vendredi 29 mars 2019

L'école dans l'Algérie française



L’école dans l’Algérie française
Brève chronologie
(Seconde partie)

Couverture de cahier, collection L. Geisler, l’Algérie N°6, 1895 (collection musée)



Nos ancêtres les gaulois…

1827 : Le dey d'Alger lors d'une audience, frappe le consul de France Deval d'un coup d'éventail (ou de chasse-mouches), en raison du refus de ce dernier de reconnaître une dette du Directoire (soit de plus de 30 ans) à  des négociants juifs algériens.



Protège-cahier, série Conquête de l’Algérie, vers 1890 (collection musée)




1830 : A la suite d'une décision de Charles X, un corps expéditionnaire français dirigé par le maréchal de Bourmont, débarque à Sidi-Ferruch et s'empare d'Alger le 5 juillet. Le dey d'Alger relève de l'empire turc. La régence d'Alger comporte environ 3 millions d'habitants, essentiellement ruraux (d'après X. Yacono,Histoire de la colonisation française, éd. de 1979). Les militaires estiment que 30 à 40 % d'hommes savent lire et écrire (Daumas, cité par Turin 1971, et Tocqueville 1847, citant le rapport du général Bedeau), ce qui est comparable à la France. 2000 écoles existent en relation directe avec la religion (étude du Coran). Il n’y a pas d'instruction publique mais des liens étroits avec confréries religieuses (zaouïas) et des fidèles des mosquées.

1833 : Création d'écoles mutuelles à Alger, Oran et Bône, qui venaient d'être érigées en communes.

1834 : L'Algérie devient une colonie militaire, rattachée au ministère de la Guerre. Elle est dirigée par un gouverneur général. On note tout de suite l’hostilité des militaires face au zèle des évangélisateurs de l’Eglise catholique.



Protège-cahier l’Algérie, n° 7, Les Habitants de Médéah face au général Clauzel à cheval en 1831, collection L. Geisler, 1895 (CANOPE)



1835 : Création du collège communal d’Alger.

1836 : La conquête de Constantine est un échec. On ouvre la première école maure-française et la première chaire d'arabe parlé à Alger et au collège.

1839 : Ouverture à Paris d'un collège arabe destiné aux fils de notables (au nombre de 10 seulement jusqu'en 1847). Les effectifs des collèges français en Algérie augmentent, mais leurs élèves indigènes diminuent jusqu'à la quasi-extinction. Les manuels d’enseignement sont les mêmes qu'en France (ex : Livre de l'adolescence, textes très catholiques, de Delapalme).



Edition 1854 (GALLICA.BNF)



1843 : Un des plus célèbres épisodes de la conquête : la prise de la Smala d'Abd-el-Kader par la cavalerie du duc d'Aumale (un des fils du roi Louis-Philippe).

1848 : l'Algérie est divisée en 3 départements. Le collège d'Alger est  transformé en lycée et il y a désormais  98 écoles primaires en Algérie. L'académie d'Alger est créée mais il y a des hésitations sur ses responsabilités car les écoles indigènes dépendent du gouverneur général jusqu’en 1875. Peu à peu, tout l'enseignement  relèvera directement du ministère de l'Instruction publique (puis de l'Education nationale, à partir de 1932).



Protège-cahier imprimerie Sidot n° 13, La Mort du Marabout Si-Zerdout en 1843, vers 1890 (collection musée)



1849-50 : Parallèlement aux écoles françaises, s’instaurent  pour les indigènes, les premières écoles arabes-françaises (6 pour les garçons, 4 pour les filles). Il y en aura une trentaine en 1870 pour 1500 élèves, l’enseignement y est bilingue, en français avec un maître français, en arabe avec un tolba (enseignement du Coran). Une commission se réunit  à Alger en vue de rédiger des ouvrages élémentaires en langue arabe pour les écoles arabes. Le système d’enseignement coranique traditionnel s’effondre du fait de la méfiance des autorités françaises. L'enseignement primaire pour les Européens est assuré surtout par les congrégations dont les efforts colonisateurs tendent à contrôler les medersas.

