L’emblématique
Bonnet d’âne
Le
bonnet d’âne, tableau de Jean Geoffroy,
1880
Les
« gros bonnets »
Jusqu’au 18e siècle, le bonnet était l’apanage des membres de la noblesse de robe, des ecclésiastiques et des docteurs, les magistrats n’« oppinaient-ils » pas du bonnet pour donner leur sentence ? De fait, plus le bonnet était imposant, plus le personnage était considéré. L’expression perdura bien après la disparition de cet attribut. De son côté, l’âne eut, autrefois, bonne presse, depuis sa présence dans la crèche où la Vierge l’aurait béni, dessinant sur son dos, une croix qu’il porte toujours. Il symbolisait alors l’intelligence, l’humilité et la patience. Le bonnet d’âne apparut donc, naturellement, dans les lieux d’enseignement, non pas comme un signe d’humiliation, mais comme un signe de transmission des vertus caractéristiques de l’âne. Faut-il y croire ? Avec le temps, l’âne perdit ses attributs et devint cet animal bête, têtu, ignorant et borné…
Gravure du 19e
Les raisons de ce revirement sont peu connues. Très présent et respecté dans le bestiaire médiéval, il montre en contrepartie, des fables d’Esope aux fables de La Fontaine, son idiotie et ses réactions un brin caractérielles.
L’Âne et le petit chien, fable de La Fontaine
Le vieil
homme, son fils et l’âne, fable d’Esope,
vers 600 av J.C
Au
cours du 19e siècle, le bonnet d’âne fut la terreur des écoliers,
avant d’être classé dans les punitions « humiliantes » et interdit
dans les écoles, comme l’avaient été les châtiments corporels dès 1803, sans
grand succès d’ailleurs. En effet, la majorité des parents et des maîtres
continuaient de penser que ces châtiments devaient subsister à des fins de « maintien
de l’ordre », avec l’idée, commune dans la société, que l’autorité doit s’inculquer
par la violence.
Si
le bonnet d’âne avait été jadis un signe de transmission du savoir et de
l’intelligence de l’âne, et un signe d’encouragement pour l’écolier, il était
devenu tout son contraire : il servait à ridiculiser le mauvais élève et à
dissuader les autres de prendre le même chemin.
Bonnet
d’âne (collection privée)
Les
raisons de porter cet attribut variaient d’une région à l’autre, mais le
cérémonial était identique : le cancre revêtait le bonnet, restant debout
devant ses camarades ou au « coin », ou encore faisant la
« pelote » (tours de cour) pendant la récréation, avec ou non le
mauvais travail accroché au dos. Les plus malchanceux se voyaient contraints de
repartir à la maison coiffés du bonnet !
Image
scolaire, début du 20e siècle
(pinterest)
Ephémère
en papier ou travaillé en tissu, le bonnet pouvait prendre différentes formes,
rappelant vaguement les oreilles de l’animal. Beaucoup de gravures anciennes le
représentent en papier, formé d’un cône unique ou avec deux oreilles pointues, mais
estampillé « Âne » pour qu’aucun doute ne subsiste sur le symbole.
Cartes postales, vers 1900
(collection privée)
Les
« vrais » bonnets d’âne, eux aussi souvent « faits
maison », comme ceux que possède notre musée, sont plus élaborés avec
leurs oreilles en tissu rembourrées pour se dresser haut.
Ecomusée Lille
Musée école Saint-Flour
Maison d’école Montceau
Maison d’école Montceau
Bonnet d’âne ou bonnet de vache ?
