« Quand tu seras soldat !
Période 1870-1914 »
(Première partie)
Au cours de cette année 2018 et après trois
expositions labellisées, le musée de la Maison d’Ecole à Montceau se propose de
revenir sur le rôle de l’école durant la période 1870-1939, à travers une
chronologie d’événements qui ont amené le premier conflit mondial, ainsi que le
second. Cette série d’articles paraîtra périodiquement jusqu’en décembre 2018. Voici
la première chronique : « Les plaies de la Guerre de 1870 ».
INTRODUCTION
Après 1871, la France rêve de la revanche et
de la reconquête de l'Alsace-Lorraine. Le pays a les yeux fixés sur "la
ligne bleue des Vosges". Par conséquent, l'armée devient rapidement
l'incarnation du pays et de son courage. Il faut aussi préparer les jeunes
générations à la mission qui les attend, ainsi, l'école va sensibiliser les
enfants à "l'amputation du territoire". Sur nombre de cartes de France,
les territoires annexés figureront en gris, voire en noir et seront toujours
identifiés comme « arrachés » à la mère patrie. La défaite de 1870 a
vraiment été ressentie comme une humiliation nationale et le désir de revanche
qui s’installe stigmatise Napoléon III et le Second Empire pour l’imprévoyance
dont ils ont fait preuve en matière militaire.
La période 1871-1914 est la « Belle
Epoque ». Elle le fut, en effet, pour les français des classes aisées…
L’Europe vit alors le temps de paix le plus long que l’histoire de France ait
connu. L’armée en profite pour se restructurer après la cuisante défaite, elle
sait qu’il faudra vaincre l’Allemagne et reprendre l’Alsace-Lorraine. Dans le
pays, peu conteste cette évidence et les troupes jouissent du soutien actif de
la population, elle se reconnaît à travers le fantassin qui représente les
trois quarts des effectifs et incarne, de fait, le peuple en arme. L’apparition
des « Pioupious », comiques-troupiers, a largement popularisé ces
fantassins. A peine l’armistice du 28 janvier 1871 est-il en vigueur que
l’Assemblée Nationale se préoccupe de la reconstruction de l’armée. Malgré les
troubles de la Commune et la révolte en Kabylie, la transformation se réalise :
on rétablit les régiments dans leurs dépôts, on fusionne les unités de marche
dans celles d’active (qui, pour la plupart, rentrent de captivité), on dissout
la garde nationale, on verse les militaires de l’ancienne garde impériale dans
la ligne et surtout, une série de lois donne à la France un système militaire
cohérent :
-
La loi de 1872 pose le principe du service
obligatoire dans l’active, fixé de un à cinq ans, selon le tirage au sort (dans
chaque localité, au moment de la conscription, les garçons concernés tirent le
bon ou le mauvais numéro…), elle supprime le remplacement et les dispenses.
L’armée n’est plus de « métier » mais devient
« nationale ».
-
La loi de 1873 maille le territoire en 18
régions militaires et de 8 subdivisions (l’Algérie constituant la 19ième région). On adopte le drapeau tricolore.
Dans le même temps, un véritable service de
réserve est créé, encadré et préparé par l’armée d’active. Cette décision
déterminante vaudra au pays en 1914 de posséder la meilleure défense qu’il
n’ait jamais eue. Seulement, tout cela a un coût que la jeune République a du
mal à assumer, notamment la durée sous
les drapeaux. L’idée d’une préparation militaire précoce (dès l’école) fait
ainsi son chemin, seul moyen, semble-t-il, d’écourter la conscription. Ceci
permettra à la loi de 1889 de réduire la durée du service à trois ans puis à
celle de 1905 à deux ans (les menaces de guerre ramèneront le service à trois
années en 1913 malgré la lutte acharnée de Jean Jaurès contre le « loi de
trois ans »).
La perte de l’Alsace et de la
Lorraine : un enjeu ?
Le discours parisien, relayé dans toute la
France était-il ou non décalé par rapport à la réalité des deux régions ?
