jeudi 20 décembre 2018

Anatole France 1919



1919-2019
« L’heure est venue d’être citoyen du monde »
(Anatole France, 1919)





8 août 1919 : le vœu d'Anatole France

A la sortie de la guerre, Anatole France, le grand écrivain, l’ami de Jaurès, s’adresse aux institutrices et instituteurs réunis à Tours pour le Congrès des Syndicats d’Instituteurs. Un texte magnifique sur l’éducation, le pacifisme et la « haine de la haine »… toujours d'actualité.



« Citoyennes, chers Camarades,
C’est un vieil ami qui vient à vous.
Il se tenait à vos côtés, près du grand Jaurès, en 1906, quand vous commenciez la lutte pour le droit syndical.
Ce droit acquis, il vous appartient d’en régler l’usage, et c’est pourquoi vos syndicats sont réunis. Ce congrès a un autre objet encore d’une importance capitale : la réorganisation de l’enseignement primaire. Ne comptez que sur vous-mêmes pour l’opérer. La prudence vous le conseille. C’est avec une véritable joie que j’ai connu hier, par un journal, la pensée de notre ami Glay sur ce sujet : « La guerre, a-t-il dit, a montré suffisamment que l’éducation populaire de demain doit être toute différente de celle d’autrefois.» J’avais hâte de vous ouvrir mon cœur, je vois que les vôtres y correspondent.
Institutrices et instituteurs, chers amis,
C’est avec une ardente émotion que je m’adresse à vous et c’est tout agité d’inquiétude et d’espérance que je vous parle. Et comment n’être pas saisi d’un grand trouble en songeant que l’avenir est entre vos mains et qu’il sera, pour une grande part, ce que votre esprit et vos soins l’auront fait ?
En formant l’enfant vous déterminerez les temps futurs. Quelle tâche à l’heure où nous sommes dans ce grand écroulement des choses, quand les vieilles sociétés s’effondrent sous le poids de leurs fautes et lorsque vainqueurs et vaincus s’abîment côte à côte, dans une commune misère, en échangeant des regards de haine ! Dans le désordre social et moral créé par la guerre et consacré par la paix qui l’a suivi, vous avez tout à faire et à refaire.
Haussez vos courages, élevez vos esprits. C’est une humanité nouvelle qu’il vous faut créer, ce sont des intelligences nouvelles que vous devez éveiller, si vous ne voulez pas que l’Europe tombe dans imbécillité et la barbarie. On vous dira : A quoi bon tant d’effort ! L’homme ne change pas. Si, il a changé depuis l’âge des cavernes… tantôt pire et tantôt meilleur, il change avec les milieux et c’est l’éducation qui le transforme autant et plus peut-être que l’air et la nourriture.

