L’enseignement
par tableau mural
L’enseignement
par les yeux
Cet enseignement par tableau mural dont nous allons
parler ne concerne pas l’utilisation lointaine des planches qui servaient, du
temps des écoles mutuelles, à enseigner la lecture, le calcul ou toute autre
matière et qui tenaient lieu de « livre collectif » aux classes
souvent dépourvues de manuels scolaires. Non, il s’agit plutôt de ces fameux tableaux
muraux, figurant des objets ou des situations décrites par le maître, souvent
sans aucun texte et qui donneront naissance à « l’enseignement par les
yeux ».
L’abbé
Fleury (confesseur de Louis XIV) et le « bon Rollin » (maître
vertueux et amoureux des belles lettres), tous deux pédagogues reconnus,
avaient, dès la fin du dix-septième siècle et le début du dix-huitième, mis
l’accent sur l’utilité des images dans les premiers enseignements. Elles
avaient, selon eux, la vertu de développer chez les très jeunes enfants un
esprit d’observation et de questionnement, notamment dans l’apprentissage du
catéchisme. L’idée fut reprise et répandue à travers les salles d’asile dès 1837.
L’emploi
des images dans les salles d’asile resta purement pédagogique et, contrairement
à l’utilisation qui en sera faite bien plus tard, ces dernières ne décoraient
pas les murs et étaient soigneusement remisées dans des
« portefeuilles », n’apparaissant devant les enfants qu’au moment des
leçons. Elles n’étaient du reste pas surdimensionnées, à l’instar de la
collection Hachette (1), dépassant rarement les 40 cm x 30 cm, ce qui faisait que
passés les deux premiers rangs, elles n’étaient plus lisibles par personne.
Dans le même temps, peu d’écoles primaires n’accordèrent de place aux images
bien que des publications illustrées en grand format fissent leur apparition
pour l’enseignement de l’histoire.
Les planches
d’histoire naturelle d’Emile Deyrolle pour les écoles eurent beaucoup de succès
à partir de 1867 mais ce n'est qu'à la fin du dix-neuvième siècle que se
généralisa le mouvement. Les éditeurs français redoublèrent alors d’imagination
et ce ne fut pas seulement des tableaux d'enseignement proprement dit qui
furent produits mais aussi des images artistiques promues par la toute nouvelle
Société nationale de l'Art à l'école qui
travailla au développement de l'imagerie scolaire.
Paul
Vidal de La Blache, l’historien devenu géographe, est chargé en 1877 de
l'enseignement de la géographie pour les troisièmes années de l'École normale
supérieure de Paris. Il devient alors l'un des plus ardents promoteurs du
développement de la géographie, devenue discipline scolaire nationale entre
1871 et 1875. Il ressent aussitôt la nécessité de disposer d’un matériel
pédagogique nouveau. Il publie en 1885, chez Armand Colin, une collection des
quarante-quatre cartes murales, muettes ou parlantes, qu’il accompagne d'une
notice et d'un questionnaire destinés aux élèves. Le succès est immédiat.
Désormais inséparables du cours de géographie, ces cartes scolaires seront
rééditées jusqu'en 1966 et marqueront plusieurs générations d'écoliers (2).
L’enseignement par tableau
mural
Devant la multiplicité des
planches ainsi offertes, certains instituteurs ne furent-ils pas tentés de
substituer systématiquement l’observation collective du tableau choisi, à
l’observation de l’objet réel, pris en main par chaque élève ? Personne ne
s’était étonné de la contradiction dans les termes qu’enferme l’idée d’un « enseignement
par les yeux » à travers une reproduction papier. Même Pape-Carpantier n’avait
pas échappé à ce paradoxe. Buisson et quelques autres furent les premiers à
préconiser une autre voie : la « leçon de choses » dont le
support serait la vraie nature et l’objet réel afin de revenir à
l’« esprit d’observation » et qui serait une des applications de la
méthode intuitive, inductive et active (telle sera bien la doctrine pédagogique
officielle de l’école primaire française, des premières instructions de 1882
jusqu’à celles de 1945). Ce thème était déjà lié à la rénovation pédagogique
entreprise sous le ministère Duruy avec l’inscription de l’enseignement des
sciences dans les programmes obligatoires de l’école.
Ferdinand Buisson, dans sa
conférence de 1878 sur l’enseignement intuitif, préconisa l’utilisation d’un
« musée scolaire », c’est-à-dire des collections naturelles de
roches, de plantes, d’insectes faites par les élèves eux-mêmes et les maîtres.
C’était pour lui une manière, expressément reprise au demeurant dans les
instructions de 1923 après sa préconisation dans celles de 1882, de favoriser
l’observation directe des sujets de la leçon de choses et d’éviter
l’utilisation exagérée de l’image, déjà…
Malgré le développement de
l’enseignement par le film au début des années 20, la carte murale ne perdit
pas, pour autant, la faveur des enseignants, les éditions Rossignol, Anscombre
et autres, s’ingéniaient à présenter, en respectant scrupuleusement les
programmes et instructions, de nouvelles collections des tableaux d’histoire,
de sciences et de géographie pour tous les cours, ainsi que toute une imagerie
pour les exercices d’élocution des petites classes.