A
Montceau-les-Mines, l’utilisation du bonnet d’âne fut liée à la lutte contre le
patois. Ville minière jeune, Montceau fut peuplée par les populations paysannes
alentours, le parler « Montcellien » se construisit autour des patois
importés du Charolais, du Morvandiau, du Bressan et bien d’autres encore, et
les maîtres de la Troisième république n’eurent de cesse d’imposer le français,
au moins dans les écoles, obligation rappelée par un article du règlement de
l’académie de Lyon stipulant que « La
langue française est imposée, l’interdiction de parler une langue régionale est
de règle à l’école, même au moment des récréations, des sanctions étant prévues
pour ceux qui sont surpris à parler patois. » Chez nous, la sanction
fut le bonnet d’âne, mais d’autres régions luttèrent aussi contre les langues
régionales de cette manière, notamment la Bretagne (1).
Toujours
est-il que des générations d’écoliers, sans distinction d’âge, ont hérité de ce
couvre-chef, pour des raisons diverses d’ailleurs, allant d’un travail médiocre
à une indiscipline, en passant par l’utilisation du patois interdit à l’école.
Bien après son interdiction, il laissa une empreinte profonde dans l’imaginaire
collectif.
Règlement et fusils scolaires, 1890 (collection musée)
Caricature
fustigeant un paysan saboté réfractaire à l’école obligatoire, vers 1890
(pinterest)
Les oreilles d’âne du roi Midas
En
guise de conclusion, plongeons-nous un instant dans la mythologie grecque.
Outre la période médiévale durant laquelle les vertus de notre âne furent
honorées (bien qu’il soit permis d’en douter…), il semble que l’animal eut de
tous temps mauvaise réputation. Peut-être trouve-t-on la clé de cette
symbolique dans la légende du roi Midas. Ce dernier aurait régné de 715 à 676
avant J.C et aurait été l’élève du célèbre musicien Orphée. Les paysans du
royaume sont éblouis par les sons de la flûte du satyre Marsyas (ou Pan), au
point d’affirmer que le dieu Apollon lui-même ne peut pas l’égaler avec sa
lyre. Apollon décide donc d’un concours dont les juges seraient les Muses et le
roi Midas, Marsyas est vaincu, malgré le soutien du roi. La vengeance d’Apollon
est terrible : il affuble Midas de deux oreilles d’âne, symbole d’irrévérence,
de désobéissance et de bêtise. Midas, honteux, n’a plus qu’à cacher son triste
sort sous un bonnet afin que nul ne devine son secret, secret dont seul son
coiffeur est détenteur, un secret trop lourd pour lui à l’évidence, puisqu’il
décide de creuser un trou pour le confier à la terre. Bientôt, des roseaux
poussent à l’emplacement, chuchotant la confidence au vent qui la propage dans
tout le royaume : « Le roi
Midas a des oreilles d’âne ! Le roi Midas a des oreilles
d’âne ! » Le roi, humilié, devenu la risée de son peuple, n’a
plus qu’à se réfugier dans une forêt pour s’y cacher… Il laissera son
humiliation en héritage à nos petits cancres d’antan, coiffés d’oreilles d’âne,
heureusement éphémères !
Apollon est couronné par Tmolus lors d'un concours avec Pan,
tandis que le roi Midas arbore de nouvelles oreilles pour le punir de son
mauvais goût. « Apollon vainqueur de Pan »,
1637, par Jacob Jordaens. Huile sur toile. Musée du Prado, Madrid. (Domaine
public)
Patrick PLUCHOT
Un peu d’humour en
conclusion : Il n’y a pas que la vache qui rit
(1) : Le bonnet
de vache « breton » ne fut pas la seule punition en usage pour
éradiquer la langue bretonne de l’école républicaine, d’autres symboles furent
utilisés, symbolique que l’on retrouva dans d’autres régions, voire dans
d’autres pays, et notamment dans nos colonies :
« Les
symboles
L'emploi du breton était sanctionné avec le port du
symbole, appelé vache, ou arvuoc'h,
en breton. Le symbole pouvait prendre d’autres formes : une paire de sabots en
bois, un galet, ou encore un bout de bois. Le poids de ces symboles s'exprimait
particulièrement dans les cours de récréation. La seule façon pour un enfant de
se débarrasser du symbole était de surprendre un de ses camarades parler
breton. Ce dernier se retrouvait alors en possession de la vache. Les écoliers
devaient en effet se débarrasser le plus rapidement possible de ce symbole, de
peur de se faire punir à la fin de la journée.
