La
place de la femme dans l’enseignement
1850 -1945
Synthèse du colloque
« Images publiques des
enseignants »
INRP, 1995
Prolongement de l’exposition « Une
affaire de femmes ? »
(Suite de l’article
sur Julie Victoire Daubié dans "Vous qui passez le bac 2017, souvenez-vous !" rubrique « L’école dans l’histoire ou histoires
d’école ? »)
Des
origines de la féminisation
La loi Duruy du 10 avril 1867 amène à égalité
l’offre scolaire pour les garçons et pour les filles en instituant une école distincte
pour chaque sexe dans toute commune d’au moins 500 habitants. Bien qu’à cette
époque moins de filles ne soient scolarisées que de garçons, les institutrices
sont plus nombreuses que les instituteurs, toutes écoles confondues :
publique et bien entendu libre, acquis des congréganistes sous le régime de la
loi Falloux. Cette féminisation « raisonnable » de la profession
était déjà un fait sous le Second Empire et en 1863.
Les effectifs des enseignants se
structuraient de la manière suivante :
-
49 585
hommes parmi lesquels 40 817 instituteurs laïques, dont 33 767 étaient
titulaires dans des écoles publiques et 8 768 congréganistes
-
59 214
femmes parmi lesquelles 21 009 institutrices laïques, dont 7 579
étaient titulaires dans les écoles publiques et 38 205 congréganistes.
Fortes d’une supériorité numérique de presque
10 000 personnes, les enseignantes constituent en majorité le corps des
congréganistes, alors que les enseignants alimentent l’enseignement public.
Bien que les lois scolaires de la
Troisième République imposent la laïcisation (1882 : laïcité de
l’enseignement, 1886 : laïcité du personnel, 1904 : interdiction
d’enseigner pour les congrégations), la tendance ne s’inverse pas, bien au
contraire. Sur fond d’augmentation générale des effectifs, la proportion des
femmes se maintient dans un premier temps, puis explose pour atteindre un taux
de plus de 67 % au seuil de la Seconde Guerre mondiale.
Enseigner
serait-il une affaire de femmes ?
De tout temps, les institutrices auraient
donc supplanté en nombre les instituteurs si l’on excepte la période fondatrice
des valeurs laïques que fut celle des « Hussards noirs de la
République » chers à Péguy, durant laquelle un équilibrage semblait
s’opérer. La période qui suit l’après Première Guerre mondiale voit une
amplification importante de ce phénomène de féminisation du corps enseignant,
dans le premier degré surtout (même si l’on excepte les pics conjoncturels de
14-18 et 39-45, moments de mobilisation des hommes).
Le boom démographique des années 50 gonfle
les effectifs des écoles et provoque l’augmentation très rapide du nombre des
instituteurs et des institutrices, ces dernières devenant largement
majoritaires. En effet, à la rentrée 1951, les enseignants du primaire sont un
peu plus de 160 000, ils seront 230 800 à la rentrée de 1960,
310 000 à la rentrée de 1969 et parallèlement à cette augmentation, on
notera une progression continue du taux de féminisation : 65 % de femmes
en 1950, 70 % en 1960 et 75 % enfin en 1975, année où il aura atteint son
niveau le plus haut. Cette proportion importante d’enseignantes fait alors
apparaître le métier d’instituteur comme un métier féminin et ne tarde pas à
attirer les critiques acerbes qui tendent à accréditer l’idée que si il y a
tant d’institutrices, c’est parce que les hommes désertent ce secteur professionnel
et que la présence de plus en plus massive de femmes est un indicateur de la
dévalorisation du métier.
