question d’âge. Il y a quelques décennies, cette croyance
se dissipait naturellement lorsque l’enfant entrait à l’école élémentaire, dans
la confrontation avec des écoliers plus âgés. Il semblerait que l’éveil à la
réalité se fasse désormais autour de 10 ans, peu avant l’entrée au collège.
Que nous dit
la psychologie sur le sujet ? : « On pourrait comparer le Père Noël à un
conte de fées. Une des fonctions des contes de fées est de permettre à
l’imaginaire des enfants de pouvoir s’exprimer librement à travers eux et de
décharger toutes les pulsions, inquiétudes qu’ils ressentent inconsciemment en
eux. Ainsi le fait de “croire au Père Noël” permet donc aux petits enfants de se
faire une idée très rassurante de ce personnage de bon père, affectueux,
gentil, aimant et qui vient nous apporter des cadeaux, de façon désintéressée. »
Aurore Le Moing,
psychoclinicienne
Ce en
quoi la sortie du mensonge est toujours difficile...
(1) : Les Romains célébraient Strena, déesse de la santé, le premier janvier. Strena aurait engendré le mot étrennes, car en ce jour, les dons de plantes médicinales étaient de mise. À l’arrivée du christianisme, les Pères de l’Église ne manquèrent pas de qualifier cette pratique de « diabolique » sans toutefois pouvoir l’empêcher. En France, il faudra attendre le 9 août 1564 et l’édit de Roussillon de Charles IX pour que le départ du Nouvel an soit fixé au 1er janvier.
Carte postale illustrée par
André Hellé, 1871-1945 (amtcollections.fr)
Bonne année tout de même
Patrick PLUCHOT
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