Filles
et garçons
L’éternelle
inégalité ?
Tableau mural d’élocution, CE1, Nathan, 1967
L’inégalité
garçons-filles : liée aux inégalités sociales ?
Les
lois Ferry de 1881 et 1882 imposent une école publique, gratuite, laïque et
obligatoire, mais qui ne sera pas fréquentée par tous. Les filières payantes dites
du « petit lycée » (dès le CP) sont maintenues, elles scolarisent
principalement les enfants de la bourgeoisie et essentiellement des garçons. Les
lycées de filles sont encore considérés par certains, comme des « bizarreries »
inutiles, malgré leur institution par la loi Camille Sée, en 1880… Dès 1920, la
pression exercée par les enseignants se fait de plus en plus forte, demandant
l’alignement des programmes des « petits lycées » sur ceux de l’enseignement
primaire. Ce sera bientôt chose faite, mais les classes élémentaires payantes
des lycées ne seront supprimées qu’en 1945… sans que la filière, devenue
gratuite, ne disparaisse pour autant avant les années 1960.
La
différenciation des programmes
On note, dès les lois
scolaires de 1881-82, une nette différenciation des programmes en fonction des
sexes, différenciation que l’on jugerait, de nos jours, discriminatoire :
exercices militaires pour la gymnastique des garçons, cours de couture pour les
filles.
Jusque dans les années 60
même, l’enseignement des « sciences appliquées » aura un contenu
différent selon que l’on soit fille ou garçon. Le contenu fut aussi différent selon
que l’on habite à la ville ou à la campagne.
Manuel de sciences
appliquées, classe de fin d’études, Ecoles urbaines de filles, Hachette,
1958 (collection musée)
Manuel de sciences
appliquées, classe de fin d’études, Ecoles urbaines de garçons, Hachette,
1962 (collection musée)
Manuel de sciences
appliquées, classe de fin d’études, Ecoles rurales de filles, Hachette,
1959 (collection musée)
Manuel de sciences
appliquées, classe de fin d’études, Ecoles rurales de garçons, Hachette,
1959 (collection musée)
On avait vu apparaître des
revendications concernant l’éducation des filles dès la fin du 19e
siècle et le début du 20e, sous la pression des mouvements
féministes qui commençaient de connaître un certain essor. Malgré tout, les
codes sociaux traditionnels restaient en place. Paradoxe : de longue date
demandée par les féministes, âprement discutée, la demande de fournir aux
jeunes filles une scolarité post-élémentaire fit partie de ces revendications
et passa par la création d’écoles « ménagères » qui maintenaient les
filles dans leur rôle !
Ecole ménagère de Montceau, années 30 ? (collection
privée)
Ces écoles dites
« ménagères » seront intimement liées au contexte local : selon
qu’elles soient implantées à la campagne : elles prépareront les filles à
leur futur de femmes d’agriculteurs, ou dans des régions industrielles :
elles seront doublées de l’apprentissage d’un métier, majoritairement dans la
couture ou dans la confection, évidemment, comme ce fut le cas à
Montceau-les-Mines, où les jeunes filles sortant des écoles ménagères (publique
ou de la Mine), trouvaient immédiatement de l’embauche dans les filatures ou
usines locales de tissage. Quoi qu’il en soit,
l’école ménagère portait bien son nom et devait apprendre à ses élèves, la
bonne manière de gérer son foyer, les enseignements étant basés majoritairement
sur l’économie domestique et l’hygiénisme.
Les clichés ont la vie dure
Inégalités
sociales-inégalité filles/garçons : une difficile différenciation
« La
société française est régie par des lois justes, parce qu’elle est une société
démocratique (..) Tous les français sont égaux en droits ; mais il y a
entre nous des inégalités qui viennent de la nature ou de la richesse (..) Ces
inégalités ne peuvent disparaître. »
Extrait du manuel de Pierre
Laloi, Armand Colin, 1880. Cette maxime péremptoire indique bien que la
suprématie des classes sociales dominantes est irréversible.