M. Tardy, sociologue décrit cette situation
dès 1966 : « Depuis longtemps
les institutrices ont franchi la frontière symbolique qui sépare les écoles de
filles des écoles de garçons. On leur a d’abord abandonné les cours
préparatoires où, maniant avec brio les abécédaires et les premiers livres de
calcul, elles firent merveille et accréditèrent l’idée que ce cours était en
fait la quatrième et dernière section des écoles maternelles. Puis ce fut les
cours élémentaires. Et maintenant, les instituteurs faisant des classes de fin
d’études leur terrain privilégié d’opération – pour combien de temps ? –
elles s’emparent des cours moyens, comblant le vide créé par la désertion des
hommes. Le métier d’instituteur est en train de devenir un métier de
femme et l’enseignement élémentaire prend délibérément l’allure d’un matriarcat
pédagogique. » (Postface de la réédition de l’ouvrage de Georges
Duveau sorti en 1957, Paris, Seuil, Les
Instituteurs).
Il serait somme toute un peu injuste
d’omettre le facteur d’évolution qui, quant à lui, souligne le fait que
l’augmentation de la proportion d’institutrices s’accompagne d’une modification
des comportements, susceptibles, à terme, de remettre en cause l’inégalité
flagrante des fonctions entre femmes et
hommes au sein d’un même métier : depuis 1980, on observe une progression
constante de la proportion relative des femmes présentes dans les catégories
professionnelles qui exigent une qualification supplémentaire ou qui donnent des responsabilités
d’encadrement (corps d’enseignants spécialisés, corps de direction ou corps
d’inspection) et qui par-delà confirment notamment, si besoin était, leur
capacité à assumer des relations de pouvoir entre adultes.
Les
sources de la féminisation
La féminisation du secteur éducatif dès qu’il
prend son caractère d’enseignement de masse ne peut pas être ramenée au simple
effet d’une pression sociale qui aurait cantonné les femmes dans leur rôle
d’éducatrices des enfants. Les choses sont beaucoup plus complexes et la mise
en place de ce processus est liée autant à des causes externes au métier lui-même, qu’à des causes internes
à celui-ci.
Les causes externes sont de deux
ordres :
-
Sociologique d’abord, à travers
les nécessités économiques qui forcent les femmes de la petite bourgeoisie à
travailler et les mettent dans le cas de choisir le métier d’enseignante
largement ouvert à elles et qui ne contredit pas l’image traditionnelle de leur
rôle.
-
Culturel ensuite car les
femmes accèdent progressivement aux
études primaires supérieures voire secondaires qui jusqu’alors étaient le
privilège des hommes. Tout au long du XIXème siècle, les femmes n’ont de cesse
de poursuivre des études (qui ne les destinent d’ailleurs pas à l’enseignement)
ou de passer des Brevets de Capacité leur permettant d’égaler les
congréganistes qui, quant à elles, en
sont dispensées grâce à la simple lettre d’obédience (déclaration
d’appartenance à leur congrégation, privilège aboli en 1881). On notera pour
l’exemple qu’en 1873, le nombre des femmes qui obtiennent le Brevet Elémentaire
est le double de celui des hommes et
qu’en 1906-1907, sont reçus à ce même examen : 6 136 hommes et 15 000
femmes, tandis qu’au Brevet Supérieur sont reçues 5 510 femmes contre
3 013 hommes.
Les causes internes, institutionnelles
celles-ci, tiennent à trois conditions qui ont favorisé le renforcement des positions obtenues par les
institutrices dans l’enseignement des filles :
-
Leur quasi-monopole
dans le secteur de la petite enfance : celui des salles d’asile jusque sous
la Troisième République d’une part, puis des écoles maternelles et des classes
enfantines, assimilées par le Décret du 25 juillet 1921 d’autre part. Le
développement de ce secteur est caractérisé par une discontinuité marquée. Elle
s’explique par la suppression d’écoles congréganistes au tournant du siècle,
puis par la baisse démographique liée à la Grande Guerre et enfin par
l’abaissement en 1921 de l’effectif des classes à 50 élèves…
-
Leur appropriation en
droit des écoles mixtes : après le décret du ministre Fortoul sous le
Second Empire (31 décembre 1853), il est préconisé que les écoles mixtes
(structures scolaires liées aux petites communes qui ne peuvent pas entretenir
une école de filles et une de garçons) doivent de préférence être à des
institutrices. La loi organique du 30 octobre 1886 renforce encore ces
prérogatives en stipulant que les institutrices doivent diriger les écoles
mixtes (article 6), que les communes de 500 habitants et plus peuvent remplacer
leur école spéciale de filles par une école mixte (article 11), ceci a eu pour
effet immédiat de permettre aux communes de transformer deux écoles séparées de
filles et de garçons en une seule école à deux classes mixtes où l’on peut
alors nommer des couples d’instituteurs (ce qui encourage ou récompense les
mariages endogènes) , l’épouse prenant évidemment la classe des petits et le
mari celle des grands ! En 1886, le nombre de femmes dans les écoles
mixtes publiques est de 2 762 (contre 14 756 hommes), en 1906, il est
de 8 011 (contre 12 913 hommes).
