vendredi 11 octobre 2019

Freinet et les réfugiés espagnols en 1939



Il y a 80 ans, la guerre d’Espagne
Seconde partie
Célestin Freinet l’humaniste


Réfugiés espagnols à Vence


Les réfugiés espagnols de Vence


Célestin Freinet, blessé pendant la Première Guerre mondiale, ressentira toute sa vie les affres de cette tragédie. Il se forgera un idéal de paix, de fraternité et de solidarité qui ne pourra que le conduire à accueillir des réfugiés dans son école de Vence. Plus que jamais, ce sera le lieu de la tolérance, du respect où se construisent de futurs citoyens. Avant qu’il n’entrât dans la résistance à l’occupant après 1940, Célestin Freinet offrit refuge à ces nombreux enfants qui fuirent l’Espagne franquiste.




Après la guerre de 14, Célestin Freinet fut nommé à Saint-Paul-de-Vence mais les séquelles de sa blessure de guerre ne lui permettaient plus d’exercer son métier de manière traditionnelle et il mit alors en application des méthodes actives laissant plus d’autonomie à ses élèves. Pour rendre ses expériences légitimement scolaires et créer des transversalités nécessaires avec les apprentissages fondamentaux que sont la lecture et l’écriture, il inventa l’imprimerie scolaire (voir à ce sujet l’article du blog « L’imprimerie scolaire » par Jean Gaumet) https://musee-ecole-montceau-71.blogspot.com/2019/02/limprimerie-freinet-lecole.html#more.


Elèves espagnols de l’école de Vence (ICEM)



Il se heurte rapidement à l’hostilité du maire et de la bourgeoisie locale. En 1933, les tensions sont à leur paroxysme, attisées par l’extrême-droite, et une violente manifestation aux portes de l’école pousse Freinet, l’instituteur pacifiste et révolutionnaire, à brandir son révolver d’ancien combattant devant les assiégeants… L’école est mise sous protection de la gendarmerie et Freinet accepte de quitter son poste. Il est mis à la retraite à 39 ans. Dès lors, en 1936, il ouvrira sa propre école privée à Vence, avec l’approbation de Jean Zay, Ministre de l’Education du Front Populaire.



Célestin Freinet (CANOPE)



A l’image de  cet instituteur, qui laissait poindre l’ancien combattant, défendant révolver au poing son école contre ceux qui refusaient sa méthode d’enseignement  et son engagement politique, Célestin Freinet combat le fascisme et soutient les Républicains espagnols. Une école Freinet est ainsi ouverte par la Généralité de Catalogne, à Barcelone, en 1937, pendant que deux instituteurs de l’école de Vence s’engagent dans les brigades internationales.



Journal scolaire de l’école de Vence (ICEM)



Des enfants réfugiés sont accueillis dès février, ce qui ne fut pas sans poser d’importants problèmes logistiques : de la recherche de place pour loger l’ensemble des pensionnaires, au traitement des épidémies de poux et de galle. Ils seront bientôt  quarante-cinq et Freinet mettra en œuvre toutes ses conceptions pédagogiques afin de les rassurer et les socialiser. Les enfants écrivent alors des rédactions, des récits, produisent des dessins qui seront imprimés. La guerre y est très présente ; Emmanuel Saint-Fuscien, dans son livre Célestin Freinet un pédagogue en guerres 1914/1945, parle d’une véritable pédagogie de guerre (8).



Journal scolaire de l’école de Vence (collection musée)



Les investigations, les histoires, les poèmes, les chansons, les correspondances scolaires, toutes les activités étaient sujettes à l’écriture dans les journaux de classe que Freinet avait créés : notamment « La Gerbe » en avril 1927 et « Enfantines » en 1932. Les petits espagnols y participeront, Freinet écrira en préface de l’un de ces journaux, en mai 1938 : « Voici donc pour la toute première fois, et dans toute leur émouvante réalité, les paroles, les pensées, les craintes véritables d’enfants en guerre. Puissent les hommes en tirer quelque enseignement et entendre les appels virils de ceux qui sont la vie et l’espoir. »


La Gerbe : « Petits Réfugiés d’Espagne »






















Enfantines : « Ils jouaient »






















(8) : « J’y vois en effet des convergences importantes avec « la pédagogie de guerre » (titre d’un ouvrage de Raymond Thamin, recteur de Bordeaux, publié en 1916) qui se déploie dans les écoles européennes entre 1914 et 1918 et qui inspire par ailleurs largement ses pratiques lors des premières années de son école privée entre 1936 et 1939. Par « pédagogie de guerre » il faut entendre deux choses : bien sûr les programmes et pratiques scolaires traditionnels qui se tournent vers la guerre (récitation, écriture, dictée, dessin….) mais aussi – et ceci est le plus souvent ignoré par les historiens de l’éducation – les pratiques de classe qui émergent du bouleversement des configurations du temps de paix. Des millions d’élèves allemands, britanniques et français connaissent par exemple entre 1914 et 1918 un accroissement considérable du travail manuel et technique ou de pratiques hors les murs imposées ou suggérées par la guerre : les élèves envoient des milliers de paquets sur le front, des tricots, des conserves ou des pots de confiture qu’il faut produire, conditionner, empaqueter. On cueille mais on cultive aussi dans des jardins scolaires et partout les élèves sont réquisitionnés avec leurs enseignants pour participer aux moissons. Les ouvroirs se multiplient, dans toutes les écoles de filles on coud, on tricote, on assemble... En France, les élèves sont associés au deuil. Ils entretiennent les tombes des soldats, jardinent autour d’elles, assistent aux cérémonies de commémorations, organisent des quêtes et des tombolas. C’est bien ces deux aspects qui caractérisent toute pédagogie de guerre. Or, c’est exactement ce que fait Freinet pendant la guerre d’Espagne qui, rappelons-le, est contemporaine des trois premières années de l’ouverture de son école : paquets pour les combattants républicains, théâtre de guerre, quête et tombola, dessins, récits et poésie de guerre imprimés par les élèves et publiés dans Pionniers, Enfantines ou La Gerbe, et même une valorisation de l’éthique combattante, virile et… républicaine bien sûr, entretenue par l’engagement dans les brigades internationales de l’instituteur adjoint de l’école, Frédéric Urfels, héroïsé dans les travaux scolaires des élèves français et espagnols de Vence. »

 Entretien avec François Spinner, 2018.
Outre la publication de nombreux textes et dessins cathartiques racontant les violences vécues, les enfants sont impliqués dans la récolte de fonds et la confection de colis destinés aux miliciens. C’est donc l’ensemble de la vie de l’école qui est tournée vers la guerre d’Espagne, jusqu’à la défaite de 1939.


Pour aller plus loin :

- Biographie de Jose Baron Carreno dans le Dictionnaire du mouvement ouvrier et social, Le Maitron (http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article195600).

- Le n°153 du Bulletin d’information de l’Amicale des Anciens Guérilleros Espagnols en France (FFI) en partenariat avec l’IRHS-CGT Midi-Pyrénées (AAGEF-153-mars-2019.pdf).

-  Le Sang des Espagnols. Mourir à Paris, éditions Espagne au cœur, connaître ou reconnaître l’histoire des soldats réfugiés espagnols qui participèrent à la Résistance puis à la libération de Toulouse à Paris, Henry Farreny Del Bosque.

-  Christian Peschang, IHS71-Réfugiés-Espagnols.pdf

-  Un pédagogue en guerres, Emmanuel Saint-Fuscien, Editions Perrin, 256 pages,  août 2017.




- N°116 et 169 de la Physiophile, article de Roger Marchandeau.


P.P

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