De
l’école à la Mine
Un
avenir tout tracé
Le
13 octobre 1867, à Sanvignes, naquit le petit Jean. Quelle serait la destinée
de ce garçon issu d’une famille modeste habitant le Bassin minier ? Chacun
savait ici que la carrière de mineur était inéluctable et commençait tôt. Bien
sûr, les enfants ne travaillaient plus « au fond » depuis la loi de
janvier 1813 qui avait interdit leur descente aux moins de 10 ans et la loi de
1841 qui fixait la journée de travail à 8 heures par jour pour les 8 à 10 ans.
Mieux, une nouvelle loi de 1848 avait interdit l’embauche avant 12 ans et limité
le temps de travail à 12 heures par jour pour les 12 à 16 ans, un progrès…
Notre Jean échapperait-il à un avenir tout tracé ?
Jean Maréchal en 1922
(collection privée)
Difficile dans le Bassin
minier, comme dans tout autre lieu d’exploitation minière, de se soustraire au
destin de mineur, par tradition peut-être, par désir de devenir « un
homme » aussi, par nécessité sûrement. Une loi de 1874 supprima l’emploi
des femmes au fond des mines, mais confirma la possibilité d’embauche des
jeunes (encore enfants ?) dès 12 ans révolus, tout en précisant que le
jeune aura dû suivre une scolarisation obligatoire jusqu’à cet âge.
La
première embauche
(collection privée)
Cette condition remplie, un
contrat d’apprentissage en bonne et due forme fut signé. Notre Jean Maréchal,
né en 1867, était donc allé à l’école
publique de Sanvignes du 2 septembre 1873 au 1er juillet 1880, comme
l’atteste Monsieur Grelin, Maire de Sanvignes, dans le livret d’apprentissage
ouvert pour Jean, le 4 juillet 1880. Le hasard voulut que le bâtiment d’école
de garçons qu’il fréquenta, fût construit peu avant sa naissance. En effet, la création
d’une mairie-école à Sanvignes fut décidée le 11 décembre 1861 et sa
construction eut lieu entre 1861 et 1865, date de la nomination d’un
instituteur (le 10 mai 1865). Les
filles, quant à elles, allaient dans une école de la Mine, tenue par une sœur,
école située dans la commune mais qui fut transférée un peu plus tard au Magny
(commune de Montceau). La carte postale ci-dessous montre la mairie-école de
garçons : l’annexe à gauche, accolée au bâtiment principal, ne fut
construite qu’en 1883 et marqua l’arrivée d’un deuxième instituteur (1).
Ecole publique de garçons de
Sanvignes ouverte en 1865 (bâtiment principal) et son extension construite en
1883, actuelle école Liberté Ferry
Outre le « certificat
de scolarité » signé du maire, le petit Livret d’enfant et d’apprenti de 14 cm par 9 cm, officialisait
l’entrée de « l’enfant » dans le monde du travail, dans le respect de
la loi du 19 mai 1874.
(collection privée)
Ce livret énumérait les
droits de l’apprenti et était précédé d’une sorte de « certificat de
naissance » qui confirmait bien que l’individu avait atteint l’âge légal
pour entrer dans la vie active. La suite était un long pensum récapitulant les
directives imposées par ladite loi.
(collection privée)
En dernière page du livret,
l’employeur, en l’occurrence la Mine, avait rempli ses obligations en indiquant
les dates d’entrée et de sortie de Jean, concernant sa période d’apprentissage
et d’emploi de manœuvre, conformément à l’Article 10-Section V de la loi.
Ainsi, Jean Maréchal, apprenti-manœuvre depuis 1880 au puits Lucy, prit le
statut de mineur au puits Magny en juillet 1901.
(collection privée)
Le
patron, l’archevêque et le syndicat
En ce 4 juillet 1880, muni
de son Livret d’enfant et d’apprenti,
voilà notre Jean Maréchal parti pour une vie de travail qui ne prendra fin
qu’avec sa mise à la retraite le 18 juin 1923. Il s’en fallut de peu pour que
notre apprenti ait eu Jules Chagot comme employeur, celui-ci quittant ses
responsabilités en 1876, alors que Jean était toujours à l’école. Toutefois, il
connut la fin de la dynastie puisqu’il fut embauché sous la gérance du neveu de
Jules, Léonce Chagot (jusqu’en 1892), puis de Lionel de Gournay (jusqu’à sa
démission en 1900). Le règne « Chagot » étant terminé, la « Compagnie des Mines de
Houille de Blanzy » dont la fière raison sociale avait depuis longtemps
été : « Jules Chagot et Compagnie » fut remplacée, le 1er
août 1900, par la « Société Anonyme des Mines de Blanzy ». C’est
donc sous la direction d’Emile Coste que Jean commença sa vraie carrière de
mineur au Magny en 1901. Sans être tout à fait une intronisation, l’entrée dans
les effectifs de la Mine relevait tout de même d’une officialisation bien
marquée.
Les recommandations
patronales ou l’entrée dans la grande famille.
Devenir mineur était l’aboutissement d’un long apprentissage. L’affectation à
un puits de mine était marquée par la remise d’un livret d’embauche, véritable sésame,
qui liait l’ouvrier au patron. Jean reçut le sien en octobre 1902.
(collection privée)
Les
premières pages comportaient une fiche d’état civil qui indiquait les dates
d’un éventuel mariage et d’éventuelles naissances d’enfants. Pour Jean, on note
sa date de mariage avec Jeanne Roy, le 18 juillet 1890, ainsi que les noms et
dates de naissance de ses 5 enfants. Ce livret serait tenu à jour régulièrement
tout au long de sa présence à la Mine et conditionnerait les différentes
prestations et aides sociales de cette dernière. La suite du livret détaille
les conditions d’emploi du mineur, le tout signé en fin de document par le
Directeur : Emile Coste.
