« Petite histoire d’un écolier
d’autrefois expliquée aux enfants
d’aujourd’hui »
CHAPITRE XI
« Que de choses
à faire…»
L’essentiel
de l’activité scolaire pour Jules était, bien évidemment, moins consacré à la
récréation qu’aux apprentissages. Avant de quitter l’école, Certificat en main ou non, il
lui fallait acquérir les bases de l’enseignement dispensé selon les instructions
des lois Ferry de 1882 et suivantes. Préférées ou détestées, les leçons du
maître incluaient de nombreuses matières.
Le
français et la lecture pour commencer. Après la fondation de l'école maternelle
en France (1881), une inspectrice générale, Pauline Kergomard, s'élève contre
l'apprentissage précoce de la lecture. Sa collaboratrice, Mlle Bres, affirme en
1906, lors d'une conférence à l'Ecole Normale de Mâcon : "On ne doit
commencer à enseigner la lecture et l'écriture aux enfants qu'à partir de l'âge
de 5 ans, c'est-à-dire après leur avoir appris à parler." Le langage
devait être suscité par des objets ou des images et l'écriture par le dessin.
Au XIXème siècle, on apprenait à lire selon
une méthode syllabique (utilisée jusqu'à nos jours), on partait de la lettre et
du son correspondant pour assembler ces éléments en syllabes, les syllabes en
mots puis les mots en phrases.
Entre 1920 et 1930, une nouvelle adaptation
de la méthode syllabique était utilisée à Montceau-les-Mines notamment : la
méthode G.Gabet et G.Gillard. Elle était composée de 24 tableaux de lecture et
de deux livrets individuels. Groupés à cause de la phonétique, les mots de la
méthode, pas toujours du langage familier, présentaient de sérieuses difficultés. G.Gabet tentera de
les éviter au mieux, en 1938, dans sa "Grammaire française par
l'image".
En 1931, la méthode syllabique de lecture est
révolutionnée par la parution des trois fascicules de R.Jolly intitulés : "En
riant. La lecture sans larmes". Constitués de phrases très tôt lues,
bientôt réunies en textes à la portée des enfants.
Une nouvelle rénovation voit le jour en 1950,
Mlle Jughon propose une édition toute en couleurs de deux livrets : "Joyeux
départ".
Des assemblages de lettres, des dessins
suggestifs, plus de textes ouvrent la porte vers d'autres méthodes.
Vers 1930, la méthode dite globale est
proposée au personnel enseignant en Saône-et-Loire. Un texte lu à haute voix
doit prendre un sens vivant pour l'enfant qui doit retrouver des mots, en
reconnaître les syllabes puis les lettres avant de composer des mots nouveaux.
Cette démarche inverse de la précédente est aussi dite analytique. C'est ainsi
qu'elle apparaît dans les deux livrets Combier et Renaudin : "René et
Maria".
A partir de 1925, Célestin Freinet donna à la
méthode globale plus d'expansion avec la méthode naturelle, dans un climat de
libre activité qui caractérisait son école moderne.
La faveur du public scolaire va assez vite
vers des méthodes mixtes ou "semi-globale". C'est à celle-ci que se
conforme le manuel, en deux livrets, de J.Juredieu et E.Mourlevat, intitulé "Rémi
et Colette", déjà édité en 1965. Un texte affiché se réfère à cet ouvrage,
pour donner l'idée d'un "départ global".
Il importe alors que l'enfant ne cesse de
lire, qu'il lise aussi par lui-même, car la seule rapidité de lire et de penser
qu'il acquerra ainsi, fera de sa lecture un langage auquel il pourra
s'intéresser. Pour l’anecdote, arrivé à la lecture courante, le jeune apprenti
lecteur, avant et après la grande guerre de 1914-1918, était incité à persévérer
grâce à un livre intitulé : "Le tour de la France par deux enfants",
publié en 1877, lu et étudié par des générations d'écoliers jusqu'aux années
1920. Or le nom de l'auteur, G.Bruno, n'était que le pseudonyme de Mme Fouillé.
L'époque n'admettait peut-être pas les publications d'un auteur féminin dans
les écoles?...
Le
calcul ensuite,
dès la fin du Moyen Age, on exerçait les enfants à "sommer avec des
jets" (jetons). Montaigne ne dit-il pas quelque part : "Je ne
sais compter ni à jet, ni à plume". Cependant, des trois
constantes de l'enseignement primaire,
le calcul devient rapidement la matière la plus vivante à travers les
manipulations qu'elle nécessite. Un matériel divers et coloré fait son
apparition au fil des ans : le boulier-compteur, le boulier-numérateur (1),
les bûchettes, les dominos, les récipients et les poids du compendium métrique
qui aident l'enfant dans l'apprentissage de la numération, des opérations ou
des mesures.