Oui, certes, il ne faut pas laisser subsister un moment l’éducation qui a rendu possible, qui a favorisé (étant à peu près la même chez tous les peuples qu’on nommait civilisés) l’épouvantable catastrophe dans laquelle nous restons encore à demi ensevelis. Et d’abord, il faut bannir de l’école tout ce qui peut faire aimer aux enfants la guerre et ses crimes. Et cela seul demandera de longs et constants efforts si toutes les panoplies ne sont pas, un jour prochain, emportées par le souffle de la Révolution universelle.
Dans notre bourgeoisie grande et petite, et dans notre prolétariat même, les instincts destructeurs, justement reprochés aux allemands, sont soigneusement cultivés. Il y a quelques jours, l’aimable Lafourchardière demanda dans une librairie des livres pour une fillette. On ne lui donna que récits et peintures de meurtres, d’égorgements, de massacres et d’exterminations. A la prochaine Mi-carême, on verra à Paris, dans les Champs Elysées et sur les boulevards, des milliers et des milliers de petits gars habillés par les soins ineptes de leurs mères en généraux ou en maréchaux. Le cinéma leur montrera les beautés de la guerre. On les préparera ainsi au métier militaire. Et tant qu’il y aura des soldats, il y aura des guerres. Et nos diplomates en ont laissé aux allemands pour pouvoir en garder chez eux. On va, dès le maillot, préparer des militaires. Mes amis, il faut rompre avec ces pratiques dangereuses.
L’instituteur devra faire aimer à l’enfant la paix et ses travaux. Il lui apprendra à détester la guerre. Il bannira de l’enseignement tout ce qui excite à la haine de l’étranger, même à la haine de l’ennemi d’hier, non qu’il faille être indulgent au crime et absoudre tous les coupables, mais parce qu’un peuple, quel qu’il soit, est composé de plus de victimes que de criminels, parce qu’on ne doit pas poursuivre le châtiment des méchants sur les générations innocentes, et parce qu’enfin, tous les peuples ont beaucoup à se pardonner les uns aux autres.
Dans un beau livre qui vient de paraître et que je vous conseille de lire, « Les mains propres », essai d’éducation sans dogme, Michel Corday a prononcé ces belles paroles que je prends, pour renforcer les miennes ; il a dit : « Je hais celui qui ravale l’homme au rang de la bête, en le poussant à foncer sur quiconque ne lui ressemble pas. Oh ! Celui-là, j’appelle de tous mes vœux sa disparition de la surface de la terre. Je n’ai de haine que pour la haine. »
Mes amis, faites haïr la haine, c’est le plus nécessaire de votre tâche et le plus simple. 
L’état où une guerre dévastatrice a mis la France et le monde entier vous impose des devoirs d’une extrême complexité, et, par conséquent, plus difficiles à remplir. Pardonnez-moi d’y revenir…, c’est le grand point dont tout dépend.
Vous devez, sans espoir de trouver aide et appui, ni même consentement, vous devez changer de fond en comble l’enseignement primaire, afin de former des travailleurs (il n’y a place aujourd’hui dans notre société qu’aux travailleurs, le reste sera emporté par la tourmente), former des travailleurs intelligents, instruits dans les arts qu’ils pratiquent, sachant ce qu’ils doivent à la communauté nationale et à la communauté humaine.
Brûlez, brûlez tous les livres qui enseignent la haine. Exultez le travail et l’amour.
Formez-nous des hommes raisonnables capables de fouler aux pieds les vaines splendeurs des gloires barbares et de résister aux ambitions sanguinaires des nationalistes et des impérialistes qui ont broyé leurs pères. Plus de rivalités industrielles, plus de guerres. Le travail et la paix.
Qu’on le veuille ou non, l’heure est venue ou d’être citoyen du monde ou de voir périr toute civilisation.
Mes amis, permettez-moi de former un vœu bien ardent qu’il me faut exprimer dans une forme trop rapide et trop incomplète, mais dont l’idée première me semble de nature à pénétrer dans tous les esprits généreux
Je souhaite, je souhaite de tout mon cœur que bientôt, à l’Internationale, vienne s’adjoindre une délégation des instituteurs de toutes les nations pour préparer en commun un enseignement universel et aviser aux moyens de semer dans les jeunes intelligences les idées d’où sortiront la paix du monde et l’union des peuples.
Raison, sagesse, intelligence, forces de l’esprit et du cœur, vous que j’ai toujours pieusement invoquées, venez à moi, aidez-moi, soutenez ma faible voix, portez-la s’il se peut à tous les peuples du monde et répandez-la partout où il se trouve des hommes de bonne volonté pour entendre la vérité bienfaisante ! Un nouvel ordre de choses est né. Les puissances du mal meurent empoisonnées par leur crime. Les cupides et les cruels, les dévorateurs de peuples, crèvent d’une indigestion de sang. Cependant, durement frappés par la faute de leurs maîtres aveugles ou scélérats, mutilés, décimés, les prolétariats des nations restent debout. Ils vont s’unir pour ne plus former qu’un seul prolétariat universel et nous verrons s’accomplir la grande prophétie socialiste : «l’union des travailleurs fera la paix du monde». » 

Anatole France : Images d'archives, cliquez sur le lien : 




