L’imprimerie à l’école :
au-delà de la technique
par
Jean Gaumet
Freinet le précurseur
(1896-1966)
Célestin
FREINET, instituteur, fut blessé très
grièvement d’une balle au poumon droit, à l’offensive du Chemin des Dames en
1917. Malgré une longue convalescence, il souffrira toujours des conséquences
de cette blessure. Dans sa classe de Bar
sur Loup, ne pouvant plus physiquement assurer un enseignement traditionnel du
haut de la « chaire », il innova en ouvrant l'école sur l'extérieur
avec des sorties dans le village et dans la nature, sorties qui étaient autant
de leçons vivantes de géographie, d'histoire locale et même de calcul.
Il avait ainsi anticipé sur les instructions
ministérielles de 1923 délibérément axées sur l’École active. Mais il déplorait
le décalage entre la richesse des acquis extérieurs, l'enthousiasme des enfants
et le carcan des programmes officiels, des méthodes de lecture et du contenu
des livres scolaires.
Avec
l'acquisition de sa première imprimerie en 1924 et malgré de nombreuses
difficultés matérielles, il va réussir à
valoriser l'expression libre avec des
textes rédigés individuellement ou collectivement , soumis à la classe,
améliorés avec le maître en faisant appel à la grammaire et au vocabulaire
avant le stade ultime de la composition et de l'impression (1). Un journaliste
écrit : « ...les pages
ainsi obtenues sont lues par toute la classe et plus particulièrement par ceux qui y ont collaboré avec une avidité
extraordinaire. »
L'Imprimerie à l'école induit et
renforce le travail du groupe classe
mais ce n'est que le début d'autres
transformations fondamentales :
- Le journal scolaire.
- La coopérative scolaire et l'initiation à
la vie démocratique : de même que l'on décide collectivement d'un texte à
imprimer, on réunit la classe pour toute décision qui intéresse l'ensemble
après débats et votes.
- La correspondance inter-scolaire : elle
se développe dès 1926, dès que d'autres
écoles s'équipent en imprimerie.
- Le journal mural (1925) : journal
scolaire affiché dans la classe.
- Les fichiers scolaires coopératifs appelés
à remplacer les livres de classe. En effet,
FREINET s'oppose au manuel scolaire : « …il est fait pour des enfants par des adultes. Il est un
moyen d'abrutissement. Il continue à inculquer l’idolâtrie de l'écriture
imprimée. Il asservit aussi les maîtres en les habituant à distribuer
uniformément la matière incluse à tous les enfants. On moule déjà l'enfant à la
pensée des autres et on tue lentement sa propre pensée. »
- La bibliothèque de travail (BT) à partir de
1932.
- Le dessin libre (1931).
- Contrôle et autocorrection : fiches
auto-correctrices (1932).
De nos jours, la pédagogie FREINET est bien
vivante : avec l'I.C.E.M. (Institut Coopératif de l’École Moderne), créé
en 1947. Près de 3000 enseignants et enseignantes de tous les niveaux peuvent ainsi
échanger leurs expériences, débattre de leur pratique, tout en ayant accès à de nombreux
documents et matériels pédagogiques.
LE
PRATICIEN PLUTOT QUE LE THEORICIEN ????
«
... c'est dans les camps de
concentration de Vichy, en dépit de tant de limitations imposées à des hommes à
l'esprit libre, que FREINET trouva le temps et l'occasion de repenser en
profondeur son œuvre pédagogique ...
» écrit Elise Freinet dans sa préface à la
nouvelle édition de « l'Ecole Moderne Française ».
Le sous-titre de cet ouvrage montre bien le
contenu :
GUIDE PRATIQUE POUR L’ORGANISATION
MATERIELLE, TECHNIQUE ET PEDAGOGIQUE DE L'ECOLE POPULAIRE.
Mais
sans oublier l'objectif fondamental ainsi décrit par Célestin FREINET
lui-même :
« Une
réadaptation de notre école publique s'impose donc pour mettre au service des
enfants de ce milieu du XX° siècle une éducation qui réponde aux nécessités individuelles,
sociales, intellectuelles, techniques et morales de la vie du peuple au temps
de l'électricité, de l'aviation, du cinéma, de la radio, du journal, de l'imprimerie, du téléphone, dans un monde que
nous espérons être bientôt celui du socialisme triomphant » (2)
Ce qui est détaillé dans les chapitres qui
suivent :
- l'Ecole centrée sur l'enfant
- l'enfant construit lui-même sa personnalité
avec notre aide
- l’Ecole de demain sera l’école du
travail : « le travail
sera le grand principe, le moteur et la philosophie de la pédagogie populaire,
l’activité d'où découleront toutes les acquisitions »
- Une discipline rationnelle, émanation du
travail organisé.
- Une école du XXième siècle pour l'homme du XXième siècle : « nous ne devons pas nous
accommoder plus longtemps d'une école qui retarde de 100 ans avec son
verbalisme, ses manuels, ses manuscrits, l'ânonnement de ses leçons, la
récitation de ses résumés, la calligraphie de ses modèles... »
Cette réadaptation se fera en partant de la
base : « une formation qui
ne descend pas d'en haut - quelle que
soient la compréhension et la bonne volonté de l’autorité qui l'édicte - mais
qui monte de la vie ambiante, bien enracinée, bien nourrie, vigoureuse et drue,
capable d'élever bien haut, dans la splendeur d'un destin bénéfique, les
enfants qui sont appelés à construire un monde meilleur que celui que nous
avons laissé s'écrouler comme un lamentable château de cartes ».