1856 : 1016 élèves fréquentent 10 écoles arabes-françaises (dont 3 de filles).

1857 : Un premier collège impérial arabo-français ouvre à Alger (200 élèves), puis d’autres à Constantine et à Oran. L’enseignement y est bilingue.



Napoléon III en Algérie (Musée national du Château de Compiègne)



1860-1865 : Napoléon III visite l’Algérie à plusieurs reprises, il veut en faire un « royaume arabe » sous l’influence d'Ismaïl Urbain, saint-simonien converti à l'Islam. Il rencontre l’hostilité des colons. Une terrible famine sévit en Algérie, on estime une perte de population de 50 % depuis 1830 qui touche surtout les tribus. Le cardinal Lavigerie développe la charité, crée les Pères blancs et les Sœurs blanches (1868), et cherche à évangéliser au moyen des écoles catholiques. Il y a cependant une volonté officielle de favoriser l'accès des indigènes dans les écoles primaires françaises, elle se concrétise par une circulaire du gouverneur général Mac-Mahon en 1867. Dans le même temps, un sénatus-consulte instaure la possibilité pour les indigènes de devenir citoyens, à condition d'abandonner leur droit musulman, tandis qu’un décret institue la première école normale d'Alger (1/5 des places étant réservées à des élèves indigènes). L’arabe y est obligatoire pour tous les élèves.



Protège-cahier l’Algérie, n° 10, La Défense de Mazagran par les troupes du capitaine Lelièvre en 1840, collection L. Geisler, 1895 (CANOPE)



1870 : Le décret Crémieux accorde la nationalité française aux indigènes juifs nés en Algérie, ce qui aboutit à la suppression des écoles juives. Seules subsistent les midrashims du Sud algérien. Les populations indigènes étant très réticentes à la scolarisation coloniale. Les républicains prennent le pouvoir dans les municipalités et laïcisent les écoles, dont les écoles coraniques et leurs 20 000 élèves.

 1874 : création de la première école normale d'institutrices à Miliana.

1875 : L’arabe devient langue vivante au baccalauréat, au diplôme d'études de l'enseignement spécial et au brevet de capacité de l'enseignement primaire. Un décret sur l'instruction publique en Algérie paraît.



Protège-cahier Charier Editions, La Mort du Zouave, vers 1890 (collection musée)



1879 : Ouverture de l'école normale d'instituteurs de Constantine.

1880 : Gambetta et Ferry, contre l'avis des radicaux (Clemenceau, Pelletan...) décident de développer la colonisation (d'abord dominée par des Européens autres que Français) alors que l'échec de la politique de mixité franco-arabe est flagrant. Jusqu'en 1881, moins de 1% des dépenses budgétaires de l'Algérie sont consacrées à l'instruction publique.

1881 : On supprime l'enseignement de l'arabe à l’école primaire. Mise en place du code de l'indigénat, prévu pour 7 ans, mais qui sera pour l'essentiel maintenu jusqu'en 1944 (dont l’interdiction d'exercer le métier d'enseignant sans autorisation). Les indigènes sont de nationalité française mais sujets, et non citoyens, sauf s'ils choisissent l’abandon de leur « statut personnel musulman » (très peu vont le faire, l’administration y mettra d’ailleurs beaucoup de mauvaise volonté). La Kabylie est choisie comme région privilégiée pour développer une politique assimilationniste.



Après plusieurs années de famine, la population des musulmans d'Algérie passe à la fin du Second Empire de 2 732 851 en 1861) à 2 125 052 en 1872 (wikipedia.org)



1883 : Fin des écoles arabes-françaises (il en restait 13 en 1882). On crée un Certificat d'études indigène (avec une épreuve de « Langue arabe ou berbère : lecture et écriture ». Création aussi d'un cours de langue kabyle à l'école normale. Les colons font tout pour freiner la scolarisation des indigènes.

