dimanche 12 mars 2023

Retour sur le bonnet d'âne

 

L’emblématique Bonnet d’âne

Le bonnet d’âne, tableau de Jean Geoffroy, 1880

Les « gros bonnets »

Jusqu’au 18e siècle, le bonnet était l’apanage des membres de la noblesse de robe, des ecclésiastiques et des docteurs, les magistrats n’« oppinaient-ils » pas du bonnet pour donner leur sentence ? De fait, plus le bonnet était imposant, plus le personnage était considéré. L’expression perdura bien après la disparition de cet attribut. De son côté, l’âne eut, autrefois, bonne presse, depuis sa présence dans la crèche où la Vierge l’aurait béni, dessinant sur son dos, une croix qu’il porte toujours. Il symbolisait alors l’intelligence, l’humilité et la patience. Le bonnet d’âne apparut donc, naturellement, dans les lieux d’enseignement, non pas comme un signe d’humiliation, mais comme un signe de transmission des vertus caractéristiques de l’âne. Faut-il y croire ? Avec le temps, l’âne perdit ses attributs et devint cet animal bête, têtu, ignorant et borné…


Gravure du 19e

 Les raisons de ce revirement sont peu connues. Très présent et respecté dans le bestiaire médiéval, il montre en contrepartie,  des fables d’Esope aux fables de La Fontaine, son idiotie et ses réactions un brin caractérielles.

 

L’Âne et le petit chien, fable de La Fontaine

Le vieil homme, son fils et l’âne, fable d’Esope, vers 600 av J.C

Au cours du 19e siècle, le bonnet d’âne fut la terreur des écoliers, avant d’être classé dans les punitions « humiliantes » et interdit dans les écoles, comme l’avaient été les châtiments corporels dès 1803, sans grand succès d’ailleurs. En effet, la majorité des parents et des maîtres continuaient de penser que ces châtiments devaient subsister à des fins de « maintien de l’ordre », avec l’idée, commune dans la société, que l’autorité doit s’inculquer par la violence. 

Si le bonnet d’âne avait été jadis un signe de transmission du savoir et de l’intelligence de l’âne, et un signe d’encouragement pour l’écolier, il était devenu tout son contraire : il servait à ridiculiser le mauvais élève et à dissuader les autres de prendre le même chemin.


Bonnet d’âne (collection privée)

Les raisons de porter cet attribut variaient d’une région à l’autre, mais le cérémonial était identique : le cancre revêtait le bonnet, restant debout devant ses camarades ou au « coin », ou encore faisant la « pelote » (tours de cour) pendant la récréation, avec ou non le mauvais travail accroché au dos. Les plus malchanceux se voyaient contraints de repartir à la maison coiffés du bonnet !

Image scolaire, début du 20e siècle

(pinterest)

Ephémère en papier ou travaillé en tissu, le bonnet pouvait prendre différentes formes, rappelant vaguement les oreilles de l’animal. Beaucoup de gravures anciennes le représentent en papier, formé d’un cône unique ou avec deux oreilles pointues, mais estampillé « Âne » pour qu’aucun doute ne subsiste sur le symbole. 



Cartes postales, vers 1900 (collection privée)

Les « vrais » bonnets d’âne, eux aussi souvent « faits maison », comme ceux que possède notre musée, sont plus élaborés avec leurs oreilles en tissu rembourrées pour se dresser haut.

Ecomusée Lille

Musée école Saint-Flour

Maison d’école Montceau

Maison d’école Montceau

Bonnet d’âne ou bonnet de vache ?

