jeudi 8 février 2024

filles et garçons ou l'éternelle inégalité

 

Filles et garçons

L’éternelle inégalité ?


Tableau mural d’élocution, CE1, Nathan, 1967

L’inégalité garçons-filles : liée aux inégalités sociales ?

Les lois Ferry de 1881 et 1882 imposent une école publique, gratuite, laïque et obligatoire, mais qui ne sera pas fréquentée par tous. Les filières payantes dites du « petit lycée » (dès le CP) sont maintenues, elles scolarisent principalement les enfants de la bourgeoisie et essentiellement des garçons. Les lycées de filles sont encore considérés par certains, comme des « bizarreries » inutiles, malgré leur institution par la loi Camille Sée, en 1880… Dès 1920, la pression exercée par les enseignants se fait de plus en plus forte, demandant l’alignement des programmes des « petits lycées » sur ceux de l’enseignement primaire. Ce sera bientôt chose faite, mais les classes élémentaires payantes des lycées ne seront supprimées qu’en 1945… sans que la filière, devenue gratuite, ne disparaisse pour autant avant les années 1960.

La différenciation des programmes

On note, dès les lois scolaires de 1881-82, une nette différenciation des programmes en fonction des sexes, différenciation que l’on jugerait, de nos jours, discriminatoire : exercices militaires pour la gymnastique des garçons, cours de couture pour les filles. 

Jusque dans les années 60 même, l’enseignement des « sciences appliquées » aura un contenu différent selon que l’on soit fille ou garçon. Le contenu fut aussi différent selon que l’on habite à la ville ou à la campagne.

Manuel de sciences appliquées, classe de fin d’études, Ecoles urbaines de filles, Hachette, 1958 (collection musée)

Manuel de sciences appliquées, classe de fin d’études, Ecoles urbaines de garçons, Hachette, 1962 (collection musée)

Manuel de sciences appliquées, classe de fin d’études, Ecoles rurales de filles, Hachette, 1959 (collection musée)

Manuel de sciences appliquées, classe de fin d’études, Ecoles rurales de garçons, Hachette, 1959 (collection musée)


Le programme des sciences appliquées s’adapte donc au sexe de l’élève : apprentissage des activités industrielles ou agricoles pour les garçons des milieux populaires ou campagnards, apprentissage des activités domestiques pour les filles. Ce modèle sera ébranlé à la fin des années 1950 avec les prémices de la mixité dans les classes (mixité déjà admise dans les classes uniques) et surtout par le débat sur la démocratisation sociale de l’école qui aboutira à la promulgation de la loi Haby de 1975 et au « collège unique ».


On avait vu apparaître des revendications concernant l’éducation des filles dès la fin du 19e siècle et le début du 20e, sous la pression des mouvements féministes qui commençaient de connaître un certain essor. Malgré tout, les codes sociaux traditionnels restaient en place. Paradoxe : de longue date demandée par les féministes, âprement discutée, la demande de fournir aux jeunes filles une scolarité post-élémentaire fit partie de ces revendications et passa par la création d’écoles « ménagères » qui maintenaient les filles dans leur rôle ! 

Ecole ménagère de Montceau, années 30 ? (collection privée)

Ces écoles dites « ménagères » seront intimement liées au contexte local : selon qu’elles soient implantées à la campagne : elles prépareront les filles à leur futur de femmes d’agriculteurs, ou dans des régions industrielles : elles seront doublées de l’apprentissage d’un métier, majoritairement dans la couture ou dans la confection, évidemment, comme ce fut le cas à Montceau-les-Mines, où les jeunes filles sortant des écoles ménagères (publique ou de la Mine), trouvaient immédiatement de l’embauche dans les filatures ou usines locales de tissage. Quoi qu’il en soit, l’école ménagère portait bien son nom et devait apprendre à ses élèves, la bonne manière de gérer son foyer, les enseignements étant basés majoritairement sur l’économie domestique et l’hygiénisme.  


Les clichés ont la vie dure

Inégalités sociales-inégalité filles/garçons : une difficile différenciation

« La société française est régie par des lois justes, parce qu’elle est une société démocratique (..) Tous les français sont égaux en droits ; mais il y a entre nous des inégalités qui viennent de la nature ou de la richesse (..) Ces inégalités ne peuvent disparaître. »

Extrait du manuel de Pierre Laloi, Armand Colin, 1880. Cette maxime péremptoire indique bien que la suprématie des classes sociales dominantes est irréversible.