-
Leur implantation
dans les écoles de garçons : la même loi de 1886, toujours dans son
article 6, admet que les femmes peuvent enseigner à titre d’adjointes dans les
écoles de garçons si elles sont épouse, sœur ou parente en ligne directe du
Directeur (elles reçoivent alors les petites classes). Dans cet article réside
certainement le processus primitif fondamental de la féminisation et cette
présence des femmes a sans doute été amplifiée par la guerre de 14 qui a
habitué à cette présence dans les écoles de garçons. Toutefois, ces
« intérimaires de guerre » ont pu quelquefois trouver place dans les
écoles normales pour y obtenir les certifications requises.
Les
« Vierges » de l’enseignement
De même que l’on se réfère à l’instituteur
d’autrefois avec un grand « i » ou mieux, au « maître
d’école », différentes figures d’institutrices s’imposent à nous d’une
manière uniformisante et transhistorique s’il en est. On peut considérer qu’aux
temps fondateurs de l’école républicaine, bien que l’activité d’enseignement
soit assumée par des catégories statutaires très différenciées (voire en
conflit) et qu’à des époques successives elles aient été investies par des
groupes sociaux distincts et ayant des intérêts divergents, deux grandes
figures d’institutrices se dessinent jusque pendant la Troisième
République : la « Bonne
Sœur » et « Mademoiselle
l’Institutrice laïque ».
Pour la
première, le
temps a été sans pitié. L’historiographe l’a délaissée bien qu’elle eut son
heure de gloire surtout sous le Second Empire, qui compta 39 noviciats. Ces
religieuses enseignantes eurent un fort impact social et s’inscrivirent souvent dans le paysage scolaire des écoles
patronales du XIXème siècle comme ce fut le cas dans le bassin minier de
Montceau-les-Mines avec les sœurs de Saint-Joseph de Cluny,
accompagnées des Frères Maristes.
L’espace occupé par les congrégations était
fortement hiérarchisé, celles-ci étaient de trois types :
- Les congrégations pouvant fonder des
maisons sur tout le territoire français (en 1852, elles étaient 95 pour
1 394 écoles autorisées).
- Les congrégations pouvant fonder des
maisons seulement dans le ou les diocèses mentionnés dans leur statut (en 1852,
elles étaient 224 pour 442 établissements).
- En plus de ces congrégations autorisées,
d’autres s’étaient créées et ne furent que simplement tolérées entre 1852 et
1859 (923 durant cette période).
Pour la
seconde : la
voie royale s’ouvrait dès la fin du XIXème siècle et jusque durant la Belle
Epoque, quoique l’historiographe l’ait, elle aussi, maltraitée en reléguant son
image derrière celle, très ostensiblement masculine dans son esthétique
militaire du « Hussard noir de la République » » (bien que leur mission ait été clairement la
même) (ANNEXE I). Les rapports entre
les deux sexes furent en général mauvais à cause d’une rivalité professionnelle et
surtout sociale, mais aussi à cause des plus fortes vicissitudes de la
laïcisation subies par les institutrices, qui étaient souvent nommées après la
loi de 1886 sur des postes de remplacement des religieuses, alors que les
instituteurs laïques étaient, quant à eux, largement majoritaires. Elles
endurèrent, dans certaines régions, toutes sortes de malveillance :
calomnies, insultes des enfants, boycottage de la part des familles, affichage
de lettres anonymes sur leur porte…
Malgré tout, un curieux mélange des genres
eut alors lieu en cette fin de siècle entre les institutrices laïques prenant
leur premier poste dans des écoles devenues publiques et les sœurs encore
Directrices de celles-ci (dont on attendait le départ en retraite pour les
remplacer) continuant, plus de quinze ans après la laïcisation des programmes,
à faire psalmodier chaque jour les prières par leurs élèves !