Des dessins clairs aux
contours précis, étaient groupés par dizaines de cartons souples, dans des
cadres de bois, servant à la fois de casier de rangement et de présentoir.
Le reproche que l’on put
adresser à ces tableaux muraux, fut d’être souvent un fourre-tout où, sur une
surface restreinte, on mit tous les éléments d’un thème qui, dans la réalité, étaient
en fait séparés ou isolés les uns des autres. Mais il ne faut tout de même pas
trop médire sur ces matériels qui, confiés à des maîtres sensibles et
intelligents, ont certainement contribué à faire parler et faire penser (voire
rêver) des millions de petits français à une époque non saturée d’images comme peuvent
l’être les écoliers d’aujourd’hui. Restait certes à inventer la pédagogie de
l’affiche élaborée en classe (3).
(1) : Une série de ces planches didactiques
Hachette était composée de 10 images destinées à « l’enseignement par les
yeux » (dénomination qui englobait 5 séries de 10 planches) référencée
dans le catalogue de l’éditeur. En 1896, ces séries furent préconisées à
l’usage des écoles maternelles et primaires et furent associées à un texte
explicatif Zoologie des écoles et des salles d’asiles écrit
en 1868 et de nombreuses fois réédité. Cette collection « pour l’éducation
des sens » avait été lancée par
Marie Pape-Carpantier, Déléguée générale des salles d’asile à cette époque et
auteure du texte explicatif. Cet ouvrage était destiné à commenter les images
et comprenait toute l’échelle zoologique. Chaque image était signée en bas de
la planche par le peintre Charles-Olivier De Penne qui fournit 50 illustrations
sur l’histoire naturelle.
Cet
« enseignement par les yeux » ne se limita pas aux sciences naturelles.
Marie Pape-Carpantier, à la suite de ses 5 volumes sur la Zoologie
des salles d’asile, des écoles et des familles, ajouta des récits d’histoire
sainte destinés à l’enfance en 1878. Les éditions Hachette avaient déjà alors produit sept
séries d’images : 50 sujets pour l’histoire sainte exécutés en couleurs à
partir de tableaux de grands maîtres dont 25 sur L’Histoire de Jésus (Paris,
1873) et 20 sur l’histoire de la Sainte Vierge (Paris, 1872).
(2) : Agrégé d’Histoire-Géographie en 1866, Paul Vidal de La Blache
est destiné à une brillante carrière d’historien dès sa première nomination à
l’École
française d'Athènes. De retour en France en 1870, il prépare une thèse
d’histoire antique qu’il présentera en Sorbonne en 1872 sous le titre Hérode Atticus, étude
critique sur sa vie. Happé par le mouvement qui s’était élevé en France à la suite de la
défaite de 70, il milite pour le développement de l'étude et de l'enseignement
de la géographie à l’université et dans le système scolaire.
En 1875, il devient professeur, titulaire d'une chaire de géographie "débarrassée", à sa demande, de son association traditionnelle avec l’Histoire. Dès lors, Vidal devient incontournable et publie tout au long de sa vie de très nombreux écrits - ouvrages ou articles - qui constituent autant de références pour les chercheurs, y compris aujourd'hui.
En 1875, il devient professeur, titulaire d'une chaire de géographie "débarrassée", à sa demande, de son association traditionnelle avec l’Histoire. Dès lors, Vidal devient incontournable et publie tout au long de sa vie de très nombreux écrits - ouvrages ou articles - qui constituent autant de références pour les chercheurs, y compris aujourd'hui.
(3) : L’introduction des musées scolaires permettent un enseignement
des sciences pratique et usuel et sont contrairement aux images des éditeurs, « nécessairement
appropriés à la région, à la localité dans laquelle se trouve l’école (..) Un
enseignement scientifique élémentaire n’a de valeur que s’il se transforme en
enseignement par les yeux. Cette nécessité a été si bien comprise qu’on voit
aujourd’hui les musées scolaires s’organiser partout ; et ici, il n’y a ni
grands efforts à faire, ni grandes dépenses à prévoir : le maître qui a de
la bonne volonté peut facilement, avec le concours de ses élèves et celui des
familles, réunir en peu de temps tous les éléments d’un musée scolaire sinon
complet, au moins suffisant. » Augustin Boutan, Inspecteur général de
l’Instruction publique (1879-1893). - Agrégé de physique (1845). - Professeur
en lycée (1845-1853) ; titulaire de la première chaire de physique (1854), puis
proviseur (1865), du lycée Saint-Louis, Paris.
P.P
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