vendredi 17 mai 2024

Sarrau, tablier et uniforme

 

Sarrau, blouse et tablier

Elèves d’une école de Blanzy (71), vers 1900 (collection musée)

La République et son école publique n’a jamais imposé d’uniforme aux écoliers. Pas plus que ce ne fut la tradition dans les « petites écoles » paroissiales ou communales d’avant les lois Ferry. On n’entendait pas imposer aux familles modestes le coût d’un uniforme scolaire qui aurait été préjudiciable à l’obligation scolaire que certains tentaient toujours de contourner pour soumettre leurs enfants à un travail précoce, les mêmes qui auraient pu ainsi, de bonne ou de mauvaise foi, mettre en avant leur extrême pauvreté pour justifier l’absentéisme scolaire. Ne trouve-t-on d’ailleurs pas, dans les mots d’excuses des registres d’appel, et ce jusqu’après la Grande Guerre : « n’a pas de sabots » !


La blouse utilitaire

La blouse et le tablier n’ont jamais été un uniforme, on remarquera d’ailleurs qu’il en existait une grande disparité. 

Classe unique en Saône-et-Loire, avant 1900 (collection musée)

Quoi qu’il en soit, ils étaient déjà le marqueur de la richesse, de la pauvreté et de l’appartenance à une classe sociale. L’école n’échappa pas à cette discrimination, les enfants y portant généralement leur vêtement quotidien habituel, souvent misérable dans les campagnes.



(collection Musée de la Maison d’école)

Ecolier des villes, 1912 (gallica BnF)

L’image d’Epinal de l’écolier de la fin du 19e et du début du 20e siècle, le plus souvent véhiculée, est celle d’un garçon portant un béret ou une casquette, une tunique (le sarrau), un ceinturon à la taille, une culotte courte à mi-mollets, de hautes chaussettes, des galoches pour l’enfant de la ville ou des sabots pour celui des campagnes, le tout recouvert d’un « capuchon » (pèlerine à capuche).

Image du film Les enfants de l’égalité tourné au musée par TF1, 1981 (collection musée)


(collection Musée de la Maison d’école)

Ecolière, 1912 (AD Pas-de-Calais)

Les filles, quant à elles, portent toutes des robes, de confections diverses selon le milieu social, toujours protégées par un tablier toutefois moins austère que le sarrau, mais restant dans des tons gris-bleus parfois agrémenté d’une collerette brodée. Le tablier est aussi porté par les enfants de la bourgeoisie des villes avec des coupes et des tissus plus élégants. 








(pinterest.fr)

Tout au long du 19e siècle, dans les milieux populaires, les habits des enfants étaient souvent taillés dans les parties récupérables des vêtements des parents. Ces habits se transmettaient dans les fratries, autant que possible, sans souci de mode, jusqu’à complète usure. Les vêtements de confection étaient chers et pesaient lourd dans les budgets modestes jusque dans les années d’après la Seconde Guerre mondiale. Historiquement, le plus usité fut le fameux sarrau, sorte de blouse paysanne et ouvrière qui servait à protéger les habits portés dessous.

Ecole publique de garçons vers 1930, on notera que souvent, le sarrau s’aboutonne dans le dos (Musée national de l’Education)

Un marché pour les modistes

Peu à peu, les catalogues de vente  flairent la bonne affaire. Evidemment, le sarrau n’apparaîtra jamais dans les produits proposés, trop rustique sans doute et de confection familiale facile. Les termes employés par les « réclames » seront alors « blouse » ou « tablier », deux habits protecteurs qui vont devenir articles de mode.



