lundi 6 août 2018

2018 : dernière année de Commémoration du Centenaire de la Grande Guerre. Chronique N°4


2018 : dernière année de Commémoration
Du Centenaire de la Grande Guerre

Au cours de cette dernière année et après trois expositions labellisées, le musée de la Maison d’Ecole à Montceau se propose de revenir sur la chronologie des évènements qui ont amené le premier conflit mondial, à travers une série d’article qui paraîtront périodiquement jusqu’à décembre 2018. En voici le quatrième : « Le tir scolaire ».

« Quand tu seras soldat ! Période 1870-1914 »
(Quatrième partie)


Catalogue Manufrance 1905 (numérisation ville de Saint-Etienne)



Le tir scolaire 

L’Arrêté du 6 juillet 1882 organisait l’exécution des exercices de tir réservés aux élèves de plus de 14 ans bien que les Ecoles Primaires Supérieures, les collèges et les lycées aient déjà été doté de trois carabines avec leurs munitions depuis fin 1881-début 1882 (lesquelles devaient être stockées dans la gendarmerie ou dans la caserne de la localité la plus proche). Il s’agissait d’exercer les jeunes gens au maniement de l’arme devant la cible, de surveiller le pointage et d’enseigner les positions réglementaires. Au  cours de l’année, les élèves pouvaient tirer 30 balles : 5 exercices de 6 balles. Toutes les précautions étaient prises et il était recommandé aux généraux, commandant les subdivisions, de mettre, si possible, les champs de tir à disposition. Pour l’anecdote, lors de leur retrait définitif des écoles (après la Grande Guerre),  ces armes furent cédées en grande partie aux forains qui, jusque dans les années 1980, les utilisèrent dans leurs stands.





Les plus anciens d’entre nous auront un souvenir ému de ces carabines de foire qui étaient alors chargées avec des munitions « 6 mm Bosquette » et dont les hausses avaient quelque fois été faussées pour éviter au badaut de faire mouche trop souvent !


Dès 1882, le tir se pratiqua dans les écoles avec des armes de type « Flobert » comme le fusil système « Gras », modèle 1874, plus petit que le fusil militaire réglementaire, calibre 6 mm à douze mètres (longueur : 1.06 m et poids : 2.700 kg), et du même fusil en calibre de 11 mm (longueur : 1.14 m et poids : 2.400 kg) munis de cartouches spéciales. Le modèle « Gras » le plus répandu, est cependant le fusil de parade scolaire factice « Lens P.D.C », longueur du canon : 71.5 cm, longueur totale : 113 cm, fusil destiné aux bataillons. 


Carabine « Populaire-Scolaire », calibre 6 mm, années 1880


Carabine « Populaire-Scolaire », détail, estampillée par la manufacture,  années 1880



 Rapidement, le ministère de l’Instruction publique met en place une commission chargée de l’application du tir scolaire, elle a pour rôle de fixer des règles précises et d’« élaborer un règlement de tir et faire choix de l’arme qui lui paraîtrait la plus propre à être mise en usage dans les écoles. » Cette commission ouvre un concours pour la fabrication d’une arme d’instruction ; sur dix modèles proposés pour homologation, deux sont retenus conforme au fusil d’infanterie modèle 1886, plus connu sous le nom de fusil Lebel en 8 mm : la carabine dite « scolaire » toujours de type « Flobert » et la carabine « La Française », calibre 6 mm, présentée par l’Union des Sociétés de Tir de France (longueur : 1.07 m et poids : 2.100 kg).



Accusé de réception par le Maire de Sanvignes de trois fusils de tir scolaire, 1882 (AD71)



Le « Chassepot » servira  à l’enseignement du tir dans les sociétés. C’est la réduction réglementaire du fusil de guerre du même nom, au calibre de 6 mm.

Certaines de ces armes sont équipées d’une baïonnette identique à celle des fusils d’origine, mais de plus petite taille. La lame est du type réglementaire, mais réduite en longueur et en épaisseur. On a arrondi l’extrémité pour la rendre inoffensive. Le dos porte l’inscription « L. Deny Paris ». Le fourreau est en tôle d’acier bronzé, à bouton de suspension ovale.