Pourtant, FREINET ne croit pas à l'Ecole
libératrice qui serait en avance sur le mouvement de la société :
« ...l'expérience
nous montre que, sauf quelques rares exceptions, l’École n'est jamais à l'avant-garde du progrès social....
son épanouissement est trop directement conditionné par le milieu familial,
social et politique, pour qu'on la voie jamais s’en dégager pour une
hypothétique libération autonome. »
Célestin
FREINET : (1896- 1966) : son itinéraire
–
15 octobre 1896 : il naît à Gars, petit village isolé
des Alpes Maritimes.
–
Après
des études à Grasse (École Primaire Supérieure), il est admis à l’École Normale
d'Instituteurs de Nice.
–
1912-1915 : études à l’École Normale.
–
1915 : immédiatement mobilisé à sa sortie de l'EN, il
est blessé très grièvement au poumon droit en 1917 près de Soissons. Son livre « Touché »,
est un véritable cri de douleur mais
aussi l'expression de ce qu'il sera toute sa vie: un homme de Paix.
Malgré une longue convalescence, il souffrira toujours des conséquences de
cette blessure.
–
1920 : en janvier, il est nommé instituteur à Bars sur Loup où il restera 8 ans. Pendant
ses congés, il participe à des rencontres internationales où s'échangent des
expériences pédagogiques novatrices : 1922 -
Hambourg ; 1923 - Montreux ; 1925 - URSS (où il
rencontre Nadejda Kroupskaïa, épouse de Lénine, et passionnée de recherches
pédagogiques).
–
1924 : il introduit une imprimerie dans sa classe.
–
1926 : le réseau d'écoles équipées avec une
imprimerie s'agrandit : 10 écoles qui peuvent échanger et qui lui permettent de
lancer une « Coopérative d'entraide pédagogique» et une
revue : « L’imprimerie à l’École ». C'est aussi en
1926 qu'il épouse Elise LAGIER-BRUNEAU, institutrice et artiste qui lui sera toujours un fidèle
soutien dans sa recherche de rénovation de l'enseignement.
–
1927 : en août, premier Congrès international de « l'Imprimerie à l’École»
suivi en octobre par la fondation de la « Cinémathèque Coopérative de l'Enseignement
Laïc » avec prêts de films, de matériel de projection et avec
l'ambition de créer des films pédagogiques.
–
1928 : fusion des deux sociétés, pour arriver à la « Coopérative
de l'Enseignement Laïc » - C.E.L.- dont la revue est « L'imprimerie
à l’École ». Célestin et Élise FREINET sont nommés à Saint Paul de
Vence.
–
1932 : Création d'une brochure documentaire : « La
Bibliothèque de Travail »(BT) et la revue « L’imprimerie à
l’École » devient « L'éducateur prolétarien ».
–
de 1932 à 1934 : FREINET est la cible de violentes
attaques du conservatisme et de l’extrême droite. L’administration décide un
déplacement « dans l'intérêt de l'instituteur ». Malgré sa
volonté de rester un instituteur du peuple, il décide de démissionner plutôt
que de se soumettre à la hargne des uns et à la lâcheté des autres. Dès ce
jour, il sera indépendant mais jamais isolé.
–
1935 : Elise et Célestin FREINET ouvrent une école
privée « prolétarienne » à Vence avec internat. C'est aussi la
naissance, avec d'autres mouvements
pédagogiques (dont le Groupe Français d’Éducation nouvelle d’Henri WALLON), du «
Front de l'Enfance » qui sera présidé par Romain ROLLAND.
–
De 1939 à 1944 : les activités du mouvement Freinet
sont interrompues ; en 1940, FREINET est interné à Saint Maximin, en
raison de son appartenance au Parti communiste. Libéré en 1941, il participera
à la Résistance. L'école de Vence est fermée et saccagée.
–
1945: la C.E.L. redémarre et s'installe à Cannes. L'Ecole
de Vence peut rouvrir.
–
1947 : Le Mouvement Freinet se développe rapidement et s'organise en « Institut
Coopératif de l'Ecole Moderne ».
–
1949 : Élise FREINET publie : « Naissance
d'une Pédagogie populaire » : historique de l'école moderne (pédagogie
Freinet)
Image de « L’Ecole Buissonnière »,
film français réalisé par Jean-Paul Le Chanois et sorti en 1949.
Ce sont les débuts romancés de Célestin
Freinet, à travers le personnage d’un jeune instituteur, M. Pascal, incarné par Bernard Blier.
Pour voir « L’école
buissonnière » :
–
1964 : l’École FREINET est reconnue comme école
expérimentale et ses enseignants pris en charge par l’Éducation Nationale.
–
1966 : Décès de Célestin Freinet. Sa femme assurera la
gestion de l'école jusqu'en 1981 et leur fille Madeleine Bens-Freinet prend le
relais jusqu'en 1991.
–
1991 : l’École Freinet, rachetée par l’État devient école
publique expérimentale, inscrite au Patrimoine du 20° siècle des Alpes
Maritimes en 1995.
–
1996 : l'UNESCO rend un hommage solennel à
FREINET à l'occasion du Centenaire de sa naissance, en présence de 49
délégations d'enfants venus du monde entier et pratiquant la pédagogie Freinet.
Cette manifestation est parrainée par la Commission Européenne, la Présidence
de la République et le Ministère de l’Éducation Nationale.
Pour aller plus loin
(1) :
Extrait de « Cent ans d’école »,
publication du Musée de la Maison d’Ecole, 1983
(voir rubrique "Publications")
(2) :
Extrait de « Cent ans d’école »,
publication du Musée de la Maison d’Ecole, 1983
(voir rubrique "Publications")
Merci de rappeler le grand pédagogue qu'était Célestin Freinet, un homme guidé par une volonté de former des citoyens éclairés et par un humanisme sans faille. Il a ouvert des pistes de réflexion indispensables et incontournables.
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