Commémoration 14/18 :
Marie-Clémence Fouriaux
La « sainte laïque »
Les femmes héroïnes de la guerre 14-18 sont-elles si rares pour que seuls les combattants soient toujours honorés ? En ce jour de commémoration, et après Emilienne Moreau que nous mîmes en exergue l’an passé (1), voici une autre de ces oubliées de la Grande Guerre : Marie-Clémence Fouriaux, institutrice née en 1857, que rien ne prédestinait à un destin glorieux, sauf peut-être, un caractère affirmé. A 57 ans, fidèle à ses convictions, elle s’engage dans la lutte.
RAPPEL : Conférence du 11 novembre reportée à une date ultérieure
Marie-Clémence est issue
d’une famille d’artisans ardennais qui ne croient pas aux vertus de
l’enseignement. A 12 ans, elle quitte l’école de Savigny, qu’elle n’avait du
reste fréquentée que très irrégulièrement, sa mère lui reprochant en permanence
de « perdre son temps à lire ».
Un jour, elle jette tous les livres de sa fille, sauf deux que cette dernière
réussira à cacher : un livre d’histoire sur la Rome antique et une bible.
Elle fut marquée par une illustration représentant des religieuses évangélisant
une tribu arabe et, à 16 ans, elle décida de rejoindre les Sœurs de la doctrine
chrétienne de Nancy pour suivre une formation d’infirmière. Elle poursuivit
alors son engagement en partant pour l’Algérie, à Constantine, puis à Mustapha,
où elle prendra la direction du service économique d’un hôpital. Mais sa
véritable vocation était ailleurs. C’est d’enfants qu’elle rêvait de s’occuper,
seulement, son faible niveau d’études lui faisait barrage. Après 7 années en
Afrique du Nord, elle repartit pour la métropole.
C’est en 1880 que
Marie-Clémence revient dans sa famille et trouve un emploi provisoire chez un
négociant en Champagne de Reims. Provisoire, en effet, car son objectif est de
devenir institutrice ; mais pour cela, il lui faut d’abord passer,
parallèlement à son activité, le Brevet de capacité, qu’elle obtiendra avec
succès en 1882. Sa carrière d’institutrice, tant désirée, se profile…
Une
carrière au service de la laïcité (1882-1917)
Grâce à M. Hue, inspecteur
primaire, elle obtient sa première nomination le 1er octobre 1882, à
l’école maternelle de Bétheniville, puis, toujours grâce à lui, elle est mutée,
le 1er octobre 1883, pour devenir directrice d’une nouvelle école
maternelle dans un quartier de Reims. Dans cette école, elle aura Blanche
Cavarrot comme adjointe, autre héroïne de la Grande Guerre (2). L’environnement est
difficile car la plupart des parents sont opposés aux lois Ferry fraîchement
édictées, et, à la rentrée, seuls deux élèves sont présents… Les maîtresses
entreprennent alors une campagne d’explication auprès des parents, campagne qui
portera ses fruits. Dès Noël 1883, les effectifs se montent à 149 enfants, un
succès personnel pour Mlle Fouriaux et sa collègue !
Elle impose aussi sa
personnalité aux élus et obtient de nombreux travaux dans son école, au
bénéfice du bien-être des enfants. Elle y applique aussi les méthodes modernes préconisées
par les novatrices que furent Marie Pape-Carpantier et Pauline Kergomard, en
développant la pédagogie par l’image. En 1888, elle devient la directrice d’une
nouvelle école réputée difficile, dont l’organisation y était restée celle des
anciennes salles d’asile. Elle impose un nouveau projet, supprimant les grands espaces
à gradins, les cloisonnant pour réduire les salles de classes, faisant décorer
les murs de ces dernières. Elle participe alors à de nombreuses associations
périscolaires dont L’Œuvre du trousseau
qu’elle crée en 1901 avec Blanche Cavarrot.
Son
engagement pendant la Grande Guerre
Le lycée de jeunes filles de
la rue de l’Université à Reims est réquisitionné au début de la guerre, comme
beaucoup d’autres, pour être transformé en un hôpital militaire de 150 lits (HA101).
Dès le début du conflit, Marie-Clémence Fouriaux avait rejoint l’Union des femmes de France. Le 2 août
1914, elle reprend son uniforme d’infirmière : elle est affectée à la
direction de l’hôpital auxiliaire 101, pour une courte durée, car le 2
septembre, les allemands sont aux portes de Reims. Elle organise l’évacuation
des blessés vers Epernay, à 30 kilomètres, montant avec eux dans le train. A
l’arrivée, les transports vers Reims sont suspendus pour cause d’occupation de
la ville par l’ennemi (du 4 septembre au 13 septembre 1914).
Bombardement de l’hôpital
101, 15 septembre 1914
C’est donc à pied qu’elle
fera le chemin du retour, pour ainsi rejoindre son poste à l’hôpital 101 qui
comptera bientôt 250 lits, recevant soldats français et soldats allemands. Elle
assure ensuite deux évacuations successives : le 15 septembre, celle de
l’hôpital touché par l’artillerie vers la cathédrale et le 19 septembre celle
de la cathédrale en feu, allant jusqu’à porter les blessés sur son dos, selon
divers témoignages de l’époque.