Les punitions
Les sanctions étaient diverses. L'écolier pouvait, par
exemple, être obligé de rester une heure de plus à l'école, après les cours,
pour balayer la cour, fendre du bois ou encore écrire des dizaines de lignes de
: « Je ne parlerai plus breton ».
Autre coup dur : se voir enlever des points dans les
devoirs de français. Les enfants scolarisés dans les établissements catholiques
étaient, eux, obligés de réciter plusieurs fois le chapelet, avant de rentrer à
la maison et d'être punis une deuxième fois par leurs parents.
Les ruses
Pour certains, se débarrasser de la vache était perçu
comme un jeu. « Des stratagèmes variés étaient mis en place »,
rigole FañchBroudig. La cour de récréation devenait un lieu de stratégies. Il
fallait éviter de se retrouver à côté du détenteur de l'objet. Les plus rusés
inventaient des pièges pour forcer leurs camarades à parler la langue
interdite. Des moyens radicaux étaient aussi employés. Les écoliers
s'organisaient alors pour perdre le symbole, en le jetant dans un puits, ou en
l'enterrant.
Les réactions
Les écoliers n'avaient pas la même réaction face à cet
objet. La plupart ressentait de la colère face à ce système punitif. La
tristesse était également souvent présente chez ces enfants, qui étaient «
contrariés si un copain leur remettait la vache. Tout cela perturbait les
rapports d'amitié », avance FanchBroudig.
Langue maternelle...
La détention du symbole était également l'occasion
pour les enfants de la « ville », qui parlaient couramment le français, d'exprimer
un sentiment de supériorité, en raillant ceux qui ne connaissaient que le
breton. Ce système du symbole a été autant salué que critiqué. Pour les
instigateurs de ce système, le symbole était un moyen efficace d'apprendre le
français. Pour d'autres, élèves ou instituteurs, « la vache était
considérée comme une méthode de délation vexatoire ou une disposition attentatoire
à la dignité humaine », affirme FañchBroudig. Après la
Seconde Guerre mondiale, les enfants bretons seront élevés dans les deux langues.
Ce qui conduira, dans les années 1950, à la disparition progressive du symbole
des cours de récréation, en même temps que le français deviendra la seule
langue maternelle. » Conférence de M. FañchBroudig à l'Université
du Temps Libre des pays de Châteaulin, de Crozon et du Faou.
« Les
écoles de la République imposent de même aux élèves pris en flagrant délit de
péché linguistique le port d'un « symbole » (appelé
« vache » en Bretagne) qui peut être un bout de carton, une planche,
une barre de bois ou un bâton, comme dans les Pyrénées-Orientales ; une
cheville comme dans le Cantal, un ruban de papier ou un objet métallique comme
en Flandre, ou une brique tenue à bout de bras comme en Corrèze. » Pierre Giolitto, Abécédaire et férule, Imago, 1986
« Le
procédé, avec des variantes locales, était également utilisé dans les écoles
françaises de l'empire colonial français pour favoriser l'apprentissage du
français. Le but était d'assimiler les « indigènes ».
L'utilisation de ces procédés s'est parfois maintenue quelque temps dans les
États indépendants choisissant le français comme langue officielle, comme
au Togo où cet objet est appelé « le signe ».
De
la même façon, on utilisait le Welsh
Not au Pays de Galles contre les enfants parlant gallois.
Un procédé similaire a été utilisé en Irlande contre
le gaélique.
Contre
les langues indiennes aux États-Unis on forçait les enfants à manger
du savon, tentative d'introduire (physiquement comme moralement) en eux
l'association de leur culture avec la saleté. Les punitions corporelles étaient
communes dans les écoles de Louisiane pour interdire aux enfants de parler
français.
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