mercredi 22 février 2023

Voyage au Pays Noir, suite et fin

 

Voyage au Pays Noir

Suite et fin

Pont tournant ou pont levant ?

A la suite de notre tour du Pays Noir (1983) et avant de traiter du Tour de la France par deux enfants (1877) dans notre prochain article, des lecteurs ont fait état de la « redécouverte » du Taboulot dont beaucoup ignoraient l’existence, et certains autres se sont interrogés sur le premier pont enjambant le canal, à Montceau. Prolongeons donc l’incursion de Suzanne Régnier et de son équipe de la Maison d’Ecole dans l’histoire locale, et dérogeons, une nouvelle fois, à notre thématique scolaire pour explorer une thématique plus sociale. Mais n’existe-t-il d’ailleurs pas un pont entre les deux ? 


Lithographie de Bonhommé, 1857 : le premier « pont-levis » de Montceau, il se lève rive droite (écomusée)

Des origines de Montceau-les-Mines

Montceau-les-Mines est née du canal et du charbon, bien avant sa fondation officielle par décret impérial du 24 juin 1856. Plus de vingt ans auparavant, elle était un hameau groupant quelques maisons, avant de devenir une commune, chef-lieu de canton, qui dépassera rapidement les 10 000 habitants. Le centre industriel s’était groupé le long du canal, rive droite, suivant la veine de houille et, déjà, une lithographie de Bonhommé de 1857 (visible au musée) fait apparaître un port d’embarquement et de construction navale qualifié de « plus grand » du canal, plus important que celui du Creusot (et peut-être d’Europe pour certains), port duquel on charge et décharge jusqu’à 300 bateaux par mois. 

Lithographie de Bonhommé, 1857 : à gauche : le groupe de maisons de l’actuelle rue des Oiseaux avec son pont-levis ; au centre le port ; à droite l’église au premier plan et la cité des Alouettes au fond. (collection musée)

Lithographie de Bonhommé, 1857, détail, future rue des Oiseaux et son pont-levis

Vue du port prise d’un autre angle : à gauche, les Ateliers du Jour ; à droite, le bâtiment du port, au fond l’église (écomusée)

Détail de la lithographie : Au premier plan, les prés à l’emplacement desquels on construira l’Hôtel de ville, au lieu-dit le « Pâquier des Andouilles » (collection musée)

Détail de la lithographie : bâtiment du port et cour des Ateliers du Jour (collection musée)


Les mêmes bâtiments en 1927, disparition du porche d’entrée (© CUCM, Service Écomusée, reproduction D. Busseuil)

Avant le remblaiement pour créer deux aires de stationnement, le port s’étendait du quai Général de Gaulle jusqu’au dernier virage de la rue Jules Guesde   

 

Selon un rapport des ingénieurs Fontaine et Chabas : « son importance [Montceau] grandit tous les jours, par suite du développement imprimé à l’extraction de la houille par la Compagnie des mines de Blanzy ». Ils notent aussi que :  « Pendant que la ville croissait ainsi avec une rapidité prodigieuse, et en même temps s’appropriait et s’embellissait, se construisaient même, depuis quelques années, plusieurs grands monuments, église, hôpital, écoles, gendarmerie, hôtel de ville, théâtre même, le canal est resté à peu de chose près dans l’état primitif où il suffisait au hameau du Montceau. Les digues en terre, foulées sans cesse par une population toujours grandissante, n’ont pu être entretenues assez ; elles se sont émiettées depuis de longues années et ont en grande partie glissé au canal, en encombrant la cuvette et gênant la navigation. […] Le talus intérieur de la digue gauche est là tout-à-fait détruit par l’effet des corrosions, et plus encore peut-être par l’effet des laveuses. Il n’est pas rare de compter jusqu’à 80 femmes lavant en même temps au canal dans cette partie et sur cette seule digue. »

Les laveuses au travail, rive gauche, après le pont tournant, avant la construction des deux lavoirs 

Les laveuses au travail, rive gauche, après le pont tournant, après la construction des deux lavoirs

C’est ainsi que les deux ingénieurs pilotèrent un projet intitulé « Amélioration dans la traversée de Montceau-les-Mines » et préconisèrent la « construction de deux lavoirs de 50 et 20 mètres de longueur sur le talus intérieur de la digue gauche du canal, à l’aval du pont tournant », projet qui fut approuvé le 16 octobre 1877, nécessitant un budget de 9 000 francs financé par la Compagnie et la ville. A cette époque, le pont n’était donc plus « levis » mais « tournant ». Il se rabattait rive gauche. 