A Montceau-les-Mines, l’utilisation du bonnet d’âne fut liée à la lutte contre le patois. Ville minière jeune, Montceau fut peuplée par les populations paysannes alentours, le parler « Montcellien » se construisit autour des patois importés du Charolais, du Morvandiau, du Bressan et bien d’autres encore, et les maîtres de la Troisième république n’eurent de cesse d’imposer le français, au moins dans les écoles, obligation rappelée par un article du règlement de l’académie de Lyon stipulant que « La langue française est imposée, l’interdiction de parler une langue régionale est de règle à l’école, même au moment des récréations, des sanctions étant prévues pour ceux qui sont surpris à parler patois. » Chez nous, la sanction fut le bonnet d’âne, mais d’autres régions luttèrent aussi contre les langues régionales de cette manière, notamment la Bretagne (1)

Toujours est-il que des générations d’écoliers, sans distinction d’âge, ont hérité de ce couvre-chef, pour des raisons diverses d’ailleurs, allant d’un travail médiocre à une indiscipline, en passant par l’utilisation du patois interdit à l’école. Bien après son interdiction, il laissa une empreinte profonde dans l’imaginaire collectif.

Règlement et fusils scolaires, 1890 (collection musée)


Caricature fustigeant un paysan saboté réfractaire à l’école obligatoire, vers 1890 (pinterest)

Les oreilles d’âne du roi Midas

En guise de conclusion, plongeons-nous un instant dans la mythologie grecque. Outre la période médiévale durant laquelle les vertus de notre âne furent honorées (bien qu’il soit permis d’en douter…), il semble que l’animal eut de tous temps mauvaise réputation. Peut-être trouve-t-on la clé de cette symbolique dans la légende du roi Midas. Ce dernier aurait régné de 715 à 676 avant J.C et aurait été l’élève du célèbre musicien Orphée. Les paysans du royaume sont éblouis par les sons de la flûte du satyre Marsyas (ou Pan), au point d’affirmer que le dieu Apollon lui-même ne peut pas l’égaler avec sa lyre. Apollon décide donc d’un concours dont les juges seraient les Muses et le roi Midas, Marsyas est vaincu, malgré le soutien du roi. La vengeance d’Apollon est terrible : il affuble Midas de deux oreilles d’âne, symbole d’irrévérence, de désobéissance et de bêtise. Midas, honteux, n’a plus qu’à cacher son triste sort sous un bonnet afin que nul ne devine son secret, secret dont seul son coiffeur est détenteur, un secret trop lourd pour lui à l’évidence, puisqu’il décide de creuser un trou pour le confier à la terre. Bientôt, des roseaux poussent à l’emplacement, chuchotant la confidence au vent qui la propage dans tout le royaume : « Le roi Midas a des oreilles d’âne ! Le roi Midas a des oreilles d’âne ! » Le roi, humilié, devenu la risée de son peuple, n’a plus qu’à se réfugier dans une forêt pour s’y cacher… Il laissera son humiliation en héritage à nos petits cancres d’antan, coiffés d’oreilles d’âne, heureusement éphémères !


Apollon est couronné par Tmolus lors d'un concours avec Pan, tandis que le roi Midas arbore de nouvelles oreilles pour le punir de son mauvais goût. « Apollon vainqueur de Pan », 1637, par Jacob Jordaens. Huile sur toile. Musée du Prado, Madrid. (Domaine public)

 

Patrick PLUCHOT


Un peu d’humour en conclusion : Il n’y a pas que la vache qui rit

(1) : Le bonnet de vache « breton » ne fut pas la seule punition en usage pour éradiquer la langue bretonne de l’école républicaine, d’autres symboles furent utilisés, symbolique que l’on retrouva dans d’autres régions, voire dans d’autres pays, et notamment dans nos colonies :

 « Les symboles

L'emploi du breton était sanctionné avec le port du symbole, appelé vache, ou arvuoc'h, en breton. Le symbole pouvait prendre d’autres formes : une paire de sabots en bois, un galet, ou encore un bout de bois. Le poids de ces symboles s'exprimait particulièrement dans les cours de récréation. La seule façon pour un enfant de se débarrasser du symbole était de surprendre un de ses camarades parler breton. Ce dernier se retrouvait alors en possession de la vache. Les écoliers devaient en effet se débarrasser le plus rapidement possible de ce symbole, de peur de se faire punir à la fin de la journée.