Costumes et blouses présentés sur le catalogue La Belle Jardinière, Mode Hiver 1877-1878. En détail, la manchette de protection de l’avant-bras… droit, l’écolier n’étant pas autorisé à utiliser sa main gauche ! (Bibliothèque de la Ville de Paris)

½ manches, fabrication maison, image du film De Jules à Julien tourné au musée en 2007 (collection musée)

Catalogue La Mode Illustrée, 1865 (picclick)

Catalogue La Mode Illustrée, 1886 (picclick)

Toutes ces nouveautés ne concerneront, à leur début, que les citadins et les familles aisées des bourgs tandis que d’autres familles, comme nous l’avons vu, confectionnaient des tabliers à partir de tissus de récupération ou donnaient à leurs enfants l’ancien tablier du grand frère, souvent délavé, usé, raccommodé et pas toujours à la bonne taille... Le tablier scolaire ne parvenait pas à dissimuler complètement les signes de pauvreté.

L’appellation de cet habit protecteur varia selon les époques et les modes : blouse, tablier-blouse, tablier d’école, tablier de maison, costume-blouse, blouse à plis, tablier à plis… Tout cela, avec le temps, va aboutir au « tablier d’écolier » qui restera longtemps la référence (jusque dans les années 1960). Les photographies scolaires, qui donnent une image de la tenue vestimentaire des écoliers, sont des traces du passé importantes mais toutefois trompeuses. En effet, le jour de la « photo », il arrivait que les enfants qui en avaient la possibilité, s’habillent « en dimanche ».


L’entrée des écoliers, 1912 (Gallica BnF)

Photo de classe, 1865, on distingue différentes classes sociales (MUNAE)

Classe maternelle, 1890 (MUNAE)

Classe unique, vers 1890 (MUNAE)

L’heure du repas, 1909 (collection Roger-Viollet)

Après l’école, 1919 (Agence RMN)

Classe unique, 1925 (collection Roger-Viollet)

Classe maternelle, 1930 (MUNAE)

Ecolier, 1931 (Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou)



Ecolière, 1936 (Base Joconde)

Les années 1970 verront la disparition définitive du tablier.

Quid de l’uniforme ?

L’affaire n’est pas nouvelle. Le port d’un uniforme à l’école est en débat depuis plus de 10 ans et la polémique s’est amplifiée dès lors que deux candidats à l’élection présidentielle de 2017 l’ont inscrit dans leur programme (François Fillon et Marine Le Pen). Un ministre de l’Education nationale des années qui suivirent, d’une autre mouvance politique, reprendra l’idée : « Dès lors qu’il existe une adhésion locale, cela peut être une des réponses au consumérisme qui caractérise notre société et accentue les inégalités sociales jusque dans les cours de récréation. » Jean-Michel Blanquer. Avant tout, un petit rappel historique s’impose.

Traditionnellement, l’uniforme fut surtout militaire, jusqu’à ce que Napoléon ne l’attribue à divers fonctionnaires de l’Etat et autres serviteurs lors de sa restructuration de l’administration. L’Académie française et l’Ecole polytechnique en sont deux exemples qui perdurent. En créant les lycées par une loi du 1er mai 1802, il introduit aussi l’uniforme en même temps qu’une discipline militaire dans les établissements : « un habit, veste et culotte bleues, à collet et parements bleu céleste. Il est accompagné d’un chapeau rond jusqu’à l’âge de 14 ans, au-delà, d’un chapeau français bicorne. Les boutons sont en métal jaune, ils portent l’inscription « lycée», suivie du nom du lieu. » Il réglemente aussi les costumes des écoles communales secondaires : « Leurs élèves pensionnaires portent l’habit et la redingote et capote de drap vert à boutons blancs, avec l’inscription « Ecole secondaire » suivie du nom du lieu. »

Ecole Saint-Charles à St-Brieuc, 1870 (wikimedia)

Collège Sainte-Barbe à Paris, 1884 (BM ville de Paris)

L’uniforme scolaire est donc d’allure militaire et perdurera tout au long du 19e siècle et au début du 20e, dans les grandes écoles surtout privées. Cependant, on le trouve dans les Ecoles Normales ou dans quelques écoles primaires publiques, sous l’égide des bataillons scolaires notamment (1). Les grands magasins les mettent à leurs catalogues et proposent différentes options.