De nombreux historiens s’interrogent sur le sujet. Le traité de Francfort du 10
mai 1871, outre une dette de guerre de 5 milliards, avait infligé l’annexion de
l’Alsace et d’une partie de la Lorraine et ainsi, à la date fatidique du 1er
octobre 1872, tout habitant se trouvant encore domicilié dans ces deux régions
serait considéré par les nouvelles autorités comme citoyen allemand (les
troupes allemandes d’occupation ne quitteront le territoire français qu’en
septembre 1873, à l’extinction de la dette). Certains ressortissants, surtout
issus des classes aisées, choisissent la France comme Jean Schlumberger, l'un
des fondateurs, en 1908, de la Nouvelle Revue Française, les
Alsaciens-Lorrains sont donc nombreux à Paris et reconstituent une communauté.
L’Institution Alsacienne, fondée dès 1871,
accueille les enfants de réfugiés et effectue sa première rentrée en 1873 avec
Frédéric Braeunig comme directeur. En 1874, l’institution prend le nom d’École
Alsacienne et est dirigée, pendant dix-sept ans, par Frédéric Rieder. Lors de
l’inauguration des nouveaux locaux, rue d’Assas, celui-ci précise les objectifs
de l’établissement. L’école privée et laïque met au cœur du système éducatif
l’épanouissement de l’enfant. Le sport, les arts plastiques, la musique, les
lettres modernes, l’enseignement des langues… font de cette école un
établissement d’avant-garde qui adoptera, dès 1908, la mixité garçons-filles.
Paul Bert prononce un vibrant discours lors
de l’inauguration de nouveaux locaux à l’école alsacienne (9 juin
1881) : « Au lendemain de nos désastres, vous avez voulu rejoindre
les deux parties de cette France séparées par une opération sanglante. Vous
avez voulu recueillir les enfants qu’avait chassés l’orage, offrir un nid à
ceux qui chantaient jadis sur le rameau brisé. Aux triomphateurs, qui croient
qu’il suffit de tracer sur la carte, d’une main victorieuse, une ligne jalonnée
de sentinelles et de forteresses pour changer les cœurs et faire oublier la
patrie, vous avez répondu en créant cet asile où des exilés volontaires
entretiennent et attisent un feu sacré, et d’où vos regards, lorsqu’ils
quittent le livre, se tournent tout d’abord du côté de l’Orient. Et il est
arrivé, chose merveilleuse ! Qu’en faisant œuvre de patriotes, vous avez fait
œuvre de pédagogues. Car cette École alsacienne, dont l’exemple a été de tant
de poids pour déterminer la réforme de notre enseignement, elle a pris
précisément pour modèle votre vieux Gymnase libre de Strasbourg. Si bien que
notre chère Alsace, ne pouvant plus nous donner son sang ni sa richesse, nous
donne encore sa pensée et son exemple. »
Les Alsaciens-Lorrains sont également très
présents et très actifs dans la vie associative. En 1901, la Fédération des
Sociétés Alsaciennes et Lorraines de France et des Colonies (FSALFC) regroupe
31 sociétés.
En 1887, Xavier Niessen, un professeur
alsacien, crée Le Souvenir Français, une association dont le but est
d’entretenir les tombes et d’élever des monuments à la mémoire des soldats
morts. En 1906, l’association est présente dans 81 départements. En 1907,
Jean-Pierre Jean crée le premier comité du Souvenir Français en Moselle. En
Alsace, Auguste Spinner lance une souscription pour ériger un monument à la mémoire
des soldats morts en 1705, 1793 et 1870. Il est inauguré le 17 octobre 1909, à
Wissembourg, sur le Geisberg.
Cette communauté a également ses journaux
comme Le Messager d’Alsace-Lorraine, fondé en 1903 par Henri Albert, ou
encore L’Alsacien-Lorrain, de Paris, datant de 1911. Cette presse
parisienne entretient des relations étroites avec la presse locale alsacienne
et véhicule une image idyllique de l’Alsace et des Alsaciens.
Le journal
d’Alsace-Lorraine (anciennement Courrier du Bas-Rhin, mais intégralement
en français) adopte dans ses articles un ton très nationaliste. L’anniversaire
de la bataille d’Eylau, la revue du 14 juillet à Paris, les promotions des
officiers alsaciens dans l’armée française y sont relatés avec orgueil et
fierté comme l’est, d’une manière plus anecdotique, l’histoire de Claire
Ollmann (fille d’un fabricant du Haut-Rhin) qui fut fiancée au baron Albert de
Treuenfels. Claire Ollmann préféra renoncer à son amour plutôt que de trahir
sa vraie patrie, la France ! (1).