(1) :
« Né à Paris le 16 avril 1844, 19, quai Malaquais ; mort dans sa propriété de La Béchellerie, à Saint-Cyr-sur-Loire (Indre-et-Loire), le 12 octobre 1924. La « vie sociale » d’A. France, pour reprendre l’expression employée par Cl. Aveline (Trente ans de vie sociale 1897-1924, recueil des textes politiques d’A. France) commença en 1897. L’écrivain, que son élection à l’Académie française à la Noël 1896 venait de consacrer, apporta alors publiquement son soutien à la cause arménienne (9 mars 1897). Mais ce fut l’Affaire Dreyfus, dans laquelle il prit activement part dès 1898, qui joua un rôle capital dans son évolution. En 1898, A. France, se séparant de la plupart de ses amis et connaissances (rappelons qu’il avait été hostile à la Commune), signait, au lendemain du « J’accuse » de Zola (paru dans L’Aurore du 13 janvier), la protestation demandant la révision du procès (la première signature, après celle de Zola, était celle d’A. France). En février 1898, il vint déposer au procès Zola : lorsque celui-ci dut quitter la France pour l’Angleterre afin d’échapper à l’arrestation, A. France renvoya sa Légion d’honneur. Il prononça l’éloge funèbre de Zola le 5 octobre 1902 disant de celui-ci qu’« il fut un moment de la conscience humaine ». Plus tard, il dira l’importance qu’eut pour lui le combat pour la justice dans l’Affaire : « (...) je me suis rencontré avec cette large fraction des socialistes français qui a compris que, de l’affaire d’un insignifiant capitaine juif, pouvait naître un grand mouvement social » (novembre 1904). Il donnait dans L’Histoire contemporaine, un tableau de la société française de la fin du XIXe siècle, L’Orme du mail, Le Mannequin d’osier (1897), suivis de L’anneau d’améthyste (1899) et de Monsieur Bergeret à Paris (1901), dans lesquels s’exprimait son ralliement au dreyfusisme qui allait le conduire au socialisme, à un socialisme marqué par l’influence de Jaurès.
Les prises de position d’A. France de 1900 à 1903 sont nombreuses ; citons celles contre « le despotisme russe », les persécutions antisémites en Europe, contre le délit d’opinion, celles en faveur de l’abolition de la peine de mort et en faveur de nombreux emprisonnés politiques. En 1903, il s’associa à la protestation en faveur des condamnés de la « Mano Negra », anarchistes espagnols. A. France remplaça, en décembre 1904, Joseph Reinach au Comité central de la Ligue des droits de l’Homme.
De 1899 à 1902, A. France appuya le mouvement des Universités populaires, présida à la fondation de nombre d’entre elles ; parmi les discours qu’il prononça, citons l’allocution à la fête inaugurale de l’Émancipation, le 21 novembre 1899. Il s’intéressa aussi à cette date au mouvement des théâtres populaires. De 1902 à 1906, A. France intervint fréquemment dans la vie politique. En 1902, il soutint la politique du « Bloc républicain », en intervenant avant le premier et le second tour des élections législatives (Voir son « Discours pour la liberté », le 20 avril 1902, discours qui fut reproduit à 50 000 exemplaires). Il appuya la politique laïque de Combes dont il préfaça le recueil de discours, Une campagne laïque (1902-1903), janvier 1904. Ce texte, qui prenait parti pour la séparation des Églises et de l’État, fut réédité en mars 1904, au moment où le projet de séparation était discuté, en brochure populaire, sous le titre Le Parti Noir, et connut une grande diffusion. A. France l’intégra en 1905 dans son livre L’Église et la République. En 1903, il avait pris la parole à l’inauguration de la statue de Renan à Tréguier. En 1905, il assista au banquet en l’honneur de Briand, après le vote de la loi de séparation.
En 1905, il fut élu président d’honneur de l’Association nationale des Libres Penseurs. Après la révolution russe de 1905, il prit publiquement le parti des révolutionnaires russes, présida la Société des amis du peuple russe, correspondit avec Gorki ; il s’éleva contre les emprunts russes, contre l’antisémitisme et les persécutions tsaristes.
L’activité militante de France se ralentit un peu après 1906, en accord avec le scepticisme exprimé dans son œuvre par L’Île aux Pingouins (1908), Les dieux ont soif (1912).
En 1907, il intervint pour Francisco Ferrer, anarchiste espagnol ; après l’exécution de celui-ci, il envoya sa démission de la Société astronomique de France à laquelle appartenait Alphonse XIII (1909). En 1911-1912, il intervint dans l’affaire Durand. Il appuya en 1911 le mouvement pour la réintégration des cheminots révoqués à la suite de la grève d’octobre 1910. Il intervint en février 1912 dans l’affaire Rousset, contre les bagnes militaires.
Depuis 1904, A. France se proclamait socialiste. En avril 1904, lorsque Jaurès lança l’Humanité, l’écrivain réserva aux lecteurs du quotidien socialiste la primeur de Sur la pierre blanche qui fut inséré en feuilleton, dès le premier numéro le 18 avril 1904. En 1906, avait paru Vers les temps meilleurs, recueil de discours, allocutions, lettres d’A. France depuis 1898, publiés par Édouard Pelletan. A. France appuyait la politique du Parti socialiste ; il prit part à la campagne contre la « loi de trois ans » (Voir sa déclaration dans l’Humanité du 22 mai 1913, quelques jours avant la présentation du projet de loi à la Chambre). Lors d’un voyage en Angleterre, à la fin 1913, sur invitation d’un Comité d’écrivains, il proclama sa foi socialiste à une réunion de la « Fabian Society » ; il prit la parole au meeting travailliste international de Kingsway Hall où parlèrent notamment Jaurès, Vandervelde.

