Voyage
au Pays Noir
Suite
et fin
Pont
tournant ou pont levant ?
A
la suite de notre tour du Pays Noir (1983) et avant de traiter du Tour de la France par deux enfants (1877) dans notre prochain article, des
lecteurs ont fait état de la « redécouverte » du Taboulot dont
beaucoup ignoraient l’existence, et certains autres se sont interrogés sur le
premier pont enjambant le canal, à Montceau. Prolongeons donc l’incursion de
Suzanne Régnier et de son équipe de la Maison d’Ecole dans l’histoire locale,
et dérogeons, une nouvelle fois, à notre thématique scolaire pour explorer une
thématique plus sociale. Mais n’existe-t-il d’ailleurs pas un pont entre les
deux ?
Lithographie de Bonhommé,
1857 : le premier « pont-levis » de Montceau, il se lève rive
droite (écomusée)
Des
origines de Montceau-les-Mines
Montceau-les-Mines est née
du canal et du charbon, bien avant sa fondation officielle par décret impérial
du 24 juin 1856. Plus de vingt ans auparavant, elle était un hameau groupant
quelques maisons, avant de devenir une commune, chef-lieu de canton, qui
dépassera rapidement les 10 000 habitants. Le centre industriel s’était
groupé le long du canal, rive droite, suivant la veine de houille et, déjà, une
lithographie de Bonhommé de 1857 (visible au musée) fait apparaître un port d’embarquement
et de construction navale qualifié de « plus grand » du canal, plus
important que celui du Creusot (et peut-être d’Europe pour certains), port duquel
on charge et décharge jusqu’à 300 bateaux par mois.
Lithographie de Bonhommé,
1857 : à gauche : le groupe de maisons de l’actuelle rue des Oiseaux
avec son pont-levis ; au centre le port ; à droite l’église au premier
plan et la cité des Alouettes au fond. (collection musée)
Lithographie de Bonhommé, 1857,
détail, future rue des Oiseaux et son pont-levis
Vue du port prise d’un autre
angle : à gauche, les Ateliers du Jour ; à droite, le bâtiment du
port, au fond l’église (écomusée)
Détail de la lithographie :
Au premier plan, les prés à l’emplacement desquels on construira l’Hôtel de
ville, au lieu-dit le « Pâquier des Andouilles » (collection musée)
Détail de la lithographie : bâtiment du port et cour des Ateliers du Jour (collection musée)
Les mêmes bâtiments en 1927,
disparition du porche d’entrée (© CUCM, Service
Écomusée, reproduction D. Busseuil)
Avant le remblaiement pour
créer deux aires de stationnement, le port s’étendait du quai Général de Gaulle
jusqu’au dernier virage de la rue Jules Guesde
Selon un rapport des ingénieurs
Fontaine et Chabas : « son
importance [Montceau] grandit tous les jours, par suite du
développement imprimé à l’extraction de la houille par la Compagnie des mines de Blanzy ». Ils notent aussi que :
« Pendant que la ville croissait ainsi avec une rapidité
prodigieuse, et en même temps s’appropriait et s’embellissait, se construisaient
même, depuis quelques années, plusieurs grands monuments, église, hôpital,
écoles, gendarmerie, hôtel de ville, théâtre même, le canal est resté à peu de
chose près dans l’état primitif où il suffisait au hameau du Montceau. Les
digues en terre, foulées sans cesse par une population toujours grandissante,
n’ont pu être entretenues assez ; elles se sont émiettées depuis de
longues années et ont en grande partie glissé au canal, en encombrant la
cuvette et gênant la navigation. […] Le talus intérieur de la digue gauche est
là tout-à-fait détruit par l’effet des corrosions, et plus encore peut-être par
l’effet des laveuses. Il n’est pas rare de compter jusqu’à 80 femmes lavant en
même temps au canal dans cette partie et sur cette seule digue. »
Les
laveuses au travail, rive gauche, après le pont tournant, avant la construction
des deux lavoirs
Les
laveuses au travail, rive gauche, après le pont tournant, après la construction
des deux lavoirs
C’est
ainsi que les deux ingénieurs pilotèrent un projet intitulé « Amélioration dans la traversée de
Montceau-les-Mines » et préconisèrent la « construction de deux lavoirs de 50 et 20 mètres de longueur sur
le talus intérieur de la digue gauche du canal, à l’aval du pont tournant »,
projet qui fut approuvé le 16 octobre 1877, nécessitant un budget de 9 000
francs financé par la Compagnie et la ville. A cette époque, le pont n’était
donc plus « levis » mais « tournant ». Il se rabattait rive
gauche.