Paradoxalement, ce journal reconnaît implicitement dans ses lignes que le temps
a fait son œuvre et que les deux régions se sont germanisées après plus d’une
génération (2).
L’Alsace devient le pivot du nationalisme
français, récupéré et exploité par tous les courants de la vie politique. Elle
devient un motif patriotique consensuel et fédérateur, on peut dire que la
perte de l’Alsace-Lorraine a aidé à l’avènement de l’État-nation en France.
Hugo, Renan, Barrès, Daudet et René Bazin
prennent fait et cause pour une Alsace éternelle, tricolore et souriante. Mais,
comme le précise Charles Spindler : « les romans alsaciens de
Bazin et de Barrès décrivent des milieux bourgeois, ignorant l’allemand, ces
auteurs n’ont pas eu de rapports directs avec le peuple et ont dû, pour leur
documentation, s’en rapporter à un tiers. »
Prisonnières de guerre en quelque sorte,
captives symboliques, l’Alsacienne et la Lorraine ont été l’objet de nombreuses
représentations populaires. Bien que détachée du territoire, l’Alsace est
ainsi maintenue dans l’imaginaire français. Elle a nourri toute une culture
populaire nationale et marqué les esprits dans un rapport lointain avec la
réalité des territoires devenus allemands (3).
Le mythe des provinces perdues est partout
présent, dans les manuels scolaires, les réclames, les chansons et les plaques
des rues, inscrivant aussi l’Alsace-Lorraine dans le paysage urbain.
Il a contribué à diffuser une image pittoresque,
stéréotypée et figée de l’Alsace avec ses cigognes, ses coiffes et ses maisons
à colombage occultant les transformations économiques et politiques locales.
Longtemps après, Jean-Paul Sartre (1905-1980), élevé par un grand-père
alsacien, montre à quel point l’enfant qu’il était n’a pas pu échapper à
ces « forces collectives » et combien toute une génération
a été imprégnée par « l’esprit de revanche » (4).
L’école, évidemment, s’inscrit dans cette
mouvance. Elle conserve et transmet la mémoire de l’Alsace. La cartographie,
comme on l’a vu, rattache toujours les provinces perdues à la France, même si
l’identification colorée est différente. Les cartes et les manuels scolaires
ont donc joué un rôle important, sinon essentiel dans la construction de cet
imaginaire national (5).
Les
conditions d’émergence des bataillons scolaires :
Pour des raisons économiques, un
raccourcissement du service militaire a été nécessaire en 1889, mais bien avant
de songer à le réduire, certains estimaient qu’afin de ne pas nuire à la force
de l’armée, il fallait procéder à une formation préalable à l’école.
Sous
un Second Empire proche de sa chute, avaient été prises les premières mesures
de militarisation de la jeunesse scolaire. En 1868, dans les lycées de
l’Académie de Paris, l’enseignement des exercices militaires relatifs au
maniement des armes avait été introduit à titre d’essai. Une circulaire de mars
1869 proposa ce genre d’exercice dans les lycées et les collèges de France. A
la suite de la défaite de 1871, de nouvelles circulaires confirment cet état
d’esprit militariste et plus particulièrement les circulaires du 18 novembre
1871 et du 13 décembre de la même année qui recommandent aux Recteurs de
prendre contact avec les autorités militaires. Les exercices de tir, quant à
eux, font l’objet d’une circulaire du ministre de l’Instruction Publique en
date du 27 septembre 1872. D’autres circulaires de 1872 à 1876 régleront l’organisation des séances de tirs et le choix des armes. Certains chefs
d’établissement font même preuve d’initiative dans le domaine des exercices tel
le Proviseur du lycée d’Evreux qui demande à un général de dragons de mettre
des chevaux à sa disposition et qui écrit dans un rapport hebdomadaire :
« Monsieur le Général m’a exprimé ses regrets de ne pouvoir donner suite à
ma demande, en ce moment, à cause des manœuvres d’été et d’automne. Les leçons
d’équitation seront donc ajournées à la rentrée, conformément d’ailleurs à la
circulaire du 17 août dernier (1875) ».