En 1914, A. France avait défendu les idées socialistes lors des élections législatives d’avril-mai. Ami et admirateur de Jaurès, il lui rendit hommage après son assassinat, dans l’Humanité du 2 août 1914.
Dès le début du conflit européen, A. France prit des positions patriotiques. En septembre 1914, il protesta contre le bombardement de la cathédrale de Reims (dans La Guerre sociale, de G. Hervé, le 22 septembre) ; pour avoir écrit qu’après la victoire future, on ne saurait user de représailles et que le peuple français admettrait « dans son amitié l’ennemi vaincu », il fut couvert d’injures, notamment par Barrès. A. France dut réaffirmer son patriotisme (La Guerre sociale, 29 septembre). Le 29 septembre 1914, A. France, âgé de 70 ans, écrivit au ministre de la Guerre pour lui demander de l’enrôler ; son engagement ne fut pas accepté pour raisons médicales. À la Noël 1914, A. France publia dans Le Petit Parisien un long article patriotique. En janvier 1915, il protesta contre le bombardement de Soissons ; le 9 mars 1915, il signa l’Appel des intellectuels français contre le vandalisme allemand (avec Barrès, Gide, Mirbeau, A. de Noailles, E. Rostand). En juin 1915, paraissait Sur la voie glorieuse, recueil de textes écrits par A. France de la Noël 1914 à mai 1915, qui eut un grand retentissement ; le 14 juillet 1915, A. France écrivit encore « Debout pour la dernière guerre » (pour The Book of France) et « À ceux du front » pour Le Petit Parisien. Le 1er novembre 1915, A. France publia « Ce que disent nos morts ». Ce fut le dernier texte qu’il écrivit célébrant l’union sacrée ; en août 1915, il avait déjà signé une pétition contre la censure politique. Après la guerre, A. France renia violemment les textes patriotiques qu’il avait écrits en 1914-1915 et désira qu’ils ne figurent pas dans ses œuvres complètes : « [...] je me laissai aller même à faire de petits discours aux soldats vivants ou morts que je regrette comme la plus mauvaise action de ma vie », dira-t-il en 1923 (dans un article sur La Houille rouge de M. Corday). À partir de 1917, A. France s’interrogea sur la prolongation du conflit ; il se montra partisan d’une paix de compromis (lettre de février 1917 à Eug. Richtenberger, publiée en mars dans La Revue mensuelle de Genève « ... À vrai dire cette aimable paix [la paix avec victoire] peut se faire attendre. Mais nous ne sommes pas pressés ! La guerre ne fait perdre à la France que dix mille hommes par jour ») ; R. Rolland dit de cette lettre qu’elle « est la première manifestation, bien timide encore, de cet esprit qui fut libre, contre la prolongation de la guerre » (Journal des années de guerre..., p. 1206). Le 29 juin 1917, A. France protesta contre la censure politique dans la revue hebdomadaire fondée par Robert Dell, journaliste anglais, correspondant du Manchester Guardian ami d’A. France, et R. de Marmande, Les Nations, dont le but était de lutter pour défendre les idées pacifistes (Dell fut expulsé de France le 20 mai 1918). Cet article, intitulé « Pour la liberté ! », repris dans Le Pays, Le Journal du peuple, L’œuvre, fut relevé par R. Rolland dans son Journal des années de guerre..., (p. 1313) : « Le plus près de nos pensées, Anatole France... Le seul effort qu’il ait fait a été d’écrire quelques lignes inoffensives contre la censure. C’est assez pour mettre en repos sa conscience. » À la fin 1918, A. France soutint les principes wilsoniens et il participa au « Salut au président Wilson » lancé par l’Humanité (14 décembre).

