vendredi 3 novembre 2017

Littera Obedientiales


La lettre d’obédience

Lettre d’obédience octroyée à la sœur Philomène Bergeret par le Vicaire-général sur proposition de sa Supérieure le 22 septembre 1868 (CANOPE)


Littera Obedientiales

La lettre d’obédience est une lettre qu'un supérieur donne à des religieuses ou à des religieux appartenant aux ordres enseignants, et que le gouvernement reçoit comme équivalent d'un certificat de capacité, notamment sous la loi Falloux :

Art. 49 −Les lettres d'obédience tiendront lieu de brevet de capacité aux institutrices appartenant à des congrégations religieuses vouées à l'enseignement et reconnues par l'État.

Comme le dira Rouland, le 30 mars 1867 : « Les lettres d'obédience sont évidemment un privilège.... la lettre d'obédience n'est point l'équivalent vrai du certificat de capacité ; la lettre d'obédience est un acte purement potestatif, qui appartient en entier au supérieur qui le délivre. » [Rouland devant le sénat (deux fois ministre de l’Instruction Publique : 1856-57 et 1860-63, Moniteur, 30 mars 1867, p. 383, 6e col.].



La définition administrative originelle de la lettre d'obédience était rédigée ainsi : « Ordre donné à un congréganiste, par son supérieur, de se rendre dans une commune pour y prendre la direction de l'école »Cette fameuse lettre joua un grand rôle dans l'enseignement primaire en France, de 1819 à 1881. L'article 109 du décret du 17 mars 1808 affilia les Frères des Ecoles chrétiennes à l'Université impériale. Ce décret stipulait que les Frères « seraient brevetés et encouragés par le grand maître » (le grand maître des Universités Fontanes nommé par Napoléon lui-même en l’occurrence) mais ce que l’article ne précisait pas, c’est si ce brevet serait individuel ou couvrirait toute une congrégation. Cette dernière hypothèse fut plébiscitée par le Supérieur général des Frères comme il l’expliqua plus tard dans une lettre au ministre de l’intérieur Lainé, le 7 juillet 1818 : « Son Excellence [le grand maître Fontanes] comprit que le diplôme pour une congrégation devait être unique, et le donna tel car vouloir obliger chaque frère à un diplôme particulier, ce serait séparer les membres de leur chef et détruire la congrégation ». En 1818, les Frères ne reconnaissent plus l’autorité de l’Université et s’auto dispensent de toute autorisation ou brevet de l’Etat. Pour apaiser les tensions, le roi n’hésitera pas à remplacer le ministre de l’intérieur Lainé par Decazes, plus ouvert aux revendications religieuses. Après maintes péripéties et conflits entre 1816 et 1819, les droits d’enseigner furent délégués aux autorités religieuses (les frères pouvaient recevoir le brevet au vu d’une lettre d’obédience délivrée par le Supérieur général qui les nomme ou les déplace à sa convenance). Cette délégation religieuse ne concerna pas que les congrégations enseignantes mais aussi les enseignants laïcs privés qui furent soumis à une autorisation d’enseigner délivrée par l’Eglise à la suite de l’ordonnance royale du 8 avril 1824 remettant au clergé la responsabilité de l’enseignement primaire (1).  




Autorisation d’enseigner délivrée par l’évêque de Périgeux (in Encyclopédie Générale de l'Education Nationale, Tome premier, 1952)

Dans le même esprit, la circulaire du ministre de l’intérieur du 3 juin 1819 avait étendu l’ordonnance de février 1816 aux écoles de filles tandis que la circulaire du 29 juillet de la même année permettait aux institutrices congréganistes d’échapper aux brevets de capacité : « Vous pourrez, écrit le ministre, leur délivrer l'autorisation d'enseigner, d'après l'exhibition de leur lettre d'obédience. Ces institutrices seront ainsi assimilées aux Frères des Ecoles chrétiennes. », ce que confirma l’ordonnance royale du 1er mai 1822 dans son article 3 : « le brevet de capacité serait délivré à chaque frère de l'Instruction chrétienne sur le vu de la lettre particulière d'obédience qui lui aurait été délivrée par le supérieur général de la société ».


Lettre d'obédience (collection musée)

La loi du 15 mars 1850 transforma en un droit absolu ce qui était resté, sous la Restauration et la monarchie de Juillet, une tolérance facultative, subordonnée à l'autorisation du recteur ; elle dit, à l'art. 49 : « Les lettres d'obédience tiendront lieu de brevet de capacité aux institutrices appartenant à des congrégations religieuses vouées à l'enseignement et reconnues par l'Etat ». En ce qui concerne les congréganistes hommes, on n'osa pas rétablir leur privilège sous la forme de la lettre d'obédience ; mais on créa à leur usage le certificat de stage (art. 47) : « le stage, si facile à faire accomplir par les jeunes gens appartenant aux congrégations religieuses, les dispense de tout examen et brevet de capacité, » écrivait l'abbé Dupanloup dans une brochure.