Il existe sur Paris une Inspection des
exercices gymnastiques et militaires confiée à M. Fery d’Esclands,
Lieutenant-Colonel, commandant le 44ième Régiment d’Infanterie Territoriale
(Archives Nationales). Les exercices militaires sont alors divisés en plusieurs
étapes : l’école du soldat, l’école de peloton, et l’instruction du tir au
chevalet et à la cible (qui doit être conforme à celle donnée à l’armée).
Malgré tout, des divergences existent entre Bonapartistes et Républicains dans
une Assemblée au demeurant toujours monarchiste (n’oublions pas que la
République qui vient de naître est fragile : le 30 janvier 1875,
l'amendement Wallon permet à une voix de majorité de faire passer le
régime de la république de fait à la république de droit.). Cet état de
fait contribue à expliquer les hésitations de l'Assemblée nationale, qui mettra
neuf ans, de 1870 à 1879, pour renoncer à la royauté et proposer une troisième
constitution républicaine.
Pour
les Républicains, la nationalisation du peuple est un outil patriotique
d’unification et c’est surtout un moyen d’implanter, sur le plan social,
l’idéologie de la bourgeoisie républicaine. La victoire de ces derniers aux
élections et l’arrivée de Jules Grévy à la présidence de la République en 1879
marquent un tournant.
Le général Farre, ministre de la guerre,
explique en 1881 : « Le service de trois ans, tel qu’il existe dans
un autre pays, doit, pour porter ses fruits, avoir été précédé pendant
longtemps d’un dressage préliminaire spécial acquis à l’école. Il faut donc
développer l’instruction à tous les degrés, et surtout l’instruction militaire
civique. Apprenons aux enfants ce que c’est que le soldat : quels sont ses
devoirs, quelle charge lui impose sa mission et même quelle grandeur et quel
honneur il y a dans les charges qui lui sont imposées. »
Développer la préparation militaire apparaît
indispensable comme l’exprime Paul Bert à un banquet d’instituteurs le 18
septembre 1881 : « Nous voulons pour l’école, des fusils… oui le fusil, le petit fusil que l’enfant
apprendra à manier dès l’école, dont l’usage deviendra pour lui chose
instinctive, qu’il n’oubliera plus et qu’il n’aura pas besoin d’apprendre plus
tard. Car ce petit enfant, souvenez-vous-en, c’est le citoyen de l’avenir, et
dans tout citoyen, il doit y avoir un soldat : et un soldat toujours prêt.
» Son public est du reste, tout acquis puisque lors du Congrès Pédagogique de
1880, les instituteurs avaient demandé à passer par le régiment et depuis, les
élèves-maîtres des Ecoles Normale avaient pétitionné pour le même projet. Leur
exemption ne prendra fin qu’avec la loi Freycinet du 15 juillet 1889 dite des
« curés sac à dos », tout un programme…
En 1882, Paul Bert est ministre de
l'Instruction Publique et des cultes. Il institue la première Commission
d'Education Militaire dont il est membre de droit (Président) et dont il nomme
les membres : M. Chalame, sous-secrétaire d’état au ministère de
l’Instruction Publique (vice-Président), Henri Martin de l’Académie Française,
sénateur, M. Buisson, Inspecteur Général, Directeur de l’Enseignement primaire
au Ministère, M. Detaille, artiste peintre, M. Paul Déroulède, défini comme
« homme de lettres », ancien officier, M. Dufour Edouard, Président
de la Société des Carabiniers de saint-Quentin, M. Fery d’Esclands (déjà cité),
M. Gréard, de l’Institut, M. Foncin, Directeur de l’Enseignement secondaire, M.
Rey Aristide, Conseiller municipal de Paris, M. Turquet, Député de l’Aisne … Il y développe ses projets (6).
Il appuie son action sur la Ligue Française
de l’Enseignement qui prend fait et cause pour ses idées. Jean Macé, son
Président, déclare le 1er août 1882, dans le Bulletin de la Ligue française de
l’enseignement : « L’important c’est de commencer tout de suite et de
donner aux campagnes de France le spectacle de leurs enfants se préparant, dès
l’école, à défendre le sol de la Patrie, si jamais l’étranger essayait de
revenir la fouler. » Le « revenir » ne laisse aucun doute sur
l’identité de « l’étranger ». La Ligue avait pris en main la cause de
l’éducation civique et militaire dès son Congrès d’avril 1882 par la création
de Cercles cantonaux intéressés aux exercices hebdomadaires pour les jeunes
sortant de l’école.
