lundi 11 décembre 2017

L'enseignement par tableau mural


L’enseignement par tableau mural

Tigre, image Hachette, illustration CH. O. de Penne, 37 cm x 20 cm (CANOPE)

L’enseignement par les yeux

Cet enseignement par tableau mural dont nous allons parler ne concerne pas l’utilisation lointaine des planches qui servaient, du temps des écoles mutuelles, à enseigner la lecture, le calcul ou toute autre matière et qui tenaient lieu de « livre collectif » aux classes souvent dépourvues de manuels scolaires. Non, il s’agit plutôt de ces fameux tableaux muraux, figurant des objets ou des situations décrites par le maître, souvent sans aucun texte et qui donneront naissance à « l’enseignement par les yeux ».



Portefeuille d’images Hachette, « Enseignement par les yeux » (collection privée)


L’abbé Fleury (confesseur de Louis XIV) et le « bon Rollin » (maître vertueux et amoureux des belles lettres), tous deux pédagogues reconnus, avaient, dès la fin du dix-septième siècle et le début du dix-huitième, mis l’accent sur l’utilité des images dans les premiers enseignements. Elles avaient, selon eux, la vertu de développer chez les très jeunes enfants un esprit d’observation et de questionnement, notamment dans l’apprentissage du catéchisme. L’idée fut reprise et répandue à travers les salles d’asile dès 1837.


Chat, image Hachette, illustration CH. O. de Penne, 37 cm x 2 cm (CANOPE)


L’emploi des images dans les salles d’asile resta purement pédagogique et, contrairement à l’utilisation qui en sera faite bien plus tard, ces dernières ne décoraient pas les murs et étaient soigneusement remisées dans des « portefeuilles », n’apparaissant devant les enfants qu’au moment des leçons. Elles n’étaient du reste pas surdimensionnées, à l’instar de la collection Hachette (1), dépassant rarement les 40 cm x 30 cm, ce qui faisait que passés les deux premiers rangs, elles n’étaient plus lisibles par personne. Dans le même temps, peu d’écoles primaires n’accordèrent de place aux images bien que des publications illustrées en grand format fissent leur apparition pour l’enseignement de l’histoire.


Planche d’histoire naturelle Deyrolle, édition 1900, collection « Elément d’Histoire naturelle » (collection musée)


Les planches d’histoire naturelle d’Emile Deyrolle pour les écoles eurent beaucoup de succès à partir de 1867 mais ce n'est qu'à la fin du dix-neuvième siècle que se généralisa le mouvement. Les éditeurs français redoublèrent alors d’imagination et ce ne fut pas seulement des tableaux d'enseignement proprement dit qui furent produits mais aussi des images artistiques promues par la toute nouvelle Société nationale de l'Art à l'école qui travailla au développement de l'imagerie scolaire.


Carte Vidal-Lablache, les départements de France (sans l’Alsace-Lorraine), avant 1900 (collection musée)


Planche de géographie Vidal-Lablache, Armand-Colin (collection musée)


Paul Vidal de La Blache, l’historien devenu géographe, est chargé en 1877 de l'enseignement de la géographie pour les troisièmes années de l'École normale supérieure de Paris. Il devient alors l'un des plus ardents promoteurs du développement de la géographie, devenue discipline scolaire nationale entre 1871 et 1875. Il ressent aussitôt la nécessité de disposer d’un matériel pédagogique nouveau. Il publie en 1885, chez Armand Colin, une collection des quarante-quatre cartes murales, muettes ou parlantes, qu’il accompagne d'une notice et d'un questionnaire destinés aux élèves. Le succès est immédiat. Désormais inséparables du cours de géographie, ces cartes scolaires seront rééditées jusqu'en 1966 et marqueront plusieurs générations d'écoliers (2).

Carte Vidal-Lablache, les chemins de fer de France, après 1945, à noter la nouvelle orthographe de la ville de « Sète » (décision de son conseil municipal en 1927), ville qui sur les cartes précédente était écrite « Cette » de son ancien nom  (collection musée)


L’enseignement par tableau mural

Devant la multiplicité des planches ainsi offertes, certains instituteurs ne furent-ils pas tentés de substituer systématiquement l’observation collective du tableau choisi, à l’observation de l’objet réel, pris en main par chaque élève ? Personne ne s’était étonné de la contradiction dans les termes qu’enferme l’idée d’un « enseignement par les yeux » à travers une reproduction papier. Même Pape-Carpantier n’avait pas échappé à ce paradoxe. Buisson et quelques autres furent les premiers à préconiser une autre voie : la « leçon de choses » dont le support serait la vraie nature et l’objet réel afin de revenir à l’« esprit d’observation » et qui serait une des applications de la méthode intuitive, inductive et active (telle sera bien la doctrine pédagogique officielle de l’école primaire française, des premières instructions de 1882 jusqu’à celles de 1945). Ce thème était déjà lié à la rénovation pédagogique entreprise sous le ministère Duruy avec l’inscription de l’enseignement des sciences dans les programmes obligatoires de l’école.