Lettre d’obédience octroyée à sœur Valentine par la Supérieure de la congrégation des Sœurs de la Destinée Chrétienne le 3 février 1869 (collection privée)

Dès lors, la lettre d’obédience tenait lieu de brevet de capacité pour les institutrices appartenant à des congrégations reconnues par l’Etat, comme ce fut le cas dans les écoles de la Mine à Montceau qui employaient des sœurs de Saint-Vincent de Paul tandis que les frères maristes des mêmes écoles ne devaient produire qu’un certificat de stage (2). La généralisation de la lettre d’obédience est l’œuvre de Falloux, légitimiste et catholique libéral, député à l’Assemblée constituante de 1848 et ministre de l’Instruction publique du 20 décembre 1848 au 30 octobre 1849 (3). Il y eut bien, ultérieurement, des tentatives de suppression de la fameuse lettre, notamment de la part de quelques membres du Corps législatif dont Jules Simon, Eugène Pelletan et Léonor Havin, à l’occasion de la discussion de la loi du 10 avril 1867 (4). Ils présentèrent, en effet, un amendement dans ce sens mais il fut écarté au motif qu’il aurait eu pour résultat de rendre à peu près impossible le recrutement massif des institutrices au moment où la loi nouvelle allait doter le pays de plusieurs milliers d’écoles de filles.

(1) : Après les « Cent jours », d’août 1815 à novembre 1820, une Commission de l’Instruction publique, constituée de cinq membres, est formée et présidée par Royer-Collard en remplacement du grand maître de l’Université impériale. Elle est placée sous l’autorité du ministère de l’Intérieur et relayée sur le terrain, par les inspecteurs généraux qui effectuent des tournées annuelles, par les recteurs d’académie et leurs inspecteurs. Cette commission défendit fermement le monopole universitaire et permit à l’État d’occuper, face à l’Église, toute sa place dans la direction de l’enseignement. Elle prépara l’avènement d’un ministère de l’Instruction publique qui vit le jour en 1824, alors qu’elle avait été remplacée en 1820, par un Conseil Royal de l’Instruction publique installé par Louis XVIII et présidé par Corbière. Les congrégations triomphaient le 27 février 1821 grâce à une ordonnance de ce dernier qui livrait l’Instruction publique aux mains des religieux. Désormais, les évêques autoriseraient, révoqueraient et contrôleraient les instituteurs en imposant au passage un Certificat d’instruction religieuse : « Les bases de l'éducation des collèges sont la religion, la monarchie, la légitimité et la charte ;
— L'évêque diocésain exercera, pour ce qui concerne la religion, le droit de surveillance sur tous les collèges de son diocèse ; il les visitera lui-même ou les fera visiter par un de ses vicaires généraux, et provoquera auprès du Conseil Royal de l'instruction publique les mesures qu'il aura jugées nécessaires ;
 — Le cours de philosophie des collèges sera de deux ans ; les leçons ne pourront être données qu'en latin. ».
Le 1er juin 1822, Monseigneur Frayssinous est nommé à la tête de l’Université, grand maître et président du Conseil Royal. A partir du 26 août 1824, il devient ministre-secrétaire d’Etat des Affaires ecclésiastiques et de l’Instruction publique. Dès lors, l’Eglise victorieuse développe les congrégations enseignantes avec le soutien financier du gouvernement. Les associations de religieuses hospitalières et enseignantes se multiplient et elles ont le monopole des écoles de filles et même des écoles mixtes de campagne. Les instituteurs laïcs restés en poste n’ont d’autre choix que d’accepter docilement le contrôle du curé.