Le
bateau-lavoir. En haut, à droite, l’Hôtel de ville
Le
bateau-lavoir, on distingue la cheminée de la chaudière
Au
début du siècle, les laveuses ont vu leur effectif se réduire. Pour améliorer
leur condition, la municipalité les fit entrer dans la modernité, ce fut l’épopée
du bateau-lavoir, comme partout en France. Installé dans le port, il était
couvert et était équipé d’une chaudière qui permettait de faire bouillir le
linge !
Historique du pont sur le canal au centre-ville
Si
les différentes étapes des transformations du pont ne sont plus visibles de nos
jours, 150 ans d’illustrations anciennes nous permettent tout de même de
retracer son histoire. Les lithographies de Bonhommé de 1857 nous prouvent l’existence
du premier pont à cette date, mais quel fut son origine ? Pour cela, la
notice mérimée-©Région Bourgogne - Inventaire général de
2012 nous donne toutes les précisions nécessaires. En voici le contenu :
« La
construction d'un pont-levis, sous la direction de l'ingénieur Corjon, est
approuvée en 1851. La Compagnie des Mines de Blanzy finance la moitié des
travaux du pont, ainsi que le logement du gardien, son chauffage et 150 F de
traitement annuel (Archives
nationales, F14 6877). Un
pont tournant est substitué au pont-levis en 1869, sur la demande de la mairie,
qui souhaite également une passerelle.
Ces
deux éléments « doivent rétablir la communication sur chemin vicinal plus
ancien que le canal et coupé par sa construction ». Le projet indique un
pont-tournant métallique avec chaussée de 2,30 m et trottoirs de 0,75 m en
encorbellement sur des consoles. La passerelle doit être ajourée. L'exécution
de la partie métallique est confiée à la Compagnie du Creusot (Archives nationales, F 14 5879).
Le pont tourne rive gauche
Les
cartes postales anciennes montrent bien un pont tournant à cet endroit, avec
une passerelle en dos d'âne en amont, ainsi qu'un poste de commande en aval. (..)
La chaussée est large de 7 m et est encadrée par deux trottoirs de deux mètres.
Les industries Schneider le réalisent en "acier 42 rivé". Le poids du
tablier mobile est compensé par une caisse à lest portée par deux balanciers
reliés au tablier par des bielles (projet
d'article des ingénieurs Baudet et Deschamps, 1952, Archives départementales de
Saône-et-Loire, 1695 W 425).
Vue prise de la rive droite :
le pont tournant commence sa rotation. C’était une « mécanique » de
précision qui permettait à un seul homme de le faire fonctionner, preuve en est :
un témoin se souvient, qu’entre les deux guerres, le pontier était un emploi
réservé vraisemblablement à un infirme de la Grande Guerre ou de la mine, les enfants l’appelaient
« le bonhomme à la jambe de bois ». Sur cette carte postale, le pontier
est au centre et pousse sur la rambarde, le pont pivote, ouvrant la voie aux
péniches. A droite, le poste de commande.