Accusé de réception par le Maire de Blanzy de trois fusils de tir scolaire, 1882 (AD71)



En 1895, une instruction officielle « relative aux exercices de tir à la carabine « Flobert » dans les écoles communales » constitue un véritable traité du tir scolaire. Celui-ci sert de guide aux instituteurs pour l’installation des stands, le choix des armes, leur mécanisme et les règles à observer dans la pratique du tir. Un "Manuel de Tir Scolaire" était encore en vigueur en 1924, date de sa réédition.

Peu à peu, le tir est placé sous la direction exclusive de l’instituteur et l’enseignement doit être donné dans  les locaux scolaires. La plupart du temps, les stands de tir sont aménagés dans les préaux des écoles ou dans un coin de la cour d’une manière simple : un porte-cible installé à douze mètres et au pas de tir une tablette. La partie théorique de la leçon concerne les armes, la visée, la sécurité et les munitions, une leçon plus pratique concerne le maniement des armes et les positions de tir ainsi que la préparation physique du tireur, puis vient le tir pratique au stand. C’est dans les départements du nord de la Loire et dans l’est de la France que le "Tir Scolaire" a été le plus répandu. Certaines communes du département de l'Oise avaient encore des écoles pratiquant le tir scolaire à la fin des années 1920, bien au-delà du conflit qui justifiait son existence.

A partir de 1896, bien que les bataillons scolaires aient disparu, un championnat annuel de tir scolaire des écoles primaires, approuvé par le ministère de l’Instruction publique, est organisé par l’Union des sociétés de Tir de France. Au niveau départemental, on en retrouve toujours la trace en Saône-et-Loire durant les quatre années de la Guerre 14-18 (Bulletins de l’Instruction), bien qu’à l’échelon national, il ait dû être annulé en 1915. (12)

L’introduction du tir à l’école primaire avait donné une impulsion à cette pratique et avait donné très vite naissance à des sociétés de tir scolaire qui se joindront aux sociétés de tir adulte par la suite. (13)



Stand de tir après 1900-Collection privée



L’instruction et la préparation militaire

L’émergence d'un enseignement des exercices militaires aux civils est le pendant de l’élan patriotique qui anime la société durant la période 1870-1914. Il sera véhiculé par les sociétés de gymnastique ou de tir, comme le complément naturel des activités de ces organisations. Si le fléchissement de l’engouement pour les bataillons scolaires est notoire, surtout à partir de 1893, la société n’en reste pas moins attachée à son armée et à ses valeurs. Ainsi donc, les bataillons d’antan auront donné naissance à une autre forme de militarisme lié aux scolaires.

Des cours d'éducation militaire préparatoire sont alors créés au profit des jeunes gens appelés à partir sous les drapeaux au mois de novembre de chaque année. C’est la classe parisienne 1892 qui sera  la première à en bénéficier au gymnase municipal de la rue d'Allemagne (cela ne s’invente pas…). Des brevets d'instruction militaire sont délivrés. Pour les futurs conscrits, ces brevets seront synonymes d'avantages lors du service actif parmi lesquels on peut noter :

- Inscription au peloton d'instruction des élèves caporaux.
- Exemption de certaines corvées.
- Permissions diverses.
- Inscription au livret individuel du soldat des prix de tir et de gymnastique remportés dans les concours civils, avant l’incorporation.
- Facilité pour l'obtention des grades et des récompenses de toute nature prévus par les règlements.

Les instructions ministérielles du 29 avril 1892, portant sur l'organisation et le fonctionnement des sociétés de tir et de gymnastique, réglementent ces avantages:

"Article 2, § 12. Nota.- Nombre de sociétés de tir et de gymnastique joignent à leur enseignement spécial celui des exercices militaires. Lorsque des jeunes gens, à leur arrivée au corps, présenteront un brevet d'instruction militaire délivré par une de ces sociétés, leurs chefs directs pourront en tenir compte pour la désignation des élèves caporaux."

"Article 7, § 17.- Les jeunes gens qui, avant leur incorporation, auront pris part à des concours de tir ou de gymnastique en France ou à l'Etranger, pourront se présenter au corps porteurs des diplômes de tir ou de gymnastique  qui auront pu leur être délivrés.
Mention sera faite de la délivrance de ces diplômes sur le livret individuel."