Les bataillons scolaires qui ne disaient pas
leur nom et qui étaient apparus sporadiquement à partir de 1871 firent partie
des institutions spécifiques qui devaient préparer les jeunes à leur future
activité de soldat. Ils furent institués par le décret de 1882 et le
rattachement de l’enfance à la société militaire fut officialisé par un manuel
de gymnastique et d’exercices militaires à l’usage des enseignants du primaire
et secondaire établi par le ministère de l’Instruction publique de Paul
Bert. Ces bataillons avaient bénéficié auparavant d’un vaste courant de
sympathie qui s’était manifesté dans les idées, les écrits, dans la presse et
dans les revues. On peut citer en exemple la Revue Pédagogique de 1882 à
travers deux articles, un d’Aristide Rey (déjà cité) intitulé « Les
bataillons scolaires et la Révolution française » dans lequel il
affirmait : « cette rapide esquisse établit suffisamment notre
tradition et donne à nos jeunes bataillons leur véritable état-civil : ils
sont Français et Républicains (..) leur formation se rattache à l’organisation
de notre armée nationale ». L’autre article est de Louis Armagnac,
Direction de l’Enseignement Primaire, « L’Enseignement militaire à
l’Ecole », il y évoque, outre Sparte, Athènes ou Rome, 1789 ou 1815 où les
enfants avaient pu servir comme canonniers dans les villes en état de siège. Il
revient aussi sur la circulaire de Jules Ferry du 29 mars 1881 qui
disait : « Si dans toutes les écoles l’instruction militaire était
donnée comme nous le désirons, et comme nous le demandons instamment, les
jeunes gens en arrivant sous les drapeaux n’auraient plus qu’à compléter leur
éducation militaire, et ainsi se trouverait résolu le problème de la réduction
du service ». Il fournit aussi quelques chiffres intéressants d’avant la
création des bataillons : 19 094 écoles bénéficiaient de l’enseignement
gymnastique, 11 441 écoles bénéficiaient de l’enseignement gymnastique et militaire (352 000 élèves), 2
419 pratiquaient le tir scolaire (39 230 élèves), 4 672 pratiquaient la promenade et l’exercice
topographique (172 364 élèves). Et de conclure : « Nous nous sommes
mis tous à l’œuvre mais un peu tard. Nous essayons aujourd’hui, mais avec la
furie française, de réparer le temps perdu : nous y arriverons. Que nos
maîtres sachent remplir dignement la haute mission qui leur est confiée, et
nous aurons bientôt une jeunesse saine, robuste, exercée au métier des armes et
prête à tous les sacrifices, si l’honneur et la sécurité du Pays
l’exigeait. »
A
partir des lois Ferry, les écoles de France, inscrivirent les valeurs
patriotiques et guerrières au cœur de
l’enseignement républicain. On garda ainsi le souvenir du traumatisme de la
défaite de 1870 et de la perte de l’Alsace et de la Lorraine. Si la
victoire de l’Allemagne était, dit-on, l’œuvre de son système éducatif, à
contrario, la défaite française était due à un manque d’instruction de ses
jeunes. Nombreux furent les Français qui considérèrent que l’institution d’une
République forte et laïque serait la mieux adaptée pour asseoir les valeurs
morales dominantes. La patrie et l’armée occupèrent une place de choix dans les
professions de foi des républicains sur l’école et le contenu de
l’enseignement. Le culte de la patrie fut en fait placé au centre de la raison
scolaire.
Ferdinand BUISSON, républicain, Inspecteur
général de l’Instruction publique de 1879 à 1896, fut le principal guide des
instituteurs. Président de la ligue de l’enseignement (1902-1906), il écrivait
dans le Manuel Général à destination des enseignants : « L’école
primaire inspirera l’obligation absolue pour les jeunes Français
d’accepter les sacrifices que lui commandera son pays, fut-ce celui de la vie.