Après ce triste principe
édicté par Pierre Laloi en 1880, rappelons quelques généralités qu’il est bon
de ne pas oublier : si l’on constatait, dans les années 1930, que moins de
2% des enfants d’ouvriers atteignaient le niveau du baccalauréat, contre plus
de 40% des enfants de cadres, il reste qu’aujourd’hui encore, 70% des enfants
de cadres accèdent aux études supérieures contre moins de 40% pour les enfants
d’ouvriers et d’employés. D’autre part, une étude de 2009 montrait qu’une
majorité de filles allant jusqu’au baccalauréat, étudiaient en terminale
« littéraire » (78% des effectifs) et en terminale « sciences et
technologie de la santé et du social » (93%), cependant qu’elles
désertaient certaines filières telles que la terminale « S » (45%) ou
la terminale « STI » (10%). Les débats sur la démocratisation de
l’enseignement d’après la Seconde Guerre mondiale, menés par le Conseil de la
résistance, auraient-ils été vains eux aussi ?
Dès les années 1950, études
et statistiques alertent sur l’inefficacité des intentions politiques et sur
l’écart persistant entre la réussite des enfants issus de milieux favorisés et
ceux de milieux modestes. Les travaux de Pierre Bourdieu se focaliseront sur la
question des inégalités sociales à l’école et structureront un débat
sociologique pendant plusieurs années.
Le mouvement social de mai 1968 et ses prolongements auront-ils fait avancer le débat ? Outre le rappel de l’exigence d’une école démocratique, d’autres revendications se font jour : les droits des élèves, l’autodétermination, l’éducation centrée sur l’enfant, l’espoir mis dans les « pédagogies nouvelles » et, bien sûr, l’égalité de réussite en fonction du sexe… à nouveau.
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Le
poids de la société
« La
femme est notre propriété, nous ne sommes pas la sienne car elle nous donne des
enfants, et l’homme ne lui en donne pas. Elle est donc sa propriété comme
l’arbre à fruit est celle du jardinier. »
(Citation attribuée à
Napoléon 1er )
La prise de conscience des
inégalités entre les sexes ne se fera que très lentement en fin de 19e
siècle, période où les idées restent bien tranchées.
Nouveau jeu de la guerre,
jeu pour garçons par Léon Saussine, 1912 (proantic.com)
La petite maîtresse d’école,
jeu pour filles par Mauclair Dacier, avant 1900 (collection musée)
Voir l’article du
blog : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/04/la-petite-maitresse-decole_7.html
Une évidence s’impose. De tous temps, et à chaque avancée sérieuse des idées visant à gommer les inégalités garçons/filles, il faut bien admettre qu’il y eut de profondes divergences entre le nouveau message éducatif porté par l’école (et possiblement l’exécutif), et les représentations des familles et de la société en général, fortement marquées par les traditions. Ainsi, resta-t-on souvent fidèle aux stéréotypes sociaux que l’industrie des jeux et des jouets, ou bien la littérature jeunesse, continuèrent de diffuser.
Jeu de la petite postière,
années 60 (musée de la Poste)
Jeu du petit chef de gare,
année 60 (vinted.com)
L’industrie du loisir ne fut
d’ailleurs pas en reste. Elle propose encore, de nos jours, des produits
(films, séries télévisées, jeux vidéo) véhiculant souvent des valeurs opposées
à celles promues par l’institution scolaire.
On voit bien que l’éducation
par l’école ne fait pas tout, l’identité sociale sexuée est le reflet de la
socialisation au sein de la famille, mais aussi le reflet d’une éducation
informelle par les jeux, les jouets, les médias.
Les études montrent que de
nos jours, sur une année, les enfants passent en moyenne plus de temps devant
les écrans qu’à l’école. Les professionnels du marketing l’ont bien intégré et,
à travers leurs « publics cibles », ils façonnent l’imaginaire des
plus jeunes. Alors comment ces derniers construisent-ils leur identité ?