Une
maison de pontier est construite pour le « gardien du pont-tournant de
Montceau-les-Mines, avec participation financière de la Compagnie des Mines de
Blanzy » d'après un plan de l'ingénieur Chabas daté du 7 mars 1871. « (..)
la Compagnie des Mines de Blanzy a obtenu sur sa demande et suivant décision
ministérielle du 21 mars 1870, d'être exonérée de la part qu'elle payait depuis
1851, dans le salaire du gardien du pont-levis de Montceau-les-Mines
(aujourd'hui remplacé par un pont tournant) à la condition qu'elle livrerait à
l'Etat pour la construction du logement de cet agent, une surface de terrain de
60 à 70 m et qu'elle resterait chargée des démarches relatives à cette cession,
et garderait à sa charge le logement du gardien jusqu'au 11 novembre 1871. »
« Ils
[les ingénieurs] ont dressé le
projet de la maison en vue de la construction pendant la campagne prochaine et
ses dispositions d'ensemble ne diffèrent de celles du type récemment adopté au
Canal qu'en ce que la construction projetée ne comporte pas d'ailes, et que
l'accès à la cave au lieu de se faire par un escalier intérieur, se trouvera
desservi par une porte de plein pied avec le sol de la rue qui longe la face
amont de la maison. » Le modèle récent dont il est question est précisé
dans certains documents : c'est celui des maisons de la rigole de l'Arroux (Archives nationales, F14 5880). La
maison se trouve alors au débouché du pont-tournant sur la rive droite du
canal, à droite de la cour des équipages de la compagnie des Mines. Elle est de
plan rectangulaire, perpendiculaire au canal (Archives départementales de Saône-et-Loire, 3 S 34). Un marché
pour une nouvelle maison de pontier est approuvé en 1962, sur des plans dressés par A. Ruprich-Robert (architecte D.P.L.G. à Montceau-les-Mines), au-dessus des
bureaux des Houillères, rue du Gaz (Archives
départementales de Saône-et-Loire, 1695 W 145). Elle a disparu avant 1998. »
Maison du pontier, à droite,
perpendiculaire au canal
Un pont qui évolue au fil du temps
Ce pont fut, durant des décennies, le seul point de passage entre le centre-ville et les bureaux et ateliers centraux de la mine. Il était utilisé massivement à tous les changements de postes des employés.
Les ponts, levis, tournant ou levant, qui se sont succédé, marquent l’histoire et l’image de Montceau. Juste après la dernière guerre, le dernier pont en date, celui que nous avons sous les yeux aujourd’hui, remplaça le pont tournant devenu trop étroit pour une circulation automobile croissante.
Passage du Pont Levant, vers 1950, et nouvelle
passerelle en béton, le halage à l’aide de mulets est toujours d’actualité, un
monde qui se meurt cependant. (Musée Nicéphore
Niépce-Chalon-sur-Saône-inv.n°1975.19.71306.38)
Place à la modernité (Musée Nicéphore
Niépce-Chalon-sur-Saône)
Ouvrage imposant, tout d’acier
riveté, il fonctionne grâce à un mécanisme hydraulique et un contrepoids en
hauteur. Sa fabrication fut achevée par les usines du Creusot en 1949, sa
dernière restauration date de 1989.
De nos jours, le transport
fluvial a déserté le canal. La saison hivernale est calme du fait de l’interruption
de la navigation, mais aux beaux jours, le tourisme fluvial reprend ses droits
et l’imposante mécanique se met en mouvement plusieurs fois par jour pour
laisser passer non plus les péniches d’antan, mais les bateaux de plaisance
qui, quelquefois, font escale au port. Evidemment, l’automobiliste pressé peste
à son volant et attend… à moins de faire un détour par le pont des Chavannes,
un kilomètre et demi en aval.
Office de tourisme images- ©
Franck Juillot
Office de tourisme images- ©
Lesley Williamson
Office de tourisme images- ©
Lesley Williamson
Office de tourisme images- ©
Lesley Williamson
Sources :
-
Thibault, J. (1990): Restauration
de l'ancien pont basculant de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire).
Dans: Travaux, n. 653 (mai 1990), pp. 36-41.
-
Documentation et illustrations
musée/écomusée.
-
Notice mérimée-©
Région Bourgogne - Inventaire général de
2012.
-
Cartes postales de collections
privées ou personnelles dont e-monsite.com
et Musée Nicéphore
Niépce-Chalon-sur-Saône.
Patrick PLUCHOT
La
vedette des cartes postales
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