Le bateau-lavoir. En haut, à droite, l’Hôtel de ville

Le bateau-lavoir, on distingue la cheminée de la chaudière

Au début du siècle, les laveuses ont vu leur effectif se réduire. Pour améliorer leur condition, la municipalité les fit entrer dans la modernité, ce fut l’épopée du bateau-lavoir, comme partout en France. Installé dans le port, il était couvert et était équipé d’une chaudière qui permettait de faire bouillir le linge !

 

Historique du pont sur le canal au centre-ville

Si les différentes étapes des transformations du pont ne sont plus visibles de nos jours, 150 ans d’illustrations anciennes nous permettent tout de même de retracer son histoire. Les lithographies de Bonhommé de 1857 nous prouvent l’existence du premier pont à cette date, mais quel fut son origine ? Pour cela, la notice mérimée-©Région Bourgogne - Inventaire général de 2012 nous donne toutes les précisions nécessaires. En voici le contenu :  

« La construction d'un pont-levis, sous la direction de l'ingénieur Corjon, est approuvée en 1851. La Compagnie des Mines de Blanzy finance la moitié des travaux du pont, ainsi que le logement du gardien, son chauffage et 150 F de traitement annuel (Archives nationales, F14 6877). Un pont tournant est substitué au pont-levis en 1869, sur la demande de la mairie, qui souhaite également une passerelle.

Ces deux éléments « doivent rétablir la communication sur chemin vicinal plus ancien que le canal et coupé par sa construction ». Le projet indique un pont-tournant métallique avec chaussée de 2,30 m et trottoirs de 0,75 m en encorbellement sur des consoles. La passerelle doit être ajourée. L'exécution de la partie métallique est confiée à la Compagnie du Creusot (Archives nationales, F 14 5879).

Le pont tourne rive gauche

Les cartes postales anciennes montrent bien un pont tournant à cet endroit, avec une passerelle en dos d'âne en amont, ainsi qu'un poste de commande en aval. (..) La chaussée est large de 7 m et est encadrée par deux trottoirs de deux mètres. Les industries Schneider le réalisent en "acier 42 rivé". Le poids du tablier mobile est compensé par une caisse à lest portée par deux balanciers reliés au tablier par des bielles (projet d'article des ingénieurs Baudet et Deschamps, 1952, Archives départementales de Saône-et-Loire, 1695 W 425).

Vue prise de la rive droite : le pont tournant commence sa rotation. C’était une « mécanique » de précision qui permettait à un seul homme de le faire fonctionner, preuve en est : un témoin se souvient, qu’entre les deux guerres, le pontier était un emploi réservé vraisemblablement à un infirme de la Grande Guerre ou de la mine, les enfants l’appelaient « le bonhomme à la jambe de bois ». Sur cette carte postale, le pontier est au centre et pousse sur la rambarde, le pont pivote, ouvrant la voie aux péniches. A droite, le poste de commande.

