vendredi 26 avril 2024

Le Code Soleil

 

Le Code Soleil

La bible des instituteurs (et des institutrices)

Joseph Soleil, Le livre des instituteurs, traité complet des devoirs et des droits des membres de l’enseignement, Paris, librairie le Soudier, 1933, 346 pages, 8e édition (collection privée)

Connaissez-vous Joseph Soleil ?

Cet obscur chef de bureau honoraire au ministère de l’Instruction publique, au début du 20e siècle, Officier d’Académie, aurait pu rester dans l’ombre, malgré son remarquable ouvrage édité en 1910, Le Livre des Paysans, honoré de Souscriptions des Ministères de l’Instruction publique et de l’Agriculture, ouvrage qui avait obtenu le prix Fabien de l’Académie. Toutefois, sa tâche était l’organisation des conférences de législation scolaire aux Ecoles Normales Supérieures de Saint-Cloud (réservée aux garçons, 1882) et Fontenay-aux-Roses (réservée aux filles, 1880), thématique pour laquelle il développa une réelle passion. De cette passion jaillit la lumière en 1923, avec la publication de son ouvrage, Le livre des instituteurs traité complet des devoirs et des droits des membres de l’enseignement, qui deviendra le Code Soleil !

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k373286r.image

Un traité de morale républicaine

Toutes les questions abordées dans le « code Soleil » vont s’appuyer largement sur les textes produits par Ferdinand Buisson dans son Dictionnaire de Pédagogie et d’Instruction Primaire, notamment en ce qui concerne la laïcité. Ce véritable guide professionnel fut édité sous couvert du Syndicat National des Instituteurs (SNI) (1) et mis à jour chaque année de 1923 à 1979, date à laquelle la partie « morale » du livre disparaît. Depuis sa 62e édition, en 2005, il existe en version CD-ROM. Cet ouvrage, qui a formé des générations d’instituteurs en Ecole Normale jusque dans les années 1990, avait « pour objet d’exposer, sous une forme méthodique et pratique, tout ce qu’un maître a besoin de savoir sur sa fonction, non seulement ses devoirs d’éducateur, mais encore l’ensemble de la législation et de la jurisprudence de l’Enseignement. » Il faisait partie des achats obligatoires pour les élèves de quatrième année dans les Ecoles Normales dans lesquelles, deux heures par semaine, un enseignement de morale professionnelle était dispensé par la directrice ou le directeur. Ce recueil de préceptes moraux et de textes législatifs devait venir en aide aux jeunes qui entraient dans le métier. Il était la référence quand un problème survenait avec la population, les parents d’élèves, le maire, les institutions, on y trouvait toujours la réponse.

23e édition du Code Soleil, 1953

En 1923, le livre présente un sommaire en sept chapitres : « L’éducateur » ; « La vie privée de l’instituteur » ; « La neutralité scolaire » ; « Devoirs envers les élèves » ; « Devoirs à l’égard des familles » ; « Les relations avec les collègues » ; « Devoirs envers les autorités ». Patrick Raymond, dans un article intitulé Les tribulations du Code Soleil (note d’audition de l’émission radiophonique La fabrique de l’histoire), nous livre un éclairage intéressant sur l’aspect « moralisateur » de cet ouvrage. Il observe que sa teneur et son contenu sont à replacer dans le contexte d’une époque où le métier d’instituteur n’était pas seulement une fonction et qu’il n’était pas assimilable à un fonctionnaire comme les autres. Il n’en reste pas moins que certains préceptes toujours présents dans l’ouvrage jusque dans les années 1950 pouvaient, déjà à cette époque, prêter à sourire et seraient risibles de nos jours, extraits :



Jusque dans les années 1920, les maîtres, ces « hussards noirs de la République » chers à Péguy, se devaient d’incarner cette Troisième République naissante, dans un idéal patriotique hérité de la défaite de 1870. Tel un prophète ou un missionnaire laïque, il devait être le pendant du prêtre dans une France rurale traditionnaliste (2). Le Code Soleil fut édité peu après la Grande Guerre et en même temps que les Instructions de 1923 annonçaient une profonde réforme de l’école. Le premier devoir du maître n’était plus d’enseigner, mais d’éduquer, l’Instruction publique y perdra bientôt son nom au profit de l’Education nationale (le 3 juin 1932, sous le cabinet Herriot) : « Il dépend de la vie du maître que l’école soit une école de moralité. », extrait : 