Un trait commun unissait souvent
institutrices laïques et sœurs congréganistes : le célibat. En 1861, sur
13 491 institutrices laïques, il y avait 10 053 célibataires et les
jeunes maîtresses se plaignaient souvent de leur isolement : « Seule, toujours seule, il lui est
défendu d’aimer » (1), « Quel vide affreux, à côté de la
joyeuse gaieté de l’Ecole Normale » (2).
De plus, s’adjoignait au célibat une réputation de laideur : « Mademoiselle, pourquoi ne vous
êtes-vous pas mariée ? – Oh, ma chérie, tu ne m’as donc pas regardée !
Ce n’est pas avec mon nez trop gros et ma taille de rien du tout qu’on trouve
aisément un mari. (..) Une humble institutrice primaire, quand elle est née de
parents pauvres, ne tente guère les épouseurs. Où trouver l’homme qui veuille
bien accepter la charge d’une compagne gagnant peu, astreinte à de lourds
devoirs, forcée de vivre au fond de quelque pays perdu ? » (3).
De
l’institutrice célibataire à l’institutrice épouse/mère
Le nouveau contexte socio-culturel des années
60 voit un afflux de femmes dans le
métier d’instituteur. Si ce métier apparaît comme relativement peu accaparant,
à l’arrière-plan de cette perception, il y a un besoin du cumul de la fonction
économique et de la fonction maternelle, compte-tenu de l’augmentation du
nombre de femmes mariées exerçant un travail salarié. Celles-ci veulent une vie
professionnelle compatible avec une vie de famille, d’où la coexistence de deux
conceptions presque opposées du métier d’instituteur :
-
D’un côté une
représentation traditionnelle du métier « particulier », choisi par
vocation, exercé dans un véritable esprit de sacerdoce laïc plus que dans
l’esprit d’un simple emploi rémunéré.
-
De l’autre une
représentation nouvelle d’un métier « bien pour les femmes » en raison des
rythmes de travail exactement compatibles avec des responsabilités familiales
d’une épouse et d’une mère (si l’on s’en tient aux horaires prescrits
évidemment…).
La femme enseignante moderne valorise
beaucoup la vie familiale et le rôle que
joue la mère dans l’éducation des enfants, si bien qu’elle a tendance à vivre
douloureusement un engagement professionnel de plus en plus prégnant, qui la
rend moins disponible pour son foyer. Tiraillée entre vie familiale et vie de
travail, elle a l’impression de ne donner assez de temps ni à l’une, ni à
l’autre. Toutefois, en référence aux résultats de l’enquête « famille »
(INSEE, 1982), on constate que les institutrices se marient un peu plus que les
femmes cadres moyens, elles divorcent moins, et elles ont en moyenne plus
d’enfants (2,07 contre 1,67).
L’école
maternelle, domaine de l’institutrice
Une enquête pour le Manuel Général de
l’Enseignement Primaire donne des indications particulières sur l’état d’esprit
qui anime les institutrices en 1911. Les enseignants sont interrogés sur trois
axes fondamentaux de leur métier : leur
condition matérielle, leur situation morale et leur idéal éducatif. On
constate alors que les maîtresses, par rapport aux hommes, répondent très peu à
la dernière question et davantage à la première. Ceci traduit dans une certaine
mesure, la mise à l’écart des valeurs politiques, non pas seulement pour la
raison négative que les femmes sont exclues du suffrage, mais aussi pour la
raison positive d’une vision du métier centrée sur une prise en charge féminine
de l’enfance.
