« Petite histoire d’un écolier
d’autrefois expliquée aux enfants
d’aujourd’hui »
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CHAPITRE IX
« Appliquez-vous
enfants ! »
Jules ne possède
pas la panoplie de cahiers ou de classeurs modernes dont disposent les élèves
d’aujourd’hui, il n’en utilise que deux, le cahier de devoirs journaliers
et le cahier de devoirs mensuels. Le cahier de devoirs journaliers a un
double rôle : enregistrer sous une même date tout ce qui est étudié en classe
un même jour et permettre un contrôle de la progression, par les familles pour les enfants, par Monsieur l'Inspecteur qui
évalue le maître.
On y relève cependant la permanence de certaines idées :
- la morale dite "de l'honnête
homme" et du citoyen patriote prime tout (sur les couvertures de cahiers
et dans les leçons) en écriture, grammaire et dictées.
- les énoncés de problèmes sont d'ordre
pratique : produit du travail, gestion du ménage et épargne, mais aussi d’ordre
patriotique depuis la guerre de 1870.
- les rédactions ainsi que les exercices de
français portent sur des thèmes moralisateurs : le mensonge, la médisance, la
calomnie, le devoir ou sur des thèmes historiques ou civiques : les journées
célèbres de la Constituante, les trois pouvoirs.
- les devoirs de Géographie et d’Histoire se
limitent à des tracés de cartes ou des résumés à apprendre par cœur.
Le
cahier de devoirs mensuels sert aux compositions (ancêtres des actuels contrôles).
Quel que soit l'éditeur de ce cahier spécial, on trouve à l'intérieur des pages
de couverture les mêmes "recommandations" adressées aux élèves et qui
témoignent au moins autant que les exercices eux-mêmes du style de l'école de
cette époque : "Enfant ! Ce cahier vous est remis pour être le
compagnon et le témoin de vos études (...) Enfant ! Faites en sorte de pouvoir
un jour regarder cet abrégé de votre vie scolaire sans avoir à en rougir ! (...)
Appliquez-vous, enfant ! Le cahier est là sous vos yeux, encore tout blanc,
prêt à recevoir tout ce que vous saurez y mettre de bon (...) Enfant ! Songez
encore à ceci : on ne travaille pas pour soi seul en ce monde, on travaille
aussi pour les autres". L'industrialisation des villes et des
campagnes de l'époque a besoin d'ouvriers nombreux et sérieux, travailleurs et
patriotes...
De tout temps, le support de prédilection a
donc été le cahier et ses variantes se sont accumulées : cahier de devoirs,
cahier du jour pour le travail courant, cahier de roulement pour la visite de
l’Inspecteur, cahier de compositions, cahier du soir pour les devoirs à la
maison, cahier de brouillon... Soignés ou bâclés, ils étaient et sont toujours
le reflet du travail de l'écolier. On notera que les cahiers qui ont traversé
le temps et sont parvenus jusqu’à nous ont, la plupart du temps, appartenu aux
meilleurs élèves, pour les autres, l’école relevant plus du calvaire que de tout
autre chose, ils ont vite disparu, ne chantait-on pas : "Vive les
vacances, à bas les pénitences, les cahiers au feu, le maître (ou la maîtresse)
au milieu" !
Autres attributs importants de la vie
scolaire : le buvard et le protège-cahier, frappé d'obsolescence pour l'un et
banalisé puis plastifié pour l'autre. A ses débuts, il y a plus de 150 ans, le
protège-cahier était décoré de thèmes empruntés à l'enseignement des
différentes matières : les grands hommes souvent, mais aussi les grands
événements de l'histoire, des illustrations traitant de la nature, des sciences
ou de la géographie.
Vint ensuite un renouveau avec l'apparition
de la "réclame" et ce, jusque dans les années 1960. A l'image même
des cahiers, le protège-cahier et le buvard sont envahis par la couleur et les
slogans : des biscuits "Brun" à la moutarde "Amora" en
passant par les bons vins "Sénéclause" et le rhum
"Négrita". La morale antialcoolique du début du XXe siècle semble
bien loin !
Jules a aussi à sa disposition quelques
livres, même si leur nombre reste modeste et leur contenu peu varié. Le contrôle de
l'introduction des livres dans les classes est prescrit dès la Révolution et le
25 avril 1834, il est demandé aux maîtres d'utiliser les mêmes livres pour
chaque enfant mais leur achat étant à la charge des familles, les enfants
viennent en classe avec des ouvrages disparates. Il faut attendre que les
communes ou l'état dotent l'école d'un lot de livres pour qu'il en soit ainsi.