Uniforme du collège Stanislas à Paris, 1894 (wikimedia)


Catalogue La Belle Jardinière, 1890 (BM ville de Paris)


Pensionnat de garçons, 1913 (CANOPE)

Les filles furent-elles oubliées ? Non. Napoléon pensait à tout et il créa la Maison d’éducation de la Légion d’Honneur  qui servit de référence aux autres institutions, bien que les écoles et pensionnats pour filles n’imposèrent pas d’uniformes scolaires avant la création des premiers lycées publics de filles à partir de 1880. L’uniforme de cette Maison subira différentes variations et il est toujours en vigueur de nos jours.


La Maison d’éducation de la Légion d’Honneur, 1907 (wikimedia)


La Maison d’éducation de la Légion d’Honneur, 1910 (CANOPE)


Uniforme des Maisons d’éducation de la Légion d’Honneur, 1977 (Paris musées)


Uniforme des Maisons d’éducation de la Légion d’Honneur, 2023 (legiondhonneur.fr)

A partir de 1880, pour les filles, les uniformes ont souvent les mêmes caractéristiques : bleu marine à col blanc ou marin, composés d’une jupe à pli creux et d’une tunique avec ou sans manche. Cet uniforme ne sert souvent qu’à distinguer entre elles les écoles privées. Cette tradition élitiste existe encore maintenant, dans quelques lieux.


Institution Sainte-Agnès à Asnière, 1930 (MUNAE)


Institution, 1939 (MUNAE)

On notera que dans les Ecoles Normales, aucun uniforme ne fut de mise mais que la tenue austère fut longtemps obligatoire (2).



Ecole Normale de filles de Mâcon (collection musée)

Faut-il « uniformiser » les écoliers

Quant à savoir si imposer de nos jours un uniforme dans les écoles publiques est une solution à certains problèmes, épineuse question. Plus de 60 % de la population y semblent favorables et mettent l’égalité au cœur du débat. L’uniforme mettrait tous les élèves au « même niveau », éliminant ainsi les discriminations basées sur le statut socio-économique et l’origine ethnique ou religieuse. Ce raisonnement ne prendrait tout son sens que dans le cadre d’une mixité sociale bien établie, ce qui aurait pu être le cas aux débuts de l’école Jules Ferry, mais malheureusement plus maintenant. Les mentalités ont évolué et contrarient les valeurs républicaines.

Les partisans de l’uniforme avancent qu’« En étant tous habillés pareil, les élèves se sentent « connectés » les uns aux autres et à leur école. En plus, tout comme dans le sport où les uniformes aident à différencier les équipes, les uniformes scolaires permettent de distinguer les écoles entre elles, notamment lors des sorties. » Dans ce cas, on ne pense pas à l’égalité de tous devant l’école, mais à une émulation entre établissements, sans toucher à l’entre-soi qui est une des causes du communautarisme. Un tel état d’esprit n’annoncerait-il pas la mort définitive de cette mixité sociale voulue à la création de l’école de la république pour « faire Nation » ? Les écoles publiques, telles des équipes de foot, ne verraient-elles pas se concentrer les meilleurs éléments dans un même lieu, accentuant un processus déjà bien engagé dans l’enseignement privé ? D’autres arguent que « La tenue unique est une réponse adaptée à des problématiques sociétales telles que les extrémismes religieux ou une solution adaptée aux problématiques de communautarisme. » N’est-il pas ici utile de rappeler les préceptes édictés par les lois scolaires de Ferry ? : « Tout enseignement religieux, toute récitation de prières, tout emblème religieux sont bannis de l’école laïque. Mais toute liberté doit être laissée aux familles pour donner ou faire donner si elle le désire, à leurs enfants, l’éducation religieuse en dehors des heures de classe ». Tout est dit et n’a qu’à être appliqué, sans la nécessité de revêtir un uniforme. Tout est dit, certes, mais ne concerne que l’école publique, l’école privée peut quant à elle, afficher tous les signes  de reconnaissance qu’elle veut.

