lundi 1 janvier 2024

Vœux 2024

 

Meilleurs vœux 2024


Notre époque manquerait-elle de grands penseurs ?

Le 15 novembre 1915, Romain Rolland apprend que le prix Nobel de Littérature lui est attribué pour son œuvre fleuve en 10 tomes : Jean-Christophe (1), parue entre 1904 et 1912. Les félicitations et les éloges fusent, autant que les insultes le traitant de pacifiste et de déserteur face au conflit, du fait de ses déclarations en faveur de la paix. En effet, il en appelle aux intellectuels de tous les pays « pour tenir la pensée à l’abri de la folie collective et la garder pure et libre », cependant qu’il verse le montant du prix reçu à l’Agence des prisonniers de guerre de la Croix-Rouge auprès de laquelle il travaille depuis 1914 avec le docteur Ferrière…


Romain Rolland en compagnie de sa sœur Madeleine, 1880 (larousse.fr)

 

Un Normalien pacifiste, une oeuvre étudiée à l’école

C’est le prix Nobel qui fait prendre conscience à Romain Rolland du rôle qui lui échoie désormais : « Je suis responsable de mes paroles et de mes actes vis-à-vis d’une quantité de gens de tous pays, qui me regarde comme un guide moral ; et cela me crée des devoirs plus difficiles qu’à la plupart. » Après son manifeste « Au-dessus de la mêlée » de 1914, à la fin de la Grande Guerre, poursuivant son engagement pacifiste, il rédigera un second manifeste connu sous le nom de « Déclaration d’indépendance de l’esprit ». Il sera signé par de nombreux intellectuels français ou étrangers : Albert Einstein, Stephan Zweig (dont il fut le mentor), Bertrand Russel, Jean-Richard Bloch, Henri Barbusse, Jules Romains…

Edition 1948 pour Cours élémentaire et moyen

 

Délaissant le métier d’enseignant pour lequel il était destiné, Romain Rolland retourne alors à l’écriture de ses romans et de ses pièces de théâtre dont beaucoup seront repris dans les écoles. Il aura une grande influence sur les pédagogues de l’Entre-deux- guerres, dont Célestin Freinet. Son roman Jean-Christophe fera l’objet d’une adaptation scolaire en 1932 sous le titre de Jean-Christophe de Romain Rolland, présenté aux enfants par Madame Hélier-Malaurie. Pour Stefan Zweig, c’est « un événement éthique plus encore que littéraire ». Ironie du sort, ce sera un livre scolaire central à la veille de la deuxième déflagration mondiale, il disparaîtra durant la guerre pour réapparaître à la Libération.

Edition 1932 pour Cours moyen et supérieur, Certificat d’études

Cette adaptation faite par Mme Hélier-Malaurie,  Directrice d’école, par ailleurs auteure d’une méthode de lecture pour les petits, précise : « Nous avons tenu à présenter cette œuvre pédagogique qui est une œuvre de foi » et a fait inscrire sur la couverture « Vers la paix, l’intelligence et l’amour », une devise que les écoliers devront retenir. Le ton est donné dans son introduction par la reprise même des termes employés par Romain Rolland, bien que l’interprétation qu’elle nous livre ne soit pas neutre et que certains éléments soient absents… Morceaux choisis :

« Voilà qu’en examinant la Morale pour mes petits vauriens, un à un les principes s’écroulaient devant moi, déclare Romain Rolland, rapports du père et des enfants, de l’homme et de la femme, du citoyen et de la patrie, du riche et du pauvre – partout un monde nouveau que je voyais pousser parmi les ruines de l’ancien. »

« On voit combien absurde est l’assertion de ces critiques peu clairvoyants, qui s’imaginent que je me suis engagé dans Jean-Christophe au hasard et sans plan. J’ai pris, de bonne heure, dans mon éducation française, classique et normalienne – et j’avais dans le sang – le besoin et l’amour de la solide construction. Je suis de la vieille race des bâtisseurs bourguignons. Je n’entreprendrais jamais une œuvre, sans en avoir assuré les assises et dessiné les grandes lignes. »