1884 : Jules Ferry nomme le recteur Jeanmaire, qui sera la cible des colons jusqu'à son départ en 1908, à cause de son point de vue assimilationniste et malgré le soutien, dans les années 1900, du directeur de l'école normale de Bouzaréah, Paul Bernard.

1887 : Le Certificat d'Etudes Indigène est supprimé. On crée un corps d'inspecteurs spéciaux à l'enseignement des indigènes.
Quatre exemples de Certificats d'Etudes Indigènes à différentes époques (voir à cet égard l'article https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2017/06/la-fin-dun-mythe.html ) :


CEP indigène-Algérie

CEP indigène-Algérie

CEP indigène-Tunisie




CEP indigène-Cochinchine


1888 : l'école normale d'instituteurs s'installe à Bouzaréah, dans les locaux d'un asile d'aliénés. On recrute des moniteurs indigènes, formés à l'EN d'Alger-Bouzaréah et Oran (cours normaux, c'est-à-dire annexés à une école primaire sans locaux spécifiques).

1889 : Mise en place du premier plan d'études pour les écoles indigènes. Le Certificat d'Etudes Primaires des indigènes est recréé avec le rétablissement d’une épreuve d'arabe « usuel ». L’histoire et la géographie de l'Algérie sont au programme.

1890 : Publication du plan d'études et des programmes pour l'enseignement aux indigènes.


Protège-cahier Auguste-Gaudchaux, 1891,  Le Bombardement d’Alger (collection musée)



1891 : Le recrutement d'instituteurs métropolitains pour les écoles indigènes est ouvert avec un an d'année d'adaptation à l'école normale de Bouzaréah en « section spéciale » avant la première nomination.

1892 : Décret du 18 octobre, suite au rapport Combes, sur l'enseignement primaire, public et privé, des indigènes en Algérie : l’arabe devient obligatoire pour le Brevet supérieur. Le traitement des « adjoints indigènes » (ayant le certificat d'études primaires et un an de formation à l'école normale) est inférieur de moitié quand ils refusent la citoyenneté française.

1893 : Le Bulletin de l'Enseignement des Indigènes de l'Académie d'Alger est créé. C’est P. Bernard, directeur de l'EN de Bouzaréah qui en prend la direction en 1896.



Almanach édité pour les corses et  les alsaciens-lorrains déportés  alors que des campagnes de pacification contre les mouvements de révolte locale sont toujours en cours en Kabylie (pinterest.fr)



1897-1898 : Des émeutes « antijudaïstes » éclatent. Les colons évoquent une sécession de l'Algérie pour la première fois.  L’Algérie dispose d'une autonomie financière, par l'intermédiaire des Délégations financières tripartites, dont dépendent les crédits d'enseignement, avec des membres élus dans trois collèges (colons, non-colons, indigènes, ces derniers en infériorité numérique par rapport à chacun des autres groupes). Création des impôts « arabes », payés dans les communes mixtes, le plus souvent au profit des seuls colons. Sous la pression de ces derniers est proposé un second plan d'études pour les écoles indigènes, accentuant le côté pratique. On doit aborder des notions sur la France et l'Algérie (historiques, géographiques, administratives) - Cours Moyen. But : « Il ne s'agit pas d'enseigner l'histoire en tant que récit des événements mémorables. La suite des rois, des traités, les récits de bataille sont bannis de notre programme. Nous nous proposons de montrer l'état des populations de la France et de l'Algérie aux principales époques de leur histoire, pour faire saisir le progrès de la civilisation, le développement des idées de justice et d'humanité, et enfin faire comprendre le rôle bienveillant de la France en Algérie. »



« l’Algérie colonie française », Atlas national  illustré des 86 départements et des possessions de la France en Algérie (1854) de Victor Levasseur, ingénieur polytechnicien et géographe. (BNF)



1900 : L’Algérie devient « personnalité civile » et acquiert l’autonomie financière. 5 % du budget sont destinés à l’Instruction publique. Un rapport sur l'enseignement des indigènes est rédigé par le Recteur Jeanmaire (Exposition universelle) : 3,62 % des enfants indigènes sont scolarisés. En 1901, l'association, plutôt que l'assimilation, devient la doctrine officielle.