Une maison de pontier est construite pour le « gardien du pont-tournant de Montceau-les-Mines, avec participation financière de la Compagnie des Mines de Blanzy » d'après un plan de l'ingénieur Chabas daté du 7 mars 1871. « (..) la Compagnie des Mines de Blanzy a obtenu sur sa demande et suivant décision ministérielle du 21 mars 1870, d'être exonérée de la part qu'elle payait depuis 1851, dans le salaire du gardien du pont-levis de Montceau-les-Mines (aujourd'hui remplacé par un pont tournant) à la condition qu'elle livrerait à l'Etat pour la construction du logement de cet agent, une surface de terrain de 60 à 70 m et qu'elle resterait chargée des démarches relatives à cette cession, et garderait à sa charge le logement du gardien jusqu'au 11 novembre 1871. »


Maison du pontier, à gauche, perpendiculaire au canal, au milieu, l’Hôtel du Commerce (Semet-David)

« Ils [les ingénieurs] ont dressé le projet de la maison en vue de la construction pendant la campagne prochaine et ses dispositions d'ensemble ne diffèrent de celles du type récemment adopté au Canal qu'en ce que la construction projetée ne comporte pas d'ailes, et que l'accès à la cave au lieu de se faire par un escalier intérieur, se trouvera desservi par une porte de plein pied avec le sol de la rue qui longe la face amont de la maison. » Le modèle récent dont il est question est précisé dans certains documents : c'est celui des maisons de la rigole de l'Arroux (Archives nationales, F14 5880). La maison se trouve alors au débouché du pont-tournant sur la rive droite du canal, à droite de la cour des équipages de la compagnie des Mines. Elle est de plan rectangulaire, perpendiculaire au canal (Archives départementales de Saône-et-Loire, 3 S 34). Un marché pour une nouvelle maison de pontier est approuvé en 1962, sur des plans dressés par A. Ruprich-Robert (architecte D.P.L.G. à Montceau-les-Mines), au-dessus des bureaux des Houillères, rue du Gaz (Archives départementales de Saône-et-Loire, 1695 W 145). Elle a disparu avant 1998. »

Maison du pontier, à droite, perpendiculaire au canal

Un pont qui évolue au fil du temps

Ce pont fut, durant des décennies, le seul point de passage entre le centre-ville et les bureaux et ateliers centraux de la mine. Il était utilisé massivement à tous les changements de postes des employés.


Les ponts, levis, tournant ou levant, qui se sont succédé, marquent l’histoire et l’image de Montceau. Juste après la dernière guerre, le dernier pont en date, celui que nous avons sous les yeux aujourd’hui, remplaça le pont tournant devenu trop étroit pour une circulation automobile croissante.



Passage du Pont Levant, vers 1950, et nouvelle passerelle en béton, le halage à l’aide de mulets est toujours d’actualité, un monde qui se meurt cependant. (Musée Nicéphore Niépce-Chalon-sur-Saône-inv.n°1975.19.71306.38)

Place à la modernité (Musée Nicéphore Niépce-Chalon-sur-Saône)

Ouvrage imposant, tout d’acier riveté, il fonctionne grâce à un mécanisme hydraulique et un contrepoids en hauteur. Sa fabrication fut achevée par les usines du Creusot en 1949, sa dernière restauration date de 1989.

De nos jours, le transport fluvial a déserté le canal. La saison hivernale est calme du fait de l’interruption de la navigation, mais aux beaux jours, le tourisme fluvial reprend ses droits et l’imposante mécanique se met en mouvement plusieurs fois par jour pour laisser passer non plus les péniches d’antan, mais les bateaux de plaisance qui, quelquefois, font escale au port. Evidemment, l’automobiliste pressé peste à son volant et attend… à moins de faire un détour par le pont des Chavannes, un kilomètre et demi en aval.

Office de tourisme images- © Franck Juillot

Office de tourisme images- © Lesley Williamson

Office de tourisme images- © Lesley Williamson

Office de tourisme images- © Lesley Williamson


Sources :

-       Thibault, J. (1990): Restauration de l'ancien pont basculant de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire). Dans: Travaux, n. 653 (mai 1990), pp. 36-41.

-       Documentation et illustrations musée/écomusée.

-       Notice mérimée-© Région Bourgogne - Inventaire général de 2012.

-       Cartes postales de collections privées ou personnelles dont e-monsite.com et Musée Nicéphore Niépce-Chalon-sur-Saône.


Patrick PLUCHOT

La vedette des cartes postales































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