« Le « bâtisseur bourguignon » comme il se plaît à se qualifier sait combien le monde dans lequel il évolue est fragile. Il sait pour le sentir autour de lui que l’équilibre est instable. Il affirme à la toute fin de l’ouvrage : « J’ai écrit la tragédie d’une génération qui va disparaître. Je n’ai cherché à rien dissimuler de ses vices et de ses vertus, de sa tristesse pesante, de son orgueil chaotique, de ses efforts héroïques et de ses accablements sous l’écrasant fardeau d’une tâche surhumaine : toute une somme du monde, une morale, une esthétique, une foi, une humanité nouvelle à refaire. – Voilà ce que nous fûmes. Hommes d’aujourd’hui, jeunes hommes, à votre tour ! Faites-vous de nos corps un marchepied, et allez de l’avant. Soyez plus grands et plus heureux que nous. »

« Moi-même, je dis adieu à mon âme passée ; je la rejette derrière moi, comme une enveloppe vide. La vie est une suite de morts et de résurrections. Mourons, Christophe, pour renaître ! »

« Toute race, tout art a son hypocrisie. L’esprit humain est débile ; il s’accommode mal de la vérité pure ; il faut que sa religion, sa morale, sa politique, ses poètes, ses artistes, la lui présentent enveloppée de mensonges. Ces mensonges s’accommodent à l’esprit de chaque race ; ils varient de l’un à l’autre : ce sont eux qui rendent si difficiles aux peuples de se comprendre, et qui leur rendent si facile de se mépriser mutuellement. La vérité est la même chez tous ; mais chaque peuple a son mensonge, qu’il nomme son idéalisme ; tout être l’y respire, de sa naissance à sa mort : c’est devenu pour lui une condition de vie ; il n’y a que quelques génies qui peuvent s’en dégager, à la suite de crises héroïques, où ils se trouvent seuls, dans le libre univers de leur pensée. »

« Inspirez-vous de son exemple [Jean-Christophe]. Songez à vous, c’est naturel, mais songez aussi aux autres : à vos parents, à vos camarades pour les mieux connaître et les mieux aimer, à ceux qui souffrent, même inconnus, pour fortifier en vous l’obligation morale de vous associer, quand vous serez grands, aux hommes de bonne volonté, qui luttent pour qu’il y ait dans le monde moins de souffrances et moins de larmes. »

« Que cette parole méditée nous engage à détruire en nous les sentiments qui dessèchent le cœur ou divisent les hommes pour développer au contraire ceux qui font régner en nous et autour de nous la sérénité et la paix. Soyez à l’école, à la maison, dans vos jeux et au travail des élèves dignes de l’enseignement de Gottfried*.  Fortifiez en vous le sentiment de la juste révolte contre tout ce qui est mensonge, cruauté, égoïsme ; rappelez-vous qu’un homme incapable d’imagination n’est pas un homme. »

*Oncle maternel, soutien moral et modèle pour Jean-Christophe dans le roman.

Romain Rolland 1846-1944, écrivain bourguignon ?

« Né le 29 janvier 1866 à Clamecy (Nièvre), mort le 30 décembre 1944 à Vézelay (Yonne). Études au collège de Clamecy (1873-1880), puis à Paris où s’est installée la famille : lycée Saint-Louis (1880-1882), lycée Louis-Le-Grand (1882-1886) ; École normale supérieure (1886-1889), agrégation d’histoire (1889), École française de Rome (1889-1891), docteur ès lettres (1895 : thèses sur l’histoire de l’art) ; professeur d’enseignement supérieur (École normale, puis Sorbonne, de 1895 à 1912) » https://maitron.fr/spip.php?article129462, Bernard Duchatelet, 2010, modifié en 2020

« Prix Nobel 1915, passionnément lu sur tous les continents, correspondant de Freud, sujet d’une biographie de Stephan Zweig, proche de Gandhi, reçu par les chefs d’Etat, il était ce que l’on ne sait plus qu’un écrivain peut être : un pape laïc, un patron des âmes et des cœurs, un fétiche. » Le Monde des livres, 2012

A méditer en ces temps troublés…

Patrick Pluchot

 (1) :

« L’œuvre retrace la vie de Jean-Christophe Krafft, un musicien allemand de génie, de sa naissance à sa mort. Le héros qui incarne l'espoir d'une humanité réconciliée, notamment en montrant la complémentarité de la France et de l'Allemagne, est aussi un héros romantique comme le Werther de Goethe et l'image de Beethoven y apparaît en filigrane. La vie du héros se transforme ainsi en quête d’une sagesse : il doit passer par une série d’épreuves, les « cercles de l’Enfer », maîtriser ses passions, avant de dominer sa vie et d’atteindre l’Harmonie, qui est coïncidence avec le rythme de la Vie universelle. » Extrait d’une critique littéraire.



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