(collection privée)
L’amour de
l’église pour la classe ouvrière. En
ce début de 20e siècle, les employés de la Mine sortaient d’une
période de paternalisme affiché par la bourgeoisie d’affaire locale, avec les
graves abus qu’elle avait occasionnés. Si les Chagot, devenus chefs de
l’exploitation minière, avaient pu créer d’importantes œuvres sociales et
éducatives en utilisant la religion et ses représentants comme levier
(notamment les frères maristes et les sœurs de Saint-Vincent de Paul), ils
entendaient aussi imposer les idées à la fois catholiques et monarchistes de
leur famille. Les événements en décidèrent autrement. En fin de 19e
siècle, la Troisième République avait trouvé une assise durable, la séparation
des Eglises et de l’Etat avançait à grands pas et les mouvements sociaux
d’émancipation avaient ébranlé le système paternaliste du Bassin minier.
L’ingénieur des Mines Emile Coste, nouveau Directeur de la Société Anonyme des
Mines de Blanzy, non catholique mais protestant au demeurant, serait-il amené à
conserver ce legs du passé hérité des « Chagots » ? Toujours
est-il que l’église catholique conservait encore quelque écho dans les
habitudes de la Mine. On
retrouve dans les archives de Jean Maréchal un autre
livret, de 18 pages : L’Eglise
catholique et la classe ouvrière par Monseigneur Goutte-Soulard, Archevêque
d’Aix, Arles et Embrun. S’était-il vu remettre ce livret en même temps que son
livret d’embauche ?
(collection privée)
Dans cette
« Edition de propagande à 8 centimes l’exemplaire », comme l’indique
la couverture, l’auteur se proposait de développer 3 thèmes :
(collection privée)
L’appel du
syndicat. Le 6 juin 1899 éclata la
première grande grève des mineurs du Bassin minier, elle cessa au bout de 25
jours, le 1er juillet 1899. Elle fut si bien suivie qu’une chambre syndicale osa se
révéler, recrutant au moins 70% des personnes employées à la Mine (le nombre de
celles-ci étant alors de 9 890). Jean Maréchal fit partie de ces dernières
en adhérant à la chambre le 11 juin 1899.
(collection privée)
Il est intéressant de noter que les cotisations syndicales de
Jean Maréchal indiquent une période de chômage, à partir de mars 1901, qui se
prolongera jusqu’en novembre 1902, date à laquelle il sera embauché au puits Magny,
alors que sa sortie de période d’apprentissage datée du 1er juillet
1901 indiquait déjà sa qualité de mineur dans ce même puits... Doit-on voir ici
les effets de la deuxième grande grève dans le Bassin minier, commencée le
Le livret
syndical de Jean Maréchal fut renouvelé en avril 1909, à l’occasion de
l’édification du nouveau siège social du syndicat (1908), rue de l’Est
(actuelle rue Jean Jaurès).
L’heure de la retraite
A compter
du 1er novembre 1922, Jean Maréchal jouira de sa pension de retraite
des ouvriers mineurs, jusqu’en juin 1926, date à laquelle une pension de
réversion sera accordée à Jeanne, sa veuve…
Jean
Maréchal travailla 42 ans à la Mine et, à son décès à 59 ans, il n’avait
bénéficié que d’un peu plus de 3 ans de retraite… Dans les années 1920, l’espérance
de vie pour les hommes était d’à peine 50 ans. On peut considérer que notre « homme »,
malgré le dur métier qui fut le sien, avait vécu au-delà de la moyenne. On
notera aussi que l’âge de départ en retraite des mineurs de fond (55 ans)
dépassait largement l’espérance d’être toujours de ce monde à ce moment-là. On
remarquera aussi que ce funeste calcul perdurera puisqu’en 1945, lors de la
mise en place du régime général de retraite à 65 ans, l’espérance de vie des
hommes n’était que de 60 ans…
Patrick PLUCHOT
(1) : Etat des écoles de Saône-et-Loire de 1884, écoles de
Sanvignes :
Bonjour Monsieur Pluchot,
RépondreSupprimerAncienne élève du collège Roger Vaillant, (mon entrée en 6e s'est faite dans les préfabriqués aux Gautherets puisque le collège n'était pas encore fonctionnel en septembre,à sa création), je découvrais, attristée, les articles et les témoignages concernant cette Grande Dame qu'était Jacqueline Combier.
Subitement, j'ai été aimantée par un titre "De l'école à la mine"
J'ai vite compris pourquoi en découvrant le patronyme du petit Jean et en voyant apparaitre le prénom de Claudine, sa fille aînée, cette grande mère paternelle que je n'ai pas eu le plaisir de connaître.
Le petit Jean est mon arrière Grand-Père
Quelle émotion !
Quel charivari dans mon coeur depuis hier !
D'autant plus que très peu d'informations ont circulé dans ce noyau familial restreint.
J'ai mandatée ma soeur pour vous questionner......Je suis aujourd'hui délocalisée à 650 kms de mes racines.
Je vous adresse une infinie gratitude d'avoir publié cet article à cet endroit et à ce moment précis.
Merci pour toutes ces mémoires que vous faites revivre au travers de vos travaux avec vos coéquipiers.
Une pensée émue pour Jacqueline.
Annick
morane71@gmail.com