La loi du 27 février 1880 modifiée par le Décret du 1er juillet 1913 précise
l'esprit dans lequel il convient de les choisir et bien entendu, sont proscrits
de l'enseignement les livres "de polémique violente ou agressive, ceux
qui provoquent ou entretiennent des haines entre les citoyens, ceux qui tendent
à ébranler ou à compromettre le culte de la Patrie". Les enseignants
titulaires, réunis en conférences cantonales, dressent des listes qu'ils
transmettent à l'Inspecteur d'Académie. Celui-ci en choisit une qu'il envoie au
Recteur qui lui-même la fait parvenir au Ministre... Là une Commission
Nationale fait les vérifications, plus particulièrement en ce qui concerne les livres d’Histoire.
Si l'état fournit une liste de livres, le
maître reste libre de ses choix et peut vendre aux élèves les fournitures
scolaires, ce qui entraîne de nombreuses plaintes de la part des parents qui
voient là une obligation de dépenses supplémentaires. Alors, en 1882, le
Conseil d'Etat, qui statue sur le différend, décrète que l'école est
obligatoire... pas le livre ! Paradoxalement, un Décret du 29 janvier 1890
impose l'usage du livre dans l'enseignement et une mesure est prise qui définit
le nombre de livres et la nature des manuels par niveaux. Les premiers manuels
proposés aux écoliers ont été des méthodes de lecture puis des livres de
lecture apportant une modeste culture en histoire, en géographie, en sciences
et pratiques comme par exemple "Le Tour de la France par deux
enfants". A ces ouvrages viennent s'ajouter les recueils de morale
usuelle. Outre les manuels d’apprentissage, les écoles se dotent d’une
bibliothèque souvent ouverte aussi aux adultes (1).
A
la fin du XIXème siècle, les livres de grammaire, de vocabulaire, d’Histoire,
de géographie, de calcul et de sciences se vulgarisent et les livres de lecture
sont plus littéraires. L'aspect des manuels devient de plus en plus attrayant
avec de plus grands formats, une illustration plus abondante, colorée et mieux
reproduite.
(1): LES BIBLIOTHÈQUES SCOLAIRES :
Pendant le règne de Napoléon III, un
arrêté ministériel de 1862 organisa pour chaque école primaire publique une
bibliothèque scolaire dont elle avait la propriété et qui était placée sous la
surveillance de l'instituteur. A la condition de disposer d’une
armoire-bibliothèque, conforme au modèle prescrit, le maître pouvait recevoir
des livres qui étaient accordés par le Ministre de l'Instruction publique, le
Préfet, les particuliers, ou qu’il se procurait au moyen des ressources propres
à la bibliothèque scolaire et provenant de subventions municipales,
souscription ou « cotisations volontaires » des maîtres et des
familles. Dressés par une commission ministérielle, des catalogues d’ouvrages
de lecture en offraient un large choix, non limitatif mais, en principe, aucun
livre ne pouvait être accepté par l'instituteur "sans l'autorisation de
l'Inspecteur d'Académie". Ces dispositions devaient être précisées par
arrêté du 15 décembre 1915 qui, d’autre part, supprima la cotisation
volontaire.
Déjà, aux débuts de la Troisième
République, par suite du vote de la loi du 16 juin 1881 sur la gratuité
complète de l’enseignement primaire, l’arrêté de 1862, modifié, permettait que
les livres de la bibliothèque scolaire fussent mis à la disposition de tous les
élèves fréquentant l’école, comme de toutes « les familles » habitant
la commune (comme ce fut le cas à la création de l’école publique de Clessy
(71) où un fond important de livres fut acquis dès la première année, fonds
archivé au musée de la Maison d’Ecole.
En 1881, la bibliothèque scolaire ne
devait pas garder le nom de « bibliothèque populaire » qu’on sembla
lui donner. Elle allait cependant se muer en celle-ci, par l’intermédiaire des
« grands élèves » auxquels elle était d’abord destinée. C’était à eux
et à leurs parents que l’instituteur de
Brandon (71) faisait lire aux veillées : Sans familles et En campagne 1870, dans le cours de l’année
1885. Voilà qui était conforme aux instructions données en introduction au "catalogue
d'ouvrages" pour bibliothèques scolaires, en 1881. Celle-ci avait pour
but de pallier, au village, la rareté "des livres dont l'ouvrier et le
cultivateur ne pouvaient faire la dépense". « L’enfant
devenait le lecteur de la famille » y apportait « le goût des
distractions saines », même le goût de « lectures
scientifiques » profitables et : « Ni livres de combats, ni
livres de haine, mais tout ce qui peut faire aimer davantage la patrie… »
ajoutait-on, sans perdre de vue que « les lectures favorites des illettrés, comme des enfants, sont celles
qui mettent les idées et les sentiments en récits et en images ».