Dans le domaine du calcul, les maîtres mettaient toute leur ingéniosité dans la confection de
matériel éducatif "bricolé" grâce à des objets de tous les jours :
panneaux de boutons ou de gommettes, fagots de bûchettes (2)... Plus tard
apparaissent avec les premiers exercices de géométrie, un matériel destiné au
maître : grand compas, grand rapporteur et grande équerre. Ferdinand Buisson
préconise d'ailleurs l'emploi de supports concrets dans son dictionnaire
pédagogique de 1882 :
"On veut que l'enfant s'accoutume à voir
de tête, c'est très bien; mais encore faut-il qu'il ait appris d'abord à voir
avec ses yeux. Avant l'abstrait le concret, avant la formule l'image, avant
l'idée pure l'idée sensible : c'est la loi générale de la saine
pédagogie."
La
morale évidemment : immuablement, chaque journée commençait par la leçon de
morale. La loi du 28 mars 1882 supprime l'éducation religieuse dans les
écoles primaires publiques mais les républicains lui substituent une morale
laïque, républicaine et patriotique (Art.1er). Cinq ans plus tard, les
instructions de 1887 précisent les buts et les caractères de cet enseignement
moral. En conséquence, la morale "destinée à ennoblir tous les
enseignements de l'école", jouira, dans la vie de l’écolier, d'une
importance privilégiée. Outre le commencement de la classe du matin par une
leçon de morale (dont la trace sous forme de maxime sera transcrite au cahier),
l'enseignement de la journée sera empreint de l'idée moralisatrice. Ecriture,
récitation, rédaction, lecture, dictée, grammaire, chant et même calcul
reprendront immuablement des thèmes chers à la morale, à l'image de ce problème
tiré d'un cahier d'une élève de 13 ans,
fréquentant en 1907, le cours du Certificat d'Etudes : "Une personne imprévoyante perd, chaque semaine, 1 jour 1/2 à
l'auberge et y dépense pendant ce temps 2,10 F. Si la journée est évaluée à
3,50 F, on demande combien cette personne perd en dix ans..."
Entre 1890 et 1914, les enseignants de
l'école primaire de la Troisième République avaient le légitime désir de fonder
une morale laïque faisant appel aussi à l'esprit critique : elle exigeait pour
cela de se référer à la réalité quotidienne ou même à l'histoire en conciliant
deux sentiments antagonistes, le patriotisme et l'amour de la paix.
Il est difficile de savoir quelle fut la
portée de l'action éducative des maîtres et des maîtresses d'autrefois. Quelle
influence ont-ils eue sur leurs jeunes élèves ou sur les adolescents et les
adultes qu'ils ont formés aux "cours du soir"?
Les
activités physiques ensuite, comme nous les avons connues, ne furent pas
la priorité absolue au début de l’école publique et le chemin fut long des
bataillons scolaires à l’éducation sportive. Les conséquences de la
défaite de Sedan sont multiples et une des conclusions émises par le pouvoir
politique a été la création des bataillons scolaires qui occuperont une grande
partie de l'éducation physique des garçons jusqu'à la fin du XIXème siècle,
comme nous l’avons vu précédemment. Malgré tout, des spécialistes se penchent
sur le problème du sport à l'école et parmi eux, Marey, qui analyse le
mouvement par la photographie et Demeny, qui utilise cette technique pour
construire une éducation physique sur des bases scientifiques.
Ces travaux sont une véritable étude du corps
et débouchent sur une pédagogie adaptée de l'éducation sportive à l'école. Elle
ne sera malheureusement que peu appliquée en ce début de siècle. A autre
guerre, autre conclusion... Dès 1918, le lieutenant de vaisseau Georges Hébert
conçoit une "Education physique et morale par la Méthode Naturelle".
Ces activités n'ont pas l'aspect militaire du maniement d'armes des bataillons
scolaires, si ce n'est leur organisation collective et rigide qui rappelle le
mouvement d'une compagnie de soldats à l'exercice.
Il faudra décidément attendre un nouveau
conflit pour voir évoluer les choses. C'est en 1945 qu'apparaissent les
premières Instructions Officielles pour l'enseignement de l'éducation physique
à l'école. Depuis, de nombreuses recherches ont tenu compte du développement
des différentes sciences humaines. Elles ont amené les enseignants à
reconsidérer leur discipline en fonction du sport devenu phénomène social.