En 1918-1919, A. France reprit le rôle de l’intellectuel ami qu’il avait joué auprès du Parti socialiste d’avant 1914. En avril 1918, il donna une lettre de témoignage en faveur de Ch. Rappoport, déféré devant le Conseil de guerre pour « propos défaitistes », lettre qui fut lue au procès le 3 juin. En mars 1919, au cours du procès de l’assassin de Jaurès, R. Villain, il écrivit un article sur Jaurès dans l’Humanité (26 mars) qui fut diffusé dans toutes les organisations ouvrières. Après le verdict d’acquittement, il publia un bref article de protestation (4 avril) ; le 6 avril, il était présent à la grande manifestation de protestation lancée par l’Union des Syndicats et la Fédération socialiste de la Seine. Le 8 août 1919, au congrès des Syndicats d’instituteurs à Tours, il prononça un long discours sur le problème de la réorganisation de l’enseignement secondaire et le rôle de l’instituteur dans la formation des générations futures (« Mes amis, faites haïr la haine »).

À la veille des élections législatives de novembre 1919, le Parti socialiste demanda à A. France d’accepter d’être candidat dans le troisième secteur de Paris ; A. France déclina cette offre, pour des raisons de santé, dans une lettre à la 16e section de la Fédération de la Seine (le 19 octobre 1919), affirmant sa foi dans l’avenir du socialisme. « ... je crois que le socialisme est seul capable d’organiser un ordre stable, de garantir la paix universelle, d’émanciper la conscience humaine et de renouveler enfin la civilisation séculaire en la fondant non plus sur l’exploitation économique des masses mais sur les puissances illimitées du travail collectif et du libre-échange » (19 octobre 1919). Il signa l’appel du « Groupe Clarté » en faveur des candidats du Parti socialiste (l’Humanité, 6 novembre 1919). En février 1920, il protesta contre les poursuites intentées contre V. Cyril, secrétaire du « Groupe Clarté » et le dessinateur A. Galbez pour leur livre Les Crucifiés ; il protesta en mars 1920 contre les poursuites intentées aux Jeunesses socialistes pour leur action contre l’incorporation de la classe 20 ; le même mois, il devint président du Comité pour les militants emprisonnés et inculpés du « complot ». Il apporta son soutien à Caillaux après sa condamnation en Haute Cour en avril 1920.

En 1919, H. Barbusse décida A. France à patronner le mouvement « Clarté » pour une Internationale de la Pensée. En février 1917 déjà, R. Lefebvre avait réussi à intéresser A. France à un projet de « revue internationale » ; mais celui-ci ne s’engagea pas avant l’armistice. R. Rolland, de son côté, refusa de donner son nom, lorsqu’il apprit par R. Lefebvre que H. Barbusse voulait faire entrer A. France, Edmond Rostand, Maeterlinck et d’autres personnalités dont il réprouvait la défaillance durant les hostilités (Voir le Journal des années de guerre 1914-1919, à la date du 11 mars 1917 ; en 1919, R. Rolland refusa également d’adhérer au mouvement « Clarté »).
Membre du Comité d’initiative de « Clarté » (avec H. Barbusse, G. Duhamel, V. Cyril, Vaillant-Couturier, Magd. Marx), membre du Comité directeur international, A. France signa les manifestes de lancement du mouvement, notamment « Le Devoir des intellectuels » (Le Populaire du 17 août 1919) qui parut dans l’Humanité du 20 août, sous le titre « L’Appel du Groupe « Clarté » » annonçant la parution prochaine d’une revue et la formation de groupes devant constituer une Internationale de la Pensée.