Monseigneur Frayssinous (CANOPE)


Le chemin vers la laïcité
(Deuxième partie)
Un instituteur républicain  persécuté pendant la Deuxième République
(1848 – 1852) 

(2) : « Le brevet de capacité put être remplacé par le baccalauréat, la qualité de ministre d’un culte, ou par un certificat de stage, ce qui favorisait les frères. Pour l’enseignement féminin, on admit même que suffirait aux sœurs une lettre d’obédience que leur supérieure leur remettrait, et qui attesterait leur appartenance à une congrégation. » (Histoire de l’enseignement en France-1800-1867, Antoine Prost)

(3) : De Parieu succéda à Falloux, il fut ministre de l’Instruction publique et des Cultes du 31 octobre 1849 au 24 janvier 1851. C’est lui qui présenta la fameuse « loi Falloux », son prédécesseur. Votée après 2 mois de débats, elle établissait dans l’enseignement primaire et secondaire le principe de la liberté (en opposition avec le décret napoléonien de 1808 créant l’Université et son monopole), en donnant maints avantages à l’enseignement confessionnel et congréganiste. Bien que modifiée par les lois de 1882 et 1886 sur la laïcité de l’enseignement et par les lois de 1901,1902 et 1904 aboutissant à l’interdiction de l’enseignement congréganiste, elle n’a jamais été abrogée.

(4) : Victor Duruy rédige la loi du 10 avril 1867 dite « loi Duruy » il est alors ministre de l’Instruction publique de 1863 à 1869, poste qu’il accepta à condition qu’il fut séparé du ministère des cultes. Sa loi marque quelques avancées significatives en obligeant les communes de plus de 500 habitants à créer une école de filles alors que la loi Falloux du 15 mars 1850 avait fixé le seuil à 800 habitants. Dans le même temps, il les encourage à prendre des mesures en faveur des familles indigentes afin de leur permettre de disposer de la gratuité des études, leur demandant de fonder une caisse des écoles. Voici les principaux articles de cette loi :

ARTICLE PREMIER. — Toute commune de cinq cents habitants et au-dessus est tenue d'avoir au moins une école publique de filles, si elle n'en est pas dispensée par le Conseil départemental, en vertu de l'art. 15 de la loi du 15 mars 1850. Dans toute école mixte tenue par un instituteur, une femme nommée par le préfet, sur la proposition du maire, est chargée de diriger les travaux à l'aiguille des filles. Son traitement est fixé par le préfet, après avis du conseil municipal.

ART. 2. — Le nombre des écoles publiques de garçons ou de filles à établir dans chaque commune est fixé par le Conseil départemental, sur l'avis du conseil municipal. (..)

ART. 3. — Toute commune doit fournir à l'institutrice, ainsi qu'à l'instituteur adjoint et à l'institutrice adjointe dirigeant une école de hameau, un local convenable, tant pour leur habitation que pour la tenue de l'école, le mobilier de classe et un traitement. (..)

ART. 8. — Toute commune qui veut user de la faculté accordée par le paragraphe 3 de l'art. 36 de la loi du 15 mars 1850 d'entretenir une ou plusieurs écoles entièrement gratuites peut, en sus de ses ressources propres et des centimes spéciaux autorisés par la même loi, affecter à cet entretien le produit d'une imposition extraordinaire, qui n'excédera pas quatre centimes additionnels au principal des quatre contributions directes. En cas d'insuffisance des ressources indiquées au paragraphe qui précède, et sur l'avis du Conseil départemental, une subvention peut être accordée à la commune sur les fonds du département, et, à leur défaut, sur les fonds de l'Etat, dans les limites du crédit spécial porté annuellement à cet effet au budget du ministère de l'instruction publique. (..)

ART. 15. — Une délibération du conseil municipal, approuvée par le préfet, peut créer, dans toute commune, une caisse des écoles, destinée à encourager et à faciliter la fréquentation de l'école par des récompenses aux élèves assidus et par des secours aux élèves indigents. Le revenu de la caisse se compose de cotisations volontaires et de subventions de la commune, du département ou de l'Etat. Elle peut recevoir, avec l'autorisation des préfets, des dons et des legs. Plusieurs communes peuvent être autorisées à se réunir pour la formation et l'entretien de cette caisse. Le service de la caisse des écoles est fait gratuitement par le percepteur.

ART. 16. — Les éléments de l'histoire et de la géographie de la France sont ajoutés aux matières obligatoires de l'enseignement primaire. (..)

ART. 20. — Tout instituteur ou toute institutrice libre qui, sans en avoir obtenu l'autorisation du Conseil départemental, reçoit dans son école des enfants d'un sexe différent du sien, est passible des peines portées à l'article 29 de la loi de 1850.

ART. 21. — Aucune école primaire, publique ou libre, ne peut, sans l'autorisation du Conseil départemental, recevoir d'enfants au-dessous de six ans, s'il existe dans la commune une salle d'asile publique ou libre.


Victor Duruy

Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique 1863-1869
Lithographie par A. Lafosse, Mayer, Pierson, J. Lemercier et Cie
Musée national du château de Compiègne
© Musée national du château 
de Compiègne


P.P






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