L’enseignement
des travaux manuels
fut adapté aux nécessités du temps dans la société de l’époque principalement
rurale et manuelle,. A partir de 1882 et jusque dans les années 1930,
l'enseignement du travail manuel était surtout réservé aux filles et consistait
en études de points divers sur canevas ou sur toile plus ou moins fine. Au
temps où l'on "marquait" son linge de belles initiales, l'école ne
pouvait laisser ignorer aux élèves l'apprentissage de l'alphabet au point de
croix... Les fillettes brodaient aussi, crochetaient de la dentelle,
tricotaient la laine ou le coton avec des aiguilles d'acier. Dans la classe du
certificat, outre les travaux occasionnés par les sciences appliquées ("l'école
primaire peut et doit préparer les
filles aux soins du ménage et aux ouvrages féminins", Programmes des
27 et 28 juillet 1882), elles recevaient de sommaires notions de coupe
permettant la fabrication de taies d'oreillers, de manches à poignet, de petits
tabliers ou de bonnets à 3 pièces.
De même, "l'école primaire peut et
doit préparer les garçons aux futurs travaux de l'ouvrier et du soldat".
Souvent, dans les villes, ceux-ci s'en tiennent à de vagues exercices de pliage
de papier ou de carton. Il n'en va pas de même dans les campagnes, à l'image de
l'école de Mont-Saint-Vincent vers 1902 dont un groupe d'élèves s'affaire à la
confection de ruches, tandis que les autres sont à l'entretien du potager.
Les Instructions de 1938 précisent que les
travaux manuels conservent toujours leur caractère éducatif en employant à la réalisation de petits objets, des
matériaux divers : bois, fer, cuir, carton, verre, osier. Plus tard, vers 1970,
apparaîtra le four électrique (financé par la coopérative scolaire) qui cuira
les poteries de terre enrichies d'émaux. Le temps des maîtresses de couture
était désormais révolu et l'ère de "l'éducation manuelle et
technique" ouverte. Avec les nouvelles méthodes pédagogiques on
voit fleurir sur les murs de la classe des productions d'élèves beaucoup plus
importantes et maintenant liées à la découverte et à l'imagination. Beaucoup
d'activités donnent alors naissance à des travaux d'enfants et le "travail
manuel" traditionnel disparaît peu à peu.
(1) : LE BOULIER NUMERATEUR :
Il paraît bien avéré que c'est de Russie que
nous est venu, au début du XIXe siècle le boulier-compteur, soit quelques
tringles horizontales dans lesquelles sont enfilées 10 boules et qui ne sert
guère qu'à apprendre aux enfants la série des dix premiers nombres.
En France, Madame Pape-Carpantier (qui
travailla avec sa mère dans la première "salle d'asile" française
puis dirigea en 1848 la première Ecole Normale Maternelle) va inventer une
construction ingénieuse qui réunit les avantages d'une disposition double(cf
:article bulletin 2010) :
"Les tiges du boulier-numérateur se
recourbent à angle droit de manière à présenter une partie verticale et une
partie horizontale; il n'y a bien entendu que 9 boules dans chaque tige, mais
suivant qu'on veut figurer 1, 2, 3, 4 unités, on fait descendre dans la partie
verticale 1, 2, 3, 4 boules en laissant les autres en réserve dans la partie
supérieure. De plus ces boules ne sont pas d'égale grosseur; il a été
impossible de leur donner la progression des volumes qu'exigerait le système
décimal; (..) Le résultat le plus important est d'habituer l'enfant à bien
comprendre le sens et la nécessité du zéro, indiqué par l'absence de boules
dans la tringle représentant un certain ordre d'unités..."
D'autres bouliers furent imaginés, mais ce
qui importait, c'était de déterminer "en quel sens et dans quelle mesure"
leur emploi devait être approuvé. Ils rencontrèrent des adversaires sérieux dès
le XIXe siècle leur reprochant de ne pas exercer l'enfant à l'abstraction.
Tombés progressivement en désuétude dans le premier quart du XXe siècle, ils
furent remplacés dans les manipulations arithmétiques par les bûchettes puis,
après 1945, par les blocs logiques. (Prochainement un article sur Pape-Carpentier dans la rubrique "Histoire de l'école ou histoires d'école")
(2) : LES BÛCHETTES :
La Convention institua le système métrique et
imposa à toute la France, en 1795, la numération décimale.
Pour mieux faire comprendre ce nouveau mode
de calcul, le maître utilise les bûchettes. L'élève peut les manipuler et les
grouper par dizaines, centaines... Les bûchettes, de longueur égale, souvent en
noisetier, sont manufacturées par les parents ou les grands-parents; puis, plus
tard, elles seront industrialisées sous l'aspect de réglettes de bois coloré en
rouge, jaune ou vert.
Après la deuxième guerre mondiale et avec
l'introduction de la "mathématique nouvelle", les bûchettes sont
remplacées par les blocs logiques.
A suivre…
P.P
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