1906 : Clémenceau et les radicaux anticolonialistes accèdent au pouvoir.

1908-1914 : Mise en place de nombreuses « écoles auxiliaires » pour les indigènes (« écoles-gourbis »), avec des maîtres indigènes « moniteurs ».

1908 : Les colons se réunissent en congrès pour dénoncer l'enseignement indigène.

1909 : Création de l’Université d’Alger. Le Recteur Jeanmaire a démissionné l’année précédente.
 
1911-1912 :
200 notables musulmans choisissent l’exode de Tlemcen vers la Syrie.

1912 : 1 000 000 d’algériens sont d’âge scolaire. Les menaces de guerre se faisant plus pressantes, on établit la conscription des indigènes par tirage au sort.



La France se vante, en 1914, d’être « la première puissance musulmane » en enrôlant massivement dans ses colonies : on compte 180 000 Algériens, 60 000 Tunisiens, 37 000 Marocains, 134 000 Noirs Africains, 430 00 Indochinois, 34000 Malgaches. 81 000 sont morts pour la France dont 38 550 algériens blancs ou arabes (source Mémoire des Hommes).



1914 : 5 % du million d’algériens sont scolarisés. 405 indigènes obtiennent le Certificat d'études, un millier de musulmans seulement ont accédé depuis 1870 à des professions libérales ou de fonctionnaires.

1915 :
Devant la mauvaise volonté des Délégations financières et des communes, l’Etat prend en charge la construction des écoles indigènes.

1916 : Le Sud-Constantinois s’insurge contre la conscription.

1918 : Plus du tiers de la population indigène de 20 à 40 ans est en France.

1919 : La loi Jonnart tend à améliorer légèrement les droits des indigènes, notamment en actant la fin de l’« impôt arabe ». Création la même année de la première Amicale des étudiants indigènes de l'Université d'Alger.

Années 20 : Naissance d'un mouvement national algérien, en relation forte avec l'émigration en France d'ouvriers durant la Grande Guerre, notamment d'origine kabyle. Des revendications nouvelles apparaissent : les indigènes demandent des écoles ; les adjoints indigènes militent pour la fusion des enseignements et la parité avec leurs collègues français ; on dénonce l’emploi du budget de l’Instruction en Algérie, part du budget : 1,9 % pour les indigènes en moyenne, 8,4 % pour les Européens. L’égalité de traitement entre instituteurs européens et les instituteurs adjoints indigènes est obtenue rapidement. Création de La voix des humbles, journal de l'Association des instituteurs indigènes (proche de la SFIO), de tendance assimilationniste. L’association est contre l'enseignement de l'arabe laissé aux zaouïas et aux médersas.






1924 : Les épreuves au concours d'entrée de l'EN de Bouzaréah sont communes pour tous, mais le classement reste à part pour les élèves « indigènes ».

1926-27 : Fondation à Paris de L'Etoile Nord-Africaine avec l'aide des communistes, animée par Messali Hadj durant seulement un an. Naissance de la première Association des étudiants musulmans nord-africains en France, elle revendique l'apprentissage obligatoire de l'arabe en primaire. Parution d’une circulaire rectorale facilitant l'inscription des élèves indigènes dans les écoles européennes ; 10,7 % y sont d'origine indigène.

1928 : L’école normale de Bouzaréah ne fait plus de distinction entre les élèves européens et les élèves indigènes. Dans les années 30, le nombre d’élèves indigènes augmente : 140 européens pour 30 indigènes, mais en moyenne, les instituteurs indigènes représentent moins de 10 % du total entre les deux guerres.