Entre un imaginaire masculin et guerrier mâtiné de références néo-libérales et
du culte de « héros viril » (1) ? Entre un univers « girly »
et le fantasme de la « planète rose » ? Si la communauté
éducative doit se préoccuper de cette question, le musée de l’école que nous
sommes doit, de son côté, modestement contribuer à alimenter la réflexion.
Pour
conclure
Henri Thomas Marcoulan,
conseiller municipal du 12e arrondissement de la ville de Paris
(1874-1909), déclarait en 1903 : « Les
tribunaux regorgent de garçons de 13 à 18 ans et de filles de 13 à 16 ans
arrêtés pour crimes sur la voie publique. Tous ces criminels savent tous lire
et écrire, il y a donc eu, dans leur vie, un moment où, abandonnés à eux-mêmes,
à la sortie de l’école, ils se sont rendus indépendants et ont obéi aux
suggestions de plus âgés qu’eux, qui ont su les entraîner ». Fort de
ce constat, Marcoulan n’eut de cesse de plaider, en précurseur, mais surtout en
utopiste, pour la poursuite d’une scolarité jusqu’à 18 ans pour tous, encadrée
par les pouvoirs publics, garants des valeurs de la République et qui aurait
développé, en plus des compétences générales, des notions citoyennes et
l’apprentissage d’un métier.
Rentrée scolaire du 1er
octobre 1947 (Radiofrance)
Ce souhait peut paraître
surprenant alors que depuis 1881, la Troisième République, en rendant la
scolarisation obligatoire de 6 à 13 ans, n’avait cependant pas mis fin au
système secondaire payant qui accueillait seulement les enfants de la
bourgeoisie dominante au « petit lycée » (à la place de l’école
communale dans les grandes villes). La sélection sociale restait alors
d’actualité. Le Conseil national de la Résistance reprit toutefois l’idée d’une
scolarisation jusqu’à 18 ans dans ses perspectives pour une nouvelle école, ce
fut un des axes structurant du Plan Langevin-Wallon de 1947. La proposition ne
fut pas retenue, bien que la loi du 9 août 1936, sous le ministère de Jean Zay,
avait déjà porté l’âge de 13 à 14 ans. Il fallut attendre 1959 et la réforme
Berthoin pour que la scolarité obligatoire passe à 16 ans.
Classe de 4e, collège Jean Moulin, 1968-1969
(collection musée)
Et voilà que ressurgit, de
nos jours, la volonté d’un apprentissage précoce pour certains jeunes, souvent
issus d’un milieu défavorisé. Après avoir voulu former l’ensemble d’une classe
d’âge au niveau du baccalauréat, avec ses erreurs, le salut viendrait d’un
retour à l’insertion, dès 14 ans, dans
le monde du travail par un apprentissage précoce ? La perspective de
démocratisation de l’école par la prolongation de l’âge de la scolarité
aurait-elle vécu ? Reste aujourd’hui que la volonté de démocratiser
socialement l’école et de combattre les inégalités garçons-filles est encore,
semble-t-il, partagée par la majorité, dans le discours, tout du moins, mais
pour combien de temps encore ?
Classe de 3e, collège Jean Moulin, 1969-1970 (collection musée)
Clin
d’œil :
salutations aux collégiennes et collégiens qui trônent fièrement sur les deux
dernières photographies (garçons devant et filles derrière sur la
seconde !). L’auteur de cet article est parmi eux…
(1) :
Laurent Trémel, Docteur en sociologie de l’EHESS, Chargé de conservation et de
recherche au Musée national de l’Education à Rouen, propose en ce sens une étude
monographique menée sur le jeu Battleforge (réservé aux garçons), révélant les
idéologies de ce jeu de stratégie aux dimensions très clairement
« marchandes » et de quelle manière l’égo du joueur y était
valorisé :
https://www.carnetsdegeographes.org/carnets_recherches/rech_02_05_tremel.php
Patrick PLUCHOT
Merci pour cet excellent article
RépondreSupprimerAnnie jozefiak du musée de l’école d’autrefois de Monteux en Vaucluse