Le paradoxe du code Soleil : morale et syndicalisme

La volonté de Joseph Soleil était de donner aux enseignants les éléments pour connaître leurs devoirs mais aussi connaître leurs droits, tout en fixant les limites de ces derniers à ne pas dépasser… Le Code Soleil reconnaît aux maîtres les droits syndicaux et les incite même à les utiliser, extrait : 

32e édition du Code Soleil, 1962

Le contraire eut été étonnant tant les liens entre l’auteur et le syndicat étaient forts. Le Code n’était-il pas né en même temps que le syndicalisme enseignant ? Du reste, ce sont les éditions Sudel (éditions du Syndicat National des Instituteurs dont Soleil était membre) qui vont imprimer l’ouvrage, et ce, jusqu’en 1979. Mais, si Soleil préconise l’activité syndicale et envisage l’usage du droit de grève (avec retenue), il met les maîtres en garde contre les dérives politiques : le fait syndical n’autorise pas l’action politique, d’ailleurs, les autorités n’autorisaient pas les instituteurs à être candidats aux élections municipales dans la localité où ils enseignaient et ils ne devaient pas faire état de leur opinion politique au sein de leur école et de la commune. 


39e édition du Code Soleil, 1969

Le Code Soleil est donc un outil complexe, à multiples facettes, édité par un syndicat… et recommandé par le ministère de l’Instruction. Il sera un maillon entre ces deux entités, prêchant la bonne parole du ministère tout en défendant les intérêts matériels et moraux de la profession, jouant le rôle de régulateur social qu’endossera peu à peu le SNI au sein de la Fédération de l’Education Nationale, ce qui lui sera reproché lors de la scission de 1992. En réalité, le Code énumère beaucoup de devoirs et assez peu de droits, extrait :


Le code Soleil et la laïcité

Pour conclure ce rapide tour d’horizon sur la portée du Code Soleil pour toute une profession, comment ne pas aborder une fois encore le thème de la laïcité qui reste toujours, de nos jours, d’une actualité brûlante quant au devenir de notre école républicaine. Dans la 9e édition de son livre, Joseph Soleil reprend le terme « d’esprit de laïcité » dans le chapitre II-L’instituteur dans sa classe-La neutralité scolaire, pages 13 à 18, extrait : 

9e édition du Code Soleil, 1934

 « 7.-L’état enseignant doit ouvrir ses écoles aux enfants de tous les citoyens, sans exception mais tous les citoyens ne professent pas les mêmes croyances religieuses : si l’État inscrivait dans ses programmes une morale fondée sur un dogme religieux, il exclurait de ses écoles quiconque adopte un autre dogme : c’est donc pour l’école publique  une nécessité d’être laïque et d’enseigner une morale laïque. Par cela même, elle garantit à tous la liberté de conscience.

En substituant, dans la première ligne du programme, à la « morale religieuse », « l’instruction morale et civique », le législateur de 1882 a proclamé la neutralité confessionnelle de l’école publique. La loi met ainsi en dehors du programme obligatoire l’enseignement de tout dogme particulier : l’instruction religieuse appartient à la famille et à l’église, l’instruction morale à l’école.

Les adversaires de l’école laïque n’ont pas manqué de soutenir que l’enseignement de la morale est inefficace s’il n’a pas pour fondement le droit divin, pour sanction la promesse ou la menace de récompenses et de punitions supraterrestres. Cette thèse, inspirée par l’esprit de parti, a été maintes fois et victorieusement réfutée. Elle ne saurait affaiblir votre foi dans la puissance de la raison, de la conscience, de la justice humaine. […]

 […] Ces principes, si noblement exprimés par l’éminent fondateur de l’école laïque, n’ont pas varié. Nous les retrouvons en substance dans une déclaration faite, au nom de la délégation française au Congrès international d’éducation morale de 1908, par M. Ferdinand Buisson, ancien directeur de l’enseignement primaire : « nous estimons qu’une nation libre peut et doit donner à tous ses enfants dans les écoles publiques, une éducation morale complète par les seules ressources de la raison et de la conscience, quelles que soient d’ailleurs les croyances religieuses qui s’y ajoutent ou ne s’y ajoutent pas. Notre école publique laïque ne fait pas la guerre à ces croyances. Elle ne se charge pas non plus de les enseigner, ni de les recommander. Elle ne fait de propagande ni pour ni contre une foi religieuse quelconque.