L’instituteur de Brandon fut récompensé par le ministre…
C’était bien alors contre
l’analphabétisme ou contre un retour à celui-ci que l’on tendait d’abord à
lutter : En 1883, en Saône-et-Loire, il y avait 7,5 % de conscrits d’une
ignorance complète, au lieu de 12,5 % dans l’ensemble de la France (statistiques
de l’armée, service militaire). Pour la population globale du pays, le taux
d’illettrés était sans doute bien supérieur car, en 1877, encore la moitié des
communes ne possédaient pas d’école de filles.
Le nombre de bibliothèque scolaires
augmentait peu à peu en notre département : 265 en 1879 avec 24 720 volumes;
416 en 1883 avec 41 606 volumes; 606 en 1893 avec 82 744 volumes. Après que le
nombre de conscrits illettrés se fût abaissé de 6,2 % en 1935 à 3,4 % en 1951,
il importait par une pratique suivie de la lecture, d’apprendre vraiment à
lire.
Aller au-devant du jeune lecteur, en
tâchant de l’intéresser à « quelques
œuvres de qualité incontestable », telle était, en 1950, la motivation
profonde du concours que l’hebdomadaire l’Education Nationale avait organisé
entre les écoles de France, afin que d’abord, des maîtres avisés réussissent à
proposer : « Soixante meilleurs livres d’une bibliothèque
scolaire ». Trois écoles de Saône-et-Loire obtinrent un prix.
Déjà, les bibliothèques scolaires
renouvelaient leurs ouvrages, pour les partager entre les classes de chaque
école, en les mettant au niveau des petits élèves aussi bien que des grands.
Heureuse métamorphose ! Car, il faut que le pouvoir de lire soit conquis « par tous les enfants, y compris et d’abord par ceux que le milieu
familial n’aide ni ne pousse en ce sens ». D’autre part, non
mentionnées par les décrets précités, les bibliothèques pédagogiques avaient,
discrètement, un rôle éminent à jouer au service des maîtres. En 1884, elles
étaient au nombre de 42 dans le département de Saône-et-Loire, dont seulement 8
cantons en étaient dépourvus.
Ce fut en 1887 que pour le canton de
Montceau-les Mines, une bibliothèque pédagogique fut appelée à exister, « sur la proposition de Monsieur Durlot, Inspecteur primaire à
Montceau-les-Mines », et « installée
à l’école publique de garçons » (cette dernière, brièvement désignée,
était la seule école de ce titre dans la ville). Des concessions du ministère,
des dons d’éditeurs ou de sympathisants permettaient de garnir les rayons de
livres, ainsi que les achats à effectuer grâce à « une première
cotisation des membres participants », laquelle était « fixée
à un franc cinquante centimes pour les titulaires et à un franc pour les
adjoints et les adjointes ». « Des subventions de l’état et du
département » étaient escomptées, selon un règlement strict soumis à
l’approbation de Monsieur l’Inspecteur d’Académie. Des journaux et des ouvrages
de pédagogie ou d’instruction générale devaient être destinés « au
perfectionnement professionnel des titulaires » et « à la préparation
des jeunes maîtres aux divers diplômes de l’enseignement primaire».
La bibliothèque a eu une vie fort
active et à partir de 1970, il fallut répartir entre deux salles de l’école du
Centre (actuel musée), d’une part, une « série littérature », qui
comptait 1 300 livres, œuvres de romanciers, historiens, mémorialistes et
philosophe, et d’autre part, une « série pédagogie-psychologie » qui
comptait 350 livres ainsi que des revues, régulièrement complétées, d’intérêt
pédagogique, scientifique ou historique.
Dans le hall d’accueil du musée,
derrière les portes vitrées de l’ancienne bibliothèque, s’alignent des rangées
de livres reliés, couverts partiellement ou complètement de toile noire.
La tradition s’est perpétuée jusqu’à nos jours puisque la bibliothèque pédagogique fut intégrée en 1989 à
l’association APPRENDRE, association de circonscription qui continua à entretenir
un fonds pédagogique de plus de 2000 livres de pédagogie et de spécimen de
manuels scolaires contemporains, fonds qui fut légué au musée de la Maison d’Ecole
à la dissolution d’APPRENDRE. Beaucoup de livres tombés en désuétude à la suite
de nouvelles réformes sont régulièrement reversé aux archives du musée pour une
retraite bien méritée…
A suivre…
Source :
« Cent
ans d’école », 1983,
groupe de travail Musée de la Maison d’Ecole
P.P
que de beaux souvenirs. Toutes nos félicitations
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