La fondation du « groupe Clarté » fut rendue publique par Barbusse dans un article de l’Humanité du 10 mai 1919 ; il y annonçait que « des écrivains et des artistes, répondant aux vœux ardents de quelques-uns d’entre eux, et à leur grand devoir d’éducateurs et de guides, ont résolu de se grouper pour exercer une action sociale », qu’ils étaient « d’accord sur les principes essentiels d’une nette et claire doctrine : celle de l’affranchissement des hommes ». Barbusse annonçait que les écrivains français qui professaient ces idées, prenaient « conseil et exemple du maître le plus admiré et le plus vénéré des lettres françaises : Anatole France ».
A. France signa les premières déclarations du « groupe Clarté » (où son nom figurait en premier), notamment contre le Traité de Versailles (« Contre la paix injuste », l’Humanité, 22 juillet 1919), contre l’intervention en Russie, avec une protestation, signée avec H. Barbusse, contre l’interdiction par le ministère de l’Intérieur d’une affiche rédigée par le « groupe Clarté », « Aux Travailleurs manuels et intellectuels » appelant à la défense de la Russie des Soviets (Le Populaire, 7 septembre 1919), contre le blocus de la Russie (« Un grand crime se commet. Nous protestons », l’Humanité, 26 octobre 1919).

Si l’attitude d’Anatole France vis-à-vis de la Russie soviétique a été de constante sympathie, la question de ses rapports avec le communisme naissant est plus complexe. Il est certain qu’A. France fut aux jours difficiles un des premiers intellectuels français connus à donner son appui aux idées communistes après la scission de Tours de décembre 1920. Le 11 janvier 1921, l’Humanité titra sur deux colonnes, en première page, « Anatole France affirme sa solidarité avec le Parti socialiste SFIC » ; quelques jours plus tard, le 14 janvier, le journal publia une liste de personnes ayant apporté une contribution financière au parti ; le nom d’A. France venait en tête avec une somme de 50 francs (d’après Carter Jefferson, Le Lys Rouge, 1964) ; c’était Charles Rappoport*, socialiste rallié à la IIIe Internationale et intime de France qui aurait demandé ces 50 F à l’écrivain « pour une bonne action », puis lui aurait dit ensuite que c’était « pour le parti », « pour la bonne cause ». Paul Gsell, dans ses Derniers propos d’A. France, écrivit : « C’est certainement sous l’influence de M. Rappoport qui, dans ces derniers temps, a de plus en plus incliné Anatole France au communisme » (p. 285). Le 14 août 1921, A. France donna à l’Humanité un « Appel au prolétariat » dénonçant l’intervention en Russie. Cependant, contrairement à ce qui a été souvent affirmé, A. France ne donna jamais son adhésion au Parti (Voir le commentaire qui est donné d’une allusion de M. Thorez aux romans d’A. France dans les œuvres complètes, de M. Thorez, Livre III, t. 11 : « Dans les dernières années de sa vie, Anatole France fut membre du Parti communiste français » ; Voir également ce que dit G. Cogniot dans un article de La Nouvelle Critique de février 1952 : « C’est en toute clarté de conscience qu’il fut membre du Parti socialiste unifié et, ensuite, du Parti communiste »). On citera sur ce point le témoignage d’un homme qui connut France à ce moment, celui de Marcel Cachin*, recueilli par Henriette Psichari en 1957 et rapporté dans Des jours et des hommes : « Marcel fut formel — écrit-elle — Anatole France était un familier de l’Humanité, où il venait souvent nous voir. Il suivit le congrès de Tours avec passion et aussitôt après, il se déclara avec nous, entièrement, totalement, sans arrière-pensée. Mais si vous entendez le mot « adhérer » dans son sens actuel, évidemment non ». »