Après ce triste principe édicté par Pierre Laloi en 1880, rappelons quelques généralités qu’il est bon de ne pas oublier : si l’on constatait, dans les années 1930, que moins de 2% des enfants d’ouvriers atteignaient le niveau du baccalauréat, contre plus de 40% des enfants de cadres, il reste qu’aujourd’hui encore, 70% des enfants de cadres accèdent aux études supérieures contre moins de 40% pour les enfants d’ouvriers et d’employés. D’autre part, une étude de 2009 montrait qu’une majorité de filles allant jusqu’au baccalauréat, étudiaient en terminale « littéraire » (78% des effectifs) et en terminale « sciences et technologie de la santé et du social » (93%), cependant qu’elles désertaient certaines filières telles que la terminale « S » (45%) ou la terminale « STI » (10%). Les débats sur la démocratisation de l’enseignement d’après la Seconde Guerre mondiale, menés par le Conseil de la résistance, auraient-ils été vains eux aussi ? 

Dès les années 1950, études et statistiques alertent sur l’inefficacité des intentions politiques et sur l’écart persistant entre la réussite des enfants issus de milieux favorisés et ceux de milieux modestes. Les travaux de Pierre Bourdieu se focaliseront sur la question des inégalités sociales à l’école et structureront un débat sociologique pendant plusieurs années.

Le mouvement social de mai 1968 et ses prolongements auront-ils fait avancer le débat ? Outre le rappel de l’exigence d’une école démocratique, d’autres revendications se font jour : les droits des élèves, l’autodétermination, l’éducation centrée sur l’enfant, l’espoir mis dans les « pédagogies nouvelles » et, bien sûr, l’égalité de réussite en fonction du sexe… à nouveau.


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 La problématique des inégalités et des différenciations scolaires est donc relancée. Elle sera au cœur du débat dans les années 1980-1990, alors que ces inégalités perdurent, bien que du chemin ait été parcouru depuis ce discours d’un proviseur de lycée à ses élèves (masculins) en 1880 : « Les places élevées, vous y parviendrez plus facilement que tous les autres ; vous pourrez y arriver pour ainsi dire de plain-pied, car les premiers échelons, d’autres les auront gravis avant vous et pour vous… Nier la légitimité de ces avantages indiscutables, ce serait soutenir une théorie qui flatterait peut-être quelques utopistes, mais qui serait fruste, car elle détruirait la famille en la privant de ce qui est avant tout sa raison d’être, je veux dire l’espoir de laisser aux siens les résultats de ses efforts et de sa prudente sagesse. » Citation empruntée à Isambert-Jamati, Crise de la société, crise de l’enseignement, 1970.

Le poids de la société

« La femme est notre propriété, nous ne sommes pas la sienne car elle nous donne des enfants, et l’homme ne lui en donne pas. Elle est donc sa propriété comme l’arbre à fruit est celle du jardinier. »

(Citation attribuée à Napoléon 1er )

La prise de conscience des inégalités entre les sexes ne se fera que très lentement en fin de 19e siècle, période où les idées restent bien tranchées. 

Nouveau jeu de la guerre, jeu pour garçons par Léon Saussine, 1912 (proantic.com)


La petite maîtresse d’école, jeu pour filles par Mauclair Dacier, avant 1900 (collection musée)

Voir l’article du blog : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/04/la-petite-maitresse-decole_7.html

Une évidence s’impose. De tous temps, et à chaque avancée sérieuse des idées visant à gommer les inégalités garçons/filles, il faut bien admettre qu’il y eut de profondes divergences entre le nouveau message éducatif porté par l’école (et possiblement l’exécutif), et les représentations des familles et de la société en général, fortement marquées par les traditions. Ainsi, resta-t-on souvent fidèle aux stéréotypes sociaux que l’industrie des jeux et des jouets, ou bien la littérature jeunesse, continuèrent de diffuser.

Jeu de la petite postière, années 60 (musée de la Poste)

 

Jeu du petit chef de gare, année 60 (vinted.com)

L’industrie du loisir ne fut d’ailleurs pas en reste. Elle propose encore, de nos jours, des produits (films, séries télévisées, jeux vidéo) véhiculant souvent des valeurs opposées à celles promues par l’institution scolaire. 