Planche d’histoire naturelle Deyrolle, édition 1900, collection « Règne végétal (Plantes) » (collection musée)


Ferdinand Buisson, dans sa conférence de 1878 sur l’enseignement intuitif, préconisa l’utilisation d’un « musée scolaire », c’est-à-dire des collections naturelles de roches, de plantes, d’insectes faites par les élèves eux-mêmes et les maîtres. C’était pour lui une manière, expressément reprise au demeurant dans les instructions de 1923 après sa préconisation dans celles de 1882, de favoriser l’observation directe des sujets de la leçon de choses et d’éviter l’utilisation exagérée de l’image, déjà…


Planche botanique Louis Matruchot, Armand Colin, vers 1920 (collection musée)


Malgré le développement de l’enseignement par le film au début des années 20, la carte murale ne perdit pas, pour autant, la faveur des enseignants, les éditions Rossignol, Anscombre et autres, s’ingéniaient à présenter, en respectant scrupuleusement les programmes et instructions, de nouvelles collections des tableaux d’histoire, de sciences et de géographie pour tous les cours, ainsi que toute une imagerie pour les exercices d’élocution des petites classes.


Planches Rossignol dans leur cadre bois, , www.collectionsrossignol.com  (collection musée)



Des dessins clairs aux contours précis, étaient groupés par dizaines de cartons souples, dans des cadres de bois, servant à la fois de casier de rangement et de présentoir.


Tableau d’élocution et de vocabulaire Delmas pour l’enseignement des langues vivantes, vers 1900 (CANOPE)


Le reproche que l’on put adresser à ces tableaux muraux, fut d’être souvent un fourre-tout où, sur une surface restreinte, on mit tous les éléments d’un thème qui, dans la réalité, étaient en fait séparés ou isolés les uns des autres. Mais il ne faut tout de même pas trop médire sur ces matériels qui, confiés à des maîtres sensibles et intelligents, ont certainement contribué à faire parler et faire penser (voire rêver) des millions de petits français à une époque non saturée d’images comme peuvent l’être les écoliers d’aujourd’hui. Restait certes à inventer la pédagogie de l’affiche élaborée en classe (3).


Tableau Anscombre, La Maison des Instituteur, année 60 (collection musée)


 (1) : Une série de ces planches didactiques Hachette était composée de 10 images destinées à « l’enseignement par les yeux » (dénomination qui englobait 5 séries de 10 planches) référencée dans le catalogue de l’éditeur. En 1896, ces séries furent préconisées à l’usage des écoles maternelles et primaires et furent associées à un texte explicatif Zoologie des écoles et des salles d’asiles écrit en 1868 et de nombreuses fois réédité. Cette collection « pour l’éducation des sens »  avait été lancée par Marie Pape-Carpantier, Déléguée générale des salles d’asile à cette époque et auteure du texte explicatif. Cet ouvrage était destiné à commenter les images et comprenait toute l’échelle zoologique. Chaque image était signée en bas de la planche par le peintre Charles-Olivier De Penne qui fournit 50 illustrations sur l’histoire naturelle. 




Cet « enseignement par les yeux » ne se limita pas aux sciences naturelles. Marie Pape-Carpantier, à la suite de ses 5 volumes sur la Zoologie des salles d’asile, des écoles et des familles, ajouta des récits d’histoire sainte destinés à l’enfance en 1878. Les éditions Hachette avaient déjà alors produit sept séries d’images : 50 sujets pour l’histoire sainte exécutés en couleurs à partir de tableaux de grands maîtres dont 25 sur L’Histoire de Jésus (Paris, 1873) et 20 sur l’histoire de la Sainte Vierge (Paris, 1872).


Enseignement par les yeux Hachette 1900 (CANOPE)


Blaireau Hachette illustration CH. O. de Penne



(2) : Agrégé d’Histoire-Géographie en 1866, Paul Vidal de La Blache est destiné à une brillante carrière d’historien dès sa première nomination à l’École française d'Athènes. De retour en France en 1870, il prépare une thèse d’histoire antique qu’il présentera en Sorbonne en 1872 sous le titre Hérode Atticus, étude critique sur sa vie. Happé par le mouvement qui s’était élevé en France à la suite de la défaite de 70, il milite pour le développement de l'étude et de l'enseignement de la géographie à l’université et dans le système scolaire.
En 1875, il devient professeur, titulaire d'une chaire de géographie "débarrassée", à sa demande, de son association traditionnelle avec l’Histoire.
 
Dès lors, Vidal devient incontournable et publie tout au long de sa vie de très nombreux écrits - ouvrages ou articles - qui constituent autant de références pour les chercheurs, y compris aujourd'hui.


Paul Vidal de La Blache (1845-1918)


(3) : L’introduction des musées scolaires permettent un enseignement des sciences pratique et usuel et sont contrairement aux images des éditeurs, « nécessairement appropriés à la région, à la localité dans laquelle se trouve l’école (..) Un enseignement scientifique élémentaire n’a de valeur que s’il se transforme en enseignement par les yeux. Cette nécessité a été si bien comprise qu’on voit aujourd’hui les musées scolaires s’organiser partout ; et ici, il n’y a ni grands efforts à faire, ni grandes dépenses à prévoir : le maître qui a de la bonne volonté peut facilement, avec le concours de ses élèves et celui des familles, réunir en peu de temps tous les éléments d’un musée scolaire sinon complet, au moins suffisant. » Augustin Boutan, Inspecteur général de l’Instruction publique (1879-1893). - Agrégé de physique (1845). - Professeur en lycée (1845-1853) ; titulaire de la première chaire de physique (1854), puis proviseur (1865), du lycée Saint-Louis, Paris.


Augustin Boutan en toge d’apparat : ceinture, simarre et épitoge, manquent la toque et l’épée


P.P











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