mercredi 3 janvier 2018

Voeux 2018


Pour une bonne année 2018

Riche, solidaire et laïque


Cliquer pour agrandir

Lettre de Jules FERRY aux instituteurs
17 novembre 1883

« Monsieur l’Instituteur,


L’année scolaire qui vient de s’ouvrir sera la seconde année d’application de la loi du 28 mars 1882. Je ne veux pas la laisser commencer sans vous adresser personnellement quelques recommandations qui sans doute ne vous paraîtront pas superflues, après la première expérience que vous venez de faire du régime nouveau. 




Des diverses obligations qu’il vous impose, celle assurément qui vous tient le plus au cœur, celle qui vous apporte le plus lourd surcroît de travail et de souci, c’est la mission qui vous est confiée de donner à vos élèves l’éducation morale et l’instruction civique : vous me saurez gré de répondre à vos préoccupations en essayant de bien fixer le caractère et l’objet de ce nouvel enseignement ; et, pour y mieux réussir, vous me permettez de me mettre un instant à votre place, afin de vous montrer, par des exemples empruntés au détail même de vos fonctions, comment vous pourrez remplir, à cet égard, tout votre devoir, et rien que votre devoir.

La loi du 28 mars se caractérise par deux dispositions qui se complètent sans se contredire : d’une part, elle met en dehors du programme obligatoire, l’enseignement de tout dogme particulier ; d’autre part, elle y place au premier rang, l’enseignement moral et civique. L’instruction religieuse appartient aux familles et à l’Église, l’instruction morale à l’école. Le législateur n’a donc pas entendu faire une œuvre purement négative. Sans doute il a eu pour premier objet de séparer l’école de l’Église, d’assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves, de distinguer enfin deux domaines trop longtemps confondus : celui des croyances, qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances, qui sont communes et indispensables à tous, de l’aveu de tous. Mais il y a autre chose dans la loi du 28 mars : elle affirme la volonté de fonder chez nous une éducation nationale, et de la fonder sur des notions du devoir et du droit que le législateur n’hésite pas à inscrire au nombre des premières vérités que nul ne peut ignorer. Pour cette partie capitale de l’éducation, c’est sur vous, Monsieur, que les pouvoirs publics ont compté. En vous dispensant de l’enseignement religieux, on n’a pas songé à vous décharger de l’enseignement moral ; c’eût été vous enlever ce qui fait la dignité de votre profession. Au contraire, il a paru tout naturel que l’instituteur, en même temps qu’il apprend aux enfants à lire et à écrire, leur enseigne aussi ces règles élémentaires de la vie morale qui ne sont pas moins universellement acceptées que celles du langage ou du calcul (..) Vous êtes l’auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille : parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l’on parlât au vôtre ; avec force et autorité, toutes les fois qu’il s’agit d’une vérité incontestée, d’un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d’effleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juge. (..) Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment : car ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas votre propre sagesse ; c’est la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité.

L’enseignement laïque de la morale n’est donc estimé ni impossible, ni inutile, puisque la mesure décrétée par le législateur a éveillé aussitôt un si puissant écho dans le pays. C’est ici cependant qu’il importe de distinguer de plus près entre l’essentiel et l’accessoire, entre l’enseignement moral, qui est obligatoire, et les moyens d’enseignement, qui ne le sont pas. Si quelques personnes, peu au courant de la pédagogie moderne, ont pu croire que nos livres scolaires d’instruction morale et civique allaient être une sorte de catéchisme nouveau, c’est là une erreur que ni vous, ni vos collègues, n’avez pu commettre. (..)

Mais, quelque solution que vous préfériez, je ne saurais trop vous le dire, faites toujours bien comprendre que vous mettez votre amour-propre, ou plutôt votre honneur, non pas à adopter tel ou tel livre, mais à faire pénétrer profondément dans les générations l’enseignement pratique des bonnes règles et des bons sentiments. Il dépend de vous, Monsieur, j’en ai la certitude, de hâter par votre manière d’agir le moment où cet enseignement sera partout non pas seulement accepté, mais apprécié, honoré, aimé comme il mérite de l’être. Les populations mêmes dont on a cherché à exciter les inquiétudes ne résisteront pas longtemps à l’expérience qui se fera sous leurs yeux.

Quand elles vous auront vu à l’œuvre, quand elles reconnaîtront que vous n’avez d’autre arrière-pensée que de leur rendre leurs enfants plus instruits et meilleurs, quand elles remarqueront que vos leçons de morale commencent à produire de l’effet, que leurs enfants rapportent de votre classe de meilleures habitudes, des manières plus douces et plus respectueuses, plus de droiture, plus d’obéissance, plus de goût pour le travail, plus de soumission au devoir, enfin tous les signes d’une incessante amélioration morale, alors la cause de l’école laïque sera gagnée : le bon sens du père et le cœur de la mère ne s’y tromperont pas, et ils n’auront pas besoin qu’on leur apprenne ce qu’ils vous doivent d’estime, de confiance et de gratitude.

J’ai essayé de vous donner, Monsieur, une idée aussi précise que possible d’une partie de votre tâche qui est, à certains égards, nouvelle, qui de toutes est la plus délicate ; permettez-moi d’ajouter que c’est aussi celle qui vous laissera les plus intimes et les plus durables satisfactions.

Je serais heureux si j’avais contribué par cette lettre à vous montrer l’importance qu’y attache le gouvernement de la République, et si je vous avais décidé à redoubler d’efforts pour préparer à notre pays une génération de bons citoyens. Recevez, Monsieur l’Instituteur, l’expression de ma considération distinguée.

Le président du Conseil,

ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts


Jules FERRY »


Portrait officiel de Jules FERRY par Léon Bonnat, 1888

1 commentaire:

  1. Merci pour ce texte fondateur de notre école laÎque et républicaine et le rappel de nos valeurs universelles.
    Jean Pirou

    RépondreSupprimer