42e édition du Code Soleil, 1972

Elle ne s’inquiète pas de savoir si l’enfant est ou sera protestant ou catholique, juif, chrétien ou libre penseur : elle ne songe qu’à en faire un honnête homme, rien de plus. Et pour cela, elle s’efforce de développer son cœur, son caractère, en lui faisant aimer le vrai, le bien et le goût » […]

Neutralité religieuse n’est pas mépris des religions. N’oublions jamais que la doctrine rationaliste est une doctrine de tolérance. L’instituteur peut remplir sa mission sans avoir à faire personnellement ni adhésion ni opposition à aucune des diverses croyances confessionnelles. Bien mieux : « il devra éviter comme une mauvaise action tout ce qui, dans son langage ou dans son attitude, blesserait les croyances religieuses des enfants confiés à ses soins, tout ce qui porterait le trouble dans leur esprit, tout ce qui trahirait de sa part envers une opinion quelconque un manque de respect ou de réserve ». […]

12-La neutralité religieuse n’implique pas davantage la différence. Être neutre en matière religieuse, ce n’est pas être nul, n’avoir aucune foi, aucune opinion, aucune préférence ; c’est donner l’exemple de la tolérance large et généreuse pour toutes les idées qui ne sont pas les nôtres, jusqu’au point où elles deviennent des idées d’intolérance et de haine.

L’instituteur devra donc respecter les idées et les hommes de bonne foi. Il sera d’une correction parfaite à l’égard de tous les représentants du culte, il exigera la même correction vis-à-vis de lui-même. Il n’aura pas à redouter d’être accusé de manquer à son devoir de neutralité, en approuvant toute manifestation de fraternité, de bonté, de justice, de quelque religion qu’elle provienne, pas plus qu’en s’élevant d’une manière modérée mais ferme en face de l’intolérance et de l’impartialité, fût-elle proclamée au nom d’un dogme.

Il est bien entendu que toutes les querelles politiques ou religieuses doivent s’apaiser au seuil de l’école ; leur écho, même affaibli, ne doit pas s’y répercuter. Mais l’instituteur, citoyen laïque, ne saurait demeurer indifférent, par exemple devant les attaques d’un fanatisme agressif : il ne saurait être question de neutralité entre le juste et l’injuste, ni de tolérance devant la calomnie systématique. Il est des limites au-delà desquelles la tolérance deviendrait un coupable abandon.

« Ce serait, de la part des instituteurs, mésuser de leur indépendance que de se laisser émouvoir par des tentatives d’intimidation. Le résultat intentionnellement poursuivi serait, s’il s’y prêtait, de procurer aux adversaires de la laïcité l’occasion de se targuer d’une victoire qui, loin de satisfaire leur esprit de domination, ne ferait qu’encourager des entreprises nouvelles. »

13- Tout enseignement religieux, toute récitation de prières, tout emblème religieux sont bannis de l’école laïque. Mais toute liberté doit être laissée aux familles pour donner ou faire donner si elle le désire, à leurs enfants, l’éducation religieuse en dehors des heures de classe. […] »

90 ans se sont écoulés, ce texte, raisonnant comme un avertissement, ne prend-il pas encore tout son sens dans l’actualité ? 

45e édition du Code Soleil, 1975

A l’origine…

Avant le Code Soleil, en 1903, est publié un ouvrage de 240 pages qui contient les lois, décrets, arrêtés, instructions et circulaires, décisions de jurisprudence et règlement, concernant le traitement administratif des institutrices et des instituteurs publics, mais pas que… il fait l’objet d’une organisation originale en exposant les diverses circonstances de la vie des enseignants et en expliquant la réglementation qui s’y réfère. 


Le « Code Lantenois », Guide de l’instituteur et de l’institutrice publics au point de vue administratif, nouvelle édition, Paris, 1908 (gallica.bnf.fr)

Son auteur, Albert Lantenois (1871-1949), ancien instituteur devenu secrétaire d’inspection académique, en est l’auteur. Il fut l’organisateur de cours de préparation aux concours administratifs académiques et de formation des personnels en place. Il publia une rubrique « guide administratif », ainsi que des études documentaires dans le Journal des Instituteurs et des Institutrices, ce qui l’amena à synthétiser ses travaux dans trois volumes qui vinrent compléter son Guide : Ce que l’instituteur doit savoir, Ce que l’instituteur doit faire et Ce que l’instituteur délégué cantonal doit savoir. Un quatrième volume vint parfaire la série, s’adressant aux futurs candidats au concours de l’Ecole Normale.