Précédemment, le règlement du 1er mars 1888, sur l'instruction du tir, précisait déjà :

"Article 155.-Les chefs de corps accordent aux meilleurs tireurs toutes les faveurs compatibles avec l'intérêt du service."

"Les tireurs de 1ère classe sont dispensés des exercices de pointage sur chevalet."

Dès 1895 et en marge des sociétés de gymnastique et de tir se sont formées des associations de jeunes ouvriers et employés qui, chaque dimanche, apprennent à manier des armes, à marcher en rang et à défiler. L'Union des Sociétés d'Instruction Militaire, fondée par Edmond Dolfus en 1898, va regrouper la plupart de ces associations dans son giron. Chaque année, l'Union convie les parisiens à une grande fête patriotique donnée aux Tuileries en présence du chef de l'Etat.

Certains militaires avaient affirmé l’obligation de cette instruction pré-régimentaire, avant d’appliquer toute réduction de la durée du service actif, malgré tout, ce dernier passera bientôt de trois ans à deux ans avec la loi du 21 mars 1905, mais "le législateur a senti que cette réduction du service militaire pouvait devenir nuisible à la force de l'armée, néfaste à son instruction, et qu'elle rendrait, en tous cas, plus difficile la préparation et la nomination aux grades inférieurs de la troupe." Fort de ce constat, le gouvernement proposera une série de lois institutionnalisant la préparation militaire en contre partie :

- En 1903, en instaurant le Brevet d'Aptitude Militaire qui confère à son possesseur la possibilité d'être nommé caporal ou brigadier après quatre mois de service.
- En 1905, en décidant l'organisation officielle de l'instruction militaire pour les jeunes gens de dix-sept à vingt ans.
- En 1907, en  précisant (à la demande du Ministre de la guerre) les moyens à employer pour l'instruction du tir dans les établissements scolaires du secondaire, les lycées, les collèges et les écoles normales d'instituteurs. La préparation militaire des jeunes est officielle.

Des sociétés de préparation se créent aux côtés des sociétés d'instruction qui existaient déjà. Le 14 juin 1907, cette nébuleuse fusionnera sous le nom de l'Union des Sociétés de  Préparation Militaire de France. A. Chéron en sera le président.

En 1910, le Commandant Chapuis dote cette institution d'un manuel spécifique, le manuel de la préparation militaire en France.






Conclusion

On voit bien que la disparition des bataillons scolaires n’a pas mis un terme à l’éducation militaire scolaire. Sous la pression générale, par arrêté du 27 juillet 1893, le ministre R. Poincaré appuyé par nombre de Républicains et de hauts fonctionnaires (Georges-Leygues, Buisson entre autres), décide d’ajouter le tir à dix mètres à la carabine au programme des exercices militaires pour les élèves âgés de plus de dix ans du cours moyen et supérieur des écoles primaires publiques. 

Cet arrêté est édifiant à ce sujet et jette les bases d’une nouvelle organisation : « Les instituteurs seront invités d'une façon pressante à donner l'instruction du tir à courte distance dans leur école ; il leur sera recommandé, s'ils n'ont déjà une organisation fonctionnant à leur satisfaction, de procéder à la création de petites sociétés scolaires de tir et d'y ajouter une section post-scolaire destinée à assurer la continuation des exercices dans les sociétés jusqu'au service militaire et même après, s'il convient. »



Extrait du registre des procès-verbaux des séances du Conseil de Maîtres de l’école de garçons de Blanzy (collection musée)



 Le ministre de l’Instruction poursuit : «J'insiste sur l'intérêt qu'il y aurait à faire de chaque société une société communale conservant, au sortir de l'école, tous ses adhérents et assurant, à l'aide des groupements post-scolaires tels que les associations d’anciens élèves, la continuité de l'enseignement du tir pour tous les jeunes gens de la commune jusqu'à leur arrivée au régiment. En habituant, dès les premières années de classe, les enfants aux exercices de tir et en leur inspirant le goût, il sera possible d'instituer dans les plus petites communes la préparation au certificat d'aptitude militaire qui confère aux jeunes gens, au régiment même, des avantages qui ne doivent pas être réservés uniquement aux recrues des grandes villes.(..) J’estime que presque partout, à l'heure actuelle, les instituteurs, dont la plupart ont passé par le régiment, sont capables de donner l'enseignement élémentaire du tir ; mais je suis convaincu que, s'ils avaient à cet égard quelque scrupule sur leur compétence, ils trouveraient aisément, dans chaque localité, d'anciens sous-officiers, caporaux ou soldats suffisamment instruits, très capables de donner à côté d'eux cet enseignement, et qui seraient désignés, en ce qui concerne la section scolaire, par l'instituteur, après agrément de l'inspecteur primaire. Mon administration signalerait bien volontiers à M. le ministre de la guerre les services rendus par ces instructeurs bénévoles. »