(Parismuseescollections.fr)



1931 : Naissance du mouvement « réformiste » de l'Association des Oulémas musulmans algériens : « L'Algérie est ma patrie ; l'Islam est ma religion ; l'arabe est ma langue. ». Un enseignement privé musulman « réformé », y compris pour filles, est mis en place : enseignement en langue arabe, avec Certificat d'études primaires arabes, langue arabe dans le secondaire dans des médersas « réformées », méthodes pédagogiques modernes, manuels venant d'Orient ou de Tunisie. En 1933, il y aura 2542 écoles avec 36305 élèves dans le réseau privé musulman. Grand succès populaire de l’Exposition coloniale internationale de Paris.






1933 : Les  Ecoles Normales d'Oran et Constantine sont ouvertes mais réservées aux Européens.
 
1934-1937 : On dénombre 70 écoles « réformistes » pour 3000 élèves. Parallèlement, le scoutisme musulman se développe. Le recteur Georges Hardy estime à 100 000 les indigènes scolarisés, à 800 000 les non-scolarisés, il envisage pour les campagnes des « centres de premier degré », plutôt que des écoles pour redresser la situation.

1935 : Albert Truphémus est Inspecteur de l'enseignement indigène (il est né à Remoulins et mourra à Alger). Son roman, Ferhatinstituteur indigène, publié à Alger en 1935, aura un retentissement considérable chez les « naturalisés » d'Algérie et sera lu par la plupart des élèves de la Section indigène de Bouzaréah à la fin des années 30.



1936 : Création du parti communiste algérien. Un Congrès musulman suit et doit  assurer le rattachement des communistes aux Ulémas, congrès qui reste sans lendemain. Prise de position radicale du parti communiste français dans les années 30.




Le 15 octobre 1936, dépôt du projet de loi Blum-Viollette qui vise à permettre à une minorité de l'élite musulmane d'Algérie française d'acquérir la citoyenneté française, leur donnant notamment le droit de vote (cette loi ne s'appliquant pas aux musulmans d'Algérie française vivant en métropole car ils jouissent déjà des mêmes droits et obligations que les autres personnes de nationalité française dans l'hexagone). Sous la pression, le projet est abandonné en mars 1938.





1937-1938 : Le réseau des écoles privées musulmanes compte 3148 établissements pour 50 293 élèves alors que dans les écoles indigènes, 16 moudarrès donnent des cours d'arabe utilisant des manuels égyptiens (516 élèves sur 102 603 élèves des écoles indigènes). 27.3 % des élèves indigènes scolarisés le sont dans des écoles européennes, ils représentent 17,3 % des effectifs de ces dernières.

1939 : 900 000 enfants ne sont pas scolarisés.  Les premières années de guerre voient une double propagande anticoloniale en Afrique du Nord, d'une part celle des nazis (utilisant le grand muphti des Jérusalem), d'autre part celle des Américains. La Voix des humbles est interdite par le Gouvernement général.

1940-1943 : Deuxième rectorat de Georges Hardy. Il applique les consignes nationales sur les révocations des fonctionnaires en Algérie : 870 enseignants dont 464 juifs sont touchés. Le décret Crémieux est abrogé, les juifs perdent la citoyenneté française et redeviennent indigènes. Les élèves d’origine musulmane ne représentent plus qu’à peine 11 % des élèves d'Ecoles Primaires Supérieures, moins de 8 % des lycéens, moins de 4 % des étudiants de l'université d'Alger. Les enfants juifs subissent un numerus clausus dans tous les niveaux d'enseignement.

1942 : Le Certificat d'études spécial aux indigènes est supprimé. Le Bulletin pour l'Enseignement des Indigènes est remplacé par L'Education algérienne (qui concerne tous les niveaux d'enseignement) jusqu'au débarquement anglo-américain du 8 novembre. A leur arrivée, les américains installent Giraud plutôt que de Gaulle à la gouvernance. Ancien pétainiste renié par Pétain lui-même (ce dernier lui ôtera la nationalité française) qui il conservera les lois de Vichy jusqu’en 1943.



Manuel GP Editions, 1945, illustrateur P. Baudouin



1943 : En décembre, le Comité Français de la Libération Nationale (CFLN) décide « d'élever la condition politique, sociale, économique, des Français musulmans ».