(collection musée)



Un autre volume avait été édité en 1906, s’adressant aux futurs candidats au concours de l’Ecole Normale.

(collection musée)

Albert Lantenois, moins populaire que Joseph Soleil, n’en connu pas moins les honneurs de l’institution, il fut nommé Officier d’académie en 1905, Officier de l’instruction publique en 1913, Médaillé d’argent de la mutualité en 1923 et Chevalier de la légion d’honneur en 1929.

Albert Lantenois (wikipedia)

Sources :

-           « Les tribulations du Code Soleil » Note d’audition de l’émission « La fabrique de l’histoire » (France Culture), Patrick RAYMOND, professeur d’histoire/géographie membre du GFEN Midi-Pyrénées (Groupe Français d’Education Nouvelle).

-          DIALOGUE n° 140 – « La morale (qu’) en faire ( ?) » Supplément en ligne www.gfen.asso.fr – avril 2011.

-          Documentation Musée.

-          Les cinq paradigmes actionnels de l’instituteur du Code Soleil, commentaire d’André Pachod, formateur et directeur d’IUFM, in cairn.info, 2007.

-          La laïcité selon le « Code Soleil », Cécile Dunouhaud, 2021.

-          Gallica.bnf.fr.

-          Wikipédia.

Patrick PLUCHOT

49e édition du Code Soleil, 1979

(1) :

Premier bulletin du SNI

Le 24 septembre 1920 s’ouvre le congrès de la Fédération des syndicats d’instituteurs, basée sur des amicales professionnelles. Des militantes et des militants se sont rassemblés à la Mutualité à Paris, dans un congrès à huit clos, car on souhaitait garder les débats à l’abri d’oreilles indiscrètes. Il faut dire que le syndicalisme des enseignants n’est pas autorisé par la loi et que le ministre de l’Instruction publique, André Honnorat a donné jusqu’à la fin du mois de septembre de cette année pour dissoudre les syndicats locaux. Dans ce contexte troublé va naître le SNI qui deviendra SNI-PEGC, puis Syndicat des enseignants de l’UNSA en 1992.

(2) :

« Ouverte à tous, l’école primaire laïque doit aussi être connue de tous et assidûment fréquentée. Cette préoccupation de la fréquentation scolaire, dévolue à l’instituteur, se décline en deux missions complémentaires. La première mission consiste à « faire de la propagande en faveur de l’instruction », à convaincre de la fréquentation scolaire, de manière continue dans un pays non encore acquis à la cause de l’instruction publique, encore moins à celle de l’éducation nationale et populaire. L’exemplarité du maître dans la classe et à l’école, son engagement continu et sa présence active auprès de la jeunesse, la création et l’accompagnement des œuvres scolaires et postscolaires concourent au bon renom et au rayonnement de l’école. Répétons-le, l’offre scolaire ne passe pas d’abord par des textes, - décrets, lois, circulaires -, mais par des visages, des exemples, c’est-à-dire par des éducateurs laïques exemplaires. La deuxième mission touche à la « bonne » fréquentation scolaire. Cette qualification précise le choix juste des sanctions pour limiter l’absentéisme ; elle indique une stratégie professionnelle. L’instituteur doit se montrer ingénieux et conciliant, même dans des conditions difficiles. Il dispose de divers moyens : la visite à l’enfant malade, le développement de la caisse des écoles, l’organisation d’un ouvroir-vestiaire, l’appel à la générosité de la municipalité et d’amis fortunés, la mutuelle, la coopérative scolaire, le changement des heures de classe selon les saisons. Toutes ces dispositions indiquent un parti pris initial : convaincre plutôt que sanctionner, se montrer ingénieux et conciliant plutôt que réglementaire et autoritaire. Pour le Code Soleil et son instituteur, scolariser, c’est accueillir avec impartialité les élèves à l’école, les convaincre de fréquenter assidûment l’école, leur faire aimer l’école. » Commentaire d’André Pachod, formateur et directeur d’IUFM, in cairn.info, 2007.

54e édition du Code Soleil, 1987


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