Extrait du registre des procès-verbaux des séances du Conseil de Maîtres de l’école de garçons de Blanzy (collection musée)



L’Etat, qui avait mis fin le 31 décembre 1891 aux fonctions d’inspecteur général des bataillons scolaires, se désintéresse discrètement des bataillons en question. Plusieurs se transforment alors, hors de l’école qui les a vus naître, en sociétés de gymnastique ou de tir, qui prennent le relais en admettant les jeunes adultes et les filles. Libérées de l’emprise militaire, mais subventionnées par le ministère de l’Intérieur, elles sont plus efficaces disait-on... Mais, reliques des bataillons scolaires, les sociétés continueront à défiler dans nos rues, en uniforme, au son d’une musique, derrière le drapeau tricolore et leurs instructeurs, tantôt pour célébrer la prise de la Bastille, tantôt pour honorer Jeanne-d’Arc !






Ces sociétés de gymnastique vont à leur tour être confrontées à la concurrence des premiers clubs sportifs, qui diffusent la pratique de l’athlétisme et des jeux. Dès 1889, une Union des sociétés françaises de sports athlétiques avait vu le jour. De même, au sein de l’enseignement, la gymnastique va devoir rivaliser avec l’athlétisme et les jeux. Déjà une commission scolaire constituée en 1887 préconisait trois heures de jeux pour une demi-heure de gymnastique méthodique à l’école primaire. Mais les programmes n’en furent pas modifiés pour autant. La gymnastique, sa vocation militaire dissipée, aurait encore de belles années devant elle, derrière les murs des écoles.



Leçon de gymnastique dans une école de filles, vers 1900 (collection privée)


Voir l’article du blog : https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2016/11/lactivite-physique.html#more


12) :



(13) : Les sociétés civiles de tir :

On fait remonter la création des sociétés civiles à 1866. En 1870, on en compte 37, en 1883, elles sont 232, regroupées pour certaines sous l’égide de la Société Nationale de Tir des Communes de France et d'Algérie, qui existait déjà sous la présidence de Mac Mahon et la direction de A. Duquesne. Son siège était 16, rue de la Sorbonne, (en 1888). Elle promouvait « la propagation du tir en France ».
L’accroissement des effectifs étant constant et l’élan soutenu par le patriotisme omniprésent, en 1885, le Ministère de l'Intérieur, rédige une circulaire visant à encadrer les sociétés de tir. Ces 524 sociétés étaient de trois types en 1885 :
- Des sociétés civiles de tir, autorisées par le préfet (349).
- Des sociétés de tir de l'armée territoriale constituées à l'initiative des chefs de corps et autorisées par les autorités militaires (117).
- Des sociétés mixtes comprenant des membres civils et des tireurs se réclamant de l'armée territoriale (58).
Elles organisaient de nombreux concours d'importance et de portée plus ou moins grande selon la Société qui en prenait l’initiative. De très nombreux  tireurs se pressaient pour participer et essayer de remporter un diplôme de lauréat dans les disciplines  proposées, à des distances variables, pouvant aller de moins de 20 mètres à 200 ou 300 mètres.
Pour préparer ces grands concours et bien figurer, on commença d’évoquer une préparation physique et morale, voire "médicale", une sorte de dopage en quelque sorte afin d’essayer, disait-on, « d'échapper aux phénomènes émotionnels » dus au stress.
Pendant la Grande Guerre, l’Union des Société de Tir tint à jour un Tableau d'Honneur de ses membres morts pour la Patrie. Il fut plus ou moins bien renseigné suivant les Sociétés qui faisaient remonter les renseignements.

P.P 

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