1944 : Il est mis fin au code de l’Indigénat. La commission chargée de préparer « l'adaptation des programmes à l'intention des élèves de l'Afrique du Nord » propose l'enseignement de l'arabe dialectal au CM2. Premiers soubresauts : les nationalistes algériens sont persuadés d'obtenir l'indépendance, compte tenu de l'affaiblissement du régime français et du soutien des Américains. Un vice-rectorat est chargé d’un nouveau plan de scolarisation totale des indigènes sur 20 ans, il est décidé la création de classes à mi-temps mais on refuse toujours de développer l'enseignement de l'arabe.

1945 : A la suite d'une tentative d'insurrection générale le 8 mai ont lieu les massacres de Sétif et Guelma qui étouffent toute forme d’indépendance.

1947 : A l'initiative d'un groupe de professeurs de l'école normale de Bouzaréah, Nathan crée le Journal des Instituteurs d'Afrique du Nord, complément du Journal des instituteurs, publié jusqu'en 1963. L’année suivante seront créé des cours du soir pour adultes illettrés.




Couverture de cahier, fin des années 40 (collection musée)



1949 : On ne compte que 2431 garçons et 301 filles musulmans dans l’enseignement secondaire. Un décret fusionne cependant les enseignements français (A) et indigène (B)  et crée des « Cours préparatoire d'initiation » pour les enfants musulmans non francophones  (qui remplacent le cours préparatoire). De plus, les programmes d’histoire et de géographie comporteront désormais des leçons sur l'Afrique du Nord.

1951 : On dénombre 6081 écoles pour 103 500 élèves dans le réseau privé musulman. Dans les années qui suivent la proportion des enfants scolarisés sur la population totale en Algérie est de 3,6 % (la plus faible dans la région méditerranéenne, hors Maroc et Iran).

Proportion de la population scolarisée dans la population totale



Pays
Année
Population
scolarisée/
totale
scolarisée
totale
France
1951
8 000 000
42 000 000
19,0 %
Iran
1948
435 906
18 092 000
2,4 %
Turquie
1950
1 787 297
20 935 000
8,5 %
Irak
1947
224 776
4 800 000
4,7 %
Liban
1949
230 000
865 000
26,5 %
Egypte
1949
1 627 431
20 004 000
6,3 %
Tunisie
1952
197 878
3 480 000
5,6 %
Maroc
1950
149 077
8 000 000
1,9
Algérie
1954
304 015
8 449 332
3,6 %






1952 : La mission de l'Inspecteur général Piobetta rend son rapport : « la similitude des situations entre les départements français de dialecte alsacien et les départements français de l'Afrique du Nord est évidente ». Il dénonce des difficultés qui seraient dues aux enseignants communistes et aux instituteurs musulmans.

1954 : L’Algérie compte près d'1 million d'habitants de souche européenne et près de 9 millions de musulmans. 82 % des Européens vivent en ville. En 10 ans, les effectifs scolaires ont été multipliés par 3, mais la hausse démographique est supérieure. 15,4 % des élèves musulmans sont alors scolarisés, les écoles à mi-temps accueillent au moins 50 élèves par classe. Une politique intégrationniste est mise en place, notamment par les militaires, le 1er novembre débute l’insurrection algérienne avec une vague d’attentats dont les premières victimes sont un couple d’instituteurs.

1955 : Jacques Soustelle, gouverneur général, demande à Germaine Tillon de créer les Centres sociaux éducatifs, dépendant de l'Education nationale, et destinés à alphabétiser les populations des campagnes (12 h hebdomadaires pendant 2 ans). Ils feront rapidement l'objet d'une suspicion permanente de la part des autorités militaires. Le parti communiste algérien est interdit cette année-là et l'état d'urgence en Algérie est proclamé par l'Assemblée nationale. En signe d’apaisement, Edgar Faure, Président du Conseil, souhaite « que l'enseignement de l'arabe soit rendu obligatoire dans les écoles primaires de l'Algérie ». Il rencontre l’hostilité des inspecteurs primaires et des parents européens dans le choix des langues dans le secondaire (arabe classique en 1ère langue, dialectal en 2de). Sur 193 écoles « réformées » des Oulémas, seules 60 (9000 élèves) continuent à fonctionner et se rallient au FLN.



