Il
y a 80 ans, la guerre d’Espagne
Seconde partie
Les réfugiés espagnols
de Vence
Célestin
Freinet, blessé pendant la Première Guerre mondiale, ressentira toute sa vie
les affres de cette tragédie. Il se forgera un idéal de paix, de fraternité et
de solidarité qui ne pourra que le conduire à accueillir des réfugiés dans son
école de Vence. Plus que jamais, ce sera le lieu de la tolérance, du respect où
se construisent de futurs citoyens. Avant qu’il n’entrât dans la résistance à
l’occupant après 1940, Célestin Freinet offrit refuge à ces nombreux enfants
qui fuirent l’Espagne franquiste.
Après
la guerre de 14, Célestin Freinet fut nommé à Saint-Paul-de-Vence mais les
séquelles de sa blessure de guerre ne lui permettaient plus d’exercer son
métier de manière traditionnelle et il mit alors en application des méthodes
actives laissant plus d’autonomie à ses élèves. Pour rendre ses expériences
légitimement scolaires et créer des transversalités nécessaires avec les
apprentissages fondamentaux que sont la lecture et l’écriture, il inventa
l’imprimerie scolaire (voir à ce sujet l’article du blog « L’imprimerie
scolaire » par Jean Gaumet) https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2019/02/limprimerie-freinet-lecole.html#more.
Il se heurte rapidement à l’hostilité du
maire et de la bourgeoisie locale. En 1933, les tensions sont à leur paroxysme,
attisées par l’extrême-droite, et une violente manifestation aux portes de
l’école pousse Freinet, l’instituteur pacifiste et révolutionnaire, à brandir
son révolver d’ancien combattant devant les assiégeants… L’école est mise sous
protection de la gendarmerie et Freinet accepte de quitter son poste. Il est
mis à la retraite à 39 ans. Dès lors, en 1936, il ouvrira sa propre école
privée à Vence, avec l’approbation de Jean Zay, Ministre de l’Education du
Front Populaire.
A l’image de
cet instituteur, qui laissait poindre l’ancien combattant, défendant
révolver au poing son école contre ceux qui refusaient sa méthode
d’enseignement et son engagement
politique, Célestin Freinet combat le fascisme et soutient les Républicains
espagnols. Une école Freinet est ainsi ouverte par la Généralité de Catalogne,
à Barcelone, en 1937, pendant que deux instituteurs de l’école de Vence
s’engagent dans les brigades internationales.
Des enfants réfugiés sont accueillis dès
février, ce qui ne fut pas sans poser d’importants problèmes logistiques :
de la recherche de place pour loger l’ensemble des pensionnaires, au traitement
des épidémies de poux et de galle. Ils seront bientôt quarante-cinq et Freinet mettra en œuvre
toutes ses conceptions pédagogiques afin de les rassurer et les socialiser. Les
enfants écrivent alors des rédactions, des récits, produisent des dessins qui
seront imprimés. La guerre y est très présente ; Emmanuel Saint-Fuscien, dans
son livre Célestin Freinet un pédagogue
en guerres 1914/1945, parle d’une véritable pédagogie de guerre (8).
Les investigations, les histoires, les
poèmes, les chansons, les correspondances scolaires, toutes les activités
étaient sujettes à l’écriture dans les journaux de classe que Freinet avait
créés : notamment « La Gerbe » en avril 1927 et
« Enfantines » en 1932. Les petits espagnols y participeront, Freinet
écrira en préface de l’un de ces journaux, en mai 1938 : « Voici donc pour la toute première
fois, et dans toute leur émouvante réalité, les paroles, les pensées, les
craintes véritables d’enfants en guerre. Puissent les hommes en tirer quelque
enseignement et entendre les appels virils de ceux qui sont la vie et
l’espoir. »
La Gerbe : « Petits
Réfugiés d’Espagne »
(8) : « J’y vois en effet des convergences importantes
avec « la pédagogie de guerre » (titre d’un ouvrage de Raymond Thamin,
recteur de Bordeaux, publié en 1916) qui se déploie dans les écoles européennes
entre 1914 et 1918 et qui inspire par ailleurs largement ses pratiques lors des
premières années de son école privée entre 1936 et 1939. Par « pédagogie
de guerre » il faut entendre deux choses : bien sûr les programmes et
pratiques scolaires traditionnels qui se tournent vers la guerre (récitation,
écriture, dictée, dessin….) mais aussi – et ceci est le plus souvent ignoré par
les historiens de l’éducation – les pratiques de classe qui émergent du
bouleversement des configurations du temps de paix. Des millions d’élèves
allemands, britanniques et français connaissent par exemple entre 1914 et 1918
un accroissement considérable du travail manuel et technique ou de pratiques
hors les murs imposées ou suggérées par la guerre : les élèves envoient
des milliers de paquets sur le front, des tricots, des conserves ou des pots de
confiture qu’il faut produire, conditionner, empaqueter. On cueille mais on
cultive aussi dans des jardins scolaires et partout les élèves sont
réquisitionnés avec leurs enseignants pour participer aux moissons. Les
ouvroirs se multiplient, dans toutes les écoles de filles on coud, on tricote,
on assemble... En France, les élèves sont associés au deuil. Ils entretiennent
les tombes des soldats, jardinent autour d’elles, assistent aux cérémonies de
commémorations, organisent des quêtes et des tombolas. C’est bien ces deux
aspects qui caractérisent toute pédagogie de guerre. Or, c’est exactement ce
que fait Freinet pendant la guerre d’Espagne qui, rappelons-le, est
contemporaine des trois premières années de l’ouverture de son école :
paquets pour les combattants républicains, théâtre de guerre, quête et tombola,
dessins, récits et poésie de guerre imprimés par les élèves et publiés dans
Pionniers, Enfantines ou La Gerbe, et même une valorisation de l’éthique
combattante, virile et… républicaine bien sûr, entretenue par l’engagement dans
les brigades internationales de l’instituteur adjoint de l’école, Frédéric
Urfels, héroïsé dans les travaux scolaires des élèves français et espagnols de
Vence. »
Entretien
avec François Spinner, 2018.
Outre la publication de nombreux textes et
dessins cathartiques racontant les violences vécues, les enfants sont impliqués
dans la récolte de fonds et la confection de colis destinés aux miliciens.
C’est donc l’ensemble de la vie de l’école qui est tournée vers la guerre
d’Espagne, jusqu’à la défaite de 1939.
Pour
aller plus loin :
- Biographie de Jose
Baron Carreno dans
le Dictionnaire du mouvement ouvrier et social, Le Maitron (http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article195600).
- Le n°153 du Bulletin d’information de
l’Amicale des Anciens Guérilleros Espagnols en France (FFI) en partenariat avec
l’IRHS-CGT Midi-Pyrénées (AAGEF-153-mars-2019.pdf).
- Le Sang des Espagnols. Mourir à Paris, éditions Espagne au cœur,
connaître ou reconnaître l’histoire des soldats réfugiés espagnols qui
participèrent à la Résistance puis à la libération de Toulouse à Paris, Henry
Farreny Del Bosque.
-
Christian Peschang, IHS71-Réfugiés-Espagnols.pdf
- Un pédagogue en guerres, Emmanuel Saint-Fuscien, Editions Perrin, 256
pages, août 2017.
-
N°116 et 169 de la Physiophile, article de Roger Marchandeau.
P.P
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