L’école aura rempli sa mission si elle fait de tout jeune Français un patriote
qui ne se laissera dépasser par personne en fidélité, en discipline, en
héroïsme. »
Voici
développé ici, un aspect bien peu connu de la naissance de notre école de la
République. On peut s’étonner aujourd’hui de cette militarisation des enfants
en milieu scolaire dès leur plus jeune âge, mais au regard des éléments
politiques de l’époque de la IIIe République, républicaine et revancharde, on
peut aussi comprendre les motivations qui ont façonné cette période de notre
histoire en préparant de petits soldats.
A suivre…
P.P
(1) :
Compte-rendu de F. Lichtenberger du livre intitulé Amour et Patrie,
Souvenirs d’Alsace 1870-1871. Paris : Sandoz et Fischbacher éditeurs, 1872
(auteur anonyme). In Revue Chrétienne, Paris.
« Claire Ollmann aime avec passion son
fiancé et elle ne s’en cache pas. Sa prochaine union avec lui réalise tous ses
rêves de bonheur. Quand la guerre éclate, c’est un vrai coup de foudre pour ce
cœur tendre et aimant. Toutefois, elle partage ses illusions, et elle les
nourrit longtemps avec tout l’emportement d’un amour intéressé à les prolonger.
Elle défend l’Allemagne vis à vis de ceux qui la condamnent sans la connaître ;
elle déteste la guerre, mais elle espère que du moins elle nous délivrera de
l’empire et du joug honteux qu’il a fait peser sur la France. Pour le moment
elle n’a pas d’autre appréhension ; si elle craint, c’est pour la personne
d’Albert, exposée aux hasards meurtriers de la lutte. Elle ne redoute rien pour
le bonheur futur. Nous assistons graduellement, par une suite de déceptions
habilement racontées, à la ruine de toutes ses illusions, et c’est le cœur
navré qu’on entrevoit l’issue probable de ce drame. Quel cri déchirant
s’échappe de la poitrine de Claire après l’entrevue de Ferrières ! C’est à la
France qu’on en veut, et c’est l’Alsace qui sera l’enjeu de la guerre
cruellement prolongée. Pourtant jusqu’à la fin Claire conserve l’espoir que
l’iniquité, trop prévue maintenant, ne s’accomplira pas. Quand tout est
consommé, elle s’arrête accablée et comme prise de vertige devant son bonheur en
ruines. Pourrait-elle songer encore, face au deuil de sa chère province et des
devoirs nouveaux que lui crée l’annexion, pourrait-elle songer à aller
s’asseoir au foyer du vainqueur, à donner l’exemple d’un rapprochement, d’une
fusion qui est dans ses calculs, alors que la seule protestation qui reste aux
Alsaciens, le seul moyen de conserver leur dignité, c’est la réserve froide vis
à vis de l’étranger et l’inébranlable fidélité envers la vraie patrie ? Ah ! Ce
n’est pas sans luttes que Claire se résout à embrasser cette douloureuse
extrémité. La vue du désespoir de son fiancé est sur le point d’ébranler sa
résolution. Mais ils restent dignes l’un et l’autre jusqu’au bout, ils se
séparent sans amertume, décidés à se garder une fraternelle amitié… ad vitam aeternam,
à moins que l’Alsace, redevenue française, n’écarte le seul obstacle qui
s’oppose à leur union. »
Commentaire
du journaliste : « Que l’auteur anonyme dans lequel nous saluons
l’esprit élevé et délicat et un talent plein de promesses, reçoive ici le
tribut de notre sincère admiration et notre profonde reconnaissance comme
Alsaciens, comme Français et comme chrétiens. »
(2) :
« Une halte en Alsace
…
[Entre Schlestadt et Strasbourg : ] Depuis quelques minutes nous croisions sur
la route nombre de charrettes où s’entassaient des groupes de paysans et de
paysannes endimanchés.
La
salle spacieuse de l’auberge en était bondée. Altérés comme nous, ils
laissaient leurs voitures à la porte et entraient boire un coup.