Lorsqu’A. France alla à Stockholm pour recevoir son Prix Nobel en décembre 1921, il prononça une phrase dénonçant le Traité de Versailles que l’Humanité releva particulièrement : « La plus horrible des guerres a été suivie d’un traité de paix qui ne fut pas un traité de paix, mais la prolongation de la guerre. L’Europe en périra, si enfin la raison n’entre pas dans ses conseils. » D’après l’Humanité, il aurait déclaré au correspondant du Politiken de Copenhague, à propos de la révolution russe : « J’adore Lénine : il travaille au progrès de l’humanité » (Pierre Calmettes rapporte qu’A. France lui avait confié son admiration pour Lénine dans une lettre du 23 janvier 1920 en affirmant : « Mais c’est aujourd’hui que je suis vraiment bolcheviste de cœur et d’âme. » Calmettes ajoute d’ailleurs : « Mais j’avoue qu’en lisant cette profession de foi, je n’ai pu l’accepter que comme le témoignage d’une crise momentanée de découragement et de neurasthénie commençante. » La grande passion d’A. France, p. 9). Le journal communiste ne se trompa d’ailleurs pas sur le sens des déclarations d’A. France, déclarations de sympathie mais non d’adhésion. « Notre vieux maître, s’il n’adhère pas lui-même au PC (il n’adhère à aucun parti) est fort préoccupé d’être l’ami de ceux qui représentent chez nous un peu de la grande idée russe. Il admire Lénine et Trotsky, il s’intéresse à leurs actes et à leurs paroles, il sympathise hautement avec ce prolétariat prestigieux qui bâtit une Russie nouvelle... » (Amédée Dunois*, 20 février 1922). Le 18 février 1922, au banquet de la Ligue des droits de l’Homme, A. France s’était adressé aussi bien à ses « amis socialistes et communistes ».

L’attitude d’A. France vis-à-vis du bolchevisme changea à partir de 1922. Le 17 mars 1922, il envoya un télégramme au gouvernement de Moscou pour protester contre le procès imminent des socialistes-révolutionnaires : « Au nom de l’humanité, au nom des intérêts supérieurs de l’humanité, n’exercez pas sur des adversaires politiques des actes qui pourraient être interprétés comme une vengeance. Vous porteriez ainsi un préjudice irréparable à la cause de la libération des travailleurs du monde » (le télégramme fut reproduit dans la presse). En juillet 1922, Maxime Gorki qui n’était pas alors rallié au bolchevisme, adressa de Berlin une lettre à A. France pour lui demander d’intervenir de nouveau auprès du pouvoir soviétique au sujet des socialistes révolutionnaires ; celui-ci dans une lettre ouverte (10 juillet) s’associa à l’appel de Gorki en faveur des accusés tout en prenant ses distances sur le fond de l’affaire.
A. France publia ce même mois dans l’Humanité, sous forme d’une lettre à M. Cachin, un article sur le roman de son ami Michel Corday*, Les Hauts Fourneaux, article qui contenait la phrase qui allait connaître un retentissement prodigieux : « On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels » (18 juillet 1922).
Cependant, depuis l’affaire du procès des SR [Socialistes Révolutionnaires] A. France n’était plus considéré comme un allié aussi sûr par le Parti. On lui demanda encore, comme à quelques autres intellectuels, une déclaration de sympathie pour la Révolution russe à l’occasion de son cinquième anniversaire ; ce fut son « Salut aux Soviets » qui parut le 8 novembre 1922 dans l’Humanité avec ce commentaire, (« cet hommage prend à nos yeux, aux yeux de tous les révolutionnaires, une valeur inestimable »). Ce fut sa dernière prise de position publique en faveur de la Russie soviétique. A. France fut également sollicité lors de la campagne de protestation lancée par le PC pour la libération d’André Marty* condamné à vingt ans de travaux forcés à la suite de la révolte de la Mer Noire ; l’Humanité publia le 30 novembre 1922 une déclaration d’A. France dont une des phrases servait de titre : « Il est beau qu’un soldat désobéisse à des ordres criminels. »