Les punitions

Les sanctions étaient diverses. L'écolier pouvait, par exemple, être obligé de rester une heure de plus à l'école, après les cours, pour balayer la cour, fendre du bois ou encore écrire des dizaines de lignes de : « Je ne parlerai plus breton ».

Autre coup dur : se voir enlever des points dans les devoirs de français. Les enfants scolarisés dans les établissements catholiques étaient, eux, obligés de réciter plusieurs fois le chapelet, avant de rentrer à la maison et d'être punis une deuxième fois par leurs parents.

Les ruses

Pour certains, se débarrasser de la vache était perçu comme un jeu. « Des stratagèmes variés étaient mis en place », rigole FañchBroudig. La cour de récréation devenait un lieu de stratégies. Il fallait éviter de se retrouver à côté du détenteur de l'objet. Les plus rusés inventaient des pièges pour forcer leurs camarades à parler la langue interdite. Des moyens radicaux étaient aussi employés. Les écoliers s'organisaient alors pour perdre le symbole, en le jetant dans un puits, ou en l'enterrant.

Les réactions

Les écoliers n'avaient pas la même réaction face à cet objet. La plupart ressentait de la colère face à ce système punitif. La tristesse était également souvent présente chez ces enfants, qui étaient « contrariés si un copain leur remettait la vache. Tout cela perturbait les rapports d'amitié », avance FanchBroudig.

Langue maternelle...

La détention du symbole était également l'occasion pour les enfants de la « ville », qui parlaient couramment le français, d'exprimer un sentiment de supériorité, en raillant ceux qui ne connaissaient que le breton. Ce système du symbole a été autant salué que critiqué. Pour les instigateurs de ce système, le symbole était un moyen efficace d'apprendre le français. Pour d'autres, élèves ou instituteurs, « la vache était considérée comme une méthode de délation vexatoire ou une disposition attentatoire à la dignité humaine », affirme FañchBroudig. Après la Seconde Guerre mondiale, les enfants bretons seront élevés dans les deux langues. Ce qui conduira, dans les années 1950, à la disparition progressive du symbole des cours de récréation, en même temps que le français deviendra la seule langue maternelle. »  Conférence de M. FañchBroudig à l'Université du Temps Libre des pays de Châteaulin, de Crozon et du Faou.

« Les écoles de la République imposent de même aux élèves pris en flagrant délit de péché linguistique le port d'un « symbole » (appelé « vache » en Bretagne) qui peut être un bout de carton, une planche, une barre de bois ou un bâton, comme dans les Pyrénées-Orientales ; une cheville comme dans le Cantal, un ruban de papier ou un objet métallique comme en Flandre, ou une brique tenue à bout de bras comme en Corrèze. » Pierre Giolitto, Abécédaire et férule, Imago, 1986

« Le procédé, avec des variantes locales, était également utilisé dans les écoles françaises de l'empire colonial français pour favoriser l'apprentissage du français. Le but était d'assimiler les « indigènes ». L'utilisation de ces procédés s'est parfois maintenue quelque temps dans les États indépendants choisissant le français comme langue officielle, comme au Togo où cet objet est appelé « le signe ».

De la même façon, on utilisait le Welsh Not au Pays de Galles contre les enfants parlant gallois. Un procédé similaire a été utilisé en Irlande contre le gaélique.

Contre les langues indiennes aux États-Unis on forçait les enfants à manger du savon, tentative d'introduire (physiquement comme moralement) en eux l'association de leur culture avec la saleté. Les punitions corporelles étaient communes dans les écoles de Louisiane pour interdire aux enfants de parler français.

À Okinawa on a utilisé le même procédé pour contraindre les enfants à parler japonais au lieu d'okinawaïen. » fr.wikipedia.org




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