J’avais
demandé en français, deux verres de bière faute de pouvoir le faire en
allemand. Cela me valut le plaisir d’une conversation avec l’aubergiste, mère
déjà âgée des jeunes filles empressées au service. C’était une femme
mi-bourgeoise, mi-commerçante d’abord simple et aimable. Les occasions lui
manquent de parler la langue nationale de son ancien pays, car il n’y a plus,
j’en suis sûr, 2 % d’Alsaciens qui en usent. Elle y mit donc une certaine
coquetterie… »
Journal
d’Alsace-Lorraine, 1er septembre 1907
(3) :
Extrait de la chanson « La fiancée alsacienne »
« Filant toute
songeuse, au bord de la fenêtre
Marguerite rêvait à son bel amoureux
Qui n’ayant pas voulu de l’Allemand pour maître
Etait allé servir le drapeau des aïeux
C’est, en vain, que cherchant à faire sa conquête
Un officier prussien, passait en soupirant ;
Elle l’apercevant et détournant la tête,
Répondait, dédaigneuse, à ce bel Allemand
Marguerite rêvait à son bel amoureux
Qui n’ayant pas voulu de l’Allemand pour maître
Etait allé servir le drapeau des aïeux
C’est, en vain, que cherchant à faire sa conquête
Un officier prussien, passait en soupirant ;
Elle l’apercevant et détournant la tête,
Répondait, dédaigneuse, à ce bel Allemand
Refrain :
Suis ton chemin, fils d’Allemagne,
Va-t-en chercher une compagne
Au pays où Bismarck est roi
Toujours fidèle à l’espérance
Je ne veux qu’un soldat de France
Prussien, Prussien, mon cœur n’est pas pour toi [...] »
Suis ton chemin, fils d’Allemagne,
Va-t-en chercher une compagne
Au pays où Bismarck est roi
Toujours fidèle à l’espérance
Je ne veux qu’un soldat de France
Prussien, Prussien, mon cœur n’est pas pour toi [...] »
Paroles : J. Villemer
- Musique : F. Vargues (1874).
(4) :
« L’agressivité nationale et l’esprit de revanche faisaient de tous les
enfants des vengeurs. Je devins un vengeur comme tout le monde : séduit par la
gouaille, par le panache, ces insupportables défauts des vaincus, je raillais
les truands avant de leur casser les reins. […] […] dans mon cœur sans haine,
les forces collectives se transformèrent […] N’importe ; je suis marqué ; si
j’ai commis, dans un siècle de fer, la folle bévue de prendre la vie pour une
épopée, c’est que je suis un petit-fils de la défaite. Matérialiste convaincu,
mon idéalisme épique compensera jusqu’à ma mort un affront que je n’ai pas
subi, une honte dont je n’ai pas souffert, la perte de deux provinces qui nous
sont revenues depuis longtemps. »
SARTRE
Jean-Paul. Les mots. Paris : Éditions Gallimard, 1964, p. 101.
(5) :
Le tableau « La tâche noire » d’Albert Bettanier, 1887 (Coll. Deutsches
Historisches Museum) :
Albert
Bettanier met en scène un instituteur montrant avec sa règle sur une carte, la
fameuse « tache noire » à un élève en uniforme. La présence au fond
de la classe d’un râtelier à fusils, le tambour derrière le bureau et l’élève
vêtu de blanc et portant la croix de la légion d’honneur indiquent que les
élèves appartiennent à un bataillon scolaire les préparant à des exercices
physiques et militaires.