Photographie prise à la fin
de la Grande Guerre : Marie-Clémence en compagnie de membres de la Croix
rouge américaine (American National Red Cross collection-Library of Congress)
Détail de la photographie
précédente, Marie-Clémence arbore sa légion d’honneur
En septembre 1914,
Marie-Clémence avait fait sa rentrée d’institutrice dévouée à sa mission, en
plus de ses responsabilités d’infirmière. Aidée de sa collègue Blanche Cavarrot
et de quelques autres, elle avait repris les cours à l’abri de différentes
caves des grandes maisons champenoises. Elle fit classe sous les bombes
allemandes et organisa, parallèlement, deux cantines civiles pour les Rémois. Malgré
sa retraite à 58 ans en 1915, durant l’été de la même année, et avec l’appui de
la municipalité, ce n’est pas moins de 800 enfants qu’elle accompagna en
colonie, en dehors de la zone de guerre. Peu après, sur ordre de la préfecture,
elle participa à leur évacuation vers Cancale où ils resteront 2 ans. Elle
assura son service jusqu’en 1918.
La colonie de Cancale,
Marie-Clémence Fouriaux : dernier rang, 4e maîtresse au centre
Evacuation définitive des
enfants rémois vers Cancale, 1915
Son
engagement politique d’après guerre
Marie-Clémence fut
conseillère départementale depuis sa nomination de 1888 et jusqu’en 1917,
assurant la vice-présidence de l’Entente
des conseillers départementaux.
En 1900, elle fut
co-fondatrice de l’Union des jeunes
filles de Reims et poursuivit son combat pour l’égalité homme/femme, notamment
au niveau de l’enseignement. Elle organisa nombre de conférences à la Ligue de l’Enseignement, à la Ligue des Droits de l’Homme, ainsi qu’à
la Ligue internationale des Femmes pour
la Paix et la Liberté.
Après la Grande Guerre, bien
qu’à la retraite depuis peu, à la demande de Jean-Baptiste Langlet, médecin et
maire radical-socialiste, elle fonde l’association Le retour à Reims pour aider les Rémois à se réinstaller chez eux.
Jean-Baptiste Langlet, symbole
de la résistance face à la menace allemande, 1841-1927
Marie-Clémence fut unanimement reconnue pour ses engagements pacifistes, humanistes, féministes et laïques. Elle voyait dans son combat pour le suffrage universel de la femme un symbole, celui de la réhabilitation sociale de la femme et la possibilité d’assurer une plus efficace protection de l’enfance.
Affiche de l’Union française
pour le suffrage des femmes, 1909
Elle fut nommée Officier
d’académie et, le 29 janvier 1917, en présence de Paul Lapie, directeur de
l’enseignement primaire, et de M. Perron, inspecteur d’académie, elle fut
décorée de la Légion d’Honneur dans son école maternelle. On put lire dans le
Journal officiel : « Mademoiselle
Fouriaux Marie-Clémence, directrice d’école maternelle à Reims, 36 ans de
service, a donné depuis le début de la guerre le plus bel exemple de courage et
de patriotisme. A contribué avec le plus grand dévouement à l’évacuation de
l’hôpital des Femmes de France au cours du bombardement. Donne depuis le début
des hostilités son concours le plus dévoué à la municipalité de Reims pour
l’organisation des secours aux victimes de guerre. Directrice d’Ecole d’un rare
mérite professionnel. »
Elle décéda le 2 mai 1932. Ses
funérailles furent organisées et financées par la ville de Reims. Dans son
éloge funèbre, Paul Marchandeau, maire radical-socialiste de la ville, la
qualifiera de « sainte laïque » et déclarera : « Longtemps vivra dans les pensées des
Rémois comme dans la mémoire de tous ceux qui ont connu notre cité,
principalement aux jours tragiques de la guerre et au cours des années
trépidantes de la reconstruction, le souvenir de cette femme qui n’a eu de plaisir
dans sa vie que par le bien qu’elle faisait aux autres. » et M.
Rémond, directeur d’école, parlant au nom de ses collègues, de rajouter : « Elle était véritablement l’idéal de
l’institutrice laïque. Et la modestie même. A ceux qui par exemple la félicitaient
de sa légion d’honneur : « Je n’ai rien fait d’extraordinaire »,
répondait-elle. Cette réponse et cette attitude qui peuvent paraître de loin
toutes naturelles, mais au fond procède d’un si haut héroïsme, sont de celles
sans doute qu’auraient retenues un Salluste, un Tite-Live, un Plutarque et qui
sont dignes de l’histoire. »
A
l’occasion de la Journée Internationale des Femmes et des Cérémonies
commémoratives du centenaire de la guerre de 1914-1918, Marie-Clémence FOURIAUX
fut de nouveau mise à l’honneur par la ville de Reims, lors du colloque hommage
aux héroïnes de la Première Guerre Mondiale, organisé le 8 et 9 mars 2018. Sa
tombe fut rénovée par la municipalité et, le 9 mars 2018, M. le doyen de la Faculté des Lettres, Jean-François
BOULANGER, donna une conférence intitulée : « L’héroïsme au quotidien de
Marie-Clémence FOURIAUX ».
Sources :
-
Les
femmes célèbres de Champagne, Daniel Pellus, Martelle
editions, 1992.
- Mademoiselle Fouriaux,
institutrice, M. Bourget, inspecteur de
l’enseignement primaire, librairie L. Michaud (brochure écrite juste après le décès
de M.C. Fouriaux, devenue introuvable).
- Elles aussi ont fait la
guerre, Pauline Raquiller et Valentine Del
Moral, Oskar Editions, 2014.
Patrick PLUCHOT
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