À partir de 1923, A. France s’éloigna du PC et du communisme. Rappelons que le IVe congrès de l’Internationale communiste avait, à la fin 1922, proclamé l’incompatibilité entre l’appartenance à la Ligue des droits de l’Homme et l’appartenance au PC, et demandé que les éléments non révolutionnaires soient exclus du PC. Bien que l’Humanité du 1er janvier 1923, sous la plume d’Amédée Dunois*, ait affirmé : « Ai-je besoin d’ajouter qu’il n’est pas vrai que Séverine et Anatole France seront invités à ne plus se parer du titre de communistes », il est hors de doute qu’A. France s’éloigna du communisme dès la fin 1922. Déjà, lors du banquet offert par la Ligue des droits de l’Homme à l’occasion du Prix Nobel de l’écrivain (18 février 1922), l’Humanité avait pris ses distances en écrivant que « les communistes ne seront pas très nombreux à cette manifestation ». En octobre 1922, A. France donna son appui à Henry Dumay (qui dirigeait depuis 1919 l’hebdomadaire Le Progrès civique) lors du lancement du Quotidien dont les conseillers politiques étaient Ferdinand Buisson, Aulard et P. Renaudel (premier numéro en juin 1923). Le 11 mars 1923, A. France participa aux cérémonies du centenaire d’E. Renan, organisées par les associations laïques et républicaines au Trocadéro. Il se prononçait, en préparation des législatives de 1924, en faveur d’un rapprochement entre socialistes et républicains de gauche.
En avril 1923, paraissait dans La République la préface qu’A. France avait écrite pour La Houille rouge de M. Corday (28 avril). En mai 1923, il affirmait une nouvelle fois son idéal pacifiste dans un message aux femmes américaines de la « Good Will Delegation ».
En avril 1924, A. France reçut pour son 80e anniversaire une consécration que peu d’écrivains connurent de leur vivant. L’Humanité ne manqua pas de faire un panégyrique de l’écrivain dans lequel on rappelait son amitié pour Jaurès, son admiration pour Lénine ainsi que ses réticences vis-à-vis de la révolution (13 avril). Au lendemain de la victoire du Cartel des Gauches qu’il avait souhaitée, il assista, déjà malade, à la manifestation organisée en son honneur au Trocadéro le 24 mai 1924 par la Ligue de l’Enseignement. Il y prononça ses dernières paroles publiques, consacrées à la défense de la paix.

France mourut à la Béchellerie, le 12 octobre 1924. Le gouvernement lui fit faire des funérailles nationales, le 18 octobre. De nombreuses délégations socialistes, (mais non communistes) avec leurs drapeaux rouges, accompagnèrent le char funèbre, du quai Malaquais au cimetière de Neuilly. Le Parti communiste célébra l’écrivain, M. Cachin rappela qu’il fut « sympathisant du socialisme, voire du communisme [...]. Nous devons à la vérité de dire que dans les dernières années, le grand écrivain s’abstint de participer à l’action communiste » (l’Humanité, 16 octobre).
Dans cette atmosphère d’unanimité, le pamphlet lancé par les surréalistes, « Un Cadavre » (octobre 1924) fit scandale. Les proches et les amis d’A. France s’attachèrent à perpétuer la mémoire de l’écrivain et à faire connaître son œuvre. M. Corday, à qui France avait confié ses manuscrits inédits, réunit en 1925 les Dernières pages inédites d’Anatole France, et fonda en 1932 « Le Lys rouge », « groupe d’admirateurs d’A. France ». De 1925 à 1935 parut chez Calmann-Lévy une grande édition illustrée en 25 volumes des œuvres complètes d’A. France. Une nouvelle édition des œuvres complètes a été établie par les soins du Cercle du Bibliophile (1969-1971) avec des préfaces et notices de Jacques Suffel et la seule réunion complète de Trente ans de vie sociale, préface et notes de Cl. Aveline.
En 1944, les autorités d’Occupation voulurent célébrer le centenaire de la naissance de France, mais celui-ci n’eut pas lieu à cause de la résistance passive opposée par son petit-fils, Lucien Psichari. Le centenaire fut célébré en 1945 comme une manifestation de la Libération, par la Société Anatole France, présidée par Claude Aveline*. En 1947 fut inauguré à Paris le « Quai Anatole-France ».
Après 1945, le Parti communiste qui revendiquait l’héritage du rationalisme du XIXe siècle ne manqua pas de faire sa place à Anatole France et de rappeler son adhésion au communisme naissant. Sympathisant de la Révolution russe et des idées communistes jusqu’en 1922, A. France, qui n’avait jamais adhéré au parti communiste, s’en éloigna cependant à cette date pour revenir à des positions proches de celles des socialistes et des républicains de gauche. »

Source Maitron : http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article114065
P.P

1 commentaire:

  1. C'est toujours un plaisir de recevoir et de lire les articles du blog de la Maison d'Ecole. Celui sur Anatole FRANCE est passionnant.
    Compliments et nos encouragements à toute l'équipe et nos meilleurs voeux pour 2019.

    Marie-Claude et Marc LAUQUIN CHALON.

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