Répartition des écoles Coraniques selon les départements


Département
1932-1933
1937-1938
1950-1951
Ecoles
Maîtres
Elèves
Ecoles
Maîtres
Elèves
Ecoles
Maîtres
Elèves
Alger
431
475
8 591
352
357
7 524
888
940
20799
Oran
690
692
10313
496
496
6 836
1 298
1 409
19542
Constantine
801
821
10624
1 573
1 597
24063
3 002
3 007
41096
Ter. du Sud
620
630
6 777
727
739
11870
893
910
22063
total
2 542
2 618
36305
3 148
3 189
50293
6 081
6 266
103 500

Répartition des élèves indigènes algériens dans l’enseignement traditionnel réformé, selon le sexe et le département (1955)


Département
Ecoles
Nombre d’élèves
Nombre de maîtres
Garçons
Filles
Total
Offi-
ciels
Auxil-
liaires
Maî-
tresses
Total
Constantine
103
10857
6 745
17602
195
56
29
280
Alger
53
5 128
3 876
9 004
70
33
16
119
Oran
37
5 108
3 476
8 584
66
24
22
112
Total
193
21093
14097
35190
331
113
67
511



1956 : Les pouvoirs spéciaux sont votés. Un décret facilitant l'accès à la fonction publique des Français musulmans prend effet. Le 5 mai voit une grève des étudiants européens et le 25 mai une grève illimitée des étudiants musulmans à l'appel de l'UGEMA (Union Générale des Etudiants Musulmans Algériens). La Commission au Plan de scolarisation suggère de mettre en place des « établissements spéciaux de rattrapage », et de généraliser l'enseignement de l'arabe à tous les degrés. Elle crée à cet effet un corps d’instructeurs du plan (niveau BEPC) avec une formation pédagogique de 3 mois.

1958 : Les deux tiers des 71 députés d'Algérie sont musulmans, on remplace le terme d’« indigènes » par « français musulmans » dans les documents officiels. L’UGEMA est dissoute et on supprime l’Assemblée algérienne et le double collège. L’ordonnance du 20 août pour l'accélération du plan de scolarisation confie aux Centres sociaux éducatifs un « enseignement de base » hors région côtière et Kabylie.

1959 : Le Général De Gaulle propose l'autodétermination. L’effectif des élèves maîtres recrutés passe de 300 en 1950 à 1426 en 1959. Les effectifs scolarisés augmentent de 100 % pour les filles, de 60 % pour les garçons.

1961 : Putsch des généraux.




1962 : L’exode des Français d'Algérie (près d'un million de personnes) commence. Les troupes supplétives "musulmanes", harkis en particulier sont souvent abandonnées sur place, des dizaines de milliers d'exécutions sommaires sont perpétrées par les Algériens liés au FLN. L'OAS (Organisation Armée Secrète)  exécute 6 inspecteurs de Centres sociaux éducatifs (dont Mouloud Feraoun et Max Marchand). Les 4 et 5 juillet, plusieurs centaines de français sont massacrés à Oran. L’épisode colonial s’achève.


Classe de fin d’études à l’école Jeanmaire de Bellevue à Constantine, 1957-1958 (constantine-hier-aujourdhui.fr)



REGARD DE FEMME

Marie Caire-Tonoir, peintre des femmes algériennes
(1860-1934)


Marie Tonoir, devant la propriété familiale de Jausiers (wikipedia.org)



A la fin du 19ème siècle, la mode est alors aux tableaux "orientalistes", où les artistes occidentaux mettent en scène leur vision fantasmée du Maghreb. En 1899, accompagnée de son époux, également artiste, Marie Caire débarque en Algérie. Le couple compte passer l’hiver à Biskra, un lieu particulièrement apprécié par les Européens. L’artiste ignore encore que ce séjour va bouleverser sa carrière... Ce n’est pas pour prendre du repos qu’elle a choisi Biskra. La ville, une oasis située aux portes du Sahara, fascine de nombreux peintres. Y aller, c’est marcher dans leurs pas.