Cette vision féminine de l’école maternelle,
bien que s’appuyant sur des qualités traditionnellement imputées aux mères, n’en
attribue pas moins au jeune enfant une spécificité intellectuelle, chose peu
évidente jusqu’alors. Pauline Kergomard, Inspectrice Générale des écoles
maternelles (1879-1917), dès les débuts de la Troisième République, préconise
une pédagogie pour les jeunes enfants qui privilégie deux orientations :
préserver la santé des jeunes élèves et favoriser l’acquisition de la langue
qui est, à son sens, la base des futurs apprentissages scolaires. Nous sommes
donc dans le concept d’un modèle familial d’éducation, mais finalisé par la
culture de l’école primaire, comme le dira Pauline Kergomard elle-même : « un soin à la fois scientifique et
attendri ». Dans le premier numéro de la revue « L’école
maternelle, Journal de la première éducation » du 1er janvier
1882, on trouvera de nombreux procédés pédagogiques, des activités que nous
appellerions aujourd’hui « pré mathématiques », mais surtout des
modèles de leçons où les activités de langage sont dominantes. Ces principes
seront repris, amplifiés et diffusés par l’Association des Institutrices des
Ecoles Maternelles et des Classes Enfantines Publiques de France et des
Colonies créée en 1921, à travers une nouvelle revue : « l’Ecole
Maternelle française ».
Le
profil sociologique de l’institutrice
Tout au long de la première moitié du XXème
siècle et jusque dans les années 80, on note une propension plus forte des
femmes à faire intervenir le langage affectif lorsqu’elles analysent leur
pratique du métier d’institutrice. Cela a largement contribué à renforcer
l’image selon laquelle enseigner à de jeunes enfants était un simple
prolongement de la fonction maternelle. Au regard des enquêtes réalisées par
Ida Berger au milieu des années 70, il ressort que le choix de la profession
par « amour des enfants » occupe la première place des réponses
féminines et seulement la seconde des réponses masculines qui elles,
privilégient l’accomplissement de la fonction de formateur et de diffuseur de
connaissances.
De nos jours, les nouvelles professeures des
écoles développent une forme de « psychologisation » de leur métier destinée à lui donner une image sociale plus
honorable. Nancy Bosson raconte dans son livre, sa honte d’avouer qu’elle est
« instit » et se demande par contrecoup : « et si je disais psychopédagogue ? » (4). Il me semble que cette
redéfinition du contenu de la profession faisant une part plus grande à la psychologie de l’enfant
offre une traduction plus « professionnelle » et moderne à des
qualités dites « féminines » nécessaires à son exercice et contribue
de ce fait à sa revalorisation en le
rapprochant d’une image plus technicienne du métier. L’arrivée massive de
femmes issues de milieux socio-économiques
d’un niveau plus élevé tend à transformer le métier d’instituteur en « une sorte de profession libérale
relevant du domaine de la spécialisation psychologique » (5). Cette nouvelle référence à
l’enfant est aussi une façon de mettre en évidence les contraintes spécifiques
que sont l’éducation et l’instruction des jeunes enfants dans les conditions
nouvelles créées par l’évolution de leur statut. Etre institutrice, c’est
entretenir un contact direct, personnel, constant, avec un groupe important
d’élèves. Il reste que, parler explicitement de cette mise en relation obligatoire
avec les enfants (de même qu’Eliot Friedson rappelle « qu’il ne peut y avoir exercice de la médecine sans client »),
dans l’exercice du métier d’instituteur, c’est accepter mentalement leur
présence incontournable, apanage d’une pédagogie plus active collant à la
culture de « l’enfant-roi » et surtout, jour après jour, la vivre positivement. Enseigner
c’est, soit ne pas avoir évalué ce paramètre à sa juste valeur et subir la
situation intenable d’un adulte projeté au milieu d’une communauté étrangère
vécue comme hostile : « Elle
secoue la tête, en veine de confidences, elle lâche : l’Enfer, c’est pas
les autres, c’est les enfants des autres » (4), soit, au contraire, rendre compte d’une vie
professionnelle riche et intéressante grâce à cette présence, non pas en
déclarant béatement « j’aime les enfants », mais pourtant en se
sentant bien avec eux, ce qui est essentiel si l’on veut faire bien ce métier.