On voit bien que l’éducation par l’école ne fait pas tout, l’identité sociale sexuée est le reflet de la socialisation au sein de la famille, mais aussi le reflet d’une éducation informelle par les jeux, les jouets, les médias.

Les études montrent que de nos jours, sur une année, les enfants passent en moyenne plus de temps devant les écrans qu’à l’école. Les professionnels du marketing l’ont bien intégré et, à travers leurs « publics cibles », ils façonnent l’imaginaire des plus jeunes. Alors comment ces derniers construisent-ils leur identité ? Entre un imaginaire masculin et guerrier mâtiné de références néo-libérales et du culte de « héros viril » (1) ? Entre un univers « girly » et le fantasme de la « planète rose » ? Si la communauté éducative doit se préoccuper de cette question, le musée de l’école que nous sommes doit, de son côté, modestement contribuer à alimenter la réflexion.  

Pour conclure

Henri Thomas Marcoulan, conseiller municipal du 12e arrondissement de la ville de Paris (1874-1909), déclarait en 1903 : « Les tribunaux regorgent de garçons de 13 à 18 ans et de filles de 13 à 16 ans arrêtés pour crimes sur la voie publique. Tous ces criminels savent tous lire et écrire, il y a donc eu, dans leur vie, un moment où, abandonnés à eux-mêmes, à la sortie de l’école, ils se sont rendus indépendants et ont obéi aux suggestions de plus âgés qu’eux, qui ont su les entraîner ». Fort de ce constat, Marcoulan n’eut de cesse de plaider, en précurseur, mais surtout en utopiste, pour la poursuite d’une scolarité jusqu’à 18 ans pour tous, encadrée par les pouvoirs publics, garants des valeurs de la République et qui aurait développé, en plus des compétences générales, des notions citoyennes et l’apprentissage d’un métier.

Rentrée scolaire du 1er octobre 1947 (Radiofrance)

Ce souhait peut paraître surprenant alors que depuis 1881, la Troisième République, en rendant la scolarisation obligatoire de 6 à 13 ans, n’avait cependant pas mis fin au système secondaire payant qui accueillait seulement les enfants de la bourgeoisie dominante au « petit lycée » (à la place de l’école communale dans les grandes villes). La sélection sociale restait alors d’actualité. Le Conseil national de la Résistance reprit toutefois l’idée d’une scolarisation jusqu’à 18 ans dans ses perspectives pour une nouvelle école, ce fut un des axes structurant du Plan Langevin-Wallon de 1947. La proposition ne fut pas retenue, bien que la loi du 9 août 1936, sous le ministère de Jean Zay, avait déjà porté l’âge de 13 à 14 ans. Il fallut attendre 1959 et la réforme Berthoin pour que la scolarité obligatoire passe à 16 ans.

Classe de 4e, collège Jean Moulin, 1968-1969 (collection musée)

Et voilà que ressurgit, de nos jours, la volonté d’un apprentissage précoce pour certains jeunes, souvent issus d’un milieu défavorisé. Après avoir voulu former l’ensemble d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat, avec ses erreurs, le salut viendrait d’un retour  à l’insertion, dès 14 ans, dans le monde du travail par un apprentissage précoce ? La perspective de démocratisation de l’école par la prolongation de l’âge de la scolarité aurait-elle vécu ? Reste aujourd’hui que la volonté de démocratiser socialement l’école et de combattre les inégalités garçons-filles est encore, semble-t-il, partagée par la majorité, dans le discours, tout du moins, mais pour combien de temps encore ?

Classe de 3e, collège Jean Moulin, 1969-1970  (collection musée)

Clin d’œil : salutations aux collégiennes et collégiens qui trônent fièrement sur les deux dernières photographies (garçons devant et filles derrière sur la seconde !). L’auteur de cet article est parmi eux…

 

(1) : Laurent Trémel, Docteur en sociologie de l’EHESS, Chargé de conservation et de recherche au Musée national de l’Education à Rouen, propose en ce sens une étude monographique menée sur le jeu Battleforge (réservé aux garçons), révélant les idéologies de ce jeu de stratégie aux dimensions très clairement « marchandes » et de quelle manière l’égo du joueur y était valorisé :

https://www.carnetsdegeographes.org/carnets_recherches/rech_02_05_tremel.php

 

Patrick PLUCHOT




1 commentaire:

  1. Merci pour cet excellent article
    Annie jozefiak du musée de l’école d’autrefois de Monteux en Vaucluse

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