Il est bon de rappeler aussi que l’école publique est uniquement financée par l’impôt de tous, dans un esprit de laïcité luttant contre les inégalités sociales et culturelles et, surtout, garantissant la mixité sociale, ciment de la communauté nationale. Comme le disait Ferdinand Buisson en 1912 : « Le triomphe de l’esprit laïque (..) c’est de réunir indistinctement les enfants de toutes les familles et de toutes les Eglises pour leur faire commencer la vie dans une atmosphère de paix, de confiance et de sérénité. » Les lois scolaires de Ferry, en 1881, avaient imposé une différenciation forte entre les écoles fondées et entretenues dorénavant par la puissance publique et celles fondées et entretenues par des associations privées, dont on ne contestait d’ailleurs pas l’existence, dès lors qu’elles s’autofinançaient. On peut légitimement s’inquiéter des dérives, de plus en plus nombreuses, permettant de contourner ce principe républicain originel qui avait considéré l’école publique comme une émanation de la Nation. Les écoles dites « privées » revendiquent une illégale parité de moyens de la part de l’Etat (qu’elles obtiennent souvent du reste) dès lors qu’elles maintiennent une disparité d’obligations, sans contrôle administratif, financier et pédagogique de la part des autorités qui les ont prises sous contrat, comme le relève le rapport du 1er juin 2023 de la Cour des comptes. De cette manière, les classes sociales aisées, les mouvements communautaristes religieux ou autres, se coupent du reste de la population, dans un entre-soi scolaire qui nie l’égalité en éducation, qui nie la nécessaire mixité sociale si importante, qui nie le principe de gratuité, qui nie la laïcité même. Ces écoles ne peuvent pas se réclamer d’un service public d’éducation, comme elles le revendiquent. Favorisera-t-on l’égalité entre les élèves en instituant l’uniforme dans les écoles, sans auparavant avoir résolu le problème de l’évitement scolaire de certaines zones et la concentration des classes sociales aisées et des mouvements communautaristes dans d’autres ?

Voilà une interrogation qui demanderait une réflexion plus profonde, afin d’apporter une réponse raisonnée à un malaise qui ne relève pas d’une solution miracle. Tout ce qui rassure ne résout pas toujours.

Sources :

-       Documentation musée.

-       Articles du blog du musée.

-       Musée national de l’éducation : flickr.com.

-       Histoire de mode enfantine, Viviane Lehouedec, 2018.

-       La tenue des élèves : diversité ou uniformité ?, Eric Berbudeau, 2024, maif.fr.

-       Images du fonds gallica.BnF.

Patrick PLUCHOT

 

(1) : Voir l’article du blog Création, organisation et fonctionnement des bataillons scolaires : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2016/11/les-bataillons-scolaires.html#more

 

(2) : Voir l’article du blog Uniformes et Costumes des Normaliens et normaliennes de Mâcon : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2018/10/ecole-normale-de-macon.html#more

1 commentaire:

  1. Bonjour Patrick et toute l’équipe.

    La réception de votre courriel est déjà une bonne nouvelle quand le message arrive: je sais que je vais me plonger sous peu dans une lecture agréable, édifiante, intéressante.
    Et à chaque fois ça marche.
    Ce document sur la blouse ou l’uniforme m’intéresse particulièrement, ayant de temps en temps des conversations avec des personnes pro-uniforme à qui il est difficile de faire admettre que l’application des lois de laïcité pourraient suffire à régler une partie du problème et que l’Education Nationale actuelle devrait plutôt se pencher au niveau budgétaire sur le recrutement d’enseignants dûment formés plutôt que de payer des uniformes :.
    Dans l’établissement scolaire où j’ai fait ma scolarité, dans les années soixante, la blouse, bleue, était imposée. Je n’ai pas constaté que cela réduisait les inégalités : la qualité de la blouse, les manteaux qu’on mettait par-dessus, tous les accessoires de l’élégance étaient là pour montrer qui était le plus riche.
    Un uniforme complet peut en effet lisser un peu les différences, mais un peu seulement. Il y a tellement d’éléments qui ramènent facilement à leur «infériorité» ceux qui ont peu de moyens…

    Merci pour le richesse des sujets et de la qualité de vos articles.

    Cordialement.

    Monique Chevenet

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