(1)
: « Annales politiques et littéraires », Francisque
Sarcey, 1897.
(2)
: « Manuel Général de l’Enseignement Primaire »,
Propos de Madame Favier, 1912.
(3)
: « Vérité », Émile Zola, 1898-1902.
(4)
: « Maîtresse détresse », Nancy Bosson, 1990.
(5)
: « La Place du Maître », Yvette Delsault,
1992.
ANNEXE I
« Seule de son espèce parmi les
établissements féminins de niveau secondaire, l’Ecole Normale offre la
particularité d’être en même temps une filière professionnelle. Longtemps
laissée à l’initiative des « cours normaux » congréganistes ouverts
aux boursières de l’Etat, la formation des institutrices publiques est assurée
à partir de 1879 (loi Paul Bert) par des établissements publiques. Pour les
républicains au pouvoir, « il s’agit de
faire un corps enseignant » (Jules
Ferry, mars 1879). La création de l’Ecole Normale Supérieure de
Fontenay-aux-Roses, en 1880, destinée à former les enseignantes des E.N. et
dont Félix Pécaut assume pendant de longues années la direction matérielle et
morale, ajoute à la cohérence de l’institution. Félix Pécaut était un libéral
radical, rétif à tout dogme, l’image même du protestant qui place tous ses
engagements éthiques dans la société civile et laïque, malgré des études
théologiques poussées qui le prédisposaient à un ministère paroissial (il fut
en effet consacré en 1853 mais n’exerça pas).
L’Ecole Normale offre le bagage intellectuel,
que sanctionne en principe le Brevet supérieur ; elle se montre aussi
particulièrement attentive à la formation morale des futures maîtresses qu’elle
soumet aux contraintes de l’internat obligatoire. La directrice de l’E.N. de
Besançon déclare en 1901 : « nous
sommes si pénétrés de la valeur éducative de la discipline que nous estimons
l’excès de sévérité moins dangereux que l’excès de faiblesse ». Mais plus encore qu’une morale
individuelle, l’Ecole Normale entend inculquer un état d’esprit, fait de
dévouement au service public et à la cause de la laïcité.
A l’âge de la retraite, telle normalienne du
début du siècle en a conservé dans son souvenir l’enthousiasme militant : « Notre directrice était aussi très attachée à sa
fonction ; elle était l’émule fidèle de Félix Pécaut, dont elle avait le
portrait dans son bureau. Elle s’employa avec beaucoup de tact à nous inculquer
les notions de grande morale, de conscience, de devoir, qui devaient faire
l’armature solide d’une saine éducation laïque ; encore en butte aux
attaques des cléricaux, elle gagnait pourtant du terrain, car elle avait des
partisans convaincus de la beauté, de la noblesse de l’entreprise, et qui
avaient à cœur de faire triompher le nouvel idéal de pureté, de joie en
l’homme. Et comme je me trouvais dans mon élément, comme notre enthousiasme
pouvait s’évertuer à l’aise ! Et je quittais l’école dans un élan de vie
joyeux avec toute ma jeune ardeur prête à affronter les rigueurs de la lutte à
laquelle j’étais destinée et que je pressentais peut-être plus qu’une autre en
ma qualité de fille d’instituteur… » (Cité
par Jacques Ozouf dans « Nous les maîtres d’école », Juillard,
1967) »
I.N.R.P, « L’éducation des jeunes filles », Musée National de
l’Education, 1983.
A suivre prochainement
: « La place de la femme dans l’enseignement, deuxième partie,
1945-1995 »
P.P
super enrichissant pour mon sujet des instituteurs-ices en histoire sociale !
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