(6) :
Discours de Paul Bert à la première réunion de la Commission de l’Education
Militaire, le 25 janvier 1882 :
« Je vous dis la chose la plus importante car un ministère dont le
véritable nom devrait être « le ministère de l’Education nationale »,
ne doit pas avoir pour seule pensée de fournir aux intelligences des éléments
de culture : il devrait se préoccuper aussi, avant tout, peut-être par-dessus
tout, de préparer pour la nation des citoyens dévoués, jusqu’au sacrifice
suprême, dans les luttes où peuvent être engagés les intérêts de la Patrie, sa
liberté et sa gloire. C’est à préparer ces citoyens, cœur et corps, que nous
devons travailler ici, et c’est l’ensemble des mesures à prendre qui constitue
ce que j’appelle l’éducation militaire. Certes, Je le sais, l’Université
n’a jamais manqué à ses devoirs patriotiques, jamais elle n’a fait passer un
autre intérêt avant, ni à côté, de celui de la Patrie, mais, enfin, il y a
beaucoup à faire encore pour réchauffer les cœurs, pour susciter des livres,
des chants qui allument partout cette ardeur patriotique sans laquelle une
nation n’a pas le sentiment d’elle-même, ni l’existence assurée. Je vous
demande, messieurs de porter vos regard en dehors de l’école ; vous aurez
à étudier les moyens de faire participer les enfants des écoles aux fêtes
patriotiques et militaires, et vous devrez aussi tenir compte de ce qu’ont
préparé et réalisé les sociétés de gymnastiques, de tir, d’excursions qui se
sont fondées en grand nombre et commencent à s’associer, à s’organiser
sérieusement. Je m’adresserai au Parlement, qui, n’ayant jamais marchandé les
sacrifices pour l’armée et pour l’école, se montrera généreux, à coup sûr,
lorsqu’il s’agira de préparer l’armée par l’école. Le développement du
bien-être matériel, le progrès même de l’instruction rendent les citoyens bien
plus sensibles aux jouissances de tout ordre et tend à les construire à
l’indifférence égoïste. D’autre part, le développement du sentiment
d’indépendance individuelle, conséquence du suffrage universel et l’exercice
incessant de la souveraineté n’est pas de nature à fortifier le respect de la
discipline, ni même le culte de la loi. L’éducation militaire me semble le plus
puissant moyen, je ne dis pas de relever, mais de maintenir le niveau moral,
par l’enseignement de l’obéissance raisonnée et du sacrifice légitime. On a dit
déjà et on dira encore, que notre tâche
tend à ramener au militarisme cet espèce d’automatisme du corps et de l’esprit
tant admiré par les grands exploiteurs d’hommes. Non : l’éducation
militaire, telle que nous l’entendons, ne prépare pas des prétoriens ;
elle formera des citoyens prêts au suprême sacrifice pour la liberté, pour la
Patrie, et qui, quoi que l’avenir lui réserve, quelque devoir qu’il leur soit
imposé, auront appris que les efforts doivent grandir avec les devoirs ».
En ce
qui concerne la « générosité » du Parlement dont parle Paul Bert,
Jules Ferry, son successeur, en fixera l’utilisation dans une circulaire aux
Préfets : « Enfin, grâce à une nouvelle libéralité du Parlement, nous
avons pu mettre à la disposition, non seulement des Ecoles Normales
d’Instituteurs mais même des plus modeste écoles primaires de garçons, un
certain nombres de fusils destinés à l’exercice du tir, exercice dont on
attend, avec tant de raison, d’importants résultats pour préparer dans l’enfant
le futur soldat. La Commission d’Education Militaire instituée par mon
prédécesseur va très prochainement, je l’espère, fournir à mon administration
un manuel ou un règlement technique qui, de toutes parts, nous est demandé pour
servir de guide dans cet enseignement du
tir. J’estime que nous sommes sortis de la période des discussions de
principe et de celle des consultations pédagogiques. Le moment est venu d’agir,
avec toute la suite et toute l’autorité
qui appartient à l’autorité supérieure, quand elle a en main, d’une part la loi
formelle et de l’autre tous les moyens pour en assurer l’exécution. Mon
collègue, le Ministre de la Guerre, s’est empressé de m’offrir l’appui de son
autorité et le concours de ses subordonnés. Ainsi je ferai faire, dès cette
année (année1882), à l’époque des vacances, dans toutes les Ecoles Normales,
des cours spéciaux à l’usage des instituteurs
en exercice encore non familiarisés avec l’enseignement de la
gymnastique (..) L’exemple d’un maître exercé, d’un professeur de gymnastique
ou d’un bon instructeur militaire donnera plus de confiance, d’adresse et
d’aplomb que ne peut le faire la simple lecture d’un manuel. D’autre part, pour
récompenser les efforts individuels, je
mets à votre disposition, sur les crédits de cette année, une certaine somme à
distribuer à titre de prime d’encouragement aux instituteurs des communes
rurales qui auront organisé avec le plus de succès l’enseignement gymnastique
et militaire dans leurs écoles (..) j’ai décidé que tout canton dans lequel les
écoles publiques de garçons auront donné un enseignement régulier de la
gymnastique, des exercices militaires et du tir, recevra, à l’occasion de la
fête nationale du 14 Juillet, un drapeau offert à titre de récompense par le
Ministre de l’Instruction Publique. Ce « drapeau des écoles » sera
confié chaque année à celle des écoles publiques du canton qui, dans son
ensemble, aura obtenu les meilleures notes ».
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