Marie Caire, Salomé, 1896, huile sur toile, 116 x 89 cm, Musée Gassendi, Digne-les-Bains (artips.eu)


Marie Caire n’échappe pas à la tendance, à la métropole, elle a déjà peint Salomé, une héroïne biblique collant parfaitement au cliché de la femme orientale mystérieuse et provocante. Elle compte, lors de ce voyage à Biskra, continuer à peindre des thèmes orientaux, tout en renouvelant ses couleurs et ses sujets. Mais cette fois, elle sort un peu des sentiers battus, laissant derrière elle les Salomé, l’artiste part à la rencontre des véritables habitantes de la ville.



Marie Caire, Fileuses algériennes, huile sur toile, 1900, Musée de la Vallée de l'Ubaye, Barcelonnette (artips.eu)


Elle s’applique à faire des portraits fidèles, loin de la femme fatale.



Marie Caire, Tête de femme de Biskra, 1899, huile sur toile, 52 x 57 cm, Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (artips.eu)


Tous les détails des coiffures et des tatouages sont finement représentés. Sous ses pinceaux, les femmes de Biskra regardent le spectateur avec beaucoup de dignité et de majesté. Pour la peintre, c’est un tournant, fini le fantasme de l’Orient, place à la réalité. 

Et ce changement plaît. Nombre de ses tableaux, considérés comme des chefs-d’œuvre, seront achetés par l’État français. L’image des femmes de Biskra s’en trouvera à jamais transformée.








Sources et bibliographie :

- Archives Musée de la Maison d’Ecole, notamment Presse Syndicale.
- Instruction publique, notes d’un rapport du général Bedeau daté de Constantine février 1847. (Archives historiques de l’armée de terre).
- Instruction publique en Algérie, rapport Lepescheux, chef de l’instruction publique à Alger, sans date (entre 1846 et 1850 ?) (Archives historiques de l’armée de terre).
• Combes, 1894, rapport sur l’enseignement supérieur musulman (les Médersas), Sénat, S. O., n° 15 (annexe au procès-verbal de la séance du 2 février 1894), 340p.
• Aynard, 1913 : « l’œuvre française en Algérie », Paris, Hachette,
• Begarra Joseph, 1953, « La scolarisation en Algérie », in La Revue socialiste, Paris, pp.147-156,
• Carret Jacques, 1959, « le réformisme en Islam, l’association des Oulama d’Algérie », Alger, Imprimerie officielle, 39p.
• Colonna Fanny, 1975, « Instituteurs Algériens 1883-1939 » Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 238p.
• Pervillé, Guy, 1984, « Les étudiants algériens de l’université française 1880-1962 », Paris, édition du CNRS, 346p.
• Prost Alain, 1968, « Histoire de l’enseignement en France (1800-1967) », Paris, Armand Colin, 524 p.
• Emin Jean-Claude, & Esquieu Paul, 1998, « Un siècle d’éducation », Education & formation n° 54, éditions du Ministère de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie
• Kateb Kamel, 2001, « Européens, « indigènes » et juifs en Algérie (1830-1962 » Paris, l’Ined/PUF ; XXVI + 386 p.
- Aïssa Kadri , Les enseignants français en Algérie 1945-1965, 2008, in La Rédaction.
- Les Amis de la Mémoire Pédagogique, 2008 : http://enseigner-lalgerie.1830-1962.fr
- http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5790298k/f7.image
- http://gallica.bnf.fr
- https://books.google.fr/
- http://newsletters.artips.fr/

P.P


Article à retrouver dans le livre :



Renseignements et Souscription à l’AVNP71

  et au Musée de la Maison d’Ecole à Montceau


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